Le paysage qui défilait par la fenêtre aurait pu l’émerveiller ; elle adorait admirer les décors d’Aryon qui se présentait à elle, mais à l’instant, elle avait la tête ailleurs. Complètement. Les feuilles éparpillées près d’elle sur la banquette n’avaient plus droit à un seul regard de sa part. Accotée avec ennui contre sa main, la jeune femme laissa un soupir lui échapper. La calèche avançait bien trop vite à son goût. Elle avait l’impression d’y avoir mis le pied quelques heures plus tôt seulement, alors qu’elle était pourtant partie depuis plus d’une journée. C’est qu’elle n’avait aucune envie de gérer cette situation. Pourquoi avait-elle dû se trouver dans le manoir au moment même où son père avait besoin d’elle ? La voilà qui se retrouvait avec la tâche de collecter l’investissement d’un de leur partenaire commercial. Quelle plaie.

Elle n’avait pas réussi à trouver une bonne raison pour refuser. Elle avait pourtant bien cherché. Cependant, personne d’autre n’avait pu prendre sa place, au grand plaisir de son père qui aimait la voir s’investir dans la compagnie. Que ce soit de son plein gré ou de force. Il était convaincu qu’elle développerait un jour de l’intérêt par elle-même. Ce qui jusqu’à maintenant était bien loin d’être le cas. Elys avait jeté un coup d’œil aux documents qu’on lui avait laissé, mais sans jamais se pencher avec attention sur les détails du partenariat avec la famille Veriano. Elyssia avait malgré tout conscience de l’importance de cette rencontre. Et si elle n’avait aucune envie de s’y rendre, elle n’allait pas pour autant gâcher l’événement. Elle ne savait pas grand-chose sur l’entente entre les deux compagnies, seulement le strict minimum qu’elle s’était efforcée d’apprendre. Mais elle devait simplement collecter. Ce n’était pas bien difficile, n’est-ce pas ? Échanger quelques plaisanteries, recueillir l’investissement et rentrer au Grand Port. Facile.

Le cocher la tira finalement de ses pensées lorsqu’il lui annonça l’arrivée à destination. Elys ne put empêcher un soupir ennuyé de quitter à nouveau ses lèvres. La partie commencerait dès qu’elle poserait le pied hors de la voiture et elle se devait de faire bonne figure. Lorsque les mouvements irréguliers de la calèche cessèrent enfin, Elyssia enfila sur sa tête un chapeau assorti à son ensemble et ouvrit la portière, détestant attendre qu’on le fasse pour elle. Elle descendit avec l’élégance de la noblesse et plissa des yeux un instant sous le soleil d’après-midi. Puis, son regard chercha le maître des lieux, qu’elle trouva sans grande difficulté à quelques mètres d’où c’était arrêté le véhicule. Keith Veriano.

Elyssia l’avait rencontré à quelques reprises lorsqu’elle accompagnait son père, mais c’était la première fois qu’elle servait de représentante pour la compagnie. Elle n’avait jamais véritablement parlé avec l’homme. Ce serait une première. Elle n’avait jamais porté attention aux discussions des deux hommes non plus et elle ne savait donc pas sur quel pied danser avec lui. S’approchant, elle salua son hôte d’une courbette respectueuse.

- Bonjour, Monsieur Veriano. Je vous remercie de m’accueillir. Cela fait un moment depuis ma dernière visite à l’hippodrome. Les choses ont-elles bien changé ?

Les banalités échangées, Elyssia laissa un maigre sourire poli étirer ses lèvres avant de tourner son regard vers le lieu qui donnait raison à sa présence ici. Quand était la dernière fois qu’elle y avait mis les pieds ? Cela devait bien faire un moment. Elle était curieuse de visiter l’endroit et son père lui avait bien dit d’observer comment se passaient les choses, s’il y avait eu des changements, de retenir les détails notables. Alors, pourquoi ne pas commencer par se promener dans les environs avec nonchalance ?

- Puis-je vous demander une visite guidée de l’endroit ?

