Zebediah A. Mouramaca

"Le monde est gigantesque, fait que ton cœur en fasse un tiers."

C'est toujours ce que notre vieux père nous disait, assis sur la terrasse d'un des bars de cette gigantesque capitale qui nous abritait moi et mes autres frères. Nous n'étions pas deux ou trois par familles, mais bel et bien un peu plus d'une douzaine. Moi ? J'étais l'un des derniers arrivants. Il faisait nuit, il pleuvait, je me faisais secouer dans cette grande calèche alors que mes joues gardaient encore les traces de mes larmes. Je me souviens précisément de ce jour où mon père nous m'a accueillit à bras ouvert. Il était là, juste derrière lui, les yeux d'un bleu bien plus intense que le mien, mais il avait déjà ce sourire à en faire rager certains.

J'ai grandi auprès d'eux dans cette gigantesque demeure. Entre chamailleries, entre duels, entre tout ce qu'on peut imaginer dans une maison pour garçon de cette époque. Il y avait des hauts où le foyer était chauffé, était bruyante de rires d'enfants et il y avait des bas où le pain était rassis, où la monnaie manquaient, mais où son sourire restait. "Le dix-septième !" Mon père criait partout dans la maison quand je faisais une bêtise. Ça arrivait moins souvent que vous pouvez le penser, en général, c'était le douzième qu'on accusait tout le temps. C'était lui mon grand-frère. Il m'avait accueilli à mon arrivée et c'est nul doute avec lui que je vivais mes plus belles aventures. Nous étions une vingtaine pour être tout à fait honnête avec vous. Tous venant de loin ou même de près, fils de bonnes familles pour la plupart, mais à l'avenir plus qu'incertain. Mon père nous a toujours expliqué la face visible de nos histoires, de nos enfances avant nos sept, huit ou neuf ans.

Ces histoires étaient toujours longues, sans grands détails, mais contenaient à chaque fois ces trois indices qui pouvaient nous faire croire que nous étions réellement frères. Une mère aimante, un père absent et une tragédie indiscutable... Nous n'avions jamais connu nos parents et nous portions tous, chacun, un pendentif censé nous rappeler ce temps oublié qui ne nous appartenais plus vraiment. Ce qui nous appartenait après notre arrivée au Manoir Mouramaca était notre avenir. Notre père faisait tout, tous les jours pour nous l'apporter ou tout au moins nous donner les clés pour le saisir. Certains devenaient maçons, certains devenaient banquier, certains autre devenaient assistants pour notre père, quant à moi, je ne devenais rien de bien excitant. Je lisais peu, je parlais peu, je restais dans mon coin, observant encore ce garçon. Aaron. Il était mon tout, mon frère, mon idole, je l'enviais et je le détestais parfois pour ça. Il était plus grand que moi, avait les cheveux sombre et toujours bien rangés, mais par-dessus tout, je le détestais pour être le favoris de mon père.

Il était un grand amateur de l'épée, une gigantesque épée qu'il avait reçu de sa famille à leur disparition. Je n'ai jamais sur réellement les détails, mais tout ce que je saisissais, c'était que mon seul ami dans cette fraternité dans laquelle je ne me reconnaissais pas comptait partir et devenir un garde, comme l'un de nos frères avant lui. Malgré tout ces sentiments contraire, malgré l'envie de n'avoir envie de rien, je voulais devenir comme lui, me trouvant tout à coup une passion pour les lames, pour le combat et pour la gloire de ceux qui réussissent. Alors j'ai grandi en même temps que lui, le laissant prendre de l'avance et entrant à mon tour dans le corps d'armée le plus jeune possible et sous son commandement. J'étais heureux et fier, tout comme lui et les temps où nos chamailleries passaient avant notre amour fraternel disparaissait, laissant entre voir des plans pour notre avenir se dessiner. C'était sans doute là ma seule et unique erreur durant toute ma vie. Celle de penser que le monde était beau. Que le monde était gigantesque et que mon cœur en faisait bien deux tiers. C'est ici que je me suis perdu..


C'était ma toute première mission aux côtés d'Aaron. Il enquêtait aux ordres des supérieurs sur un fou dangereux désirant créer une nouvelle technologie capable de recréer les pouvoirs de son propre fils. Ayant été pris sur le fait en train d'expérimenter sur son fils, Aaron décida alors de l'arrêter sans mandat royal qui permettait l'arrestation de ce père indigne. Je n'avais jamais vu Aaron si décidé à s'en prendre à quelqu'un et tout ça était à cause de notre enfance. Dans ses yeux, j'avais pu lire la rage et presque le meurtre. Lui toujours aussi blagueur, souriant et enjoué semblait avoir disparu. Moi-même ayant voulu m'interposer pour faire ça dans les règles ne reçut qu'en réponse un coup d'épaule. Une fois à la caserne, ce scientifique, Rednar Liroy s'est tout simplement vu relâché et dédommagé par les actes d'Aaron. Fou de rage, mon frère a tout simplement transpercé le corps du vieil homme, combattant au même instant tout une garnison et bien entendu, fut enfermé pour trahison...

