Lunar Le Fay

Lunar Le Fay porte bien son nom.
Le hic, c’est que ce n’est pas comme ça qu’il s’appelle véritablement.

Lunar est né en l’an 974, au quatrième jour de la seconde lune froide. Son vrai nom, il ne le connaît pas lui-même, et n’a aucune envie de le savoir. Il a vu le jour dans les bas-fonds du Grand Port, dans une cahute qui aurait pu avoir sa place au sein d’une décharge tant elle grouillait de vermines. Sa mère, il ne s’en rappelle pas, son seul souvenir étant une simple forme floue aux traits blafards et fatigués. Son père ? Il lui est inconnu. On lui a dit, un jour, qu’il avait abandonné son amante après son accouchement, qu’il était un homme marié avec une belle situation qui ne pouvait se permettre d’élever un bâtard. Lunar s’en fiche aussi. Pour lui, il est inutile de regretter des ombres, surtout quand elles sont étrangères.

On l’abandonna devant la porte d’un orphelinat dont il sortit un an plus tard, adopté par un couple stérile. Le hasard voulut que le petit enfant atterrisse chez Alim et Maia Le Fay, un couple de spécialistes de la faune d’Aryon ayant voué leur existence à étudier les bêtes. Ils le baptisèrent Lunar, et entreprirent de l’élever en lui donnant le plus d’amour possible. Le plus lointain souvenir que le jeune homme peut se rappeler avec ses parents adoptifs était la maison dans laquelle ils avaient emménagé sur l’Archipel paradisiaque alors qu’il n’avait que quatre ans. Il se souvient d’une charmante chaumière de briques rosées, au toit de bois peint, et à l’intérieur décoré de coquillages et autres merveilles marines. Là-bas, le couple avait monté une petite ferme qui servait de refuge pour les créatures blessées ou perdues. Lunar se souvient s’être occupé pendant toute son enfance d’animaux comme des lapillons, gloots et petits poloms. Il n’avait pas peur, ses parents lui apprenaient à ne pas les craindre mais à les comprendre, à être curieux d’en savoir plus sur eux.

Ainsi, pendant une dizaine d’années, Lunar se forgea une véritable éducation d’érudit grâce à ses parents. Ils avaient fait de lui un successeur parfait, un expert en zoologie capable de s’occuper et de comprendre les créatures connues mais aussi d’appréhender la découverte d’espèces encore obscures. Plus il grandissait, plus on lui laissait la possibilité de s’occuper des animaux les moins dociles au sein de leur havre. Il y en avait moins, mais il fallait faire preuve de grande prudence et d’attention. Lunar avait treize ans quand il découvrit son pouvoir, jamais vraiment manifesté auparavant, alors qu’il s’occupait d’un chat bastet qui feulait dans sa direction. Dès lors, il décidait d’aider ses parents en mettant à profit ses capacités magiques pour faciliter le soin de toutes les créatures qui arrivaient chez eux. Les calmer était devenu un jeu d’enfant, et leur quotidien moins fastidieux.

Alim et Maia avaient cultivé chez Lunar une perpétuelle curiosité, mais surtout une soif de connaissances et de découvertes. Il voulait être ce prochain zoologue à prouver l’existence d’une créature légendaire. Celui qui allait donner son nom à une espèce jusque là inconnue et pouvoir se pavaner face à la communauté scientifique ou dans tous les salons mondains. Cette tranquillité n’allait malheureusement pas durer. Il avait dix-sept ans quand une aventurière de la Guilde, une certaine Fianna, arriva chez eux avec un smilodon blessé. Absent, Lunar ne put user de sa poussière magique pour calmer la bête et la tragédie frappa aussi brutalement qu’un coup de crocs.

Le hasard décida, en plus de lui prendre ses parents adoptifs, de lui voler sa vengeance. Le smilodon ayant eu l’odieuse envie de déguster Fianna en guise de dessert. Lunar était seul et avait tout perdu. Lui qui avait grandi dans un nid d’amour et de sagesse, lui qui avait cru que leur refuge serait perpétuellement paisible, pour la première fois il était terrifié. Il se rappelait de ce qu’il avait été dans le passé, quand il avait déjà été seul ; quand il n’était rien d’autre qu’un nourrisson sale et mal nourri, au sein d’une mère exsangue qui avait fait l’erreur de sa vie. Il était frêle, il était seul, prisonnier du froid et des ténèbres. Il était faible, et Lunar se refusait d’être faible à nouveau.

Pour faire un pied de nez au destin, Lunar décida de s’engager au sein de l’organisation qui avait apporté malheur sur sa vie. Il avait l’âge requis. Et après deux ans passés à apprendre le maniement de l’épée auprès d’un maître d’armes de l’Archipel chez qui il dépensa tous ses deniers, Lunar entra au sein de la Guilde des aventuriers. Désabusé et amer, il avait l’impression de prendre sa petite revanche à chaque fois qu’il doublait ses collègues. Après six années de service au sein de la Guilde, Lunar a fini par se tailler une petite réputation d’emmerdeur au sein de ses membres. C’est quelqu’un qu’on préfère ne pas avoir à croiser, mais vers qui on revient par dépit en raison de ses connaissances. À la fin, on le regrette mais on a pas le choix.

Lunar reste auprès de la Guilde, la sécurité de l’emploi et le confort de l’institution le contentant amplement pour l’instant. On lui confie ainsi la plupart des missions concernant des animaux et, pour éviter qu’il ne cause trop de soucis aux autres, on l’écarte au maximum des missions de groupe par manque de confiance. Son attitude pernicieuse et son impudence lui valent le surnom de Lunar “Le Fiel”, un pseudonyme qui lui colle à la peau et dont il se gargarise. Le jeune homme n’a jamais révélé à qui que ce soit au sein de la Guilde qui il était, ni ce qu’il s’était passé avec Fianna. À chaque fois qu’on lui demande, il invente une histoire différente.

Peut-être qu’un jour, Lunar se lassera de la Guilde. Mais, pour l’instant, ce jour n’est pas encore venu. Il continue d’évoluer dans ses rangs pour atteindre l’objectif qu’il n’a toujours pas abandonné. Un jour, une espèce de légende portera son nom. Ensuite, il pourra tout envoyer valser.

C’est lui, Lunar Le Fay.