Mon premier réflexe, après avoir décidé de mener enquête sur les raisons de la mort de ma mère biologique, avait été de consulter les archives aisément accessibles à la Capitale, toutefois les résultats sur le sujet s'étaient révélés assez chiches et un bibliothécaire avait tôt fait de me rediriger vers la Grande Bibliothèque qui résidait dans le Village Perché. J'imaginais alors que la tâche venait d'être incroyablement simplifiée grâce à la profusion d'écrits que je pouvais trouver ici. Or, jamais je n'avais eu aussi tort.

Des livres, il y en avait bien un grand nombre oui et je ne l'avais découvert qu'en entrant dans le bâtiment qui, vu de l'extérieur, ne payait pas non plus tant que ça de mine. Toutefois, une fois les portes franchies, c'était tout autre chose : un spectacle des plus faramineux qui laissait entendre qu'il était bien possible de bâtir des architectures complexes en n'utilisant rien d'autre que des livres et des étagères. Celles-ci étaient des centaines, peut-être des milliers tout autour de moi, dessinant des rayons qui partaient du centre de la pièce unique et s'enfonçaient jusqu'aux murs de la haute et large tour qui abritait la bibliothèque. Et peu importe où se posaient mes yeux, je ne voyais nul vide, nul espace libre dans lequel un livre pouvait encore se ficher : toutes les rangées étaient pleines à craquer et il me fallut monter plusieurs étages pour finalement découvrir que des livres manquaient uniquement car ceux-ci jonchaient certaines tables et n'avaient pas encore été remis à leur place.

Par chance, je remarquai que les bibliothèques étaient regroupées par thèmes au fil de mes pérégrinations et parvins aisément à retrouver l'étage où étaient consignés tous les textes au sujet de la religion. Moi qui pensais jusqu'alors que le Culte de Lucy était quelque chose d'assez peu documenté et inconventionnel, je fus surprise par le nombre de légendes et études liées à la croyance de la Déesse. Je n'étais pas non plus une lectrice véloce et, à la fin de ma première journée d'archéologie, j'avisais au moins une année nécessaire uniquement pour repérer et regrouper l'objet de mon intérêt. Ce n'était clairement pas possible, aussi le lendemain j'osais tenter vainement de me faire aider par un des bibliothécaires.

« - Excusez-moi. Je recherche des informations sur le Culte de Luc-

- C'est au quatrième étage.

- ...Je sais que c'est au quatrième étage, j'en viens. Toutefois il y a beaucoup trop de documents et j'aurais souhaité savoir s-

- Ce n'est pas mon domaine, adressez-vous au référent du quatrième étage. »

Je ne pus réprimer un grincement de dent : les rats de bibliothèque étaient donc vraiment aussi désagréables que les rumeurs le laissaient entendre. Toutefois je ne lâchai pas l'affaire pour si peu.

« - Et où donc se trouve le référent du quatrième étage ?

- Au quatrième étage.

- Impossible, il n'y est pas.

- Alors c'est qu'il est ailleurs, » conclut le binoclard avec nonchalance, replaçant l'arrête d'un livre qui débordait légèrement d'un étagère. Je commençais véritablement à perdre patience à présent.

« - Vous ne m'aiderez pas à retrouver votre collègue, c'est ça ?

- Non, vous voyez bien que je suis occupé.

- Ah vous êtes occupé... »

J'esquissai un sourire. Poussée dans mes retranchements, je me savais capable du pire et je voyais bien où le bat pouvait blesser. Aussi ne me privais-je pas, saisissant d'abord le sommet d'un livre de l'index avant de le faire chuter hors de son rangement. L'homme ne put réprimer un tic nerveux, mais ne réagit réellement qu'au troisième livre.

« - Veuillez cesser s'il-vous-plait, nous sommes dans une bibliothèque.

- C'est vrai ça et je cherche un bibliothécaire pour m'informer.

- Je vous ai déjà renseignée. »

Pouf. Un nouveau livre tomba. Puis un autre et encore un autre. Bientôt toute la rangée gisait en petit tas sur le sol, à mes pieds.

« - S'il-vous-plaît, si vous saviez comme c'est long de les remettre dans le bon ordre...

- Oh ? Pardon, je n'avais pas compris que nous étions sur un échange de bons procédés à présent.

- Jamais ! Je refuse de céder au chantage ! »

Cette fois-ci je saisis directement le sommet de l'étagère que je fis basculer légèrement vers l'avant, occasionnant la chute simultanée de plusieurs dizaines de livres. Le bruit produit fut si tonitruant qu'il attira l'attention de tout l'édifice l'espace d'un instant. Devant moi, l'archiviste était à présent mortifié ; je ne dis rien pour autant, saisissant une autre étagère.

« - NON ! Arrêtez, arrêtez ! Je vais vous aider à trouver mon collègue, il ne doit pas être loin...

- Ah, enfin, merci. »

Déplorant un instant la pile d'ouvrages tombés, l'homme en toge se mit alors en marche vers l'escalier le plus proche pour rejoindre les paliers supérieurs. Alors que nous gravissions les étages, je notai la présence singulière d'une jeune femme assise à l'une des tables et qui m'observa en retour. Son teint sombre, son nez crochu et aplati ainsi que ses yeux d'un vert intense me saisirent aussitôt ; elle me rappela une personne que j'avais connu par le passé : une jeune femme dénommée Klara qui avait servi sous mes ordres et péri en mission. Un souvenir douloureux qui me rappelait à chaque fois à quel point un moment d'égarement ou une mauvaise stratégie pouvait s'avérer couteux pour un commandant.

Je marquai ainsi une seconde d'arrêt sur image suite à cette curieuse rencontre avant de poursuivre mon ascension, car déjà je pouvais voir mon nouvel ami engager une discussion avec un autre binoclard, ce qui me laissait penser qu'il s'agissait de mon homme.

Alléluia.