_ Certain Monsieur. Il s'avère que votre... Nouvelle amie ait fait des merveilles à nos livres de comptes. Et il est évident que ces chiffres peuvent s'améliorer.
_ Évident, en effet..."
L'héritier Veriano fit apparaître des reliques de son passé. Des livres de comptes, des rapports d'employés. Selon les recommandations explicites et sans détour de Queen Milan, des changements avaient été effectués. Quelques personnes qui n'étaient pas assez efficaces furent licenciés, puis remplacés. D'autres postes furent fusionnés, ou encore des contrats dénichés. La jeune Dame n'avait pas chômée en une semaine, et avait retravaillée sa trésorerie sans problème. Et là où il eut un large sourire, c'est qu'il y avait certainement des points qui devaient avoir fait tiquer une comptable de si haute volée. Tout n'était pas propre à 100%, à n'en pas douter. Ses employés devaient sûrement falsifiés quelques détails qui leurs donneraient un plus gros salaire. Et Queen les trouva. Un plaisir que de se débarrasser de ces égoïstes, alors que cet argent sera investi dans d'autres projets de biens communs. Keith ignorait encore sur quoi se lancer. Une taverne, une brasserie... Si seulement il arrivait à acquérir sa ferme ou une carrière de pierre... Enfin, il relativisait. Depuis la dernière fois qu'il avait rencontré la jeune Milan, son entreprise de logistique avait fleurie et les chariots portant son blason, son emblème, défilaient dans la Capitale, livrant autant de personnes importantes que de précieuses denrées. Elle n'aurait sans doute pas échappée à pareille information.
"Rahan, nous allons inviter madame Milan ici, au manoir. Elle nous a aidés, il est naturel de lui montrer de la reconnaissance et une entrevue est le moins que l'on puisse faire. Je vous donnerais une missive sous peu à lui faire parvenir. Vous connaissez déjà l'adresse."
L'intendant de Keith acquiesça respectueusement, et laissa son employeur rédiger une lettre avec des mots bien choisis. Tout en restant courtois, il fit parvenir son envie de la rencontrer à nouveau. Rahan exécuta la tâche qui lui fut confiée avec le soin que Keith lui connaissait.
Lorsque Keith eut une réponse à son invitation et qu'une date fut fixée, il prépara le jour J avec soin. C'est-à-dire qu'il en confia l'entière responsabilité à Rahan et Rebecca. Il n'avait pas mis de telles personnes à ces postes pour avoir à le faire lui-même après tout. La soirée avait été annoncée aux gens du domaine, et que beaucoup d'entre eux seraient alors invités à disposer de leur soirée comme ils l'entendaient. Hors du manoir. Certes, c'était une preuve de générosité que de leur offrir une soirée, mais c'était surtout qu'il voulait éviter que Queen n'ait des paroles trop désagréables envers les employés qu'il chérissait tant. Que ce soit pour calmer la Milan ou rassurer son personnel, il n'avait aucune envie d'être confronté à une situation si gênante. Seul les personnes essentielles devraient continuer à travailler à l'intérieur du manoir. Comme un cuisinier, Rahan, Rebecca selon ses souhaits, et Emilia. D'autres employés étaient toujours présents, comme les éleveurs, mais ils n'entreront aucunement en contact avec Queen, donc Keith ne s'en occupa point.
L'instant T venu, Emilia alla trouver le jeune Veriano dans son office, annonçant que le véhicule des Milan était en vue. Il la remercia, et descendit en personne accueillir son invité de marque. Ses habits étaient impeccables. Dans un kimono noir profond, où des motifs rouges et dorés s'entremêlaient de manière abstraite. Vue la période de l'année, où le froid était omniprésent, on pouvait facilement le voir doublé, et de la fourrure sombre dépassait du col et des manches. On ouvrit la porte de l'habitacle, et Queen en sortit. Il descendit les marches de son entrée avec son habituel sourire jusqu'à elle.
"Queen ! Ma chère, que je suis ravi de vous retrouver. Soyez la bienvenue en ma demeure."
Le rythme de la diligence ralentit peu à peu, obligeant la Milan à relever la tête. Observant son reflet dans la vitre, elle remit quelques une de ses mèches disgracieuses en place et tourna la tête en direction du porche qui se dessinait dans la pénombre. Comme l’hôte de marque qu’il était, Keith attendait déjà son arrivée. Queen devait bien admettre qu’elle avait du mal à le cerner. Pas qu’il puisse cacher quoi que ce soit, mais sa gentillesse à son égard était une chose nouvelle qu’elle avait parfois du mal à comprendre. Plus encore, elle appréciait sincèrement le temps passé en sa compagnie et ça c’était une chose rare. Cela ne l’empêchait pas pour autant de se méfier de lui. Jusqu’à preuve du contraire il restait apte à lui mettre des bâtons dans les roues et ce n’était pas leur bonne entente qui allait lui prouver le contraire. Finalement dans un petit grincement, les chevaux s’arrêtèrent et la porte s’ouvrit.
Juste le temps de réajuster sa cape d’un noir d’encre et elle s’engouffra par l’ouverture pour gagner l’extérieur. Le sourire du brun l’accueillit et elle l’imita tout en s’avançant vers lui, oubliant un instant le froid mordant qui s’était installé sur tout le royaume. La période froide était maintenant bien présente et même si cela la chagrinait, elle avait du s’habiller en conséquence. Sans pour autant négliger son style vestimentaire irréprochable. Elle avait d’ailleurs délaissée ses deux couettes pour un chignon bien rangé et ses robes à bustier pour des manches longues. Évidemment elle arborait toujours les mêmes tons ; sa robe étant faite de soie noire et rouge.
- Bonjour mon cher ! Lui dit-elle avec un sourire aussi radieux que le sien. - Vous avez une magnifique demeure. Le domaine Veriano tient ses promesses. Elle ne put retenir un petit rire charmé et vint se placer à ses côtés, lui offrant toute son attention. - Et c’est un plaisir partagé, bien que votre invitation m’ait surprise, je dois l’avouer. Ses yeux se tournèrent dans sa direction, rieurs.
"Vous êtes superbe aujourd'hui, Queen. Je suis enchanté de voir qu'il existe des vérités qui ne changent pas." Relâchant enfin sa main, il se plaça à ses côtés, montrant d'un geste l'entrée. "Allons nous mettre à l'intérieur, un feu de cheminée brûle déjà dans l'âtre."
Keith indiqua le chemin à son amie, et ils progressèrent dans la demeure, salués sans un mot par quelques rares domestiques. En restant au rez-de-chaussée, ils arrivèrent dans un petit salon. La baie vitrée au fond qui donnait sur le jardin illuminait la pièce d'une lueur hivernale. La pierre des murs où se rejoignaient roche brute et polie était chauffée par un feu de cheminée crépitant sur la droite. Au milieu, deux canapés blancs disposés en L, tournés vers la baie vitrée, avec une table basse noire qui contrastait avec la pâleur de la pièce. Des bougies éclairaient davantage la pièce et était disséminés un peu partout, la nuit tombant vite en cette saison.