Une fois cela fait, elle pourrait simplement récolter et repartir d’où elle était venue. Simple, rapide et efficace. Elle ne souhaitait pas s’éterniser. Mais elle resterait peut-être pour se désaltérer et manger un morceau. Son repas du matin se faisait loin à l’heure qu’il était.

L’attention d’Elyssia se portait sur l’homme devant elle. Elle cherchait à comprendre qui il était, comment elle devait agir. Elle détaillait ses traits, son sourire, sa posture. Elle nota sa chevelure qui aurait pu la rendre jalouse si elle n’avait pas été aussi fière de ses propres mèches blanches. Elle savait qu’un seul coup d’œil ne pouvait pas lui permettre d’avoir accès aux pensées d’autrui, mais elle souhaitait fortement comprendre quel genre de personne lui faisait face. Elyssia n’était pas de celle qui aimait porter le masque de la noblesse, mais elle savait le faire si nécessaire. Et elle ne savait pas à quel point elle devait se plonger dans le personnage à ce moment.

Lorsqu’il tendit une main vers elle, acceptant sa requête, un mince sourire étira de nouveau ses lèvres. Sans une seconde d’hésitation, elle posa sa main sur la sienne, acceptant d’être guidée.

- C’est très aimable à vous. Un repos nous fera le plus grand bien après ce long voyage.

Elle tourna la tête vers son cocher et le remercia pour ses services avec un sourire. Son regard aux couleurs du ciel vint se reposer sur Keith alors qu’ils se mettaient en route. Attentive à tout ce qui l’entourait, Elyssia ne voulait laisser aucun détail lui échapper. Elle laissait son regard se poser sur chaque élément qui l’intriguait, sur le paysage dans lequel s’élevait l’hippodrome, sur les gens qui s’y trouvaient. Elle était impressionnée par la popularité de l’endroit, il y avait un nombre élevé de gens qui s’écriaient dans les gradins, de joie ou de colère, et ses yeux ne pouvaient s’empêcher d’observer ces interactions vives en émotions. Elle savait les grandes lignes de ce qui se faisait ici, mais jamais elle n’avait vu une course de ses propres yeux. Elle ne pouvait s’empêcher d’être intriguée par l’effervescence qu’elle percevait dans les gradins.

Puis, la voix de son hôte la rappela à la réalité et elle laissa de côté son regard curieux pour se concentrer sur les paroles qu’il lui partageait. Un sourire reprit naturellement sa place sur ses lèvres alors qu’elle apprenait pouvoir profiter de la course. Elle ne montra aucune résistance lorsqu’il l’entraina vers la loge qu’il avait évoquée. Tout en marchant, Elyssia décida de prendre la parole à son tour :

- Vous m’en voyez ravie. Je n’ai jamais assisté à une course et ma curiosité est piquée au plus haut point par toute cette agitation.

La loge était somptueusement préparée et Elyssia ne douta pas un instant de son confort. Il n’y avait pas à dire, Keith Veriano savait recevoir la noblesse. S’approchant de la chaise tirée par l’homme, Elyssia le remercia d’un mouvement révérencieux de la tête et s’apprêta à s’asseoir. Cependant, avant qu’elle ne touche à la chaise, son regard tomba sur les victuailles qui n’attendaient que d’être mangées. Son ventre clamait famine et Elyssia réalisa à l’instant à quel point elle avait faim. Elle oublia le fauteuil pour s’avancer vers la nourriture. La main près du menton, elle réfléchissait soigneusement à savoir ce qu’elle voulait goûter en premier. Finalement, elle opta pour petit pain qui semblait fourré avec elle-ne-savait-quoi. La première bouchée illumina son regard de surprise et ravissement. Les goûts glissaient sur sa langue sans qu’elle arrive à mettre le doigt sur les ingrédients.

- Oh ! C’est délicieux ! Qu’est-ce que c’est ?

