Yaga Mawulisa

  Une, deux, trois gouttes de pluie, en une, deux, trois secondes. Une seconde plus tard, c'est mille gouttes qui tombent. Cela ne semble pas logique, cela ne devrait pas changer si drastiquement.  Peut-être que Yaga ne se rendait pas compte qu'elle comptait ces gouttes sans forcément voir celles qui étaient autour. Elle se concentrait sur des gouttes en particulier, celles qu'elle vient toujours compter, qui finissent par se fracasser violemment contre le sol, près de sa fenêtre. Les seules qui importent.

Non, elle ne se rendait pas compte qu'elle comptait ces gouttes sans voir celles qui étaient autour. C'est pour cela qu'après avoir aperçu les milliers d'autres gouttes se jeter par terre, elle ignora cette boule dans son ventre, et reprit sa concentration. Une, deux, trois gouttes.

Il est peut-être possible d'entrevoir le reflet de Yaga dans ces gouttes, même si c'est trop rapide, ou trop flou, ses cheveux bleus se confondant avec l'eau, avec pour seules distinctions son teint mate, et si l'on suit la goutte du regard, ses vêtements souvent sombres mais confortables, qui marient son corps svelte. Ces gouttes sont un miroir d'elle-même, et les autres sont sans importance, elles sont trop différentes, trop laides et stupides. Yaga, elle, est éveillée, et ainsi mise à l'écart. C'est malheureusement le fardeau qu'elle doit porter, mais elle ne s'en plaint pas. Elle préfère être ainsi plutôt qu'égarée, et surtout stupide. Tellement stupide. Les habitants de ce royaume n'ont apparemment pas le sens commun de se questionner et d'entendre le son de la vérité, de la voir, de la sentir dans leurs chairs. Ils ne sont pas comme Yaga, qui elle, comprend tout, voit tout – de son troisième œil métaphorique sur le front – et se sent si épanouie spirituellement. C'est pourquoi cela lui permet d'être attentive et à l'écoute dans son rôle de Prêtresse, et s'assure qu'on veille à respecter les traditions, les rituels, et surtout les principes.

Si la situation appelle à la correction, Yaga s'empresse de l'appliquer. Une erreur n'est pas une erreur, mais un manque de concentration, d'attention, de dévouement. Ses sourcils fournis semblent montrer ce côté impassible, ce « pas de quartier » suggéré. Mais elle pardonne, elle pardonne toujours lorsque l'on montre qu'on veut changer. C'est normal après tout, une correction sert à faire passer un message, elle ne le fait pas par méchanceté ou sadisme, elle dirait plutôt que c'est une preuve de sa bonté. Après tout, elle fait ça pour les autres. Plus de monde devrait faire de même, et peut-être qu'elle verrait plus de gouttes, plus de personnes comme elle. Mais elle ne peut toujours qu'en compter quelques unes.

Ces autres gouttes, ces autres personnes, elle a du mal avec. C'est compliqué de se lier d'amitié avec des personnes qui sont si différentes en tout point de soi. Notamment ceux qui diffèrent au niveau de la croyance. Elle peut encore tolérer la présence d'indécis, ou de personnes tout simplement non intéressées, mais elle ne supporte absolument pas les idiots. Alors elle paraît s'il le faut, mais son regard azur pourtant sévère montrent souvent sans son insu ses véritables sentiments. Ces gens sont tous si refermés, et vides. Elle les déteste. Si elle pouvait, elle les ferait disparaître. Mais ce n'est pas son rôle, ni son envie. Elle va rester la femme douce et bienveillante qu'elle est, qui est là pour aider, en utilisant autant d'énergie positive que négative. C'est comme cela que ça marche, et pas autrement. Elle est ouverte d'esprit, elle.

C'est incroyable, comment une ouverture d'esprit peut en fermer une autre.

Une, deux, trois gouttes.