Sa calèche s'arrêta devant la propriété des Kerrian. Keith se massa le cou rapidement, s'étirant un bref instant avant d'ajuster ses habits et de descendre. Il fallait toujours rester présentable devant les autres nobles, sa réputation pourrait en prendre un coup autrement. Un domestique le reçut et le dirigea vers un salon, en lui demandant d'attendre. Le jeune Veriano y consentit aimablement, et observa la pièce. Les meubles étaient magnifiques et honorés en tout point le labeur et les compétences de leur propriétaire : Keith s'imaginait très bien qu'ils étaient les auteurs des canapés, de la table, ou encore du lustre.
"Tout relève du génie. Ou bien du perfectionnisme le plus maladif qui soit." Commenta-t-il à voix basse. Il effleura même l'encadrement de la fenêtre, et parla plus fort. "Vraiment remarquable."
Les Veriano passaient commande auprès des Kerrian depuis quelques années à présent. Au début, il ne voulait que remplir son étude d'un mobilier confortable et digne. Mais les compliments qu'il reçut pour l'esthétique de la pièce l'encouragèrent à avoir ce mobilier dans beaucoup de pièces à vivre et pour la réception d'invités. Bien sûr, tout n'était pas aménagé chez lui selon leur savoir-faire de ces artisans hors-pair, il appréciait le travail d'autres personnes, mais une rencontre avec le patriarche il a quelques années l'avaient convaincu de préférer ses oeuvres.
Keith avait le regard tourné vers la fenêtre, les bras croisés dans son dos. Même si en réalité il ne faisait pas attention à ce qu'il avait sous les yeux, trop préoccupé à réfléchir à ses affaires. Vont-ils accepter ma requête ? Et que devrais-je faire concernant les Venwarin ? Le dernier entretien était une caricature... Et les pensées confuses s'enchaînèrent tandis qu'il patientait. Finalement, le travail était là où il était. Pas derrière un bureau, ou avec ses conseillers de confiance, mais là où il avait le loisir de se perdre dans ses réflexions. Et il le fallait bien. L'oisiveté avait toujours était un signe de torture pour son esprit.
Il fut soudain tiré de sa transe méditative par le bruit d'une poignée de porte. Quelqu'un rentra, et Keith se retourna, un sourire aux lèvres, prêt à saluer avec respect ses hôtes.
Je m'étais levée tôt ce matin, sans pour autant avoir le moindre projet prévu. J'aurais largement préféré rester au lit mais ma mère étant ce qu'elle est, je savais qu'elle aura débarqué dans ma chambre pour me prendre la tête. "Une lady ne fait pas de grâces matinée" et blablabla. Les répliques quotidiennes en gros. Alors pour éviter de me coltiner ses remarques au cours de la matinée, j'ai opté pour prendre sur moi, me lever, me laver, me vêtir et descendre afin de me nourrir. Sans oublier de prendre mon thé, par la même occasion. Si j'avais su, peut-être serais-je finalement restée dans ma chambre.
En effet, à peine étais-je à table que mes parents m'avaient déjà fait part d'une sortie qu'ils devaient faire à la demande d'une autre famille. Le travail en gros. Là n'était pas tant le problème. C'est en partie grâce à notre investissement qu'on a ce que l'on a mais, quand ils m'ont dis qu'ils allaient sûrement avoir besoin de moi, j'ai su que je pouvais faire une croix sur une quelconque sortie au beau milieu de la journée. Enfin, on ne peut pas tout avoir. Ce sera pour plus tard.
Aujourd'hui, nous reçevons de la visite, de Monsieur Veranio plus précisément, un entrepreneur et partenaire de notre famille. Je n'ai pas vraiment prêté attention au motif de sa visite... En estimant que mes parents m'en aient fais part...Mais qu'importe. Tout ce que je savais, c'est que je devais m'occuper correctement de notre invité si jamais mes parents devaient revenir en retard. Normalement, ils devraient être là à l'heure mais, connaissant leur client, un imprévu n'est jamais à exclure.
Et en effet, les clients ont décidé de perturber l'horaire de mes parents. Je l'ai compris dès l'instant où notre unique domestique a toqué à la porte de ma chambre alors que je me confectionnait un nouveau bijoux. Mes parents n'étaient pas rentrés et visiblement, notre invité venait d'arriver. Rah, décidément...
