Une musique d'ambiance
Cette aile du palais était oubliée de bien des gens, une aile solitaire dans sur une île dédiée à la guerre, que seul les gardes royaux connaissaient, une garde incessante, mais qui pouvait paraître inutile et pourtant. C’était un lieu symbolique, réservé aux soldats.
Ce lieu datait de la naissance de l’institution, un lieu chargé d’histoire, qu’Arthorias sentait peser d’un poids incommensurable sur ses épaules. Chaque pas semblaient lourd, ses yeux n’arrivant pas à fixer un point précis
Les dalles de pierres étaient usées par des générations de héros, et leurs motifs, tout comme leurs couleurs avaient fini par s’éroder.
Ils étaient là, bordant l’allée que le Capitaine empruntait, ses prédécesseurs, tous présents jetant des regards durs sur lui. Des regards figés dans la pierre, tous exsudant une aura d’autorité malgré les ages.
Le plafond se voulait haut, et n’aurait pas dépareillé à celui d’un temple de Lucy, des grands vitraux réservés aux exploits militaires laissant filtrer une lumière tamisée malgré le grand soleil qui brillait dehors donnant aux statues des héros, de longues ombres qui s’étendaient dans le hall.
Des noms illustres étaient visibles sur les dalles de chacune d’entre elle : Capitaine Delancy, Capitaine Steelhearth, Capitaine Invitus, tant de héros…
Parfois, là haut, dans son bureau, Arthorias contemplait l’épée honorifique de la garde royale, une épée transmise depuis le premier d’entre eux, jusqu’à lui. Et se demandait s’il serait un jour digne de la porter avec fierté.
Elle s’appelait « Devoir », une lame lourde rappelant à chaque officier le poids de sa charge. Et encore jamais, le blond n’avait jamais réussi à la soulever sans se sentir indigne.
A pas lent, il remontait l’allée, flanqués de ses deux gardes personnels, des colosses silencieux, anonyme derrière leurs heaume de fer.
Les trois hommes étaient en armure, et la marche se faisait au rythme des claquement de l’acier dans une coordination presque parfaite.
Il restait encore de la place pour bien des héros, et un jour il serait peut être parmi eux…
-Mon Capitaine… vous êtes sur ?
Dit Tancred d’une voix serrée par l’émotion. Une voix caverneuse qui résonnait dans la salle. L’homme était un colosse, un ami des premiers jours. Et aujourd’hui, ils en étaient là.
-Oui… Ce fardeau me revient, et à personne d’autre.
Lui même avait déjà fait son deuil, du moins le montrait t-il ainsi. Enfermant ses émotions dans sa carapace de fer, même si un observateur attentif aurait pu constater un léger tremblement dans ses mains.
Jamais encore le fardeau n’avait pesé si lourd sur lui, jamais sa fonction ne l’avait autant écrasée. Et pourtant, il ferait face. Parce que c’était son devoir, et que le Capitaine ne pouvait pas se permettre d’être aussi faible qu’avant.
Au bout de cette allée se trouvait une corde, une corde tressée des plus simple, qui semblait presque incongrue dans cette salle d’honneur, ou pendait des bannières ayant plus de valeurs que certaines maisons
Les deux prétoriens s’arrêtèrent d’un même pas, faisant volte face dans un synchronisme mécanique alors qu’Arthorias montait les quelques marches qui le séparaient du piédestal, il sentit le poids de toute sa confrérie se poser sur lui, des morts comme des vivants.
Au dehors, le silence même était écrasant, car toute la garde royale était rassemblée, deux cents soldats de pourpre et d’argent au garde à vous, équipés pour la guerre dans un silence qui confinait à l’effrayant.
Rare étaient les spectateurs invités car cette cérémonie appartenaient à d’anciennes traditions.
A l’intérieur, le Capitaine se tenait devant la corde, l’agrippant fermement avant de fermer les yeux. Se concentrant sur sa respiration pour ne pas perdre pied.
Quand il sentit que le moment était venu, il tira dessus, faisant jouer ses muscles pour tirer lentement vers le bas, la laisser remonter puis recommencer.
