Cela faisait quelques jours que le Lieutenant et son unité se déplaçaient en direction du temple, depuis la capitale, en compagnie de prêtres et de nombreux pèlerins. La mission de Joël ? Escorter les représentants du temple de Lucy ainsi que les chariots remplis d'offrandes pour la déesse. Le Lieutenant ne rechignait pas et a rapidement organisé le voyage, prévoyant plusieurs jours pour se rendre au temple du fait qu'il fallait protéger des civils et des marchandises. Leur nombre faisait qu'ils ne pouvaient pas se déplacer rapidement, mais le temps n'était pas un soucis puisque même s'ils étaient forcés à camper dehors la nuit, les gardes sous les ordres du Lieutenant sauraient faire face à la moindre menace. Au fil des jours la troupe rencontra de nombreux voyageurs à pieds, désireux de se rendre vers le temple pour prier en son nom. Comme ils n'étaient pas pressés et après avoir fait part de son idée aux prêtres, Joël proposa d'escorter les voyageurs et différents pèlerins qu'ils croiseraient jusqu'au temple.
Il ne fallait pas négliger les dangers des plaines d'Aryon, malgré la présence de troupes de gardes et l'activité importante des aventuriers, il y avait toujours des endroits où les créatures et les bandits peuvent représenter une menace. Heureusement, avec la présence du Lieutenant et de ses compagnons d'armes, la moindre menace était rapidement écartée. Et depuis que le nom du Dragon Slayer s'est répandu dans tout le royaume, les criminels évitent de s'approcher de près ou de loin à son escouade. Finalement, au bout de leur voyage se trouvait le temple de Lucy. Reconnaissable à plusieurs kilomètres à la ronde, la figure du bâtiment n'en restait pas moins charmante et offrait une sensation de sécurité. Arrivé à l'extérieur du temple, Joël se tournait vers ses hommes et leur donnait ses instructions :
- Bon le voyage a été long et un peu fatiguant, montez un camp pour qu'on puisse se reposer et repartir de bon matin demain. Envoyez aussi quelques pairs de bras aider les prêtres à transporter les offrandes dans le temple. Vous avez quartier libre après avoir rempli vos tâches, dispersez !
Les gardes mettaient rapidement la main à la pâte, certains déployant un campement à quelques centaines de mètres du temple tandis que d'autres assistaient dans le transport d'offrandes. Ils étaient en parti pressés d'avoir l'après-midi et la soirée de libre avant de retourner à la capitale. De son côté, le Lieutenant accompagnait les prêtres qu'il a escorté jusqu'à l'intérieur du temple, avec qui il discutait de nombreuses choses. Joël n'ayant jamais réellement fait attention à la religion, il était très curieux de connaître les spécificités de la déesse Lucy. Cependant, au moment d'entrer dans le temple il tournait les yeux pour remarquer quelqu'un. Une jeune femme était là, visiblement en train de guider les quelques voyageurs qui étaient venus jusqu'au temple pour prier. Ce qui força Joël a s'arrêtait dans son chemin c'est qu'il avait la sensation de connaître cette femme, devant avoir à peu près le même âge qu'elle. Au-delà de son visage doux, ce qui mis sur la piste le Lieutenant c'était ses cheveux d'un bleu unique, reconnaissable même après une dizaine d'années. Lorsqu'il reconnaissait enfin qui elle était, il souriait en s'approchant rapidement d'elle, s'arrêtant à quelques mètres en l'interpellant.
- Nayru, c'est bien toi ? Ca fait si longtemps !... Tu ne m'as pas oublié, si ?
Drôle de façon d'approcher quelqu'un, mais l'enfant en lui ne pouvait s'empêchait d'être surpris en retrouvant une amie de longue date. Même si dans un sens lui aussi avait beaucoup changé avec l'âge, étant passé d'un petit garçon à un véritable homme.
Prions pour ces retrouvailles.