Elle tourna un regard curieux et amusé vers l’homme. La nourriture différait parfois un peu d’une côte à l’autre du royaume et chaque cuisinier avait ses spécialités. Elle voulait en savoir plus sur la cuisine qui lui était servie. Et elle voulait goûter à un peu de tout ce qui lui était proposé. En quelques secondes, elle avait déjà une assiette en main. Se priver de délicieux plats était impensable pour la jeune femme. Elle pouvait vivre avec certaines obligations imposées par la noblesse, mais la gourmandise avait chaque fois raison d’elle. Hors de question de se présenter avec un appétit d’oiseau. Elle gardait malgré tout les bonnes manières à table, alors qui se souciait du nombre d’assiettes ?

Elyssia avait cette habitude de tout prendre à légère. De vivre au jour le jour. De faire ce que bon lui semblait sur le moment. C’était bien la raison pour laquelle elle se retrouvait devant l’avenir sans réellement savoir quoi en faire. On lui avait dit et répété de nombreuses fois ; elle manquait de sérieux et d’ambition. Ce n’était pas faux. Mais les affaires étaient loin de l’intéresser comme c’était le cas du reste de sa famille ou de l’homme qu’elle rencontrait aujourd’hui. Si elle pouvait porter ce masque de la noblesse, bien souvent, on y voyait entre les fissures la jeune femme frivole qu’elle pouvait être.  

Au moment présent, la nourriture était sa source de plaisir et ce qui occupait son esprit. Elle hocha simplement la tête devant la description de ce qu’elle tenait à la main. Elle en prit une nouvelle bouchée, heureuse des goûts qui se mêlaient sur la langue. Occupée à savourer chaque confiserie, elle ne se soucia pas du regard qui la dévisageait, même si elle le remarqua du coin de l’œil. Était-ce trop tard pour se reprendre ? Elys y réfléchit sérieusement pendant quelques secondes avant d’attraper une nouvelle pâtisserie pour la poser dans son assiette.

Son regard se leva vers la large fenêtre lorsqu’elle entendit les cris provenant des gradins. Les réactions étaient si fortes et vivantes. Elle se demandait vivement si les courses étaient aussi attrayantes qu’elles le paraissaient à la vue de tous ces spectateurs. Elle grignotait distraitement un morceau de pâte feuilletée tout en observant l’extérieur de la loge lorsque la voix de Keith s’éleva de nouveau près d’elle. Et le tutoiement la prit de court. Elle s’immobilisa un moment dans son mouvement et lentement, elle tourna la tête vers l’homme.

Ouh là. Avait-elle déjà mis les pieds dans le plat ? Cela ne faisait pas une heure qu’elle était descendue de la calèche que déjà elle avait perdu son respect ? Désolée, papa. Ou peut-être ne l’aimait-il tout simplement pas. Ce n’était pas nouveau pour elle de percevoir le jugement des autres face à ses manières décontractées et ses priorités opposées à celles d’autres nobles. Elle prenait bien des choses à la légère et certains méprisaient ce trait qu’elle possédait. C’était l’une des raisons pour lesquelles elle détestait se pointer aux rencontres et soirées bourgeoises. Ça, et c’était si ennuyeux. Ce pouvait être bien lourd de côtoyer la noblesse. Intérieurement, elle soupira. Elle avait vraiment voulu bien faire à son arrivée, pourtant. C’était décevant d’ainsi perdre la face.

- Non, merci. Je ne compte pas rester bien longtemps.

Son assiette en main, elle se dirigea vers le fauteuil pour s’y glisser avec calme. Elle refusait de s’offusquer, même si son caractère demandait à ce qu’elle montre de la colère, elle ne voulait pas davantage gâcher cette rencontre. Elle allait simplement sauter à la raison de sa venue. Éviter de s’attarder trop longtemps lui semblait la meilleure option. Il lui semblait que l’entrevue pouvait aller en se dégradant si elle s’éternisait par ici. En silence, elle dégusta son plat. On dira ce qu’on voulait d’elle, elle savait malgré tout se tenir avec distinction, une touche de délicatesse refusait cependant de quitter ses gestes. Elys était douce et coquette, élégante et raffinée. Cependant, elle n’avait pas une présence qui s’imposait et aucun talent pour la séduction. Fragile, adorable, sans importance. La différence était flagrante entre les deux personnes. Lui était bien plus en contrôle de la situation. Elyssia avait l’impression d’avancer sur la glace, risquant de glisser pour se retrouver sur le sol à n’importe quel moment. Il était grand, et ce n’était que maintenant qu’elle se sentait écrasée par sa présence. Mais elle refusait de se laisser abattre. Posant son assiette vide près d’elle, elle leva un regard neutre sur l’homme.