Sans plus attendre, je me dirigea vers le salon, ouvrant doucement la porte afin de ne pas trop surprendre la personne qui s'y trouvait. Je la referme sans pour autant quitter des yeux l'homme qui se tenait là, près de la fenêtre. Un homme a l'apparence tout à fait charmante dont le statut ne faisait pas le moindre doute et ce malgré une tenue simple.
"Bonjour Monsieur Veranio. Pardonnez-moi pour l'attente. J'espère ne pas avoir été trop longue ?"
Un air désolé sur le visage, je le rejoins et le salue comme il se doit, ne manquant évidemment pas de me présenter vu qu'il ne me connait pas encore.
"Je suis Gilah Kerrian. Mes parents ont eus un imprévu avec leur précédente visite plus loin dans la capitale. Ils auront un léger retard. Veuillez nous excuser pour ce désagrément. Mais ils m'ont demandé de vous tenir compagnie entre-temps."
Je lui souris poliment, l'invitant à prendre place sur le canapé d'un geste de la main.
"Je vous en prie, prenez donc vos aises."
Je fais de même, prenant place sur le petit canapé situé en face de l'invité.
"Désirez-vous quelque chose à boire ? Une petite douceur ?"
Nous avions justement préparé des petits gâteaux, autant faire profiter chacun.
Cela posait quelque peu problème à Keith qui était venu négocier un contrat, ignorant le poids décisionnel de la demoiselle, et de ce à quoi il pouvait s'attendre de sa part. Mais l'invitant poliment à s'asseoir, il accepta d'un signe de la tête entendu, et prit place sur le canapé opposé. Le jeune adulte porta pleinement son attention sur Gilah en réajustant une mèche de cheveux baladeuse.
"Ravi de faire votre connaissance, Mademoiselle Kerrian. Je me présente même si cela ne semble pas nécessaire : je suis Keith Veriano, de la compagnie du même nom. Merci de prendre de votre temps pour me recevoir."
Le siège était confortable, et l'aidait à évacuer un peu de pression. Il n'était pas à l'aise à l'idée de ne pas pouvoir conclure un accord, mais fort heureusement, son côté opportuniste vit là une occasion pour découvrir une nouvelle personne et tissée des relations plus étroites entre deux familles nobles. Et avec cela, plus de notoriété et de contrats pour l'avenir ! Keith ne pu s'empêcher de détailler son hôte par la suite. Sa tenue et ses accessoires étaient de bonnes factures. Il était épaté de la manière propre à cette maison que de prendre des matières premières du tout venant et d'en faire de telles merveilles. Sans doute qu'il lui faudrait du temps pour trouver cela "normal" ici.
"Je prendrais volontiers un café le temps de cette entrevue, Ma Dame. Sans sucre." A dire vrai, il aurait préféré de l'alcool fort. Sans doute qu'il attendrait le soir même pour cela. "Je suis venu pour passer commande auprès de votre famille. Puis-je vous en faire part, ou est-ce une demande qui ne concernerait que vos parents ?"
Ne rien connaître de la personne que l'on avait en face de soi avait toujours été gênant pour Veriano, avec sa propension à être maniaque du contrôle. Peut-être qu'un café n'était pas une excellente idée vue la situation, mais il respira doucement. Ce n'était pas une petite boisson qui lui ferait perdre le contrôle, que diable !
Les politesses. Je n'en raffole pas mais je me rends bien compte qu'elles sont nécessaires dans le monde de la noblesse, encore plus face à un partenaire commercial. C'est quelque chose pouvant rapidement devenir pénible mais je dois prendre sur moi et continuer de faire preuve de la plus grande retenue possible. Ne serait-ce que pour ne pas entacher la vision que le jeune homme a de mes parents...Même si une personne n'en est pas une autre.
"C'est moi qui suis ravie, Monsieur Veriano. Et c'est avec grand plaisir qu'on vous reçoit."
Je sens le regard de mon interlocuteur posé sur moi, ce qui ne me dérange pas vraiment en soi. Pas du tout même. J'avoue que j'en profite un peu pour l'observer moi aussi. Il ne m'a pas l'air très à l'aise. Est-ce à cause se l'absence de mes parents ? Intérieurement,ça me fait soupirer : pourquoi faut-il qu'ils aient du retard aujourd'hui ? En espérant qu'une boisson détiendrait notre invité, je fais signe au domestique qui est aussitôt prête à écouter ma commande. Ce sera donc un café sans sucre et du thé. Second élément que je n'ai même pas besoin de réclamer : notre domestique sait pertinemment que c'est l'heure.
Le temps qu'il revienne avec les boissons, je repose mon entière attention sur mon interlocuteur, toujours sans quitter mon léger sourire poli.
