« Eveillez-vous mes belles… Aujourd’hui est un grand jour.
Vous n’avez pas entendu la nouvelle ? Elle est de sortie. Tout le monde le piaille dans les rues de la ville. Des mendiants jusqu’aux bourgeois, des toqués jusqu’aux tocards. Elle va enfin sortir de son cocon doré pour fouler ce sol qui nous revient de droit. Si vous aviez-vu ça, toute cette populace qui bave devant une telle nouvelle, comme si elle était une déesse descendant des cieux. Elle ne fait que se promener, pourtant, comme n’importe quel badaud. Mais non, puisque c’est elle, il faut en faire étalage pendant des jours à l’avance, il faut l’acclamer, en faire un numéro.
Vous n’avez rien à lui envier, mes si jolies plantes. Vos feuilles sont bien plus belles, vos pétales sont bien plus radieux, vos corolles sont bien plus gracieuses. Vous pouvez accomplir tant de miracles… Elle, c’est à peine si elle s’en sort à gouverner son propre royaume. Jamais une telle chose ne vous arriverait. Tout le monde sait que sa famille n’est qu’un ramassis de fous ou d’ingénus. La pauvre, un capitaine sans équipage pour voguer sur un océan de requins.
Mais tout cela n’a aucune importance. Bientôt, je lui aurais volé la vedette. Tout le monde ne parlera plus que de moi. Mon nom sera sur toutes les lèvres, et tout le monde verra ce qu’il en coûte de vous faire du mal. Ils verront à quel point ils auraient dû m’écouter et vous respecter, mes belles fleurs. Mais après cette journée, plus jamais on ne remettra en cause mes avertissements, mes menaces. Je les forcerai à vous respecter, même si je dois m’en prendre à leur plus grande icône. Si leurs rêves doivent tomber, alors tant pis pour ces pauvres âmes. Vous ne devinez pas le meilleur ? Aucun d’entre eux n’aura idée de ce qui pourra bien se passer, juste sous leur nez !
Ne vous inquiétez pas mes chères, j’ai tout un arsenal naturel pour me présenter comme il se doit. Des extraits de millepertuis, de rhonphle et de weissium en poudre pour l’aider à coopérer, à l’envoyer rêver quelques minutes avant d’avoir un petit tête à tête en sa compagnie. Des parfums entêtants pour les potentiels sournois voulant m’empêcher de l’approcher. Si addictifs qu’on ferait n’importe quoi pour en humer à nouveau une dose, même si ça donne la migraine, même si on doit m’obéir… Et, bien entendu, vous. Vous restez mes meilleures alliées. Je connais les jardins botaniques comme ma poche, je connais tous les coins tranquilles, les locaux où plus personne ne va. Un peu de lierre ou de glycine dans une serrure, et on rentre n’importe où, n’est-ce pas ?
Oh oui, aujourd’hui est un grand jour.
Aujourd’hui, je vais mettre la main sur la Reine…! »
En montant dans son carrosse, elle eut ce léger moment d'inspiration où elle prit son crayon pour y dessiner un lys blanc... Voyons voir où pouvaient se situer les ombres ? Elle tenta de les discerner pour mieux les représenter.. Bien entendu, elle n'était pas comme son ancien professeur qui pouvait donner vie à toute chose juste en les imaginant, mais elle voulait que cette fleur semble réelle. Des lys avaient été ajoutées à la collection, ils étaient de différents coloris dont un qui changeait de couleur suivant les émotions de la personne se trouvant à ses côtés. Si l'idée se cette potion n'était pas mauvais, si elle imaginait tout à fait l'usage que pouvait en faire les amoureux, elle était en revanche sceptique... Cela ne risquait pas au contraire de faire des dégâts...? Elle en savait quelque chose en tant que détecteur humain. Interférer dans les secrets personnels ne pouvait rien apporter de bon à son humble avis. Elle allait tout de même soutenir cette innovation comme preuve de la recherche. En sortant les gens acclamer son passage, elle en était d'autant plus fière à présent de faire part de toutes ces nouveautés en dépit de certaines de ses pensées.