- Alors. Parlons de ma présence ici.

À son arrivée, elle avait en tête de repartir le plus rapidement possible. L’ambiance festive l’avait néanmoins intriguée et elle s’était laissée à la curiosité, voulant découvrir comment se déroulait une course, mais elle se sentait maintenant en perte de ses moyens. Ce qu’elle détestait affreusement. Il ne s’était pas montré méchant, ni même énervé. Cela dit, Elys sentait bien le changement dans son comportement. Et elle ne voulait pas risquer d’aggraver l’impression qu’elle lui renvoyait.

- Ce n’est un secret pour personne. Je suis ici pour collecter l’investissement. Mon père m’a aussi demandé de vous remettre ceci.

Sortant une enveloppe scellée de son sac, elle la tendit à Keith. Le colis fermé, elle n’avait pas pu y jeter un coup d’œil, mais ce n’était pas comme si le contenu l’intéressait réellement. Son père lui en avait quand même glissé un mot. Tout ce qu’elle avait retenu était comptabilité et projet. Certains des documents abordaient l’investissement, d’autres faisaient le bilan de la situation et les derniers attendaient d’être remplis par le noble. Son père avait bien conscience qu’Elys se tenait loin de tout ce qui touchait à la compagnie. Il lui avait donc fourni plusieurs documents — qu’elle n’avait pas vraiment lu — afin d’assurer le bon déroulement de la réunion et aussi le retour de tout ce dont il avait besoin. Elle se devait aussi de remplir un compte-rendu à son départ. Elle déplorait déjà cette obligation. La jeune noble attendait patiemment que Keith s'empare de l’enveloppe pour en explorer le contenu.

Au fond d’elle-même, un sentiment d’incertitude la dominait. La situation n’était pas de celle qu’elle avait l’habitude de gérer, au contraire de l’homme. Il y avait tant d’éléments qui lui échappaient. Tant d’informations qui lui manquaient. Elle était loin de connaitre le déroulement habituel des réunions d’affaire. Elyssia refusait cependant de laisser tout cela paraître de façon flagrante. Même si c’était probablement déjà un peu le cas. Elle avait été élevée dans ce monde. Il ne lui était pas inconnu. Elle se montrait certes désintéressée, mais elle avait vu, entendu et participé à certains événements aux côtés de son père. Elle pouvait comprendre. Elle pouvait reprendre sa contenance. Enfin, l’espérait-elle.  

Les enveloppes échangées, Elyssia laissa son regard tomber sur celle qu’elle tenait maintenant. L’homme lui expliqua calmement ce qu’elle contenait au moment même où Elys l’ouvrait. Elle jeta aussi un coup d’œil vers le document qu’il posa sur la table. Elle se concentra ensuite sur le contenu de l’enveloppe, tout en écoutant les derniers mots qu’il prononçait. Elle n’était pas certaine de la façon dont son père aimait procéder au sujet des investissements, mais comme les choses devaient être prévues entre eux, elle ne se prit pas la tête davantage. D’autant plus qu’il avait raison, c’était plus facile ainsi.

D’un mouvement de la tête, elle acquiesça et s’assura que tout était tel que prévu. Elle prit le temps de vérifier les documents que son père lui avait remis, pour s’assurer qu’elle n’omettait aucun détail. Mais tout semblait coller à ce que lui avait dit son paternel. Parfait. Elle récupéra le document à signer sur la table basse et entreprit de le lire attentivement. Elle ne voulait commettre aucune erreur. Elle ne voulait pas décevoir son père. Il avait toujours été prévenant et attentionné avec elle, parfois trop gentil. Si elle ne voulait pas se lancer dans la carrière familiale, elle ne voulait pas non plus se montrer ingrate. Lorsqu’elle eut terminé, elle apposa sa signature au bas de la page. Il ne lui restait plus qu’à ranger l’enveloppe dans son sac, s’assurant qu’elle ne soit pas froissée durant le voyage.  