Ce matin se montrait particulièrement intense, nous avions préparé en cuisine de nombreux plats et mets pour nos visiteurs. Comme chaque matin, certes, mais là, on attendait tout une escouade de gardes et de pèlerins, qui venaient pour la grande messe d’aujourd’hui ainsi que la petite fête que nous organisons de temps en temps. C’est avec un immense plaisir que vers la fin de la matinée, nous reçûmes lot d’offrandes et de dons de la part du Palais Royal. De nombreux gardes avaient fait le déplacement pour nous livrer cela. Comme le Roi avait pu le faire une fois voila de nombreuses nuits. Nourriture, cristaux, équipements divers et variés, soins, tout y était. Nous voilà aptes à tenir pendant de nombreuses semaines. Un des gardes m’avait même apporté une liste avec tout l’inventaire fourni. Nous étions énormément gâtées, mon cœur baignait dans l’allégresse. Je pris le soin de rediriger les soldats vers un lieu pour se reposer et soigner leurs blessures, tout allait bien.
Peu après, je pus enfin accorder un peu de temps aux voyageurs et pèlerins venus de contrées lointaines juste pour voir le temple. Tout heureux de me voir, ils ont néanmoins respecté la procédure en s’agenouillant devant moi :
- Dame Nayru, c’est un honneur pour nous de vous rencontrer ! Nous sommes venus de loin pour pouvoir profiter de votre sermon !
- Chers enfants de la Déesse, au nom de Lucy notre Sainte, je vous souhaite la bienvenue en Son Refuge. Je vous en prie, allez vous reposer de cet éprouvant voyage. Vous l’avez mérité. Des chambres et des lits sont à votre disposition. Des initiés viendront vous voir pour venir profiter de la messe tout à l’heure.
Alors que je continuais de parler, je fus interrompue, par un homme dont je pensais ne jamais revoir le visage un jour. Même s’il n’avait plus sa bouille de petit être, je pouvais reconnaître cet individu entre mille.
- Eh vous, comment vous vous adressez à la Prêtresse ! Soyez plus respectueux.
Un des hommes était intervenu, choqué de voir que dans le temple, même certaines personnes ne respectaient pas l’étiquette. Mais il fallait faire avec, ce n’était ni grave, ni préjudiciable. Au contraire. Cela me faisait chaud au cœur.
- Il suffit. Mon Enfant, n’oubliez pas que la Déesse est tolérante envers et contre tout. Son Pardon est immense. Surtout pour de telles futilités.
Je ne pouvais pas stopper mon sourire béat, c'était l'élément en plus qui venait parfaire cette journée qui commençait si bien.
M’approchant de l’homme d’un pas gracieux, je laissais ma longue chevelure et planer derrière moi et pris l’homme dans mes bras. Avec une voix plus douce et chaleureuse que jamais.
- Et voir un ami doit être sous le signe de la réjouissance.
Lachant mon étreinte, je poursuivis ma discussion avec ce camarade.
- Cela fait combien d’années maintenant ? Joël, je suis occupée pour l’instant, mais que dirais tu de me rejoindre dans cinq minutes dans les jardins du temple, nous pourrions discuter avant la messe de tantôt.
Se grattant légèrement la joue, le membre de la garde était un peu gêné, surtout quand il se faisait réprimander par un membre du public autour de cette amie de longue date. Il haussait les sourcils, vraiment surpris d'apprendre que Nayru était l'une des rares prêtresses du temple de Lucy. Même un non initié comme lui connaissait l'importance d'un tel poste dans la religion, voir dans la société d'aujourd'hui, le ramenant instantanément à l'ordre alors qu'il était face à une petite foule légèrement remontée contre lui. Il était prêt à s'excuser et à admettre ses torts, après tout il n'était pas du genre à prendre à cœur ce genre de réaction, étant préparé à prendre sur lui pour éviter le désordre. Mais comme pour subtilement venir à sa rescousse, la belle prêtresse apaisé la foule agacée avec de sages paroles. Sa voix faisant l'effet d'une douce mélodie arrivait jusqu'aux oreilles de tous et bannissait à jamais la tension précédente. Si la parole du Lieutenant faisait régner l'ordre parmi les conscris, les paroles de la prêtresse apportait calme et sérénité.