Keith fit entrer Queen, et sans la materner, lui dit poliment de prendre place où elle le souhaitait. Rahan, le majordome du maître des lieux referma la porte derrière et eux et fixa son patron une fois qu'ils eurent pris place. Keith lui fit un hochement de tête avec le sourire et reposa son regard sur son invitée.
"Souhaitez vous boire quelque chose ? Une collation ? Thé, café, ou vu l'heure, un apéritif ?"
Une fois qu'elle eu répondu, Keith passa commande également, et Rahan quitta les lieux avec une politesse muette. Keith pu alors reporter son attention sur la Dame. Il resta silencieux un instant, l'observant avec le sourire. Il ne voulait pas donner l'impression de l'assaillir de questions, ou de ne pas lui laisser le temps de la parole, ou même de souffler après son trajet. En hôte courtois, il la laissa ainsi se mettre à l'aise dans le salon, comme bon lui semblerait.
- Et vous n’êtes pas en reste mon cher, vos tenues sont toujours un régal pour un œil avertit. Un petit soupire lui échappa alors qu’elle observait rapidement les alentours. - Je me languis de la chaleur. Encore plus aujourd’hui ! Rapidement, ils arrivèrent dans la demeure Veriano.
Il furent accueillit par une poignée de domestique, qui ne pipèrent mot. Ce qui surprit la jeune femme. Elle ne connaissait que peu de plébéiens en dehors de ceux qui travaillaient au manoir et d’Alphonse mais elle avait retenu une chose, ces personnes étaient de véritables petites commères en herbe à la langue bien trop pendu. Finalement c’était une aubaine qu’ils décident de garder le silence. Sans leur accorder plus d’attention que nécessaire, elle poursuivit sa route.
De bien des façons, cet endroit lui rappelait le manoir où elle avait passé son enfance. Les dimensions bien trop extravagantes pour une personne seule, la richesse des pièces, les domestiques qui faisaient des aller-retour intempestifs entre les chambres, les cuisines et les dizaines d’autres pièces disponibles. Pendant quelques instants elle ne put réprimer une petite moue nostalgique mais elle se ressaisit rapidement en entrant dans le salon. Un endroit décoré avec goût c’était certain. Se détachant de son hôte, Queen fit quelques pas en avant afin d’observer le jardin. A son grand regret, le soleil était déjà entrain de décliner et elle ne put en deviner que les quelques contours qu’elle apercevait dans le crépuscule. Bientôt, la voix du Veriano vint la sortir de sa contemplation et elle fit volte-face tout en lui offrant de nouveau un sourire. Sans plus attendre elle prit place sur l’un des bords du canapé, à l'endroit le plus proche de la baie vitrée. La vue n’était pas désagréable, même de nuit et elle aurait trouvé ça tristement dommage de s’en priver.
- Est-ce qu’il serait trop familier que d’accepter un apéritif ? Je vous avoue que la perspective de me détendre en votre compagnie me semble fort agréable. Je vous laisse le choix de la boisson. Surprenez moi. Dit-elle en réponse à sa question, lui offrant un nouveau sourire et un regard amusé par la même occasion, ignorant cordialement la présence du majordome lorsqu'il quitta les lieux.
Maintenant seuls, la trésorière se débarrassa de sa cape qu’elle plia soigneusement avant de la poser à ses côtés. Un port de tête altier, le dos droit et les jambes qui vinrent se croiser, elle prit la parole et trancha le silence dans lequel Keith les avaient plongés.
- Alors, Keith, dites moi. Mon travail a-t-il porté ses fruits ? Queen savait pertinemment que son travail était bon. Cependant elle savait aussi qu’elle était capable de fauter, bien qu’elle refusa de l’admettre devant quiconque, aussi la question lui permettait à la fois de s’assurer de la qualité de son travail et de regonfler son ego déjà surdimensionné. Une pierre, deux coups, comme le disait si bien cet adage. - Mais si je puis me permettre, vous devriez regarder à deux fois à qui vous confiez vos comptes. Je ne doute aucunement de vos capacités à choisir vos employés, bien entendu, mais les malversations étaient tout de même nombreuses. Cela aurait pu vite devenir gravissime pour une entreprise de l’ampleur de la votre. Elle s’arrêta enfin de parler et pencha légèrement la tête. - Mais peut-être ne voulez vous pas parler travail ce soir. Soupirant elle poursuivit. - A force d’avoir constamment l’esprit à l’ouvrage, c’est la seule chose qui me vient à la bouche. Une mauvaise manie, vous en conviendrez.
La jeune femme décida de se taire après cette phrase et profita de la douce chaleur qui se répandait dans la pièce, commençant enfin à réchauffer son corps refroidit par la chute brutale des températures à l’extérieur. En revanche, son regard était toujours posé sur lui, observant son visage, sa tenu, les réactions qu’il pouvait avoir à offrir.
Queen choisit de s'installer au plus proche de la large fenêtre et son regard se perdit un instant sur le jardin. Il n'avait pas de quoi l'éclairer et encore moins de le chauffer. Mais il pensa que ce serait une bonne idée de faire visiter son extérieur à la Dame, un jour plus propice. Comme l'été prochain. Cette dernière se montra d'une politesse et d'une familiarité des plus agréables. Keith, qui s'était entre temps assis au bord de l'autre canapé, profitant ainsi de la vue de la baie vitrée avec Queen dans le champ, réfléchit un instant. Commander de l'alcool fort immédiatement et sans manger était une idée stupide. Ils n'étaient pas là pour juste avoir mal à la tête demain ! Non, il orienta ses choix vers des alcools plus doux, pour commencer. Rien ne les empêcherait de passer à plus fort ensuite. Le maître des lieux n'avait aucun mal à la croire capable de le suivre sur l'alcool, preuve en était leur première rencontre. Mais même lors, ils avaient commencé avec de plus petits alcools avant de s'échapper, bouteille de brandy en main. Relevant la tête vers son fidèle Rahan, il lui dit en toute simplicité.
"Nous prendrons du cidre brut, Rahan." Il reporta son attention sur Queen. "C'est doux et pétillant, cela nous fera une bonne entrée en matière. J'espère que cela vous plaira."
L'intendant s'inclina proprement et parti en quête de breuvage. La Milan resta fidèle à l'image que s'en faisait Keith en n'accordant pas même un battement de cils à son "plébéien" d'ami. Elle prit d'ailleurs ses aises, ce qui n'était pas pour déplaire à Keith, ce dernier souhaitant lui faire passer une plaisante soirée, et cela passait par le confort bien évidemment. Il n'aurait su recevoir un ami dans de mauvaises dispositions, et encore moins Queen. Bien que certes, ils se connaissaient que depuis peu, la Dame avait déjà prouvée ses nombreuses compétences à maintes reprises. Sa qualité personnelle n'était plus à démontrer, et bien que les rumeurs lui dépaignaient un sale caractère, Keith n'en avait rien vu de si extraordinaire que cela. Une saute d'humeur quand elle fut ivre, mais ce n'avait donc rien de si extravagant.