" Bonjour citoyen, citoyen d'Aryon, je viens vous faire part du travail qui aura demandé le travail de toute cette équipe ici présente. La ville sera ainsi plus colorée, mais aussi plus parfumée. " Elle n'avait retenu que les lys, mais elle avait de nombreuses fleurs odorantes et avait dû changer son discours pour les inclure. Des enchanteurs avaient dû travailler pour les rendre plus odorantes. Les fleurs ressemblaient à des jacinthes croisées avec des glycines. " Les fleurs avec votre aide peuvent accomplir ce miracle de changer une ville. Nous façonnons le monde de nos mains, votre travail en est le juste reflet."
Sous les applaudissements, elle s'échappa de la scène en laissant les personnes s’éparpillant tout autour du site. La reine était restée vers la scène jusqu'à ce qu'elle remarque une rose d'un rouge plus vif que les autres. Curieuse, elle s'en rapprocha pour mieux la sentir. Comme elle ne se situait pas loin, sa garde ne s'était pas déplacée, elle relâcha même sa vigilance quelques instants, ces quelques instants qui lui furent hélas à son détriment... La roseraie n'était vraiment qu'à quelques pas, mais elle avait de nombreuses cachettes si on y regardait bien. Bien que la reine ne cherche pas à s'y enfonçait profondément, elle n'en restait pas moins légèrement écartée de sa garde.
Il suffit d’une rose, une simple rose, pour éloigner la plus grande autorité du royaume. Une cohorte de gardes royaux, armés jusqu’aux dents, surentraînés ; une foule en délire, fanatique, prêts à tout pour leur souveraine qu’ils aiment tant, vaincus par une simple rose. Klarion savait qu’il avait raison, cette rose en était la preuve : la nature gagne toujours. La roseraie était vaste, la reine s’avançait encore vers cette fleur, déterminée à la humer, s’éloignant de plus en plus de son escorte, à présent hors de vue derrière toutes ces jardinières fleuries. Il connaissait tous ces chemins par cœur, ayant travaillé dans les jardins botaniques auparavant. La roseraie était sans doute l’un des plus beaux coins des lieux, empli de mille couleurs et de douces fragrances, tout le monde finissait subjugué par la beauté des fleurs, la reine ne faisait pas exception. Cette dernière était enfin arrivée devant la rose écarlate, se penchant délicatement vers la plante.
- N’est-elle pas magnifique ? Lança Klarion d’une voix claire.
La reine fit volte-face, cherchant d’où pouvait bien provenir la voix, mais Klarion restait encore dissimulé parmi les massives jardinières et buissons. C’était le moment qu’il attendait depuis tant de temps, il allait frapper mais voulait s’assurer de pouvoir le faire sans qu’on ne ruine son avance. Jetant un rapide coup d’œil aux alentours, Klarion entendait de lointains rires d’enfants, plusieurs exclamations, quelques bourdonnements d’abeilles proches, mais aucun bruit de pas. La roseraie étant tapissée de graviers, il était bien aisé de savoir quand quelqu’un était dans les parages si on tendait correctement l’oreille. S’étant assurée de sa tranquillité pour son entreprise, il s’en retourna vers la souveraine.
- Une fleur digne d’une reine, mais… J’ai un autre présent pour vous. Fit-il de sa voix suave.
Apparaissant parmi les fleurs, Klarion se révéla enfin pour faire face à la reine. La fixant d’un air impérieux, il la dardait de ses yeux verts aussi perçants que des ronces. Tout s’était déroulé bien vite. Si bien que la dame s’était promptement redressée, tentant de comprendre qui pouvait bien être l’inconnu. Malheureusement pour elle, elle n’en eut pas le temps… Klarion ouvrit la paume de sa main, révélant une étrange poudre.
- Mes hommages, vôtre Majesté.
Et le jeune homme souffla, laissant la poudre s’envoler vers le visage d’Allys. Les spores soporifiques allaient faire leur office. Klarion jubilait, il venait d’attenter à la reine. Non loin de là, il y avait un grand local où ils pourraient discuter en paix…
« Bientôt mes belles plantes, songea-t-il. Aryon sera à nous... »
" Vous pouvez vous montrer... si vous souhaitez me transmettre vos remerciements.."