Joël fut pris de cours lorsqu'elle s'approchait d'un pas feutré, l'enlaçant naturellement. Même si rapidement il répondait au geste, faisant de même avec elle avant de légèrement reculer et hocher de la tête lorsqu'elle lui proposait de se revoir un peu plus loin, dans les jardins. Posant une de ses mains contre son torse, le Lieutenant tirer sa révérence de manière soignée tout en s'adressant poliment à Nayru :
- Permettez-moi de me retirer, prêtresse.
Son ton se voulait respectueux pour ne pas attiser à nouveau la colère de la foule, mais sur son visage on pouvait remarquer un petit sourire amusé, offrant un clin d'œil à ladite prêtresse avant qu'il ne tourne des talons, faisant flotter ses longs vêtements et de prendre sa première retraite tactique. Comme conseillée par Nayru il se dirigeait vers les jardins du temple, suivant simplement les quelques indications des personnes à disposition avant de retenir son souffle lorsqu'il arrivait aux fameux jardins. Ses yeux brillaient à la vue si florissante devant lui, donnant presque l'impression qu'il faisait face un océan de fleurs et de verdure parfaitement agencées et soigneusement traitée. Les mains derrière le dos, il fredonnait en marchant sur les petits sentiers, laissant son regard basculer de gauche à droite alors qu'il se laissait émerveillait par ce qui donnait l'impression d'être au beau milieu de la nature elle-même. Après avoir marché quelques minutes, il se retrouvait dans un coin d'herbe assez déserté, lui donnant l'occasion de s'asseoir et de lever la tête vers le ciel. Un soleil si haut, avec aucun nuage pour obstruer ses rayons, alors que le Lieutenant laissait sa tête se reposer par terre avec pour coussin la douce herbe.
Ce sentiment si familier, si pur, lui rappelait son enfance. Le village perché était un lieu assez reculé, enfoui au fond de la Grande forêt d'Aryon. Cette réserve naturelle était à la fois sauvage mais parfaite, c'était dans les arbres et dans la nature que Joël passait le plus clair de son temps… Et c'était souvent en compagnie de cette petite fille aux cheveux bleus. Même s'il n'arrivait plus à sortir de sa tête l'image de cette fille devenue femme, ayant une allure plus digne mais qui reste si apaisante au regard. En tout cas, aux yeux du garde.
- 9 ans que je suis parti du village… Le temps passe si vite, et tant de choses se sont passées. Je me demande comment va Mère…
Le Lieutenant laissait ses pensées s'échapper à voix haute, alors qu'il se rappelait de la question de Nayru. En repensant à elle, il souriait et fermait les yeux.
- Je ne suis pas le seul à avoir changer en tout cas.
Prions pour ces retrouvailles.
Cela m’embêtait tellement qu’au bout d’un moment je mis un point à tout ce monde qui venait. Déléguant le tout à une Sœur du temple. Je n’avais pas l’habitude de déléguer le travail, mais quand c’était pour quelqu’un d’autre, la donne changeait. Surtout un ami auquel je tenais énormément autrefois.
Après m’être débarrassée de mes tâches, je me suis hâtée de me rendre aux jardins. Sous ma forme d’oiseau, j’ai traversé les jardins, voir les fleurs et arbres dont on prend soin sous une vue aérienne ravissait toujours mon cœur. J’ai battu des ailes pour me poser sur la tête de Joël, avant de piailler quelque chanson qu’un oiseau peut chanter, comme j’avais pour habitude de le faire autrefois quand je lui rendais visite. Comme quand nous partions chasser quand nous vivions encore au Village Perché. Maintenant que j’y repense, c’était vraiment une période bénie…
Comme autrefois, j’attendis que Joël me prenne dans ses mains et me pose au sol. Avançant un peu, je pris le soin de relâcher mon pouvoir. Mon corps d’oiseau se mit à virer en un bleu azur et uni, brillant énormément. Ce corps illuminé changeait de silhouette petit à petit jusqu’à reprendre ma forme humaine. Me retournant, je tendis la main avec un sourire chaleureux à Joël pour l’aider à se lever, je pouvais remarquer que son visage avait changé, mais sa forme aussi, c’était un homme, pas désagréable à regarder qui plus est :
- On marche un peu ?