Alors que son visage n’exprimait que la neutralité depuis un moment, un sourire étira enfin finement ses lèvres à la mention de son père. C’était un homme dévoué à son travail et passionnée. C’était aussi un bon vivant et il était toujours agréable de le côtoyer. Les soirées organisées à la demeure Venwarin prenaient bien souvent une tournure intéressante avec l’homme autour. Elle aimait voir le respect des autres pour son père. Il travaillait toujours si fort, avec tant de détermination. Il le méritait amplement.

Sans bien comprendre ce qui se passa ensuite, elle leva un regard curieux vers Keith. Quiétude, confiance, sympathie. Ce n’était pourtant pas ses sentiments à elle. Étrangement, cela avait quelque chose de rassurant et elle sentit son corps se calmer imperceptiblement. Juste un peu. Elle ressentait soudainement moins d’inconfort, moins d’embarras. Mais la touche d’incertitude ne la quitta pas. Elle ne savait toujours pas sur quel pied danser avec le noble. Cependant, la raison de sa présence maintenant réglée, elle n’avait plus qu’à reprendre le chemin vers le Grand Port. Elle allait partager sa décision, mais il la prit d’avance. Et Elyssia garda son regard rivé sur lui sans réellement savoir quoi répondre.

Intérieurement, elle se sentait indécise, presque confuse. Elle n’avait pas le désir de rester, mais il était vrai qu’exiger d’ainsi reprendre la route tout de suite était ingrat de sa part. Les chevaux en tomberaient d’épuisement. Ses muscles endoloris par les mouvements brusques de la calèche ne demandaient qu’un moment de répit avant de devoir affronter une nouvelle semaine de voyage. Elys détestait rester assise durant des heures sans pouvoir se dégourdir les jambes. Quelques jours de calme ne lui feraient pas de mal. Elle pourrait en profiter pour visiter la capitale. Et puis, rien ne disait qu’il allait rester avec elle tout ce temps. Bien au contraire. Elle allait simplement séjourner à son manoir.

-J’accepte votre offre avec gratitude et vous pouvez compter sur moi pour transmettre vos mots à mon père, répondit-elle.

Une fois sa décision prise, elle se leva. Elle se demanda un moment si elle restait pour la course suivante, ou si elle préférait aller visiter le manoir et s’installer dans la chambre qui lui était réservée. Ses valises avaient probablement déjà été acheminées à l’endroit. Elle était curieuse d’observer les courses se déroulant à l’hippodrome, mais elle ne souhaitait pas éterniser son temps aux côtés du noble. Elle avait l’impression que sa manie à s’émerveiller pour un rien lui ferait perdre plusieurs points auprès de lui. Puis, elle réalisa quelque chose. Il n’était pas obligé de lui tenir compagnie. Il n’avait qu’à retourner vaquer à ses occupations. Il devait bien avoir à faire ailleurs. Elle se tourna donc de nouveau vers Keith.

- Je ne souhaite pas vous retarder davantage dans votre journée. Je me doute que vous êtes un homme occupé. Je vous suis reconnaissante du temps que vous avez consacré à ma présence jusqu’à présent. Si vous pouvez laisser un domestique à ma disposition, je rentrerai plus tard au manoir.

Elle s’inclina avec politesse, pour saluer son hôte et lui témoigner sa reconnaissance avec sincérité. Elle avait choisi de profiter de son temps à la capitale et de la proposition reçue. Et pourquoi ne pas en apprendre davantage sur l’hippodrome entre temps ? C’était après tout un projet dans lequel s’était investie sa famille. Et son dernier voyage à la capitale remontait maintenant à plusieurs mois. Déambuler dans les rues serait agréable.