La Dame chercha d'ailleurs à avoir son avis sur le travail qu'elle avait accompli. Il était déjà sûr de sa réponse, mais il fit mine de chercher. Ne serait-ce que pour le principe -ou la faire languir, il ne savait pas bien. Il regarda au ciel avec l'index sur son menton avec un ton neutre, jusqu'à récupérer son sourire qui ne l'avait délaissé que bien peu de temps.
"Par où commencer ? Il y a tant de choses à dire, que c'est compliqué de savoir." Il usa de son pouvoir pour faire apparaître un faux livre devant Queen, sans lui gâcher la vue. Puis un deuxième. Le premier était le livre de compte qu'elle avait eu entre les mains. Le second était ce qu'il était devenu. Les chiffres ne mentaient pas et jouaient en faveur de la Dame. "Comme vous pouvez le constater, vos opérations ont pu me faire économiser beaucoup de cristaux, et j'estime que cela s'arrangera encore avec le temps. Une de mes employées en qui j'ai toute confiance s'occupe de vérifier les comptes depuis que vous m'avez rendus les registres. Queen, mon amie, c'est un travail remarquable que vous avez effectué. Et je vous en suis sincèrement reconnaissant."
Son sourire qui ne quittait jamais ses lèvres en était plus que radieux, et c'est à ce moment que l'intendant rentra de nouveau après avoir toqué. Il déposa un plateau avec quatre verres, une bouteille de cidre, une d'eau et une clochette. Il se permit d'ouvrir la bouteille d'alcool et d'en servir un verre à chacun après s'être assuré de sa qualité. Rahan quitta les lieux avec élégance, en leur souhaitant une agréable soirée. Keith trinqua avec Queen.
"Et en espérant que vous apprécierez cette petite mise en bouche. Parfois, le simple a du bon. Et vous pourrez passer une soirée de détente ici, et prendre du temps pour vous reposer."
Après quelques petites gorgées, Keith observa Queen et la pièce. L'observation était importante pour lui, après tout, chaque souvenir était impérissable avec lui. Que ce soit le feu qui s'agitait dans la cheminée, la lueur pâle de la pièce, la quiétude de son jardin derrière la vitre, ou encore la beauté princière de son invitée, rien ne lui échappa. Calmement, il s'enfonça dans son canapé de cuir en savourant cet instant.
Elle ne se faisait pas à son pouvoir. C’était la seconde fois qu’il en usait avec elle et pourtant elle ne fut pas capable de retenir le petit sursaut qui la prit lorsqu’un livre factice lui apparut. Après avoir lancé un petit regard en direction de Keith pour s’assurer que l’illusion venait bien de lui, elle observa ce qui se trouvait sous ses yeux. Il ne lui fallut que quelques secondes pour comprendre qu’il s’agissait du livre de compte que lui avait confié le brun. Elle n’eut pas le temps de le regarder plus longtemps qu’un deuxième vint se placer aux côtés du premier. Curieuse, elle se pencha vers l’avant et pointa du doigt une page pour suivre la ligne. Celui-ci était celui qu’elle lui avait rendu. Le petit sourire qu’elle avait délaissé jusque là revint étirer ses lèvres à mesure qu’il chanter ses louanges. Elle n’avait donc pas échouée. La jeune femme faillit laisser échapper un rire, comment avait-elle pu douter d’elle-même à ce point ?
- Je suis ravi que vous soyez aussi content de mon travail. Mais allons, ne me remerciez pas, cela faisait partie de notre accord après tout. Elle délaissa enfin le livre de compte et se recula dans le canapé, sans perdre son air princier pour autant, rendant à Keith toute son attention. Au même moment, le majordome revint dans la pièce et la trésorière daigna enfin lui accorder un regard. Regard qui en disait long mais aucun mot de franchit la barrière de ses lèvres. Queen était peut-être une peste qui n’avait de respect que pour les gens comme elle ; elle savait qu’invectiver le majordome d’un autre était une chose assez mal vu par ses paires. Sans compter que pour une fois, l’homme semblait savoir où était sa place. Elle le laissa donc faire son travail sans le gêner.
Les verres maintenant remplit, la blonde s’en saisit d’un et vint trinquer avec le verre tendu de son hôte, lui offrant un sourire chaleureux. Ce qui était une chose peu commune sur son visage. Puis avant de tremper ses lèvres dans le breuvage elle prit la parole.
- Il est agréable de commencer par des boissons légère. Cela met le palais en condition en plus de nous permettre de profiter de cet instant. Enfin, elle le porta à ses lèvres. Un festival de saveur lui éclata en bouche, l’obligeant presque à soupirer doucement lorsqu’elle eut avalée sa gorgée. - Il semblerait que vos goûts en matière d’alcool soient aussi bon qu’en matière d’habillement. Votre cidre est délicieux. Comme pour confirmer ses paroles, elle reprit une gorgée et posa son verre sur table. - Tenez, Keith, je me demandais. Vous avez dû entendre parler de la prochaine expédition. Vous savez, celle concernant la cité souterraine au cœur des montagnes… Enfin, toujours est-il que la couronne prépare une expédition d’envergure, comme pour la tour qui était précédemment apparut dans la grande forêt. Vous en serez ?
Elle, n’en serait pas c’était certain ! Elle avait suffisamment donné de sa personne lors de l’expédition dans la tour. Comme une piqûre de rappel, le feu crépita dans la cheminée et émit un petit « boum ». Immédiatement son regard d’opale se planta dans cette direction et elle ne put s’empêcher de contracter les mâchoires. Elle avait bien trop donné. Cependant, ce n’était pas le bon moment pour s’apitoyer sur son sort. Ce genre d’événement n’arriverait plus, puisqu’elle ne participerait plus aux expéditions. Du moins c’est ce qu’elle avait pensé ce jour là.
Interrompu un bref instant par Rahan, Les deux Nobles le laissèrent faire dans un calme cérémonial. L'intendant quitta vite la pièce, et ils purent savourer cette boisson aussi simple que délicieuse. Le compliment qui se glissa hors des lèvres de la jeune Milan firent un peu rire Keith, qui la remercia avec courtoisie.
"J'ai des employés qui font régulièrement la chasse aux bons alcools. Voyez-vous, je cherche à produire et distribuer mes propres breuvages. J'ai déjà des vues sur une ferme pour la production de céréales. J'ai mon propre réseau logistique désormais. Les seules choses qui échappent encore à mon regard est une distillerie ou brasserie, ainsi qu'une taverne." Puis, Keith se força à arrêter de parler en buvant une nouvelle gorgée. Il aurait bien continué en disant qu'il voulait ainsi donner du travail gratifiant au peuple et leur donner d'autres sources de plaisir, mais avec Queen, ce n'étaient pas des arguments positifs. Mais surtout... "Mes excuses Queen, voilà que je partais encore pour parler travail. J'espère ne pas refaire cette erreur. Bien trop l'habitude à surveiller mes investissements."
