Laoghaire Uí Cheinnselaigh

Heureusement qu’on était deux à la naissance, sinon Père n’aurait pas eu d’héritier digne de ce nom. S’il n’y avait eu que moi, tous les rêves de la famille se seraient arrêtés là. S’il n’y avait eu que mon frère, son destin aurait été tout tracé. Dès la naissance, j’étais faible. Heureusement pour moi, nous sommes issus d’une famille fortunée : prendre soin de moi n’a donc jamais été un souci. J’ai toujours eu ce dont j’avais besoin.

Quand on était petits, Dubhan était toujours avec Père. Il était privilégié, et même si ça faisait mal à l’époque, ça se comprend. Il était un peu l’espoir de notre Père. Il allait réussir, lui. Il allait être quelqu’un. Moi, j’aurais besoin d’aide toute ma vie. Alors que pourrais-je bien représenter aux yeux de Père, si ce n’est un fardeau ? Malgré tout, Dubhan n’a jamais été blessant avec moi. Il s’est toujours montré bienveillant, et même s’il était souvent surexcité et que c’était dur à suivre pour moi, il jouait avec moi. Quand j’étais fatigué, il restait avec moi dans le calme. Je n’ai vraiment pas à me plaindre. Nous avions des précepteurs et passions beaucoup de temps ensemble. Même nos pouvoirs se sont révélés en même temps ! Et même si ça a été une épreuve dure à vivre pour moi, mon enfance n’a pas été difficile.

Quand j’avais 12 ans, des tensions ont commencé à naître entre Dubhan et Père. Ce dernier ne faisait pas vraiment attention à moi, et Dubhan était souvent fourré dehors. Alors j’étais seul. Seuls le personnel de maison et les insectes me tenaient compagnie. Je passais le plus de temps possible dans le jardin, les mains dans la terre, mais on venait souvent me chercher pour me raccompagner à ma chambre. Et franchement, j’en avais marre d’être enfermé comme une princesse dans une tour gardée par un dragon. Je ne pouvais pas attendre de guérir non plus, puisque je ne guérirai jamais !

Alors j’ai commencé à sortir discrètement.

Je profitais des querelles entre mon frère et Père pour aller visiter le quartier. Je demandais parfois aux abeilles de me guider. Et c’était bien, c’était rafraichissant. Pour la première fois de ma vie, je mettais les pieds dehors !

Sitôt rentré, j’en ai parlé avec Dubhan. Je lui ai demandé de se disputer avec Père quelques fois pour que je puisse sortir, et il a dit oui. Et ça, c’est un frère, un vrai ! Alors je me sauvais, de plus en plus souvent, pour des promenades de plus en plus longues. Et je ne m’apercevais pas vraiment du danger. Je n’en ai absolument aucun souvenir mais apparemment, un jour, en rentrant de la milice, Dubhan m’a trouvé par terre, devant chez nous. J’ai dormi pendant 18 heures, après ça. Et les surveillances sont devenues beaucoup plus strictes.

Maintenant que je suis majeur, je peux sortir de la maison. Je préviens le personnel avant de franchir le pas de la porte, et je veille à ce qu’au moins une personne connaisse mon trajet. Je connais mieux mes limites. Mais j’ai vraiment besoin de sortir.