"Je dois vous avouer que j'étais curieuse quant au motif de votre visite. En toute honnêteté, je pense que c'est à vous de voir si vous souhaitez que je prenne connaissance de votre commande ou non. Je peux parfaitement en faire part à mes parents, si jamais ils devaient beaucoup trop tarder. J'espère que ça ne sera pas le cas."
Je soupire bien malgré moi. Bon, au moins c'est la preuve que je trouve la situation embêtante pour notre partenaire. En ce qui me concerne, il peut attendre l'arrivée de mes parents comme me faire-part de sa demande. Même si je ne peux pas décider eux, ils m'ont toujours parlé de leurs projets.
Le domestique revient avec les boissons qu'il pose délicatement sur la table, en face de nous, avant de nous saluer et repartir. Ah, enfin mon thé. Je le prend en main et le mélange doucement tout en posant mon regard sur l'homme en face à moi.
"Je vous sens nerveux. Puis-je vous demander ce qui vous tracasse ? Si jamais je peux faire quoi que ce soit..."
Enfin, si je peux faire quelque chose...
Keith ne décida rien pour l'instant, son sourire tel un masque pour ses interrogations personnelles. Il le saisit de la hanse de sa tasse et goûta au café, après avoir remercié la personne qui l'avait posée là pour lui. Plutôt agréable sans être exceptionnel, c'était un café qui fit plaisir à Keith. La demoiselle resta d'une courtoisie charmante, et se montra prévenante envers son invité. J'ai l'air nerveux...? Keith prit un air surpris, comme il le faisait bien souvent quand on lui posait des questions auxquelles il ne voulait pas répondre. Les yeux rouges de Gilah le fixaient, et il eut cette irritante sensation d'avoir été percé à jour. Il eut un petite rire, léger et sincère, en reposant sa tasse de café. Inutile de le cacher apparemment. Keith leva à peine sa main qu'il regardait. Elle tremblait très doucement, mais elle tremblait quand même. Je dois être plus fatigué que je ne le pensais. Déjà je prends un rendez-vous hâtif qui n'est pas essentiel, et maintenant ça... Sa main rejoignit sa jambe et toute l'attention du jeune homme s'en retourna vers la demoiselle. Bien que démasqué sur ce point, il n'en perdit pas pour autant sa prestance ou son sourire.
"Vous êtes observatrice, très peu de personnes ne remarquent pas ces moments. Et encore moins aurait la franchise de m'en parler. C'est tout à votre honneur, Dame Kerrian. Mais ne vous alarmez pas plus que de raison, c'est juste un peu de surmenage. Je me reposerais davantage et toute cette fatigue me quittera d'ici quelques jours."
Keith attendit quelques secondes, pour voir comment aller réagir Gilah à cette réponse. Ignorant ses intentions ou ses pensées, il essayait de récolter le plus d'informations possibles sur le caractère et les goûts de son hôte. À part le thé, dont elle avait affichée un certain plaisir à sa réception. Le thé est sûrement pour elle ce que le café est pour moi. Mais il était temps de parler de sa commande. Ce n'était pas un projet qui devait rester secret, et la remarque qu'elle eut sur son état le mit dans une certaine confiance. Si elle avait été capable de faire mention de sa fatigue, pour Keith, c'était qu'elle n'était pas qu'une simple "poupée" bichonnée, mais une personne avec qui il pouvait s'entretenir. Et s'il arrivait à faire sensation auprès des nobles de cours, une conversation stimulante ne serait pas pour le déplaire. Et les affaires ont toujours su le motiver.
"Pour en revenir à la raison de ma présence, c'est pour une commande concernant mon hippodrome. J'ai remarqué une détérioration du matériel sportif, et je voudrais profiter qu'aucun accident dû à cela ne se soit encore produit. Ce serait pour des selles, des licols, des mors... Enfin, la panoplie complète pour que les chevaux puissent concourir au mieux de leur forme. Je veux limiter les risques d'imprévus et épargner à la foule une négligence de ma part."
Bien entendu, il y aura toujours de l'imprévu, et c'est pour cela qu'il est intéressant de parier ! Mais ce à quoi fait allusion Keith ici, était d'empêcher que des cavaliers ou chevaux ne se blessent inutilement. S'ils ne peuvent plus concourir, ils ne génèrent plus de bénéfices, mais des frais. Et ce n'est pas avec de bonnes intentions qu'il remboursera ses autres investisseurs.