Alors que nous avons commencé notre petite balade, je ne pus m’empêcher de commencer à poser en première les fameuses questions qu’on se pose tous après ne pas avoir vu quelqu’un depuis longtemps. N’hésitant pas à harceler mon comparse :
- Alors dis-moi, tu es garde ? T’as quel rang ? T’as continué de t’entraîner à l’arc ? T’es toujours moins bon que moi ?
J’espérais que ces quelques minutes puissent durer une éternité. Voir un visage pareil me rappelait la maison et la famille que nous avons tous les deux laissés à notre village natal.
On peut dire que Joël ne comptait pas les minutes, le temps se transformant petit à petit en un simple détail alors qu'il profitait des rayons de soleil sur son visage. Les yeux fermés, il vidait ses pensées tout en gardant un léger sourire sur les lèvres, montrant qu'il était serein et que ce n'était que dans un environnement semblable aux jardins du temple que lui, un Lieutenant qui se déplaçait en permanence, pouvait trouver un véritable repos. Le temple avait bien raison d'entretenir un tel jardin d'Eden, car même si l'on ne cherchait pas à croire aux paroles des prêtres et autres sermons des pratiquants sous la bannière de la déesse Lucy, aucune personne ne pouvait se sentir inconfortable dans un tel endroit. Joël ne s'était jamais intéressé à la religion, non pas parce qu'il remettait en question ladite religion mais parce que le garde n'a jamais eu besoin de rechercher une cause spirituelle en dehors de son serment pour le royaume.
On pouvait dire que le cœur et l'esprit du jeune homme ne faisait qu'un avec Aryon, son amour et son désir de protéger de ses propres mains ce bout de continent qui l'a vu naître et qui l'a vu grandir sont les choses qui l'ont poussé jusqu'ici. Et il ne comptait pas abandonner pour autant, il estimait qu'il avait encore une longue route devant lui, peut-être semée d'embûches, peut-être remplie de dangers… Peu importe, Joël est un garde. Mettant de côté les quelques idées à propos de sa personnalité, le Lieutenant sentait quelque chose de léger se poser délicatement sur sa tête. Ouvrant légèrement un œil, il voyait qu'un petit oiseau assez particulier s'était installé sur lui, se mettant à chanter doucement. Refermant aussitôt les yeux, le sourire de Joël ne pouvait s'empêcher de s'étendre alors qu'il laissait le chant faire vibrer ses oreilles, empathisant avec la sérénité dont il profitait jusqu'à présent. Il avait reconnu Nayru dans l'apparence soudaine de l'animal, et les piaillements transportaient un sentiment familier au Lieutenant. Après plusieurs dizaines de secondes, il redressait légèrement son dos pour être assis sur l'herbe et inviter l'oiseau à se poser sur sa main.
Il le déposait avec délicatesse devant lui, ne disant rien alors qu'il attendait que son amie d'enfance reprenne sa véritable apparence. Dans une jolie mais brève lumière, la demoiselle attendue se présentait à Joël et l'invitait même à la rejoindre dans une marche à travers le jardin. Sans aucune hésitation il acceptait la main tendue, ses doigts transformaient par les longes années d'entraînement entrant en contact avec la paume douce et accueillante de la prêtresse. Ne souhaitant pas non plus être trop lourd au goût de Nayru, Joël insista davantage sur ses jambes pour se relever et donc ne pas trop importuner la prêtresse. Mettant ses mains derrière le dos, il souriait à Nayru avec la même lueur dans le regard qu'elle : celle qui prouvait le plaisir qu'il avait de retrouver une amie de longue date.
- Avec plaisir.