Et pour être tout à fait honnête, ce n'étaient pas les seules raisons pour laquelle il voulait toutes ces choses, en dehors du profit que cela générerait. Avoir sa production privée en bouteille pour nourrir son alcoolisme, par exemple. Ou encore qu'une taverne qui ne serait pas officiellement rattachée à lui pourrait servir de point de chute pour ses agents de l'ombre. Le réseau logistique pour les déplacer, la taverne pour les accueillir en cas de besoin, et servir de relais de communication entre eux et lui. Sans jamais avoir à se rencontrer.
Revenant à la situation actuelle et remisant ses idées d'expansion au placard l'espace d'un instant, il se concentra essentiellement sur son invitée. Il posa son verre sur la table basse qui les séparait, et pencha subtilement la tête.
"Hm, je doute sincèrement avoir à faire dans pareille expédition. Je suis un commanditaire, par un exécutant. Bien que je sois intrigué de savoir ce qu'il se cache comme merveilles dans pareil endroit, mon avis est qu'une zone aussi sauvage doit présenter son lot de problèmes. On peut se faire attaquer par quelques monstres isolés en périphérie de la capitale, en quoi une telle expédition serait raisonnable pour un négociant comme moi ? Non ma chère, cette expédition se fera sans moi, j'ai déjà fort à faire ici. Et vous donc ? Comme vous m'en parlez, je suis intrigué de savoir ce que vous en pensez."
Keith attendrait patiemment la réponse à sa question sans l'interrompre, et lorsqu'elle aurait terminé, il se lèvera en direction de la baie vitrée qui ouvre la pièce sur l'extérieur. Invitant son amie à le rejoindre pour profiter de la vue des jardins, tant qu'il existait assez de lumière naturelle pour voir les buissons et les viornes qui les clairsemaient.
- Je ne peux pas vraiment vous en vouloir, j’ai fais la même chose il y a quelques minutes. Les habitudes ont la vie dure que voulez vous. Surtout dans notre milieux. Après tout, nos fortunes et celles de nos ancêtres ne se sont pas bâties en enfilant des perles au coin de la cheminée enfin… Elle soupira longuement et reprit son verre alors que son hôte reprenait la parole de son côté, rebondissant sur ce qu’elle avait dis concernant les prochaines expéditions a la cité souterraine.
Elle était d’accord avec lui. Encore plus depuis qu’elle avait osé mettre un pied à la première expédition et qu’elle en était revenue en saucisse grillée. De plus, d’après les premiers témoignages et au contraire de la tour en ruine, la cité enfoui avait, elle, déjà un quota de mort élevé. Les premiers à y être entré étaient mort ou n’étaient jamais revenu. Si ça n’avait tenu qu’à la jeune femme, elle se serait contentée d’en condamner l’entrée et espérant que rien ne sorte de là.
- Je partage votre avis. J’ai déjà goûtée à la première expédition organisée par la couronne. Elle ne put s’empêcher de se redresser, pas peu fière de sa prouesse. - Et je puis vous assurer que personne ne me fera redescendre dans un endroit semblable. Il faudrait que la couronne me le demande expressément pour que cela se fasse. Enfin… Je me demande ce qu’ils trouveront la dedans. La dernière fois nos trouvailles ont été maigres mais tout de même intéressantes. Elle passa une main sur son menton tout en réfléchissant. - Pour être honnête avec vous, je ne sais pas ce qu’il se passe au sein de notre royaume… Mais quelque chose se prépare. Une tour qui apparaît de nul part et qui possède nombre de pouvoir que nous ne connaissons pas, à croire que cette dernière agissait par elle-même. Et ensuite, cette… Grotte où certain de nos… «Prolétaire » faillit-elle laisser échapper. - Hommes ont déjà perdu la vie avant même que l’expédition ne soit lancée. Dans le fond cela l’arrangeait bien, ce genre de personne ne valait pas plus à ses yeux que sa première paire de chaussure et il était préférable que ce soit eux plutôt qu’elle. Mais elle n’était pas assez sotte pour douter que cela ne présage rien de bon pour l’avenir d’Aryon et cela concernait donc son propre avenir.
Enfin elle se tut et prit une longue gorgée de breuvage. - Votre choix est le bon. Se tenir loin de ces expéditions et sans doute la meilleure chose à faire. A peine eut-elle terminée qu’elle vit Keith, du coin de l’oeil se lever en direction de la grande baie vitrée. Elle répondit à son invitation et s’avança à ses côtés, posant d’abord son regard sur lui avant de le laisser dériver sur les arbres et feuillages qui composaient leur paysage. - Ils sont apaisant. Dit-elle simplement.
La Dame Milan parlait. La salive ne semblait pas lui manquer en tout cas, et elle bavardait de tout et n'importe quoi. Elle l'excusa bien volontiers sur le travail, ce qui ravit Keith qui avait envie de lui parler de ses projets. Presque de les partager. Après tout, s'il en parlait à son amie la Trésorière, peut-être une pensée lui traverserait l'esprit, concernant des taxes ou exonération d'impôts ! Obtenir quelques bénéfices supplémentaires ne serait pas pour lui déplaire. Chaque sou était important, car il pouvait en rapporter davantage par la suite. Son amie avait la possibilité de l'aider sur cette voie, et bien rare étaient ceux avec ce talent. Il aurait été ridicule de se passer de dons aussi précieux que ceux de Queen, dans une entreprise aussi expansive que celle de Keith. L'avantage, c'est que chaque décision de l'héritier Veriano insufflait une nouvelle énergie pour l'entreprise suivante. Le bois servait à sa logistique. Sa logistique à transportait le bois. Ses autres projets étaient en bonne voie également, mais il ne relâchait ni sa surveillance, ni ses efforts.
Queen continua de parler, concernant les expéditions. Keith était intrigué, évidemment, de savoir ce qu'il y avait là-bas. Des pierres précieuses seraient un formidable moyen de vite créer des richesses. Le salaire des joailliers étant facilement remboursé par leurs prouesses. Mais prendre autant de risques sur un pari que rien ne garantit, ce n'était pas digne du Veriano. Lui qui jonglait avec tant de ses souvenirs pour prendre des décisions pertinentes, il n'aurait su engager tant de richesses sur un coup de tête. Mais il fut surpris des propos de Queen, et ne le cacha nullement. Il en profita pour rebondir dessus avec un étonnement qui transparaissait dans sa voix.
"Je suis saisi par cette nouvelle, mon amie. Vous avez déjà participé à une expédition ? Vous n'avez décidément pas froid aux yeux !" Il eut un rire, presque nerveux. "J'avoue ne pas avoir un tel... Déterminisme, pour me mettre dans des positions aussi nouvelles. Je vous découvre un courage que je ne vous soupçonnais pas, Queen, à ma grande honte. Affronter des Hommes est une chose, et je ne doute pas un seul instant que vous l'avez fait pour atteindre le poste qui est le vôtre aujourd'hui, mais des créatures fantaisistes ou bien l'inconnu..." Il marqua un temps, prenant le temps de la regarder. "Vous m'impressionnez, ma chère."