Observatrice ? Je n'en sais trop rien. Cela m'avait sauté aux yeux que quelque chose n'allait pas chez mon interlocuteur. Est-ce juste lui qui pense qu'il cache mieux son jeu que ça, ou est-ce moi qui suis réellement observatrice sans forcément m'en rendre compte. Jz n'en rien. Mais ça reste une possibilité ; travailler dans l'artisanat demande un œil affûté, pouvant réparer aisément les petits détails. Qui sait. Quoi qu'il en soit, je préférais éviter de laisser trop longtemps nôtre invité dans cet état. Manquerait plus qu'il associe cette maison à une source de nervosité. Mais comme je ne connais pas mon interlocuteur, je préfère lui demander directement s'il y a quelque chose que je puisse faire.
Sa réponse ne me satisfait pas. Je suis persuadée qu'il y a autre chose. Le surmenage n'est qu'une excuse pour éviter de me faire part de ce qui le dérange réellement. Que c'est...humain. Et ironiquement, pour le moment, je préfère m'abstenir de lui faire part de mes pensées.
"Je pense qu'il est important de fair part de ce genre de chose. Nous avons trop tendance à craindre une réaction négative face à la franchise. Et pourtant, j'estime que ça doit être la base de toute conversation pour entretenir de bonnes relations sur le lont terme."
Je prends une gorgée de mon thé. Réussit, comme toujours. Ce domestique avait un don pour me préparer d'excellents thés !
Bon. Plus important.
"Bonne idée."
Dormir, c'est important. Trop en faire ne fera que rendre notre travail médiocre et ruiner notre santé par-dessus le marché.
J'écoute donc ce que l'entrepreneur me dit avec la plus grande attention. Ainsi, il a besoin de nouveau matériel pour ses chevaux. En entendant ce mot, je ne peux retenir un léger sourire. Ces animaux sont tellement splendides, physiquement comme dans leur mentalité.
"Oui je comprends. Eh bien c'est tout à fait dans nos corde donc je peux vous dire sans grande hésitation que votre commande a toutes les raisons d'être acceptée. D'autant plus que nous n'avons pas beaucoup d'autres choses à faire pour le moment... Pour combien de chevaux est-ce ?"
Le temps de préparation allait forcément dépendre de la quantité de travail à fournir. Et puis, il faut que les chevaux soient bien. Déjà qu'ils sont poussés à bout, ils méritent du confort.
"Que voulez-vous, Ma Dame ? Je travaille énormément et je tiens à avoir un œil sur tout ce qui transite dans ma compagnie. Comme j'ai déjà eu des cas de fraudes et de corruption par le passé avec mes employés et collaborateurs, je préfère désormais m'occuper de quasiment tout. Quitte à manquer de sommeil. J'ai d'ailleurs insisté auprès de mes conseillers pour venir ici et prendre l'air." Il reprit sa tasse en main. "Et je suis heureux du bel accueil que l'on me fit."
Keith reprit un peu de café, et soupira de plaisir à la simple ingestion de cette boisson miracle. Il eut un sourire pour Gilah, avant de répondre à ces interrogations d'artisan. Keith avait un papier récapitulant tout ce qu'il fallait pour son hippodrome, mais il avait passé tellement de temps à rédiger tous les détails et à le lire et relire qu'au final, il le connaissait par cœur.
"Parfait alors ! Dans ce cas, on aurait besoin d'une cinquantaine de jeux de selles, avec tout l'équipement qui va avec. Cela, c'est certains que je vais vous les prendre. Mais il me faudrait également un devis pour des chars, quatorze en tout. Fin et léger pour la course." Keith perdit son sourire quelques secondes, perdu dans ses réflexions. Il cherchait s'il oubliait quelque chose. Au bout du compte, il sortit une lettre de son manteau qu'il déposa sur la table. "Voici d'ailleurs un acompte, dont la somme, je l'espère, subviendra à l'achat de matière première."
Son sourire de retour au milieu de sa phrase, il reposa ses yeux sur les siens. Son physique était très atypique de tout ce qu'il voyait dans la noblesse en général, et quel calme. Il s'aventura une question avec un léger enthousiasme qui pointait au loin.
"Vous aimez les chevaux, Dame Kerrian ? Avez-vous déjà visité mon hippodrome ?"
Des cas de fraude et de corruption dit-il ? C'est presque triste à dire mais c'est là la nature humaine. Beaucoup feraient n'importe quoi pour être reconnus ou avoir plus de biens. Évidement, c'est très facile de pervertir ce genre d'individu, quand ils ne se pervertissent pas tout seuls. Ceci dit, je comprends la démarche de mon interlocuteur. On n'est jamais trop prudent.