Peu d’honneur étaient rendus à la Garde Royale, sentinelles sans visages et impassibles de la royauté, risée de bien des gens, parfois de leurs protecteurs même, parfois de la Garde ordinaire. Un privilège néanmoins restait; honneur posthume à ces soldats tombés dans l’anonymat, des nobles ayant abandonnés titres et terre pour servir, des roturiers s’étant élevés par l’effort, tous groupés par un serment inviolable.
Dans un résonnement sinistre, la cloche se mit à sonner, résonnant dans toute l’île royale, et par delà encore, atteignant même le bastion de l’ïle Rocheuse
L’ampleur du son fit vibrer Arthorias qui sentit ses organes légèrement bouger.
Quatre coups de cloche résonnèrent sinistrement dans le silence pesant de cette cérémonie. Quatre héros tombés pour leur reine. Sans rien demander en retour.
La Garde Royale pleurait la perte de quatre d’entre eux. Le glas n’avait pas sonné depuis bien des années. Et voilà que le capitaine Hekmatyar s’en servait à pour un quartet.
Levant le visage vers le plafond, il étouffa un sanglot de rage, comme les autres soldats qui tachaient de demeurer impassible.
La corde finissait lentement par retrouver l’immobilité, et rapidement, un autre son monta de la cours, celui de la percussion de ceux cents gantelets contre des plastrons, un dernier adieux à ceux qui étaient mort.
….
Le lendemain, le soleil brillait toujours autant, semblant presque s’amuser à ridiculiser la tristesse qui c’était emparée des soldats, et le Capitaine lui était toujours dans le Hall, ses deux gardes avaient repris leurs activités, le laissant seul au milieu de ses pairs de marbre.
La solitude lui appris bien peu de choses, sinon que les morts ne parlaient pas, pas plus que les statues. Et si elles inspiraient par leurs actes héroïque, personne ne lui disait comment réagir pour cette situation.
Il ne trouverai pas la solution ici, et avec la déférence due à ce lieu chargé d’histoire, il repartit à son bureau.
….
Ce bureau semblait bien triste, Arthorias se sentait l’envie de tout retourner, briser le moindre meuble et déchirer ces satanés dossiers, et du se retenir sachant pertinemment ce qu’il pourrait advenir s’il laissait ses émotions prendre le dessus.
Tout semblait pourtant si morne, si oppressant. Ce grand bureau qui était un des nombreux signe de son statu n’avait rien fait pour ses soldats, soldats dont les plaques pendaient au présentoir de son armure. Un Artisan passerait bientôt les emporter, pour les incorporer au mur du souvenir. Mais elles cliquetaient pour l’instant à sa vue, comme pour l’accuser de son incompétence.
Il se prit alors à ranger l’endroit, comme pour tenter d’exorciser ce spectre qui planait partout autour de lui, sans pour autant réussir, ne parvenant qu’à redonner un ordre parfait au bureau. Avant de finir par retirer l’armure qu’il avait sur le dos.
Il replaça l’acier sur le bois, quittant sa carapace d’acier restant debout à la fenêtre pour contempler la vue qu’il avait depuis le bureau.
N’entendant nullement la porte s’ouvrir, il continuait de parler pour lui même ressassant les noms des disparut, dont les visages ne cessaient de venir le hanter
Le lendemain, Zahria arrive à la caserne de la Garde Royale, Dhim sur son épaule, et si elle perd son chemin deux fois, on finit par lui indiquer l'endroit en question. Elle frappe à la porte, mais il a l'air perdu dans ses pensées. Elle l'entend marmonner des noms, alors qu'il fait le tri dans ses affaires. Sa colère gronde, et elle a l'impression de se revoir, quelques temps plus tôt. Elle referme la porte derrière elle, et s'adosse contre le mur, le laissant faire pendant une bonne minute, se demandant si elle doit tousser ou juste attendre. Puis elle prend la parole, d'une voix claire et douce.