C'est donc ainsi que le Lieutenant se retrouvait à marcher côte-à-côte avec la prêtresse, heureux de cette rencontre. Comme il avait accompli sa tâche en venant jusqu'au temple, Joël savait qu'il était libre et tranquille jusqu'au lendemain matin, mais il se doutait que ce n'était peut-être pas le cas de Nayru. En tant que prêtresse elle avait des responsabilités qui faisaient que son temps était précieux. Le simple fait qu'elle le rejoigne dans une balade dans ce jardin en disait long sur l'importance de ces retrouvailles à ses yeux, et ça ne faisait que réchauffait davantage le cœur du garde. C'est pour cela qu'au fond de lui, même s'il espérait que le temps s'arrête et qu'ils puissent rendre cette balade éternelle et remplie d'histoires partagées, sa bonne conscience lui dictait de ne pas trop abuser du temps de la prêtresse et donc de profiter de l'instant présent. Seulement ainsi n'y aura-t-il pas de regret pour chacun d'entre eux. En entendant la pluie de questions sortant de la bouche de Nayru, Joël ne pu s'empêcher de rire assez fort lorsqu'il écoutait la dernière. C'est vrai que tous les deux avaient grandis et étaient devenus respectivement un homme et une femme qui ont réussis à s'intégrer dans le royaume, mais aux yeux du Lieutenant il avait l'impression de retourner en enfance à ses côtés. Dans le fond, aucun des deux n'avaient pas vraiment changés. Avec un regard amusé, il s'arrêtait en face de la belle prêtresse et effectuait un salut militaire.
- Lieutenant indépendant Joël Hamel, de la Garde Civile, au rapport, madame !... Héhé, je n'ai pas vraiment chômé depuis que j'ai rejoins l'académie. En parlant d'arc… J'avoue que j'ai préféré m'exercer à l'arbalète, et je suis devenu très habile avec ! Je pense que tu serais surprise de ce que je serais capable de faire avec.
Il accompagnait ses paroles d'un petit sourire joueur, même s'il le changeait rapidement pour reprendre son expression joyeuse et poursuivre la balade avec elle. En y repensant, il se doutait que s'il lui disait qu'il avait réussi à percer l'œil d'un Dragon en visant parfaitement avec son arbalète, elle serait surprise ! Mais en lui disant ça il recevrait peut-être l'effet inverse de ce qu'il voulait, elle pourrait finir par s'inquiéter voir réprimander le garde pour avoir affronter une créature aussi dangereuse. Mettant de côté l'histoire du Dragon, son attention restait fixée sur la prêtresse à ses côtés.
- Quelle surprise de voir que tu es devenue une prêtresse. Je me souviens que tu avais une aura qui te rendais particulière, déjà à l'époque. A voir tes accomplissements aujourd'hui, je peux confirmer que mon regard ne m'avait pas trompé. Je suis content pour toi, Nayru, sincèrement… Maintenant que j'y pense, je crois avoir entendu parler une fois d'une prêtresse de Lucy qui était devenue une aventurière… Ce ne serait pas toi, à tout hasard ?
En émettant ses suppositions le Lieutenant affichait un visage suspicieux, comme un détective certain d'avoir trouvé le criminel, malgré le fait d'avoir toujours au fond de son regard une part d'amusement. Peu importe la réponse de Nayru, dans le cas qu'elle soit oui ou non une aventurière il resterait heureux pour elle. Elle avait réussie à trouver sa voie dans ce monde, et ce n'est pas tout le monde qui était capable de ça.
Prions pour ces retrouvailles.
Ainsi il était devenu Lieutenant, cela semblait important, mais je ne connaissais rien à la hiérarchie de l’armée en Aryon, cela me faisait plaisir de voir qu’il faisait ce qu’il aimait :
« Est-ce haut gradé Lieutenant ? Et pourquoi indépendant ? Tu ne dépends pas du Royaume ? …Mais au fait, l’arbalète ne met-elle pas plus de temps à se recharger ? Qui plus est j’ai toujours préféré tenir la flèche dans mes mains ! Mais je serai ravie que tu me montres tes talents un jour ! »
Tout en nous déplaçant, je restais attentive à la position du Soleil pour ne pas être en retard pour la messe qui allait suivre, c’est alors que Joël me complimenta sur ma position dans la Religion, ce qui ne manqua pas de me faire rougir, étant toujours sensible face à la flatterie :
« Ahaha, je te remercie Joël, tu t’es toujours montré bienveillant avec moi. Oui, depuis quelques mois je suis devenue aventurière et j’ai quitté mon poste au Village Perché, je me suis rendue compte que je pouvais aider le peuple du Royaume autrement. C’est une vie de nomade, le danger est présent à chaque instant, mais ce danger me permet de comprendre que peut ressentir les âmes essayant de voyager dans ces terres parfois inhospitalières. J’espère ainsi, en accomplissant ma Tâche, que des malheureux ne perdront pas la vie pour une mission qu’ils n’auraient pas du prendre. Cette vie de voyage me permet d’ailleurs de visiter nombre de populations qui n’ont pas de Prêtresse à côté et…. »
C’est à ce moment que je me suis rendue compte que je parlais un peu trop. A force de sermoner, et de prêcher la Bonne Parole, j’avais développé cette déformation professionnelle qu’est de l’ouvrir pour extrapoler une simple affirmation. Continuant de rougir mais gardant un sourire amusé de la situation, je prenais coeur à converser ainsi.