Son garde personnel tourna la tête un instant, il remarqua qu'elle tournait la tête vers lui mais il interpréta son geste comme une volonté de se rassurer. Il hocha la tête pour attester qu'il ne la quittait pas du retard... Comme il était appelé par un autre garde, cette promesse fut rompue quelques instants... Il était situé à quelques mètres, mais c'était bien de trop important pour intervenir correctement. Son interlocuteur fut bien plus empressé... Il se dévoila enfin face à elle sans même lui laisser le temps de réagir. Une poudre bleu lui arriva en plein visage, elle se sentit céder sous son propre poids alors que l'un de ses bras s'était levé pour le mettre à distance. A peine levé, il retomba comme s'il n'était fait que de chiffon.. Quelque temps plus tard, une respiration la parcourut. Elle toussa en essayant de reprendre possession de ses moyens.. On lui avait parlé d'hommages.. de présent.. une poudre vers ses yeux... Tous ces instants se brodaient à nouveau pour former une certaine cohérence... Ses mains étaient plaquées ... son coeur se mit à battre rapidement. Elle était prisonnière de cette personne aux yeux verts... dont elle ignorait tout. Elle inspira un grand coup comme sortie d'une grande apnée. Tous ses membres étaient entravés, aucun mouvement ne lui était possible. Seuls ses poignets et ses chevilles bougeaient mais étaient retenues par des liens rugueux.. des racines...
"... Que... Que ? Que se passe t-il ? " dit-elle encore l'esprit embué par cette confusion. Elle ne savait ni où elle se trouvait ni pour quelle raison... ".... Pourquoi... "
Sa question fut arrêté par une nouvelle toux provoquée sans doute par cette poudre... Que lui avait-il envoyé dans le visage ? Elle se sentait encore affaiblie... encore trop peu au fait de ce qui pouvait se passer. Même dans la fatigue la plus extrême, une seule chose maintenait en vie toute personne raisonnable : la peur. Ses yeux devinrent le reflet de cette angoisse bien qu'elle cherche à prendre sur elle. Elle inspira doucement en disant simplement :
" Que me voulez-vous... ? Que cherchez vous ? ... "
Comme si cela ne suffisait pas, elle avait la sensation de parler dans le vide... Personne ne lui répondait, personne n'était auprès d'elle... Elle devinait que comme la roseraie, il ne devait pas se trouver loin aussi elle se décida à le provoquer.
" Si vous avez été assez courageux pour m'enlever, ayez le courage de vous présenter. Je sais que vous êtes là... qui que vous soyez.
Le local où elle se trouvait ne présentait rien de bien précis, elle n'aurait pas pu déterminer à quelle distance elle se trouvait du palais... La peur se distillait moins dans son regard, elle tentait de regagner du courage. Même si la lumière perçait à peine depuis des lucarnes en hauteur, elle ne tenait pas à se laisser envahir davantage par la peur. Elle ne lui apportait rien en revanche.. elle ne souhaitait qu'une chose : que cet individu se présente à elle. S'il n'était plus présent, elle se chargerait alors de crier suffisamment pour faire venir des secours. Mieux valait ne pas prendre de risque sans savoir où il se trouvait... Il était sûrement soit sorti soit derrière elle ... Comme elle ne pouvait plus faire un geste, elle ne pouvait l'attester, juste le supposer. La faible clarté du local pouvait lui révéler les ombres de chaque objet présent, elle devinait simplement des formes sans en être toute à fait certaine. Les liens végétaux l'entravaient, mais n'avaient pas été générés pour lui faire le moindre mal... L'individu la souhaitait donc en vie...
Klarion sortit de la pénombre pour se placer sous un trait de lumières, des rayons solaires traversant une vitre au-dessus de leurs têtes. Révélant ses traits face à la reine, cette dernière pouvait découvrir les traits de glace de son ravisseur, ses yeux de jade la dardant d’éclairs vengeurs. Entre ses mains, il portait un petit pot de terre cuite, rempli d’humus, qu’il posa sur une petite table à proximité. La souveraine, bien qu’affolée, essayait de garder toute sa contenance. Elle soutint son regard, tâchant de scruter les alentours. Sur leur droite se trouvait la porte par laquelle ils étaient rentrés, une petite porte désormais bloquée par une imposante glycine en fleur s’encastrant autour et en face de l’encadrement. La reine dans les vapes jusque ici, il avait pu récupérer un peu de la pousse de cette grande mais superbe plante. Sur leur gauche, une série de fenêtres ne parvenaient pas à laisser passer la moindre lumière, une couche de crasse et de moisissures maculant sur leur surface.
