Le hasard pouvait être bien facétieux. Jusque là, la succession des victoires et des défaites d'Astrid et de Dahlia avait connu une parfaite alternance, ce qui avait permis à la garde de questionner quelque peu la citoyenne sur sa vie échue, et d'entrevoir celle-ci brièvement. Ce qui n'avait fait qu'enfler la curiosité de Dahlia, car plus elle en apprenait sur l'existence antérieure d'Astrid, plus celle-ci l'intriguait et lui donnait envie d'en savoir davantage... Aussi, l'esprit de Dahlia regorgeait de questions à poser aux prochains échecs d'Astrid... Mais le destin semblait en avoir décidé autrement, s'obstinant à l'acculer à la défaite... Bon, certes, ce n'était que la deuxième d'affilée, mais la théorie des séries lui faisait craindre qu'elles ne fassent plus que s'enchaîner, à présent, dans un inexorable engrenage.

La garde opta pour une vérité à nouveau car, à vrai dire, elle ne sentait plus vraiment capable d'endosser une action... Celle-ci aurait certainement exigé une coordination de mouvements qu'elle ne savait plus mettre en œuvre, tenant aussi debout qu'un tabouret à deux pieds, présentement...

Lorsqu'Astrid émit sa question, Dahlia se pencha en arrière contre le dossier de sa chaise - pas trop lourdement, pour ne pas vaciller - pour réfléchir...

« Je pense que j'irai... aux sources thermales... dans la partie exclusive aux hommes... » Bah, il fallait bien en profiter un peu et se rendre dans les lieux réservés à la gent masculine... « Et j'en profiterai pour... discuter un peu... » Sans vêtements, et donc sans barrière sociale. Parler d'homme à homme dans son plus simple apparat, cela serait assurément amusant. Hm, après cette étude anatomique et sociologique, que ferait-elle... ? « Et sinon, je chercherai sûrement à... tester mon... heu, nouvel attirail. »

Même si ça risquait fort d'être peu concluant, avec une seule journée pour s'y accoutumer. Dahlia parlait sans fard, l'alcool l'ayant effeuillée de toute retenue, elle livrait ses pensées à mesure que celles-ci lui venaient, sans avoir filtré leur convenance. Astrid relança alors les dés et fit... un 8, au désespoir de Dahlia. Sa main moite de peur se crispa sur les dés lorsque vint son tour, mais elle dut se résoudre à les jeter, et fit... Un 3, ainsi qu'un 2, mais celui-ci avait ripé contre sa chope. Elle put donc le relancer et celui-ci roula jusqu'à échoir sur... un 1.

Dahlia hésita entre rire de dépit et s'affaler sur la table en enfouissant sa tête dans ses bras. Elle opta finalement pour la seconde option. Par Lucy, sa chance semblait l'avoir résolument quittée... Lorsqu'elle se releva de son abîme de consternation, ce fut pour choisir à nouveau une vérité.

« Tu vas me percer à jour... Mais on pourrait faire connaissance autrement, sinon... »

L'alcool commençait à la rendre enjôleuse. Une première expérience avec une femme, pourquoi pas, après tout... Surtout qu'Astrid n'était pas n'importe quelle femme, en l’occurrence. Tandis que la citoyenne songeait à une nouvelle question, Dahlia relança les dés... et fit un 3, ainsi qu'un 2 qui fut à nouveau cassé par une trajectoire hasardeuse dans un verre - dur de faire rouler des dés, en tant bourrée... - Lorsqu'elle le relança, il donna un... 6! Soit 9, au total...

Lorsqu'Astrid lui avoua sa propre virée aux sources chaudes, quand elle était adolescente, l'anecdote amusa Dahlia qui n'en fut guère étonnée... À sa place, elle aurait également allègrement profité de cette aubaine... Est-ce que cela signifiait qu'elles étaient toutes les deux particulièrement pétries de perversité, ou était-ce juste... normal ? Dahlia ne pouvait vraiment le dire, mais en tout cas, elle n'avait pas envie de se repentir pour ses idées dévoyées.

Astrid se montra quelque peu étonnée suite à la proposition voilée que la garde venait de lui soumettre... Puis elle reprit son détachement habituel, et le ton léger de sa réponse devait certainement indiquer qu'elle n'envisageait pas sérieusement cette issue, entre elle et la garde. Sauf que Dahlia était trop pintée pour distinguer toute nuance implicite dans sa réponse... et elle ne fut que confortée dans son idée, de plus en plus prégnante, de conclure avec la citoyenne. Aussi, elle renchérit sans demi-mesure :

« Oui, car j'aime bien discuter avec toi, mais... on pourrait employer nos langues... à meilleur escient. »

Dahlia dut ensuite faire face à une nouvelle question, qui l'obligeait à dévoiler une information assez... compromettante, car source de honte. Arf, puisqu'il le fallait...

« Je suis vraiment gênée par... mes orteils. Si tu les voyais... » Elle se reprit aussitôt « Non, il ne faut jamais, ô grand jamais, que tu les voies... Ni personne, en Ayron. »

Quitte à rester en chaussettes, si elle finissait par réellement franchir le pas avec la citoyenne – ce dont l'intimait son esprit aviné... Car si Dahlia était une femme au physique attrayant, ayant été bien lotie à la roulette génétique, son patrimoine lui faisait tout de même défaut sur certains aspects... Et notamment ses pieds, qui étaient particulièrement... disgracieux. Sa conception honteuse de ses orteils ne s'était pas forgée toute seule, d'ailleurs... Les rares personnes les ayant déjà entraperçus avaient partagé ce constat regrettable... Si bien que depuis, la garde se gardait de les montrer à quiconque.