« Tu fais des cauchemars, aussi ? »
Il sursaute, et porte machinalement sa main dans son dos, mais son épée n'y est plus, fait rare. Zahria lui sourit, et quand il la voit il se détend, se forçant à esquisser un début de sourire à son tour.
« Zahria... »
Ils s'avancent l'un vers l'autre, et quand Arthorias lui tend le bras pour la saluer, Zahria l'enlace. Il semble gêné, pendant une seconde, puis profite du contact de l'embrassade, se laissant aller. Toujours dans cette position, elle lui dit quelques mots pour le réconforter.
« Ils ne savent pas, les autres, que tu as besoin d'un câlin pour aller mieux. Hésite pas à me demander, je sais ce que ça fait. »
Ils restent ainsi enlacés pendant un long moment, avant que Zahria ne se décide à le lâcher, continuant à le tenir par les épaules.
« Je sais pas si c'est le deuil ou le manque d'armure, mais tu sembles bien frêle aujourd'hui mon cher Arthorias...
- C'est pas trop le moment pour te moquer...
- Nan, mais c'est le meilleur pour détendre l'atmosphère. Allez, viens, je t'emmène déjeuner.
- Je sais pas toi, mais j'ai du travail ici, moi...
- Oh, moi aussi, je te rassure, mais de toutes façons c'est un ordre que je te donne. M'oblige pas à appeler Höls pour lui faire valider.
- Et en quel honneur tu m'invites à déjeuner ?
- Tu me raconteras tes cauchemars. »
Il soupire, puis se tourne vers son armure pour s'équiper. A-t-il compris qu'il n'a pas le choix, ou est-il trop épuisé mentalement pour penser à une parade. Qu'importe, puisqu'elle l'embarque déjà vers la porte, le forçant à laisser son armure sur place.
« Je peux pas sortir comme ça ! Mon armure...
- Je ne demande pas au Capitaine de la Garde Royale de m'accompagner à déjeuner. J'invite Arthorias, mon ami. Laisse ton armure ici, elle ne fera que te rajouter un poids sur les épaules. Et ta jolie épée en chitine de Wardän aussi.
- Comment tu sais... ?
- Tu croyais vraiment qu'il y a avait des informateurs près du roi qui se baladaient au Marché noir ? J'allais pas laisser les précieuses lames qu'on s'est fait chier à ramener de là-bas se balader n'importe où. C'est moi qui t'ait fait passer l'info.
- Alors toi aussi... ?
- Ouais. Mais pareil, je l'ai laissée. On va juste déjeuner. »
Elle a toujours sa fiole de dague sur elle, au cas où, et le voit s'équiper d'une petite lame aussi. Il doit se sentir nu sans arme ni armure. Mais il faut qu'il se change les idées. Elle l'entraîne dans le couloir, et il ferme la porte à clef derrière lui avant de prévenir Aube, sa seconde, de son départ. Zahria en profite pour faire un petit salut à la jeune femme, s'enquérant de la santé de ses bébés, puis embarque le capitaine.
Ils se retrouvent rapidement dans un quartier gai et animé, dans le centre-ville, et entrent dans une jolie taverne qui sent bon le ragoût aux épices de Phume et la salade de champignon pudding. Le patron reconnaît Zahria, et la fait asseoir dans un petit coin tranquille, une espèce d'alcôve en hauteur, avec vue sur la place, et où ils seront tranquilles. Après que Zahria ait commandé deux verres de vin de lucol, malgré les protestations d'Arthorias, le serveur s'en va directement vers la cuisine.
« Il ne prend pas notre commande pour le repas ?
- Non, c'est menu unique, au goût du chef et selon arrivage du marché. Vu l'odeur, pas difficile de deviner ce qu'on mange aujourd'hui. Mais je peux t'assurer que c'est toujours divin.
- Bon, pourquoi tu m'as amené ici ?
- Je te l'ai dit, pour te changer les idées. Je sais ce que ça fait, de perdre quelqu'un sous tes ordres, et de devoir porter le poids de la responsabilité sans pouvoir en parler à personne. Alors tu peux te confier à moi, je suis là pour ça. »
Le serveur leur ramène leur verre de vin, puis s'éclipse à nouveau. Zahria tend sa coupe à Arthorias pour trinquer.