- Je suis Klarion Brando. Déclara-t-il à la reine en affichant un air impérieux. Et vous allez bien vite savoir pourquoi je vous ai emporté jusqu’ici.
Le jeune homme attrapa le pot pour le disposer sur les genoux d’Allys. Passant le bout de ses doigts sur la terre, la femme baissa les yeux pour voir quelque chose frétiller sur le pot. Du terreau sortit soudain une tige surmontée d’un petit bourgeon. Des feuilles émergèrent à leur tour de la plante, grandes et rigides. La tige arrivait presque au menton de la reine lorsque la corolle de la fleur commençait à apparaître, laissant éclore une myriade de pétales pourpres lamée d’éclats jaunes. Un agréable parfum s’en dégageait, pouvant chatouiller les narines de la dame. Dans des circonstances plus agréables, profiter d’une telle fragrance aurait été si relaxant. Malheureusement pour la reine, la situation ne s’y prêtait pas… Klarion reprit le pot pour le tenir entre ses mains comme s’il s’agrippait à un bien précieux avant de reprendre :
- Les plantes… Les végétaux, ils nous abritent, nous nourrissent, nous procurent l’air que nous respirons. Ils nous comblent du plus parfait des amours. Et que font les humains en échange ? Ils les piétinent, ils les tuent, ils les profanent avec le plus profond des irrespect !
Klarion déposa à nouveau le pot sur la table, ne quittant pas la reine des yeux. Elle avait les lèvres pincées, son regard toujours aussi concerné. Sa peau se mit à blêmir, peut-être commençait-elle à avoir peur ? Le botaniste s’en fichait éperdument. Attrapant avec fougue le dossier de la chaise à l’aide de ses deux mains. Plusieurs racines et branches en sortirent, solides, se couvrant rapidement de feuilles et laissant éclore plusieurs camélias d’un rouge écarlate.
- Depuis ma plus tendre enfance dans les rues les plus sordides de cette ville, tout ceux que j’ai pu rencontrer n’ont fait que me faire du mal, me trahir… Les seuls êtres qui ont montré un tant soit peu de compassion, c’étaient elles : les plantes. J’ai grandi. Comme les splendides fleurs tout autour de vous, j’ai éclos. Peut-être que, au fond de moi, j’ai toujours su ce que je devais faire. Mais à présent je sais que j’ai le pouvoir pour le faire.
Lâchant la chaise désormais à demi transformée en buisson, Klarion se redressa en arborant un sourire carnassier face à sa captive sans défense. La beauté carmin des camélias lui redonnait du baume au cœur malgré la pointe de fatigue que lui avait causé la pousse de ces branches. Dehors, c’était peut-être déjà la panique ? Qui sait combien de personnes se mobilisaient pour retrouver leur idole adorée ? S’ils savaient où elle était en ce moment précis, et entre les griffes de qui…
- Il est grand temps de donner aux plantes le respect et la place qu’elles méritent. Il est grand temps de leur rendre au centuple l’amour qu’elles nous donnent. Vous êtes la souveraine d’Aryon, qui de mieux placé que vous pour ordonner à votre troupeau d’adorateurs de se mettre au vert, et forcer le changement ?
Il se mit à lui sourire ; un sourire à la fois inquiétant et lunaire, couplé à l’éclat de ses yeux verts qui luisaient de plus en plus.
- Je veux que vous soyez ma graine pour transformer Aryon en un merveilleux jardin.
" Veuillez me pardonner que je ne sois pas enchantée par cette rencontre."