Mais c’était l’occasion d’amorcer sur quelque chose d’autre qui me rester en esprit depuis plusieurs minutes maintenant. Mon regard prit une teinte d'inquiétude, ouvrant mes grands yeux colorés et fixant droit du regard mon camarade d'une jeunesse trop vite passée.
« Pardonne-moi Joël, si on parle de mon travail, je pars vite en dérive. Dis-moi, j’ai remarqué, tout à l’heure, en prenant ta main, qu’elle était nettement plus rugueuse que ce dont je peux me souvenir. S’il te plaît par la Déesse dis moi que tu ne te mets pas trop en danger malgré ton travail. »
Avoir dans l'idée qu'un de mes plus proches amis d'enfance mette constamment sa vie en danger ne pouvais que me rendre inquiète pour l'avenir.
L'homme qui continuait de porter son attirail de garde, même à l'intérieur d'un temple, ne prenait pas mal les questions de Nayru quant à sa position dans la hiérarchie. Il était même plutôt heureux de pouvoir partager les subtilités cachées derrière les différents postes de la Garde Civile, à commencer par son propre grade.
- Être un Lieutenant veut dire qu'on est capable de diriger plus dizaines, voir plusieurs centaines de troupes sous nos ordres. C'est à mi-chemin entre un garde et un Capitaine. Il n'existe que trois postes de Capitaines dans toute la Garde Civile, et ce sont eux qui contrôlent les mouvements de la Garde Civile sous le regard avisé du Commandant. D'habitude, je devrais être sous les ordres du Capitaine situé dans la zone où je suis affecté, mais l'affectation d'un Lieutenant indépendant est particulière : je suis directement mandaté par le Commandant et la Commission. Cela veut dire que pour toute mission demandant l'intervention d'une force externe à la garde affiliée à une zone, ce sont les Lieutenants indépendants comme moi qui sont mobilisés. On peut voir ça comme une milice mobile à travers tout le royaume d'Aryon.
Alors qu'il finissait de parler il se rendait compte que pour simplement expliquer son propre grade il lui a fallu raconter les tenants et aboutissants de l'organisation au sein de la Garde Civile. Il grattait sa joue avec un sourire assez gêné, ayant préféré ne pas trop ennuyer la prêtresse avec toutes ces histoires de hiérarchie militaire. Après tout il ne connaissait pas forcément la position de Nayru vis-à-vis de la garde, ce ne serait pas la première fois qu'il rencontre des esprits pertinents qui sont contre une force armée organisée et disciplinée. Souhaitant éluder ce moment un peu gênant, le Lieutenant enchaînait rapidement sur le seconde sujet de leur conversation : l'arbalète !
- Eheum, c'est vrai qu'en y pensant l'arbalète demande une attention toute particulière puisqu'il faut soigneusement la recharger pour pouvoir la réutiliser. Néanmoins, cette condition est gracieusement compensée par l'efficacité d'une arbalète dans un combat où l'utilisation d'un arc peut se vouloir inapproprié. Même si on ne peut pas se servir des trajectoires ingénieux et surprenants des tirs à l'arc, on le compense par une puissance de tir capable de transpercer une armure de plaques. Ce serait une joie de repartir en chasse à tes côtés, je suis sûr que tu t'es améliorée avec le temps.