"Nous sommes des êtres égoïstes, Monsieur Veriano. Malheureusement, ce genre de chose est souvent inévitable et ce malgré tous nos efforts pour les éviter".
J'hausse les épaules dans un léger soupire avant d'afficher un sourire satisfait.
"Je suis contente de vous l'entendre dire, même si j'aurais aimé qu'il soit encore meilleur avec la compagnie de les parents."
Sans me faire prier, je me faisais du papier qu'il me tendit que je commença à parcourir du regard. Ça allait bien occupé mes parents tout ça ! Mais ils sauront relever le défis, les connaissant. Et puis, je suis là pour les épauler. Je me saisis alors de l'enveloppe...Tout cela me semble bon.
"Ça devrait être suffisant ne vous en inquiété pas. Il nous faudra juste un certain temps pour préparer votre commande. Nous vous enverrons une lettre dans les plus brefs délais pour vous fournir la preuve que votre commande est confirmée. Et évidement, nous vous ferons part de la date à laquelle cette dernière sera prête."
Nouvelle gorgée de thé pour moi. Ce n'est pas tous les jours que je retrouve face à un partenaire commercial. La plupart du temps, il s'agissait plus de simples clients en tout genre et encore, certaine préféraient envoyer leur commande par lettre. Ceci dit, ces derniers connaissent déjà le travail fourni par ma famille.
La question du jeune homme dû me faire ouvrir grands les yeux pendant une fraction de secondes. Mais je reprends rapidement mon air habituel accompagné d'un petit rire amusé. Grillée. Je secoue la tête.
"Pas encore à ma connaissance mais ce serait certainement quelque chose d'intéressant à faire un jour. Ne vous méprenez pas : ce n'est pas que je doute de l'ambiance de votre hippodrome mais j'aime énormément les animaux. Et les chevaux font partis de mes préférés. J'aime beaucoup plus les voir dans leur élément naturel que sur un champ de course. Bien que ça soit un spectacle impressionnant dans son genre. J'ose espérer que vous n'allez pas mal prendre mes propos ?"
"Egoïstes, menteurs, faillibles et même faux. C'est pour ça que j'apprécie la communication, on découvre sans cesse de nouveaux travers. Et parfois on est gratifié de douces surprises."
Keith riait de sa capacité à énoncer tous ses pires défauts dans une telle conversation, et espéra qu'elle apprécierait un tel commentaire inopiné. Il était également rassuré de voir qu'elle s'acquittait de sa tâche avec professionnalisme et respect. Rien à voir avec un autre partenaire qu'il eut il y a peu. Ces Venwarin... C'était appréciable pour le moral de Veriano d'être bien accueilli et de profiter d'un échange civilisé avec un autre adulte.
Tiens, une réaction non maîtrisée ?
Sans doute la première qu'elle eut et qu'il remarqua avec un tel intérêt. Elle n'avait pas encore tout le maintien parfait de la vieillesse et des années de répétitions et d'entretiens, apparemment ! Keith l'écouta alors parler des animaux, et cela lui rappela la branche de sa famille qui avait une opinion similaire. Keith fit un geste de la main en répondant à Gilah, une simple paume ouverte.
"Je ne me sens nullement offusqué, au contraire. Soyez-en rassurée, Ma Dame. Ce sont en effet, de formidables créatures et nous apportons un soin tout particulier à leur bien-être, que ce soit sur la piste ou au ranch. Je suis même ravi d'entendre que vous les appréciez tant. J'aime pouvoir observer les courses et l'ambiance générale qui se dégage de mon hippodrome, et j'avoue avoir l'espoir d'en faire une place prestigieuse pour les nobles, mais aussi de plaisir pour le peuple." Keith marqua une légère pause en se frottant le menton. "Ma famille et moi-même disposons de divers élevages, entre les chevaux et d'autres animaux. Si un champ de course ne vous sied guère, vous êtes la bienvenue pour visiter nos établissements à tout moment."
Veriano restait un homme d'affaires, et essayait toujours de susurrer les mots qui étaient les plus à-mêmes de ravir son auditoire.
C'était assez surprenant de se retrouver face à une personne qui ne cherchait pas à défendre l'être humain avec acharnement, qui admets également la triste réalité,qui ne s'énerve pas. Beaucoup de personnes sont plutôt du genre à cherchait ce qu'il y a de bien,sans admettre la moindre critique. Peut-être que oui,il y a de bonnes choses chez l'homme. Mais les mauvaises les surpassent largement, à mes yeux, à tel point que j'en oublie les autres la plupart du temps.