Puis, il porta comme elle son attention sur son jardin. Le ciel grisonnant ne rendait pas vraiment hommage à sa cour, mais en cette saison, ce n'était rien de bien étonnant. Keith était tout de même ravi de voir des pointes fuchsia sortir d'entre les feuillages de ses arbustes. Les fleurs qu'il avait choisis pour embellir le jardin en toute période de l'année. Et que Queen en apprécia la vue lui redonna le sourire, naturellement.
"J'espérais bien que cela vous plaise. C'est un endroit significatif pour moi. Et une des raisons pour laquelle je prends un aussi grand soin de ma demeure familiale."
L'endroit où est morte sa mère, sous ses yeux. L'endroit où son pouvoir s'est éveillé. Cette maison reflétait ce qu'était Keith. Un lieu vivant, animé par une flopée de gens de tous les horizons. Des animaux, des hommes, des femmes. Une façade joyeuse, sur un squelette tourmenté par la mort, la trahison et le conflit. Keith ne put s'empêcher d'avoir une pensée pour toutes les personnes qu'il a faite espionnées, tuées, torturées et détruites. Le premier d'entre eux étant à l'étage-même du manoir. Son père qu'il empoisonne depuis près d'une décennie, afin de garder le contrôle sur la Compagnie, qui n'avait jamais été aussi florissante que depuis l'arrivée du jeune Keith.
- Je peux vous assurer que je n’ai aucunement envie de retenter cette expérience de quelques façons que ce soit. « Jamais » pensa-t-elle avant de rire de manière forcée, soupirant lasse la seconde suivante. - Que voulez-vous, les Milan sont réputés pour être des têtes de mules avide d’expérience. Et je ne peux décemment pas leurs donner tord. Après lui avoir lancé un regard en coin, elle reporta son attention sur les jardins, observant les petites plantes d’hiver, qui, par on ne sait quel miracle, arrivaient à éclore en cette saison.
Alors comme ça c’était un endroit important pour le jeune homme ? En tout cas suffisamment pour qu’il le lui dise. Malheureusement pour lui, il avait également piqué la curiosité de la trésorière. C’était l’un de ses vilains défaut, elle aimait mettre son nez un peu partout, connaître les autres à leurs dépends. Pour une fois c’était là une simple curiosité amicale, si il était possible de nommer ça comme ça. Elle voulait simplement comprendre pourquoi Keith tenait tant à cet endroit. Dans un sourire, elle se tourna vers lui et lui présenta sa main libre.
- Alors mon cher, faites moi donc visiter cet endroit qui vous tient tant à cœur, si vous le voulez bien. Elle retira sa main avant qu’il ne puisse la prendre. - Laissez moi un instant afin d’aller chercher ma cape et je suis à vous. Puis elle s’éclipsa quelques secondes, le temps pour elle de récupérer son vêtement qu’elle posa négligemment sur son avant bras en attendant. - Bien. Cette petite promenade vous tente-t-elle ? Elle lui sourit, attendant sa réponse, reprenant une gorgée de cidre au passage.
Les Milan sont donc des têtes de mules, intéressant à savoir. Enfin, s'il ne l'avait déjà su. Leur première rencontre fut assez explicite pour le jeune homme concernant le caractère borné de la jeune femme qui avait refusé à connaître avoir eu tort. Néanmoins, elle n'avait pas poussée la mauvaise foi à claironner qu'elle avait raison pour autant. Une sagesse un peu puérile, mais qui faisait sourire Keith alors qu'il reprenait une gorgée de son cidre. La Trésorière lui proposa sa main, mais il n'eut le temps de s'en saisir. Visiblement pleine d'entrain et aussi pétillante que leur boisson, elle prit son manteau.
"Vous me proposez après avoir saisi vos affaires, mon amie ? Je n'ai guère le choix que d'accepter de vous y conduire." Il lui fit un signe vers la porte par laquelle ils étaient entrés pour la conduire à l'extérieur. "Si vous voulez bien m'accompagner, Queen."
Quelques pas et une porte en bois plus tard, les voilà de retour dehors. Décidément, ce moment de calme au coin du feu n'aurait pas duré longtemps. Mais si elle désirait voir le jardin, autant profiter qu'il faisait un peu jour. La Dame portait un manteau, mais Keith frissonna dès son premier pas dehors. Sa tenue était certes doublée, mais ce n'était pas fait pour cela. Un souvenir de douce chaleur de sous sa couette le parcourut alors, lui donnant des sensations agréables dans tout le corps. Avec cette impression d'être dans son lit si confortable, il put passer outre le froid ambiant sans difficulté, même s'il ne faudrait pas non plus traîner des heures. Il emmena alors son amie jusqu'à l'endroit qu'il voyait à travers la baie vitrée, en marchant lentement pour profiter de ses locaux.
"La saison n'est pas la plus propice pour parcourir de telles allées, nous n'y trouverons surtout que du vert de mes buissons, mais quelques fleurs poussent et permettent d'embellir la vue. En continuant de marcher, nous pourrions voir l'arrière du manoir, avec plus loin un ranch, avec mes chevaux personnels et quelques ateliers pour réparer des chars, en préparer de nouveaux, enfin. Je vous passe le détail, mais cela sert à mes entreprises, vous vous doutez bien."
Keith s'arrêta enfin. Ils étaient proches de l'endroit où sa mère était morte sous ses yeux. Il avait presque l'impression de la voir devant lui. Que son odeur calcinée effleurait ses sens et enflait dans l'air. Que ses râles d'agonie tintaient à ses oreilles avec une violence qui ne lui était que trop commune. Mais rien de tout cela. Son pouvoir ne s'activait même pour cela, qui plus est. C'était juste la vivacité de ce souvenir qui le hantait toujours. Son air s'était assombri alors qu'il fixait la fenêtre par laquelle elle était tombée. Sans réussir à retrouver le sourire, il demanda avec intérêt à la Dame qui lui offrait une agréable compagnie.
"Qu'en pensez-vous ? Je sais que ce n'est pas très embelli par la saison, mais j'espère vous revoir ce printemps pour voir ces plantations en fleurs et profiter de leur parfum !" Son sourire revint peu à peu, mais il n'était guère aussi élégant ou chaleureux que quelques minutes plus tôt.
Une fois à l’extérieur, Queen grimaça légèrement. Elle n’aimait pas le froid. Elle n’avait jamais aimée ça. Heureusement à Aryon cette période était courte, aussi la plupart du temps elle se gardait bien de mettre le nez dehors. Elle suivit donc la marche en silence, observant les extérieurs avec intérêt, tout comme elle l’avait fait lorsqu’elle était arrivée.