Elle pouvait difficilement l'être par cette entrée et la situation dans laquelle elle se trouvait. Allys avait cessé de vouloir se débattre, les liens étaient solides et refusaient de s'élimer. Elle avait comme renoncé de se libérer d'elle-même. Elle attendait une autre bonne occasion de le faire. Son calepin à dessin avait glissé de sa poche, c'était bien une des choses dont elle ne se séparait jamais. Il regorgeait de dessins en tout genre notamment sur la nature qui l'entourait qui lui permettait de se détendre. Si elle avait eu le pouvoir de se fondre dans l'une de ses pages pour se tirer de cet embarras, nul doute qu'elle l'aurait déjà fait. Ce Klarion n'avait pas menti sur son identité, ce qui était d'autant plus effrayant... Ce genre d'individu assumant leurs choix étaient les pires de tous. Pas le moins du monde inquiet. Tout avait l'air de se passer tel qu'il l'avait prévu... mais quel était son projet. Elle garderait sa voix un peu sèche et distante tout le temps qu'il la garderait ainsi. Quand il lui déposa un pot sur ses genoux, elle se raidit en songeant qu'il devait s'agir d'un piège. Elle eut par réflexe envie de se reculer, même si cela était tout bonnement impossible. Allys ne fit qu'un léger mouvement de tête de côté. La fleur grandissait comme mue par une force magique... Le spectacle aurait pu être de toute beauté si elle n'avait pas été ainsi retenue contre son gré. Même la fleur qui naquit juste sous son menton lui offrit une odeur délicate... Elle souffla le plus discrètement qu'elle put en se disant qu'au moins il n'avait pas souhaité l'empoisonner... juste lui offrir un spectacle gratuit. C'était ça le projet... C'était dommage, elle ne pouvait pas applaudir tiens... une telle performance. La colère venait à remplacer la peur tant elle cherchait à ne pas se montrer faible. Le montrer aurait été ridicule, elle se contenta de lui offrir un air surpris non sans une pointe d'agacement.
" Si vous généralisez une situation, elle ne peut apparaître que comme tel que vous souhaitez la voir Monsieur Brando... " soupira t-elle en essayant de se départir de son agacement naissant. Elle avait néanmoins les poings serrés, signe que cette agitation était encore bel et bien en elle. Allys ne laisserait pas la peur l'envahir pas tant qu'elle aurait toutes ces responsabilités en elle. Le plus important était de le faire patienter non de lui foncer dessus en espérant avoir le dessus comme on pouvait croire au son de sa voix. Elle modulait la tonalité de sa voix de son mieux même si son coeur battait dans sa poitrine. Elle était impuissante, obligée d'écouter un homme qu'elle venait de rencontrer et qui pouvait avoir tout pouvoir sur elle... Allys ne contrôlait plus rien.. elle pouvait au moins éviter de trop le contrarier...
Ne pouvant refouler totalement sa peur, elle était bien entendu visible si on remarquait la teinte de son visage, elle prenait sur elle. Alors qu'il s'éloignait sa pugnacité respirait en sentant le danger s'écartait de quelques pas, mais quand il revint son coeur repartit de plus bel. L'homme posa le pot de fleur sans la lâcher des yeux, il était vraiment inquiet qu'elle puisse lui échapper.
" Où croyez-vous que je puisse aller...? " finit-elle par lâcher par mégarde.
Toute cette pression ne lui était pas familière. L'homme passa au-dessus de sa remarque comme s'il l'avait balayé d'un revers de main. Ses pas s'orientèrent derrière elle. Les mains d'Allys s'encrèrent sur les bras de son siège jusqu'à ce qu'elle sentit une brusque arrivée derrière elle. Elle lâcha un léger cri de surprise en ayant peur qu'il ne cherche à la blesser. Allys serra les dents en fermant les yeux. Son discours n'était pas celui d'un homme confus... Il savait ce qu'il faisait. Il se moquait des conséquences. C'était inutile de vouloir le raisonner. Inutile de l'effrayer.... Il fallait attendre... attendre que ce moment passe... Quand il lâcha la chaise, qu'il revint plus au devant d'elle, elle sentit que son souffle revenait. L'espace d'un instant, elle s'était vue au plus mal... A présent, elle était juste davantage noyée sous de la verdure, mais tout allait bien. Si ce n'était cette flagrance un peu trop présence, tout allait bien. Tout ce qui aurait pu la ravir à présent lui faisait horreur.