Les deux amis d'enfances conversaient tant qu'on pourrait dire que les longues années de séparation n'avaient pas de poids dans leur façon de parler. C'était comme si aucune distance ne s'était réellement créer entre eux et c'était quelque chose qu'appréciait Joël. Même s'il n'en aurait pas voulu à la jeune demoiselle de garder une distance acceptable entre eux deux, ne serait-ce qu'en prenant en compte l'étiquette et leur différence de statut dans Aryon, il aurait tout de même ressenti au fond de lui une pointe de tristesse. Qu'il couvrirait habilement, ne serait-ce pour ne pas incomber aux autres ses humeurs. Mais Nayru n'était pas du genre à changer son approche vis-à-vis du jeune homme, et c'était au final la seule chose à retenir. Joël appréciait écouter la belle voix de la prêtresse, ne souhaitant pas l'interrompre alors qu'elle expliquait ses raisons et ce qui la motivait à entreprendre la voie des aventuriers. Après tout, qui ne profiterait pas de la douce présence de Nayru une fois que l'on est à ses côtés ? Joël n'oserait même pas se détacher de ce moment avec son amie un seul instant. Il était plutôt amusé lorsqu'elle affirmait d'elle-même avoir parlé plus que nécessaire, ce qui était aux yeux du Lieutenant une invitation pour légèrement la taquiner.
- Je suppose que je ne suis pas le seul a être très attaché à mon travail, même si je pense que tu es bien plus impliquée qu'un fonctionnaire comme moi.
Cependant, la suite força le Lieutenant à s'arrêter dans ses pas, écoutant avec attention les inquiétudes de la prêtresse vis-à-vis de lui. Malgré le moment de bonheur, partagé auprès d'elle dans un jardin des plus magnifique, le sourire de Joël s'effaçait petit à petit et l'amusement qu'on pouvait voir dans ses yeux se transformait en autre chose. Il comprenait ce qu'impliquait les paroles de Nayru, après tout qui ne serait pas inquiet pour la santé d'une personne qui brave le danger tous les jours ? Mais le Lieutenant ne pouvait se permettre de mentir à son amie, même si un doux mensonge aurait été plus réconfortant qu'une triste vérité. C'était en toute honnêteté et avec tout le sérieux du Lieutenant qu'il faisait face à elle, sa voix transportant le poids de ses responsabilités mais aussi de sa maturité acquise avec les années :
- Pardonne ma franchise Nayru mais je ne peux me résoudre à te donner de faux espoirs. J'ai prêté serment d'être l'épée et le bouclier qui protégera la couronne ainsi que le peuple d'Aryon, et c'est avec honneur que j'affirme que c'est pour mon royaume que je fais face aux plus grands dangers. J'ai honte de ne pas pouvoir dissiper tes craintes mais hier j'ai bravé des centaines de risques et demain je devrais en braver plusieurs milliers, ainsi en va-t-il de mon serment de garde. Même si souvent ce n'est pas la mort qui m'effraie mais quelque chose de bien pire encore…
Joël prenait un instant pour retirer ses mains de son dos, observant l'une de ses paumes marquées par les longues années à manier des armes, mais ce n'était pas les marques qu'il voyait : parfois il ne voyait rien d'autre que du sang. Pas le sien, mais celui de ceux qu'il a tenu dans ses bras avant qu'ils ne le quittent. Il a appris à accepter le départ de ses compagnons et des innocents qu'il n'a pas pu sauver, mais cela ne voulait pas pour autant dire que le Lieutenant ressortait intact de chacun de ses combats… Il inspirait profondément et finissait par retourner son attention sur Nayru, laissant sur son visage se dessiner un léger sourire malgré la triste réalité qui brillait dans le regard expérimenté du Lieutenant.
- Mais n'aie crainte, jamais je ne baisserai les bras et me laisserait atteindre par le poids de ma tâche. Comme toi, j'ai des gens qui comptent sur moi. Et puis il faut bien que je prouve que je mérite mon titre de Tueur de Dragon !...
Ah, sa langue a fourchée. Lui qui voulait rassurer la belle Nayru, peut-être venait-il de fonder une fois pour toutes les craintes de la prêtresse.
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