- Effectivement ce n’est pas la bonne saison, mais je trouve que cela donne un charme différent. Ce n’est pas si terrible. Si pouviez voir mon propre jardin… Je peux vous assurer que malgré les efforts d’Alphonse il ne ressemble en rien au votre. Le pauvre majordome. Il passait des journées entières à se battre à la fois contre le froid et contre tous les insectes qui s’en prenaient aux plantes de son employeuse à la saison douce. En tout cas, peu importe la façon dont il s’y prenait, son jardin était toujours parfait. Sauf en hiver où les plantes fanaient dans l’ordre normal des choses. Au grand désarroi de la maîtresse des lieux. - Vous possédez également des chevaux sur votre domaine ? Décidément… Maugréa-t-elle dans sa barbe tout en repensant au jour de la course. Également le jour où ils avaient conclus leur premier contrat.
Enfin leur marche s’arrêta, à la surprise de la blonde qui tourna son regard bleu dans la direction du jeune homme. Elle n’était sans doute pas aussi observatrice que lui, mais il ne fallait pas posséder un pouvoir de vu accrue pour se rendre compte que son air avait changé. Il semblait morose sans qu’elle ne parvienne à en saisir la raison. Alors, elle resta silencieuse un moment. Cherchant ce qu’elle aurait pu dire ou faire qui aurait été en deçà des convenances. Elle ne trouva rien.
- Je reviendrais bien volontiers vous rendre visite à la saison douce, je suis certaine que vos jardins auront revêtus un tout autre visage. Le regard toujours posé sur lui, qui observait un point de la maison qu’elle ne saisissait pas, elle posa une main sur son épaule. Faisant preuve d’une douceur que personne ne lui connaissait. - Voudriez-vous que nous rentrions ? Sa main ainsi posé elle se pencha légèrement vers l’avant pour apercevoir son profil. - Si vous n’aviez pas envie de me faire découvrir cet endroit, ou du moins pas maintenant, vous auriez du me le dire. Je ne vous en aurez pas voulu. Pas trop. Elle eut un petit rire et laissa retomber sa main sous sa cape.
En cours de route, Keith avait retrouvé le sourire, du moins, un vague sourire. Cependant, Queen ne savait pas comment elle devait l’interpréter. Aussi, elle préféra rester interdite. Il semblait bon de ne pas enchaîner les railleries après ça. Elle fut d’ailleurs surprise de sa propre bienveillance à son égard mais n’en fit pas la remarque. Elle aurait tout le temps d’y repenser en temps voulu.
"Oui, ma famille possédait des ranchs, de bons chevaux et éleveurs. Je trouvais cela dommage de ne pas les exploiter. Le travail de plusieurs générations cloîtrés dans une écurie. C'est de là que m'est venue l'idée de l'hippodrome."
L'héritier Veriano n'en rajouta pas plus, de peur de déborder sur le travail, et de transformer une anecdote innocente en excuse pour travailler. C'est peu après qu'il s'arrêta en se perdant dans ses pensées. Un visage calciné s'agitait derrière sa rétine, comme le feu d'un brasier. Le souvenir était toujours aussi vivace qu'une braise incandescente. Mais il passa outre. Par habitude, par déni. Et la réponse de Queen lui fit plaisir. Son regard chercha le sien. Elle posa une main sur son épaule, sans savoir que c'était un signe de proximité avec la Milan. L'ayant toujours vu d'agréable compagnie dans un cadre de détente, il n'avait jamais été témoin de son sale caractère, ignorant de ce fait tout de l'importance de ce geste. Il posa lui-même sa main sur la sienne avec sympathie.
"Ce n'est rien, soyez-en assurée. Vous avez peut-être déjà entendu des rumeurs sur ma famille."Il la laissa reprendre sa main, et serra lentement ses dents, en s'efforçant de sourire. Il prit une longue inspiration et se redressa, reprenant contenance. Il parla comme quand on partageait une information sûre et objective. "Une mère morte en bas âge, un père malade à l'adolescence, et toujours ses cris d'horreurs." Un subtil rire l'agita. "Mes domestiques étaient plus bavards à l'époque. Plus jeune, j'avais du mal à gérer tout cela. Mes excuses, de vous partager cela de manière si impromptue."
Son sourire se fit plus calme. Plus doux. Comme s'il venait de confier quelque chose, enfin. Même si ce n'était que mensonges. Son père n'était aucunement malade, et lui n'avait pas passé ce cap. Il la regarda, avec ses petits tremblements de froid, et il projeta son pouvoir jusqu'à elle. Transmettant ainsi cette sensation de chaleur et de confort qu'on éprouve sous une épaisse couette duveteuse.
"Pardonnez mon intrusion avec mon pouvoir, mais vous sembliez avoir froid. J'espère ce que sera plus commode pour vous." Il lui présenta de la main le chemin, son sourire reprenant son air habituel. "Nous pouvons terminer le tour de la propriété si cela vous enchante. Je serai ravi de vous avoir à mes côtés le temps que nous marchions."
Keith laissa son coude à portée de la Dame, le lui proposant au cas où qu'elle voudrait le saisir pendant la marche. Il ignorait si elle comptait le saisir. D'instinct, il aurait dit non. Mais après ce geste sur son épaule, il ne se demandait pas si le jeune femme n'était pas plus tactile qu'il n'y paraissait.
Une chose était sûre, elle ne s’attendait pas à une telle révélation. Encore moins sur un ton aussi maîtrisé. Même elle, dont la qualité des masques n’était plus à reconnaître, n’était pas certaine d’en être capable. D’ailleurs son air jovial se fendit légèrement et elle observa le jeune homme avec une pointe de tristesse. Lucy pouvait être indubitablement injuste parfois. - Ce n’est pas ce que j’appellerais « rien ». Marmonna-t-elle plus pour elle-même que pour lui.
Alors qu’elle le regardait sans savoir quoi lui répondre, elle sentit une vague de chaleur pénétrer tout son être. De peiné, son regard devint interloqué et elle cligna plusieurs fois des yeux tout en lançant un regard vers sa cape. - Oh...Euh… Ce n’est rien. Baragouina-t-elle a mis-mot, toujours surprise. Elle tourna ensuite les yeux en direction du chemin qu’il lui indiqua sans vraiment suivre ce qu’il se passait. Ils commencèrent alors à marcher et la trésorière en profita pour se remettre les idées au clair.
- Je serais ravi de poursuivre la visite à vos côtés. Volontairement elle évita de remettre le sujet des parents du jeune homme sur le tapis. Sa curiosité la poussait certes à vouloir en savoir plus mais elle n’était pas cruelle au point d’infliger cela à quelqu’un, encore moins une personne pour qui elle avait un tant soit peu d’affection. Lorgnant son coude un moment, elle finit par y glisser sa main l’air de rien, poursuivant leur avancée. - Ne en vous excusez pas, c’est très agréable. Je ne savais pas que vous étiez capable de telles prouesses avec votre pouvoir. C’est une chose bien utile. Vous donneriez presque envie de filer m’allonger sous mes draps… Elle soupira instantanément à l’idée de le faire. Un de ces jours elle le ferait. Elle passerait une journée sans ses couettes et ne penserait à rien qui concerne plus ou moins des chiffres, elle en fit la promesse. Tout en sachant pertinemment qu’elle ne la tiendrait sans doute jamais. - Les chevaux sont effectivement un bon moyen de transport. Reprit-elle pour ne pas laisser un blanc s’installer. - Et de divertissement. Ajouta-t-elle avec un sourire amusé. - Mais je ne suis pas une grande amoureuse des animaux, encore moins des chevaux. Pour être honnête, si j’ai la possibilité de ne pas les approcher, je les évite. Enfin… Je m’égare. Vers où nous dirigeons nous ?
