Nox Niebelung

Les parents de Nox, des roturiers de la capitale, n’étaient pas vraiment fiers de leur unique fils. Aussi loin qu’il s’en souvienne, il s’est toujours fait reprendre, réprimander et punir, sans cruauté, mais jamais vraiment sans comprendre. Pourquoi ? « Tu es sale. » « Tu t’es encore couvert de boue. »  « Tu sens toujours le chien mouillé. Tu vas finir par tomber malade avec tes âneries. » Ce n’était pas la grande ambiance au domicile familial. Nox passait la plupart de son temps à déambuler où c’était possible, à s’amuser avec le moindre animal qu’il croisait, même si ce n’était qu’un ami pour quelques heures, jusqu’à ce qu’il soit l’heure de rentrer et qu’il se fasse disputer à nouveau. C’est ce qui a poussé son départ de la maison à douze ans. Cette décision mûrement réfléchie ne fut qu’approuvée par ses parents à son grand étonnement. Intégrer la garde. Cela redorerait sûrement l’image de cette famille qui n’avait rien d’exceptionnel qu’un élégant nom de famille dont la richesse s’était écrémée avec les générations.

[…]

De l’air. Il lui fallait de l’air. Il avait les yeux fermés, il était concentré.

« Nox va bien ? »

Pas de réponse. Dans un silence de mort, et sans bouger, Nox ne répondait pas. Tandis que tout le monde l’observait.

« Nox va bien ? »

Un glapissement sourd se fit entendre. Le son ne passait pas très bien. Sous l’eau, le soldat en devenir n’entendait pas ce qui se tramait autour de lui. La seule chose sur laquelle il se concentrait, c’était la quantité d’oxygène encore présente dans ses poumons. Ne pas expirer trop vite, mais de manière continue, voilà ce qu’on lui avait appris. Pour tenir longtemps en apnée, il n’y avait pas de secret, il fallait faire le vide dans son esprit.

« Nox… Nox a du mal à respirer, Nox est en danger. »

« Phoenix, ça va, je t’assure. Attends-moi sagement, je reviens vite. »

La chienne au pelage chocolat s’allongea alors au bord de l’étang, ce qui causa du bruit parmi les jeunes adolescents, tous au bord du point d’eau, en attente de leur camarade en pleine évaluation. Une sorte de cloche, signalant la fin du temps règlementaire se fit entendre. A la seconde suivante, Nox refit surface brusquement. Il prit une immense inspiration, avant de secouer sa chevelure corail dans tous les sens. L’instructeur lui confirma que ce test était une réussite, et concluait donc la série des tests d’aptitude physique pour intégrer l’internat de la Garde.

Durant les jours suivants, Nox, ainsi que beaucoup d’autres enfants de son âge, avaient passé toute une série d’épreuves psychologiques. Ces tests étaient destinés à déceler les potentiels mauvais éléments, les jeunes gens dont les desseins pouvaient être plus sombres qu’on ne le pensait de prime abord. On les avait fait mentir, garder des secrets, parler honnêtement. Toute une série plus incompréhensible que complexe pour des jeunes enfants de douze ans, encore perturbés à l’idée de quitter le domicile familial, ou soulagés, dans le cas du charmeur d’animaux. Le pire avait peut-être été d’expliquer la présence d’une bêbête brune à quatre pattes qui le suivait absolument partout. Les gens avaient du mal à cerner le lien qui pouvait unir Nox et Phoenix.

[…]

« Jeune Niebelung. Vos aptitudes à l’épée sont pour le moins médiocres. »

« Mais je… »

« En revanche, vous obtenez d’excellentes appréciations en Tir à l’Arc, et avec les armes de jet. Si vous faites en sorte de mettre un peu plus de bonne volonté à l’épée, et que vous cessez, et je dis bien cesser, d’arriver en retard à l’entraînement, je consentirai peut-être à vous laisser suivre un approfondissement avec vos armes de prédilection. Mais je vous préviens, il vous faudra redoubler d’efforts ! »

[…]
« Une invitation ? Tiens, c’est curieux.  »

« Nox a reçu un cadeau ? »

« Non, ma belle, un inconnu m’a donné un point de rendez-vous, pour cette nuit. »

D’autant plus que le message lui était parvenu pendant son service, maintenant, qu’il avait fini ses classes. C’était donc quelqu’un de bien informé, qui avait signé de la Garde. Bien curieux…

[…]

Nox apprit plus tard qu’il s’agissait en fait du Maître-Espion de la Garde. Un homme dont il ne connaissait pas l’existence jusqu’à présent. On lui proposa une formation, de nuit, la plupart du temps. Il était libre de la suivre ou non. Pourquoi lui ? Probablement en raison de son pouvoir. Avoir une communication privilégiée avec les animaux, capables de se glisser partout, et d’enregistrer une quantité incroyable d’informations sans s’en rendre compte, cela était une faculté qui lui serait utile dans la pratique de l’espionnage, si jamais cette formation finissait par porter ses fruits.

Cinq années passèrent. Cinq longues années d’entrainement au sein de l’équipe d’espions. On l’envoyait parfois, mais très rarement sur le terrain, plutôt réservé aux espions dont la formation était achevée. Il avait accepté son destin sans en parler à personne, ni de la garde, ni de ses amis, ni de sa famille. Contrairement à ses parents et à ses camarades de l’internat qui, hormis son physique charmeur, ne lui trouvaient rien de spécial, le Maître Espion, au service même de la Couronne, avait vu en sa faculté de communion avec les animaux un atout qu’il fallait cultiver. II ne le rencontra que très tard dans sa formation. Tout s’était déroulé par le biais d’intermédiaires jusqu’à ce moment-là. Cette aventure de quelques années l’avait transformé. Il était devenu à la fois très social, attentif. Il avait appris à relever beaucoup de détails sur les vêtements, et les manières de ses interlocuteurs. Nox était devenu très méfiant, et avait du mal à faire confiance aux hommes. Heureusement qu’il lui restait les bêtes.
Maintenant que cette formation était achevée, bien qu’on lui eût répété qu’il continuerait à se former jusqu’à la fin de ses jours, il ne lui restait plus qu’à attendre ses instructions, et exercer son métier de Garde en attendant.