"... Votre graine ? J'ignore l'image que vous souhaiteriez pour ce royaume. Nous avons de nombreux problèmes autre que la présence des plantes. Si elles vous ont apporté le soutien dont vous aviez besoin, tant mieux... nous avons tous besoin de soutien... " Allys tentait de reprendre son souffle entre toutes ses émotions, elle essayait de ne pas perdre le fil de sa réponse. Elle ne comptait pas plier ... mais elle se gardait bien de reprendre ce ton véhément... Il parlait de justice après tout, quelle était la justice pour un homme qui imposait un changement ? Allys frémissait d'en connaître la réponse. Mieux valait l'ignorer.
" Le changement s'apporte par des initiatives. J'ai ouvert une serre dans l'Archipel. Une serre qui peut servir autant pour des remèdes que pour la simple contemplation, croyez-vous que je suis sourde au point de de ne pas chercher à protéger tout ce qui fait la richesse de ce royaume.. Et par tout... j'entends que ce royaume ne peut se réduire à un jardin. "
Aussi bien ses citoyens que son environnement, tout cela formait un tout qu'elle voulait préserver. Allys aimait diriger ce royaume en le préservant de tout ce qui pouvait lui nuire... Comme ce personnage de toute évidence. Elle ne détournait pas son regard bleuté de ces yeux inquiétants qui lui faisaient face. Cet échange ressemblait à ceux qu'elle avait eu lors de sa prise de pouvoir, où elle avait dû prendre sa place, faire comprendre quelle serait sa politique, ses choix par rapport à son père. La seule différence était qu'elle était libre de ses mouvements, mais elle s'imaginait parler dans une pièce d'audience qui serait bien plus agréable que celle-ci.
" Si ce n'était que pour échanger... je vous aurais reçu Monsieur... Mais poursuivez... puisque vous souhaitez que nous échangions."
S'il ne voulait aucunement s'en prendre à elle, si ce n'était qu'un échange, elle parviendrait plus à se détendre... Elle aurait bien suggéré que ses liens lui fussent ôté par la même occasion, mais elle se doutait bien que cet homme ne suivrait pas. Nul doute qu'elle ne serait pas restée non plus... Vu son discours, il était loin d'être un homme pouvant être dupé, elle allait parler d'égal à égal autant que faire se peut.
Klarion n’en revenait pas. Il avait soufflé ces mots, choqué par les paroles de la reine. Il continuait de fixer la souveraine, les yeux écarquillés. Ses lèvres étaient si pincées et sa peau si crispée qu’il aurait été capable de s’effriter s’il avait été fait de porcelaine. Manifestement la reine ne comprenait pas ce qu’il voulait qu’elle l’aide à accomplir. Elle voulait continuer à agir de la façon la plus administrative possible, semblant estimer que la joie de ses fanatiques avait plus de valeur que celles de millions de plantes. Elle avait ouvert une serre ? La belle affaire. Bientôt peut-être comptait-elle inaugurer un square au coin de la rue pour pallier aux griefs de Klarion ? Comment osait-elle minimiser sa croisade et estimer qu’elle en faisait assez ?
- Une serre, à l’Archipel où il fait déjà chaud et humide. Vous êtes une visionnaire, grinça Klarion en la toisant, dégoûté.
Il attrapa un tabouret posé sous la table sur laquelle il avait posé le pot fleuri avant de s'asseoir face à Allys, croisant les jambes. L’espace d’un instant, le jeune homme avait l’air presque triste, empreinte de mélancolie qui s’évapora l’instant suivant pour lui faire trouver son air sévère. Klarion ne croyait en rien la reine quand elle exprimait une prétendue sincérité. Comme les autres, elle le regardait comme s’il était fou, comme si sa complainte n’avait aucune valeur, comme si celles des autres étaient plus légitimes… Klarion ne s’attendait de toute façon pas à être compris, la reine avait déjà sa horde de fidèles. Sans doute avaient-ils déjà réussi à s’ancrer bien trop fort dans son esprit.
- Les plantes étaient là bien avant vous, et seront là bien après vous. Vous pensez avoir le contrôle parce que vous avez une petite couronne sur votre tête, mais finalement vous êtes tributaires des fantasmes et des pleurs de tout un royaume.