Elle s'en saisit, avec une indifférence dans l'attitude. Comme si elle était contente de s'en saisir sans rien montrer. Il la gratifia d'un signe de tête quand elle complimenta son pouvoir, et marcha à ses côtés, prolongeant la visite.
"J'ai mis du temps à comprendre tout ce dont j'étais capable avec ce pouvoir. Cela me sert beaucoup plus qu'on pourrait le croire. Et chaque jour que je vis reste ancré grâce à cela." Il lui sourit avec gentillesse, la dirigeant à son rythme vers l'autre côté du manoir. "Vous préférez la compagnie des sangs-bleus, Queen, de ce que je sais. Cela vous suffit-il ? Ne voyez pas là un quelconque jugement, je m'intéresse seulement à vos préférences, mon amie." Poursuivant leur tour, en suivant le chemin qui traversait les jardins, ils arrivèrent à un petit kiosque de bois et de pierre. La végétation ne le parcourait pas, et la saleté le recouvrait un peu. Les domestiques ne nettoyait pas vraiment l'endroit en hiver et Keith ne le leur demandait pas. Une balancelle était à proximité, ainsi qu'une petite marre avec quelques grenouilles. Un lieu paisible, caché derrière les haies où ils furent seuls. "Voilà. Je voulais vous conduire ici. Je sais que ce n'est pas le charme d'une cour ou d'un bal, mais c'est un petit recoin de calme où j'aime à venir. Comme il s'agissait de votre première visite chez nous et que vous souhaitiez visiter nos jardins, je voulais vous montrer cette place."
Keith projeta son pouvoir sur la zone, l'ensoleillant comme dans un souvenir, alors que des fleurs jaunes éclosaient au pied du kiosque. Des blanches s'aggloméraient sur chaque pilonne de la construction et sur les côtés de la balancelle, rendant sa vie d'été à cet endroit. Keith tenu quelques instants, le temps que Queen regarde et découvre, puis, fit disparaître l'illusion de son souvenir. Cumuler le souvenir de la couette ainsi que du lieu n'étaient pas de tout repos, et il ne voulait pas être fatigué aussi vite. Son regard se porta sur la Milan, avec un sourire sincère retrouvé.
La jeune femme garda le silence tellement longtemps que lorsqu’ils arrivèrent dans la petite cour décrépit, elle n’avait toujours pas prononcé un mot. Elle releva la tête intriguée. Les lieux avaient peu de charme mais il y avait un potentiel certain. Pour autant elle fut surprise par l’allure quelque peu négligée qui se dégageait des lieux et qui contrastait avec tout ce que son hôte avait pu lui présenter jusqu’à présent. Elle allait lui signifier, qu’effectivement, cet endroit avait moins de charme que ce qu’elle avait pu connaître quand sans prévenir il sembla s’animer de couleur. Des couleurs chaudes qui rappelaient sans hésitation la saison douce. Délaissant son coude elle fit un pas en avant.
Queen avait déjà eut le plaisir de goûter au pouvoir de Keith et si la première fois elle avait trouvé cela fort intéressant, cette fois était encore plus amusante. Un véritable monde d’illusion venait de se créer sous ses yeux, tant et si bien qu’elle cru un instant pouvoir humer le parfum des fleurs venant d’éclore. Un sourire serein étira ses trains et elle se baissa face au massif le plus proche puis tendit la main vers une des fleurs. Mais avant qu’elle ne puisse l’atteindre cette dernière disparue et la trésorière fit de nouveau face à des fleurs gelées par le froid. Elle resta un moment penchée avant de se redresser, rangeant sa main sous sa cape.
- Un bien joli pouvoir que vous avez là. Mais je crois vous l’avoir déjà dis. Lui adressa-t-elle avec un sourire. - J’apprécierais de voir cet endroit à la saison douce. Elle revint d’un pas calme se repositionner à ses côtés, ne reprenant pas son coude tant qu’il ne le lui proposa pas. Puis de son propre chef, elle initia la marche en direction du manoir. - Concernant votre question… Je n’ai pas de réponse à donner. J’apprécie la présence de mes semblables mais il est certain que tous ne sont pas bon à garder. Prenez la Dame Du Lys par exemple. Elle se complaît dans son post de ministre. Mais une femme comme elle ne peut décemment pas être parfaitement efficace. Je n’irais pas dire que c’est une incapable. Bien que l’envie m’en brûle les lèvres. Mais elle est bien trop complaisante, cherchant à faire la part belle pour tout un chacun. Quel intérêt ? N’est-il pas judicieux de laisser les sous doués et flemmard de côté afin d’avantager ceux qui le mérite. Les gens qui sont d’une autre sphère que la notre ne peuvent et ne veulent pas comprendre. Nous ne sommes pas devenu riche par l’opération de sainte Lucy. Nous avons et travaillons dur pour cela. Nous faisons don de nous de quelque manière que ce soit. Ces gens qui se plaignent de leur pauvreté alors qu’ils ne triment pas moitié moins que ce qu’ils devraient… Ses derniers mots s’éteignirent dans un murmure. - Ils manquent d’éducation, de savoir vivre. Ce sont de vrais petits animaux sauvage. Cette phrase fut prononcé à voix basse, la mâchoire serrée. Et pour cause, l’adolescence entière de la jeune Milan avait été ternie par les petites gens. Sa mère lui avait apprit à les détester, eux n’avait fais qu’accentuer cette vocation.
- Enfin. Passons. Aux vues de vos travaux, vous ne partagez pas mon avis. Et je ne vous demande pas de le faire. Elle marqua un temps d’arrêt. - Vous apprécieriez grandement la compagnie de mon frère. Vous avez plus de point commun que vous ne pourriez l’imaginer. Et elle continua de marcher à ses côtés, n’arrêtant son avancée que lorsqu’ils furent de nouveau devant les portes d’entrée.
Entre temps, elle avait apprécié son illusion sur le jardin, et elle semblait véritablement apprécier ce pouvoir et les usages qu'en faisant le jeune homme. Tant mieux, pensait-il. Son pouvoir était, selon lui, destiné à la diplomatie. Que ce soit pour insuffler un peu de magie à un lieu, réchauffer une personne, ou encore partager une information, son don naturel était une vraie bénédiction. Même s'il avait ses mauvais côtés.
"Vous serez toujours la bienvenue en ces lieux, Queen, ma chère. N'hésitez pas à repasser, même en dehors de la saison estivale."