Dahlia pria Lucy lorsque ce fut à Astrid de jeter à nouveau les dés... Si elle perdait à nouveau, elle allait devoir finir par renoncer à poursuivre ce jeu.. Elle n'aimait pas abdiquer, mais tout cela devenait bien trop embarrassant. La garde se résoudrait donc à arrêter... Mais pouvait-elle seulement retourner à la Caserne, dans son état d'ébriété actuel ? Non, il serait certainement plus raisonnable de louer une chambre à l'étage... Irait-elle jusqu'à y inviter Astrid ? Elle était bien partie pour...

La citoyenne ne fit que 8. Ouf! ... Et ah, tiens, il restait de l'hydromel ?

« C'est pas la soif qui me tiraille le plus... C'est plutôt l'envie de t'hic!... Mais je vais pas refuser. »

Dahlia ne prit qu'une gorgée, car elle voulait réussir à poser convenablement sa question :

« Tu as quel âge... en tout, en cumulant tes deux vies ? »

Dahlia s'attarda un instant sur la balafre qui lézardait la joue d'Astrid. Elle se demandait bien ce qui avait pu l'engendrer... Encore une question qu'elle aurait bien aimé lui poser. Mais elle préférait la garder pour ultérieurement, car elle se concentrait pour le moment, en priorité, à défricher le mystère enveloppant la vie antérieure de la citoyenne... Et celui-ci était encore fort épais.

« Ça te donne du charme... Et à la Garde, c'est très prisé, les cicatrices... »

En effet, pour reconnaître un soldat émérite, on se fiait souvent à son nombre de coutures. Les stigmates des batailles qu'on arborait, en tant que garde, restaient les meilleurs témoins de son expérience martiale, et ils n'étaient pas sans intimer le respect, au sein de la soldatesque. Dahlia n'avait pas encore de balafre apparente, juste quelques cicatrices émaillant son corps, mais cela finirait sûrement par arriver, si elle venait réellement à s'illustrer dans la Garde... Et elle en avait presque hâte, car elle savait qu'on la considérerait alors d'une toute autre façon.

« En revanche, ce soir... je veux bien te montrer tout ce que tu veux... hormis mes pieds. »

Certes, cela ne serait pas du meilleur effet, de conserver ses chaussettes, mais c'était pour le mieux. Car si Astrid les voyait... elle n'en finirait probablement pas de rire, et elles n'iraient certainement pas plus loin. Ce qui était peut-être préférable, mais pas dans l'esprit présent de Dahlia.

Après s'être effarouchée – mais juste pour la forme – qu'on lui demandât son âge, la citoyenne lui révéla alors qu'elle avait... 83 ans. Ah oui, quand même. Sachant que son enveloppe actuelle était âgée de la vingtaine, Dahlia pouvait en déduire qu'elle avait donc vécu précédemment une soixantaine d'années... Elle avait donc trépassé juste avant la retraite... Dommage, ça.

« Ah, tu es donc... une femme d'expérience. »

Si elle allait plus loin avec Astrid, elle pourrait tout de même se targuer d'avoir eu une expérience avec une femme de 83 ans, qui avait auparavant été un homme... Sûrement le coup d'un soir le plus mirobolant à raconter ; Une occasion unique... Oui, il fallait vraiment qu'elle...

C'est alors que la porte de la taverne s'ouvrit à la volée, et que les deux hommes précédemment dérouillés s'y engouffrèrent... Dahlia les regarda avec circonspection lorsqu'ils annoncèrent leur quête de vengeance, et Astrid prit les devants en leur balançant une chope, qui échoua toutefois dans un mur...  

Et voilà que l'un des deux hommes s'affalait au sol telle une fiente, après avoir voulu courir vers elles. C'n'était vraiment pas beau, de combattre bourré. Mais Dahlia était plus que partante pour leur flanquer une nouvelle rouste.

« Ça m'va... Après l'effort, le réconfort. »

La garde devrait en revanche faire sans ses cornes, cette fois-ci, car son esprit était trop cotonneux pour user de magie, et celles-ci ne répondraient plus à son appel.

Alors que l'homme encore debout s'approchait d'un pas titubant, Dahlia tenta de se mettre sur pieds. Mais elle en avait combien, au juste ? Elle commençait à voir double, ou plutôt quadruple... Son corps vacilla au moment où l'homme amorçait un coup de poing dans sa direction, ce qui lui permit de l'éviter sans même en avoir l'intention. Le coup du maraud heurta le vide et il chancela en avant, se vautrant sur la table.

Dahlia, elle, avait fini les fesses par terre. Elle commençait à prendre appui sur sa chaise pour se relever, lorsque l'homme se retourna vers elle, une... fourchette, à la main.

« Tu veux tailler la bavette, avec ça... ? »

La garde, toujours au sol, attrapa alors la chaise et... la lança sur lui, pour le déstabiliser. Puis elle se jeta sur lui et le fit tomber au sol. Alors qu'elle était à califourchon sur lui, l'homme empoigna une poignée de ses cheveux tandis qu'elle cherchait à lui mettre ses doigts dans les narines, et tira si fort qu'elle flancha de côté. Cette-fois, c'est lui qui atterrit sur elle, et c'était moins amusant. Dahlia appliqua alors la paume de sa main contre son nez, comme si elle cherchait à coller ses narines à son front, et l'acheva finalement avec... Un coup de genou bien placé. Une valeur sûre, après tout.