Elyssia le suivait du regard, attendant patiemment qu’il prenne congé. Elle écoutait en silence, hochant par moment la tête pour indiquer qu’elle était attentive. Elle comptait effectivement rester profiter de la loge et du spectacle qui s’offrirait à elle. Prendre plaisir dans son séjour à la capitale. Sachant qu’il quittait bientôt la pièce, elle se sentait déjà plus légère. Elle avait la possibilité de s’amuser, de visiter, de prendre son temps sans avoir un regard par-dessus l’épaule qui jugerait ses moindres faits et gestes. Elle en était heureuse et soulagée.  

Avec un sourire, il la salua avec galanterie d’un baisemain et Elyssia de sourire poliment en simple réponse. Elle fut légèrement surprise par ce qu’il lui dit ensuite. Elle n’avait pas pensé être si évidente à déchiffrer. C’était embarrassant. Il l’étonna une fois de plus en s’excusant, puis en la félicitant pour son travail. Était-il sincère ? Si au début, elle sentit un petit soulagement, une petite fierté, tout cela fut rapidement balayé par la main qu’il posa sur sa tête. Une minute... Est-ce qu’il disait cela comme on félicitait une enfant ? Ce geste... N’était-ce pas une façon d’agir avec les jeunes, qu’on ne considérait aucunement comme un égal ? Elle se sentait soudainement comme une petite fille à qui on disait d’aller jouer ailleurs, de laisser les grandes personnes s’occuper des choses importantes. Et cela eut le don de l’énerver. Elle tourna la tête vers la porte maintenant fermée de la loge. Était-ce la façon dont il l’avait considéré tout ce temps ? Une expression indignée s’afficha sur ses traits.  

Alors là, il n’était pas question que la situation reste ainsi. Elyssia avait sa fierté et elle n’aimait pas être considérée comme une femme incapable. Oh, elle allait lui prouver qu’elle pouvait très bien s’occuper de ce qu’on lui avait demandé. Qu’elle pouvait comprendre, répondre et même proposer elle aussi ! Frustrée, elle s’installa de nouveau dans le fauteuil et attrapa les documents offerts par son père. Elle s’y pencha sans attendre, les étudiant avec un intérêt qui ne lui appartenait pas. La prochaine fois, elle ne perdrait pas la face. Aucune chance. Elle serait celle à le faire tomber de haut ! Légèrement renfrognée et déterminée, elle prit réellement le temps de lire ce qu’elle avait sous les yeux. Elle n’avait toujours aucun souhait de se lancer dans les affaires, mais elle refusait de laisser son orgueil prendre un tel coup. Ou enfin, c’était de cette façon qu’elle le voyait.  

Quelques coups à la porte la firent relever le visage de ses feuilles avec agacement. C’était le majordome dont lui avait parlé Keith. Celui-ci se présenta, et Elyssia échangea les politesses d’usage.  

- Si madame nécessite mon aide, je ne serai pas bien loin.  

Alors qu’il s’apprêtait à ressortir, Elys leva une main pour l’arrêter dans son mouvement. Une idée venait de lui traverser l’esprit, autant s’en servir.  

- Et bien, puisque vous le proposez, j’avais bien quelques questions...

Deux, trois questions sur l’hippodrome, autant qu’il fût autorisé à lui en dire sur le déroulement de l’endroit. Elle nota ce qu’elle put apprendre sur le fonctionnement de l’hippodrome et se replongea dans les calculs de son paternel pour essayer de bien comprendre l’investissement. Ce fut les cris enjoués de la foule qui tirèrent finalement son attention des lourds documents dans lesquels elle se plongeait. Elle leva un regard pour observer la prochaine course qui commençait. Et le sourire reprit très vite d’assaut son visage. Elle avait bien hâte de voir comment allait se dérouler la compétition. Elle mit de côté les documents pour profiter pleinement de ce qui s’offrait à elle. Après tout, on ne la changeait pas ; le plaisir passait toujours en premier.