« A ceux qui sont tombés.
- A ceux qui sont tombés. »
« A ceux qui sont tombés »
Rien que de dire cette phrase, l’officier sentit son cœur se serrer, mais serra la main autour de son verre. Blanchissant ses phalanges avant de finir par avaler le spiritueux, presque sans en sentir le contact.
La première gorgée fut amère, mais guère plus que les larmes qu’il retenait depuis l’annonce. Ici, tout semblait si joyeux, si guai…
De façon presque égoïste il aurait voulu voir un monde gris et morne, que les cendres de ses hommes soient ailleurs que dans ses yeux, et que chaque personne ressente la perte aussi durement que lui.
-Pas la peine de faire cette tête, le monde ne s’arrêtera pas pour toi
-Si seulement il s’arrêtait, ce serait plus facile
Mais le temps était une sacré catin, et il continuerai, comme pour le narguer, il passerai longuement, jusqu’à la prochaine tragédie. L’officier n’en était pas à sa première, même si celle là était bien plus grave que les précédentes. La jeune femme avait les mots justes, qui pouvaient paraître dur, mais justement ce dont le capitaine avait besoin.
Le binôme reçu les plats, et Arthorias dut se forcer pour la première cuillère. Même le goût semblait fade, bien que Zahria sembla l’apprécier.
Manger alors que ces bâtard couraient encore… Cela le rendait malade… La noiraude était le maître espion, sans doute avaient elle mille et une façon de faire les choses. Le Capitaine ne savait que charger lame au clair, régler le conflit dans le sang. Une pensée dangereuse lui traversa l’esprit au même moment. Comme si la rage, pour le moment contenu par le chagrin s’acharnait à briser ses barreaux.
Des sentiments placés dans une cage depuis si longtemps… Il savait pertinemment que s’il les laissait prendre le dessus, c’en serait fini. La colère aveugle était mauvaise conseillère.
-Arrête de réfléchir, mange tant que c’est chaud, ça te fera du bien, sinon tes jolies petites boucle d’or vont dépérir
-Oui… il faut, un soldat qui a le ventre vide…
-Un humain qui à faim, il fait de la merde, tache juste de pas en faire
Elle avait raison, comme souvent… Parfois le blond se demandait si elle ne lisait pas dans son esprit. Et surtout comment ils avaient réussi à devenir amis malgré leurs différences. Tout semblaient les séparer.
Zahria était une personne ouverte, et du point de vue d’Arthorias, plutôt sympathique, et si la jeune femme se coulait dans n’importe quel moule, lui était tel un bloc d’acier brut, incasable hors de son cadre.
-Alors raconte moi ?
-Raconter ?
-Tes cauchemars, idiots. Je connais ce regard, je l’ai déjà vu, et déjà eu…
-Ici ? Tu ne veux pas attendre qu’on soit au moins seuls ?
L’esprit était cruel, et restituer ce genre de songe pouvait être une vraie torture. Il sursauta presque en entendant le bruit de la vaisselle dans les cuisines, le tintement des couteaux qui sonnait comme le bruit d’épée.
Ce n’était pas de la peur, Arthorias ne le connaissait plus. C’était bien au-delà, une sorte de réflexe primal gardé sous contrôle, qu’on enseignait à chaque Garde Royal pendant de longues semaines, pendant des exercices que bien peu imaginaient. Enfin, le maître Espion devait en avoir entendu parlé, il se demandait parfois si certaines personne qui commençaient les camps n’étaient pas des espions.
Puis finalement, il réussit à manger au prix d’un effort certains, s’arrêtant parfois pour fixer cette amie si chère à ses yeux maintenant qu’elle était révélée.
- Tu commences quoi ?
- A te raconter mes cauchemars !
- Tes cauchemars ?
- Suis un peu, Arthorias, fais un effort.
- Mais... tu fais des cauchemars ?