Klarion se releva, envoyant valser le tabouret à l’autre bout de la sombre pièce. Il heurta un meuble poussiéreux d’où s’échappèrent plusieurs rongeurs apeurés qui partirent se réfugier dans une lézarde au sol. La reine continuait de le regarder en soutenant son regard, respirant toujours bruyamment mais conservant tant bien que mal le peu de calme qu’elle pouvait encore avoir. Dehors, on commençait à entendre plusieurs éclats de voix qui allaient et venaient, sans doute s'était-on déjà aperçu de l’absence de la souveraine. Des gens devaient être en train de la chercher. Entendant l’agitation à l’extérieur, Klarion savait qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps avec Allys mais il avait encore quelques petites choses à partager avec elle.
- Je ne suis pas ici pour échanger, mais de toute façon il semblerait que vous ayez déjà fait votre choix. Vous préférez continuer de naviguer à l’aveugle dans votre océan d’hypocrisie, puissiez-vous avoir bon vent. Vous n’êtes qu’entourée de sycophantes qui trichent et vous mentent du matin au soir. Vos nobles seraient près à réduire à néant des milliers d’espèces de plantes juste pour leurs lubies fantasques et vos beaux yeux. Vos gardes seraient prêts à faire de même pour plus de contrôle, de gloire et de prestige. Quant au reste de vos sujets… Que voulez-vous qu’ils en aient à faire quand la meilleure chose que vous avez à leur présenter est une serre inutile ? Si j’étais venu au palais, on m’aurait ri au nez, vous le savez. Jamais vous ne m’auriez accueilli. Je n’avais pas le choix que de vous enlever. Là, on m’écoute, vous avez même peur. Mon propos est peut-être déjà desservi ; mais si vous aviez accepté mon offre nous aurions pu transformer Aryon en un paradis verdoyant.
Soudain, ils entendirent tous deux du bruit provenant de derrière la porte. Quelqu’un avait tourné la poignée et voulait visiblement forcer l’ouverture. Forcer la porte allait certainement prendre de longues minutes considérant le fait que Klarion avait bloqué l’arrière avec une glycine. Le glas de fin avait sonné pour le jeune homme, leur entrevue était terminée et il était l’heure de s’échapper. Il se dirigea vers une fenêtre pour la faire glisser doucement ; elle donnait sur l’arrière du bâtiment ainsi qu’un labyrinthe de haies et de buissons taillés. Klarion demeurait quelque peu fatigué après avoir fait pousser toutes ces choses. Assez pour lui donner envie de se poser, mais pas suffisamment pour le faire s'écrouler. Derrière lui, la reine demeurait étrangement calme, comme si elle était en pleine réflexion après la tirade de son ravisseur. Klarion se tourna doucement vers Allys pour reposer ses yeux perçants sur elle :
- Il a suffi d’une simple fleur pour vous faire tomber entre mes mains. Imaginez ce que je pourrai faire à votre royaume. Il se mit à sourire, énigmatique. La nature gagne toujours, votre Majesté.
" Vous ne connaissez pas les répercussions positives du projet. " répondit-il sans agressivité, juste en gardant un air le plus sobre possible.
Elle était convaincue de permettre aux soigneurs d'avoir une réserve certaine de nombreux remèdes. D'ailleurs, elle ne connaissait pas encore les répercussions comme ces derniers ne lui avaient pas encore fourni de retour. Elle aurait tout le temps de les rassembler... sitôt qu'elle sortirait de cette situation.. car il ne pouvait en être autrement... L'individu se rapprocha à nouveau d'elle en se plaçant sur un tabouret tenant lieu d'assise, comme s'il ne faisait que reprendre la défense de cette plante. Il cherchait une forme de justice étrange.. En quoi avait-elle pris des mesures qui allait contre l'environnement d'Aryon ?