"J'ignore si vous pensez réellement ce que vous dites, Monsieur Veriano, mais j'aime toutefois vos paroles."
Je souris légèrement, laissant mon regard dévier sur la fenêtre avant de regarder à nouveau mon interlocuteur. Cela n'avait aucune importance qu'il sache ce que je pensais des Hommes ou non,car dans tous les cas, ce n'est pas comme si j'allais tuer quelqu'un ou que je ne faisais rien pour autrui ! Ça aurait déjà été fait depuis longtemps si je l'avais voulu.
Il était assez surprenant de voir à quel point de nombreuses personnes sont douées pour vendre ce qu'elles ont, pour communiquer avec les autres et leurs dire ce qu'ils veulent entendre. Ce Keith en était un parfait exemple et ce même si je n'avais pas caché mon amour pour les chevaux. Ce n'est pas parce qu'on sait quelque chose qu'on sait en jouer. Mais cet homme se débrouille bien pour le moment.
"Je vois que vous avez rapidement compris comment me parler. Ce serait avec un grand plaisir que je vous rendrais une petite visite dans un de ces fameux centres d'élevages, un jour. Chacun y gagnera quelque chose, pas vrai ?"
Je fini mon thé, posant délicatement la tasse sur la table.
"J'espère que je ne vous retiens pas au moins ? Désirez-vous autre chose ?"
Une fois cela fait, il reposa la tasse et sortit encore des papiers de son manteau. Il les déposa sur la table, face à la demoiselle. Les documents étaient identiques et contenaient peu d'informations : il s'agissait d'un reçu pour dire que Keith avait bien transmis une somme d'argent aux Kerrian pour la réalisation de matériel hippique. De la formalité administrative pour le bien des affaires. Il ne prit pas la peine de commenter lesdits papiers, attendant seulement des signatures et préférant aborder des sujets plus agréables à son entendement.
"J'ignore moi-même si je pense ce que je dis." Commença-t-il avec une certaine espièglerie. "Libre à vous de le découvrir en prolongeant ces sujets épineux autant que vous le souhaitiez. Je trouverais cela intéressant pour ma part."
Keith ne lâchait pas son sourire, mais celui-ci avait quelque peu changé. Plus naturel, plus étiré. Plus amusé. Il avait entendu des mots attrayants, et cela le motiva à répondre à ce que lui disait la Fille Kerrian. Pour lui qui s'évertuait de communiquer avec tout le monde et à consolider son statut de "beau parleur", son meilleur atout, entendre qu'il avait su comment parler avec une nouvelle personne tout juste rencontrée était comme une douce musique. Veriano attrapa sa tasse, remua encore une fois le fond de café en soufflant dessus, et une fois qu'il fut froid, l'avala d'un coup.
"Je suis ravi de l'entendre, Dame Kerrian, croyez-moi. Et naturellement, nous y trouverions chacun notre compte. Vous y gagnerez le paysage de nos ranchs et de nos chevaux, tandis que je pourrais profiter d'une promenade en charmante compagnie. Vous ne me retenez pas, je vous rassure. En revanche, si vous avez autre chose à accomplir aujourd'hui et nécessité mon congé pour cela, je comprendrais. Je me sens déjà honoré de votre générosité à me recevoir si promptement, hors de votre programme. **Mais le temps file et je n'ai malheureusement pas tout le loisir que je souhaiterais de prolonger cette conversation avec vous. Je suis navré, mais je vais devoir me retirer. Sachez que cela fut un moment fort appréciable et que votre présence me manquera assurément. Sur ces bonnes paroles, ma chère, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une excellente fin de journée."
Keith avait toujours apprécié les réunions mondaines, parler affaire, les bals et autres moments de société où les langues d'or étaient le centre de l'attention. Mais ici, il n'y avait que Gilah, et son commentaire sur la nature humaine l'avait beaucoup intrigué, et qu'il souhaitait en découvrir davantage. Si seulement ses affaires ne l’accaparaient pas tant. Il aurait toute la volonté du monde à prolonger leurs échanges, et à découvrir cette merveilleuse personne, mais non. Il ne le pouvait pas. C'était déçu et peut-être même triste qu'il se rendit à l'extérieur du manoir Kerrian et que son cocher le ramena à sa propriété.
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