Traité comme un criminel, il passa une année entière en prison, n'ayant que moi pour compagnie, notre père étant déjà malade à cette époque. Ce n'est qu'après plusieurs mois où Aaron me cuisina sur l'état du monde qu'il avait laissé à Rednar Liroy qui vivait toujours malgré cette blessure que lui avait infligé mon frère, que celui-ci me supplia de le libérer. Mon frère était tout pour moi, mon père devenant de plus en plus malade, j'avais peur de me retrouver seul une fois de plus, alors je l'ai libéré, je lui ai rendu son épée et nous partions de la capitale pour trouver refuge dans un endroit où le royaume ne nous retrouverait pas. Je n'étais qu'un simple seconde classe et lui un capitaine de la garde, mais peu importe, nous devions nous en aller ! Chaque cellule passée, les criminels y pourrissant nous insultait et alertait tout le monde. Je me souviens de ce sentiment si intense qui me parcourrait la nuque à notre fuite. Ce furent d'abord les prisons, puis ensuite la caserne et enfin la ville. Mon frère pourfendait les gardes les plus téméraires. Je regardais le sang gicler sur son épée, sur son visage, sur le mien. Je ne comprenais plus rien. Il était un homme si droit, si bon.

Pendant que je restais planté à le regarder tuer, lui agissait. Je ne comprenais plus rien à rien... Mon frère était mon héros, pas un criminel. Je serrais les dents, presque prêt à lui faire face, mais je n'en n'avais plus la force. Sans savoir à ce que je pouvais penser, il me volait presque à la ville, me faisant monter sur son cheval pour traverser la cité qui nous avait vu grandir, atteignant enfin l'extérieur après quelque autres affrontements et ça, jusqu'à atteindre la gigantesque forêt au nord d'Aryon. Malheureusement, nous n'étions pas les seuls dans cette vie à posséder plus qu'une simple épée et une envie de vivre. Piégé après une bonne semaine de trajets entre quatre brigands qui semblèrent connaître mon frère, il descendit, un sourire aux lèvres. Je descendais avec lui, observant nos quatre opposants. Il parlait simplement d'une dette et mon frère en avait des tonnes envers des criminels... Il était le meilleur dans sa catégorie et faisait son job aussi bien que possible et je l'ai toujours pensé, même en le voyant transpercer ses ennemis d'un froid glacial.




Alors il dégaina son épée sans que je puisse vraiment réagir, l'envoyant de toutes ses forces sur le criminel le plus proche, sautant en l'air pour matérialiser un cercle de couleur rouge vif, une main gigantesque dépassant ce cercle d'invocation, écrasant complètement l'un des hommes, pendant que l'autre mourrait dans son sang, son épée comprimée contre son torse. Une fois à terre, mon frère encaissa les coups de l'un avec ses bras, le blessant gravement, pendant que l'autre le renvoyait à mes pieds d'un simple coup du plat de son épée. J'aidais à relever Aaron pendant qu'un autre cercle donna un gigantesque coup de poing dans l'un d'eux, offrant l'opportunité rêvée à mon frère de récupérer son épée et de prendre en duel le dernier homme debout, même s'il n'en n'avait plus la force. Il couru vers lui, récupérant son épée avec une feinte, mais au moment de frapper l'homme, celui-ci transperça le cœur d'Aaron, le laissant tomber à terre, une pluie s'abattant au même instant sur les combattants. J'ai à mon tour voulu combattre, mais d'un simple coup d'épée, je tombais aux côtés de mon frère, complètement vidé de ces jours de fuites, de ces émotions... Aaron me prit dans ses bras, relâchant un dernier souffle, perdant conscience à mon tour. Notre aventure se terminant entre les arbres de la grande forêt.



Je n'ai jamais vraiment compris ce qui c'était réellement passé à cette époque-là. Pourquoi mon frère était devenu fou à la vue de Rednar Liroy, scientifique pourtant de renom malgré les critiques. Pourquoi le gouvernement avait décidé de punir aussi sévèrement mon frère... Et je pensais ne jamais revoir ses questions dans ma tête, mais c'est alors que je me suis réveillé à la capitale, dans une sorte de cave. Une cuve très exactement. J'étais un gigantesque tube, trempant dedans pendant une année, à mon tour dans une prison. Le monde avait continué de briller, mon nom avait continué à être sali à cause des actes d'Aaron envers le gouvernement et la garde royale principalement. Les enfants continuaient de rires, le manoir continuait de vivre. Et ça, sans Aaron.

Je me suis alors réveillé dans cette gigantesque cuve. À mon réveil, mes yeux bleus se posèrent sur une jeune femme et ce qui se présenta comme être son père. Ils me donnèrent un toit, des vêtements et tout ce dont un enfant de dix-huit avait besoin pendant une longue année. Ils savaient qui j'étais, mais n'étaient pas méfiant, ni dangereux pour moi. La jeune femme s'appelait Daena, elle était guérisseuse et son père l'aidait dans ses recherches. J'apprenais par la suite que j'étais le premier miraculé grâce à leur remède. À la fois soigné par les pouvoirs de Daena et des savoirs bénéfiques des plantes de son père, j'étais de nouveau debout et près à poursuivre ma vie. Je comptais bien retrouver les coupables du meurtre d'Aaron et ils ne voulaient pas m'en empêcher.

Depuis qu'ils m'ont sauvés, je leur reste redevable, payant honnêtement ce toit avec les primes que j'effectue en tuant divers monstres à travers le royaume sous le pseudonyme de "Z". Je n'utilise jamais mon nom de famille pour ne pas attirer l'attention et pour le moment, ça marche et c'est tout ce qui compte.Le monde était gigantesque et mon cœur en miette. Mais je devais honorer la mémoire d'Aaron, même si la mienne n'était plus vraiment intacte. Et c'est ce que j'allais faire.