Il le dit dans un large sourire, qui laissait transparaître toute la sincérité de ses propos. En repartant vers le manoir, il lui retendit naturellement le coude. Comme s'il s'agissait de la chose évidente à faire ici. Ils continuèrent de marcher jusqu'aux portes du manoir où Keith se devait de répondre à ses propos.
"Pour ce qui est du bas-peuple... Vous savez bien que je ne les vois pas d'un si mauvais oeil que vous. Et je ne pense pas avoir le savoir pour vous dire que vous avez tort ou raison de penser cela. Néanmoins, je chercherai à les aider du mieux que je peux, et peut-être qu'avec le temps, nous pourrions un peu mieux nous comprendre mutuellement. Je l'espère en tout cas. Je serai curieux de rencontrer votre frère à l'occasion, alors !"
Arrivant devant sa porte principale, Keith invita d'un geste Queen à le suivre, retournant à l'intérieur. Ils prirent la direction du petit salon de plus tôt, et le maître des lieux croisa sa gouvernante, Emilia. Une forte personnalité du manoir avec qui Keith s'entendait très bien. Ce dernier lui demanda poliment de ramener la bouteille de whisky qui était dans le placard de son office. La collection personnelle de Keith. Celle-ci s'exécuta avec une politesse remarquable avant de partir. Retournant dans la pièce dont ils étaient partis, Veriano atténua peu à peu son pouvoir sur eux d'eux, jusqu'à le lever complètement, retirant cette douce chaleur confortable. Le feu de la cheminée brûlait toujours avec vivacité, et l'atmosphère s'était radoucie pour Keith qui ne portait aucun manteau. Il avait bel et bien eut froid, juste qu'il n'en avait pas conscience grâce à son pouvoir. Quelques pas le rapprochèrent de la cheminée où il se réchauffa doucement. Son regard trouva la baie vitrée bien plus sombre qu'à leur départ. Bien que leur tour fut rapide, à cette époque de l'année, la nuit tombée vite. Un sourire amusé se posa alors sur Queen.
"Je n'avais pas vu le temps passé. Je vous en prie, faites comme chez vous. Profitez de ce qu'il vous plaira." Il fit une brève pause dans ses propos, frictionnant ses mains à la faveur du feu. "Sinon, que puis-je faire pour vous, en juste retour de notre marché ? Vous avez tenu votre part, et je m'en voudrais terriblement de ne pas vous être d'une aide quelconque. Demandez-moi et je ferais mon possible."
- Je ne suis pas certaine que nous puissions jamais nous comprendre sur ce point. Enfin, seul le temps nous le dira. C’était exactement les paroles que Primus aurait pu prononcer, pendant quelques secondes elle se demanda à quel point tout deux pouvait être similaire. Elle ne connaissait pas encore suffisamment Keith pour pouvoir le dire mais elle était presque certaine que ce point là n’était qu’un parmi une myriade d’autre. - Primus a prit quelques temps de repos, il se fait oublier même de moi. Je n’ai que peu de nouvelles. Mais lorsqu’il sera de retour, je pourrais vous le présenter si vous le souhaitez. Je suis sûre que cela pourra vous être bénéfique à tout les deux.
Plus que quelques pas dans le silence et ils gagnèrent le petit salon où le feu de cheminée crépitait toujours, apparemment il avait été entretenu en leur absence et même si Queen avait une sainte horreur des flammes, elle était bien contente de retrouver la pièce à une température aussi douce. L’héritière se délesta de son vêtement noir, qu’elle étendit dans un coin puis elle s’approcha de la baie vitrée pour observer l’extérieur. De cette façon, elle pouvait profiter à la fois de la chaleur du feu sans s’en approcher et de la présence de Keith sans qu’elle ne lui paraisse impolie. Elle l’écouta attentivement et eut un demi sourire lorsqu’il lui demanda ce qu’elle souhaitait en échange. Queen savait pertinemment ce qu’elle allait lui demander et même si elle n’avait pas prévu cet échange elle était maintenant quasiment sûre qu’il ne pourrait pas refuser. Alors, elle fit volte face et lui sourit doucement puis franchit les quelques mètres qui les séparaient.
- J’ai bien une idée de ce que vous pourriez faire et qui me rendrez grandement service. En plus, je pense que cela ne vous posera pas grandement problème, au contraire ! Elle tapota doucement ses mains entre elles. - Que diriez vous d’être mon cavalier pour le bal qui se tiendra au palais pour fêter la nouvelle année ? Ce serait une occasion pour que je vous présente mes connaissances et de passer un bon moment. De plus, la rumeur court que ce sera un bal costumé, cela sera fort amusant sans aucun doute ! Elle se pencha légèrement vers l’avant tout en ayant du mal à contenir son excitation. - Alors, qu’en dites vous ?
"Si c'est là votre demande et votre plaisir, mon amie, je me dois d'y répondre favorablement. Il ne sera pas dit que je ne tienne pas mes paroles. Les convives n'auront qu'à bien se tenir, car nous allons encore voler la piste de danse, ma chère !"
Keith lui lança un regard entendu. Elle semblait vraiment attendre cet événement avec enthousiasme, et Keith qui n'en avait entendu que des rumeurs n'y prêtait jusqu'alors qu'une oreille distraite. Lui qui avait décidé de contourner la loi pour atteindre ses projets, le voilà qu'il allait se jeter en pleine salle du bal du palais royal. Il souriait au beau pied de nez que cela faisait, mais la part plus... Prudente de sa personnalité ne l'entendait pas de cette manière. Oui, il était serein quant au peu de traces que lui ou Mysora avaient bien pu laisser dans la passé. Il savait également être un suffisamment bon acteur pour agir en public comme si de rien n'était. Mais c'était toujours un peu stressant de se plinger en plein milieu du camp ennemi, à l'aveugle.
À y réfléchir, qu'est-ce qui est le plus préoccupant ? Aller au palais, ou négocier avec des brigands prêts à m'étriper...?
Veriano étouffa un pouffement de rire, et s'amusa tout seul de sa remarque interne. Les brigands sont les pires. On toqua alors à la porte. Emilia entra après quelques secondes et un mot de Keith, pour déposer verres et whisky sur la table basse. Elle les servit tous deux, et se retira cordialement. Son attention de nouveau complètement centrée sur la belle jeune femme, il se permit de lui attraper doucement la main pour y déposer un verre, alors qu'il se saisit ensuite de l'autre. Il la regarda longuement sans dire un mot, juste un sourire, et trinqua avec elle.
"Je suis content de vous avoir rencontré, Queen. Puissions-nous avoir une longue collaboration !"
- Content de me rencontrer ? Ah.. Oui ! Moi aussi mon cher ! Dit-elle en reprenant contenance, chassant toutes ses pensées pour se concentrer sur l’instant présent. - A notre collaboration et puisse-t-elle être prospère, ce dont je ne doute pas ! Surenchérit-elle avant de porter le verre à ses lèvres et d’en boire une très, trop, longue gorgée, puis de lui sourire de la même façon qu’il l’avait fait auparavant tout en le dévisageant.
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