- On en fait tous, non ? »
Elle hausse les épaules. C'est récent, les siens, en plus. Zahria joue l'insouciance et la force, mais au fond, son coeur n'est pas encore guéri. Elle peut compter sur le soutien de ses proches, et a dû mûrir plus vite que prévu, mais il ne se passe pas une semaine sans qu'elle se réveille au moins une fois en pleine nuit, dans des draps en sueur. Et puis, les raisons de cauchemarder se multiplient au fur et à mesure. La Cité Enfouie, il y a longtemps. Vrenn, ensuite, pendant sa traque. Puis les cannibales. Ruth, tous les soirs. Mêlé à Calixte, au moment où il est parti pour le Grand-Port. Quand ça s'est enfin calmé, ce fut Elina. Et Vrenn, à nouveau, pour des raisons différentes, après sa blessure mortelle pendant la quête. Evidemment, elle ne va pas raconter tout ça à Arthorias, déjà parce que ça impliquerait de révéler des secrets d'Etat que même le Capitaine de la Garde Royale ne doit connaître. Ensuite, parce que ça ne sert à rien d'en rajouter à sa peine.
« Ça fait pas longtemps que je suis à ce poste, mais j'ai déjà subi des pertes, moi aussi. Et c'est pas facile, quand on sait qu'on est responsable. Alors on fait les forts, toute la journée, pour les troupes, pour le moral, parce que si on tombe, plus personne ne tient debout. Mais le soir, dans la solitude du sommeil, on souffre, faut pas se leurrer. Alors on cauchemarde. Qu'on en perd dix, vingt, trente, sans rien pouvoir faire, les bras ballants. On cauchemarde que leurs fantômes nous parlent, nous demande pourquoi. On cauchemarde, surtout, beaucoup, de leur sang. Leur sang sur nos mains, comme si on avait tenu l'arme qui leur avait ôté la vie. Sauf que c'est pas nous, Arthorias. Même moi, j'ai encore du mal à me l'avouer. Mais c'est pas moi qui les ait tuées. Et il faut rester fort, et il faut tenir bon, et il faut se reprendre. Pour les autres. Pour ceux qui sont debout. »
Elle met une cuillerée de ragoût dans sa bouche, mâche, puis avale, le temps d'observer Arthorias. Le sourire de la jeune femme a disparu, laissant place à un visage sérieux, même si ses yeux continuent à pétiller, cherchant à instaurer un moment de partage et de confiance. Comme s'ils criaient: "Vas-y, parle moi, je suis là pour toi." Mais Arthorias est un bloc de pierre, et un bloc de pierre, il faut y aller au marteau-piqueur pour l'ouvrir.
« Pourquoi tu me racontes ça ?
- Parce que j'ai entendu la cloche, et je me suis dit que tu avais besoin d'une amie.
- C'est... gentil, merci. Mais ça va aller.
- M'oblige pas à te frapper.
- Quoi ?!
- Arthorias, si tu me parles pas tout de suite, je te mets une baffe qui va te faire ressortir ce ragoût par les trous de nez. »
La frappe est dite calmement, sans animosité, mais au vu du changement d'attitude du blond, la jeune femme se permet un nouveau sourire en coin. Puis se remet à manger, en buvant son vin.
« C'est bon, hein ?
- Hein, quoi ? Euh... oui. Je croyais que tu voulais que je parle ?
- Ouais, d'ailleurs, la baffe arrive.
- Non mais c'est bon, je vais parler... Ça me fera peut-être du bien, tu dois avoir raison.
- Apprends-le, Arthorias: j'ai toujours raison. »
Et posant sa cuillère sur le côté, son assiette à moitié vide, elle s'étire sur la chaise, prête à jouer le rôle de la confidente qui écoute attentivement. Il a de la chance, Höls, qu'ils s'entendent bien ces deux-là. Quoi que, ils ne les a peut-être pas choisi par hasard...
Des cauchemars... Zahria en parlait évidement en connaissance de cause. Mais là ou la Garde Royale commémorait ses morts en cloches et en cérémonie funèbre, les espions eux, mourraient anonymement. C'était tout aussi cruel. Et pendant un petit moment, l'officier eut un rire intérieur amer. Alors que les Saphirs étaient chantés comme des légendes, ceux qui saignaient réellement pour le royaume mourraient dans l'ombre.