" Justement je me demandais... qu'est ce qui a motivé votre acte ? Vous ne sembliez pas savoir pour ce projet que vous ne soutenez p... "
Sans même attendre la fin de sa phrase, il avait envoyé le tabouret contre une caisse. Le choc réveilla les quelques rongeurs de leurs vies visibles ainsi que la reine qui partait pour une conversation posée. De toute évidence, cet individu ne voudrait pas d'un dialogue, mais alors que voulait-il ? Que cherchait-il ? N'avait-elle pas cerné ses intentions ? Sa respiration contenue s'accéléra quelque peu en songeant que à présent qu'il sentait trop de divergences... il pouvait s'en prendre à elle. Il semblait si instable.. que cet apparent sentiment de sécurité ressenti ne lui apparaissait plus à présent qu'illusion. Son regard ne se détachait pas de l'air courroucé de son ravisseur en ayant toute la frustration de ne pouvoir rien faire. S'il décidait de la tuer maintenant... il le pouvait. S'il décidait de la blesser également.. Il voulait faire changer les choses... très bien.. mais il venait d'interrompre tout dialogue. Heureusement les bruits ainsi que les recherches de la garde avaient dû finir par porter leurs fruits. A cet instant elle réussit à reprendre de la contenance, mais ne chercha pas à charger à nouveau. Elle se sentait incapable... de toute façon tout allait s'accélérer maintenant, elle le redoutait. Les gens vous diront que quand un son familier résonne après la tempête, on est tenté de souffler.. non car il y a une transition qui attend là. Implacable. Indocile. Cette transition s'étira dans un monologue comme si cette agitation n'avait fait rien d'autre que le forcer à aligner plus d'idées dans ses mots, que rien ne pouvait l'atteindre. Sa tirade s'étirait dans un long et puissant regret appuyé par son regard menaçant.. La reine ne parvenait pas à trouver des mots ... elle les avait perdus... Elle aurait pu voir qu'il se sentait menacé, qu'il allait partir.. qu'il se rapprochait déjà des fenêtres mais ses paroles sonnaient à ses oreilles comme ces vieilles planches sur lesquelles il se posait. Au lieu de voir la fin d'une tempête... elle y voyait le début d'une nouvelle menace..
Alors qu'elle réalisait à peine que cette mascarade allait bientôt s'achever, elle vit en tournant la tête cette poignée si lointaine bouger. Elle écarquilla les yeux comme semblant retrouver une bouffée de normalité face à toute cette situation dont elle ne pouvait reprendre le contrôle. Elle sentit comme une respiration la parcourir derrière ces liens toujours serrés. Son ravisseur atteignait lentement les fenêtres situées plus en hauteur.
" Vous ne pourrez pas aller bien loin à présent... " finit-elle par dire en soutenant une dernière fois son regard avant qu'il ne disparaisse complètement. Une seule fleur pour vous faire tomber entre mes mains.. faire à son royaume.. La situation était préoccupante surtout si des criminels se permettaient de tels actes... pour le moment elle se sentait comme flotter comme si toute cette peur ne lui laissait plus que de la fatigue... Elle voyait cette porte se faire rudoyer de plus en plus en écartant les glycines bouchant son ouverture... Il avait tout prévu... y compris sa fuite. Les criminels de son genre se feront difficilement avoir... malheureusement... Faudrait-il repenser à certaines choses... Pour le moment... aucune idée ne lui venait. Elle levait la tête vers la fenêtre comme si elle s'attendait à ce que soit projeté quelque chose de néfaste dans cet espace clos... Comme il semblait changer d'avis rapidement sur ses actions, elle craignait un changement de situation... comme si cette libération ne serait pas si effective. Pourtant lorsqu'on la retrouva, elle eut un sourire faible. Elle n'avait plus qu'une envie... retourner au calme... et s'y lover pour retrouver le fil de ses pensées de façon moins confuse. Elle dut attendre que soient défaites chaque racine qui l'entourait... comme autant d'entrave à sa liberté. Sa prison végétale lui paraissait encore plus insupportable. Dès qu'elle le put, elle se redressa pour sortir de ce lieu infâme. L'image de Klarion sortant de l'ombre lui apparaissait toujours dans la tête, elle ne voulait plus rester une seconde de plus. Elle n'accepta que la présence de Grimvor à ses côtés comme si elle estimait que seule sa présence lui était essentielle en cet instant. Elle n'avait pas vraiment envie de parler hormis pour dire que tout allait bien.. que tout allait bien... que la personne était partie par la fenêtre... Elle dit aussi l'identité de la personne en ayant cette étincelle dans le regard de le revoir dans sa salle d'audience entourée de sa garde. "Klarion Brando... " avait-elle dit une fois libérée de ses liens comme si c'était la première chose qu'elle voulait qu'on sache et qu'on entende... A présent la seule urgence était de retourner à ses appartements... elle ferait une chose qu'elle n'aimait pas faire. Elle allait reporter ce qu'elle devait faire au lendemain.
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