Un raclement de gorge le rappela à la raison, et deux yeux gris le fixaient en attente d'une histoire qui se faisait attendre.
Prenant une autre cuillère de ragoût, Arthorias prit le temps d'en apprécier la saveur : les fines épices et les petits morceaux de viande bouillie avec expertise, comme pour essayer de fuir ses propres soucis. Puis après un petit moment il reposa son ustensile avec un air sérieux.
-C'est toujours le même, toujours la même scène. Je revois cette attaque, mais même en connaissant l'issue je ne peux rien y faire... Je revois le visage de Jonah avec le sourire de m'apprendre qu'il avait enfin rencontré la femme de sa vie, et le tir de baliste qui l'a décollé de sa selle et à moitié coupé en deux... Puis le geste de réconfort de Yuna alors qu'elle se vidait de son sang, une plaie béante dans la nuque que je n'arrivais pas à contrôler.
Son teint devint bien plus blafard alors que cette scène tournait à nouveau devant ses yeux, sa main se levant machinalement comme il l'avait fait alors, et même si dans cette auberge, il n'avait rien, lui voyait encore sa main cuirassée couverte de sang de ses hommes
Une légère claque le ramena à la raison et à ces deux points gris qui le maintenaient à la raison.
-Je te l'ai déjà dit, le passé est passé, tu ne les ramènera pas
-J'aurai pu les sauver si...
-Si quoi ? Ne présume pas trop de toi même Artho, tu n'es qu'un homme, le chef de la garde royale, mais qu'un homme quand même.
Dur mais vrai. Rien n'aurait pu sauver ces gardes sinon l'intervention d'Helmex en personne. Mais le dieu de la guerre que vénérait bien des soldats à leurs façon n'écoutait pas.
Se massant la joue devenue légèrement rouge, il fit jouer l'articulation de sa mâchoire. Elle le surprendrait même par sa force.
Tristement, il reposa sa main contre la table, tachant de garder cette haine féroce sous contrôle, qui montait à chaque fois que le souvenir resurgissait. C'était comme si une vipère c'était enroulée autour de ses tripes et se mettait à siffler à la moindre mention de ces chevaliers rebelles.
-J'aurai leurs tête Zah, peut importe ce que ça me coûtera, pas de poisons ou de dague, je les battrait à leurs propre jeux et les écraserait comme des insectes.
Une froide et morbide résolution avait envahit les yeux vairons de l'officier qui succombait doucement aux sirènes de la vengeance, mettant de côté ses idéaux d'habitude si brillant, pour plonger dans quelque chose de moins reluisant. La mention à Helmex pouvait déjà faire craindre le pire
-Crois moi, c'est une pente dangereuse sur laquelle tu t'engage, et pour l'avoir fait, je te le dit, tu n'es pas prêt
-Et pourtant...
-Tu ne connais que le côté ronflant et doré de la société, pas encore au point pour voir le revers de la médaille
L'officier était incapable de trouver le moindre argument, elle avait tristement raison, la subtilité n'avait jamais été son fort. Néanmoins...
Soudainement, il releva la tête, fixant son amie avec intensité.
-Zahria... apprend moi !
-Quoi ?
-La discrétion ce n'est pas mon truc, mais... je ne peux pas me contenter de n'être qu'Arthorias, le capitaine doré de la garde royale, je dois m’adapter, je dois apprendre de quelqu'un qui sait se battre avec d'autres armes
Une détermination nouvelle l'animait et une certaine surprise pointait chez son amie.
« Mais ça ne se passe pas comme ça, Arthorias, la formation est longue, chez nous, tu sais...
- J'apprends vite !
- Ce n'est pas la question !
- En plus je n'ai pas besoin de tout savoir, je...
- Nos outils et notre savoir-faire est secret, et censé rester qu'entre nous...
- Je garderai tes secrets, je suis une tombe !
- On n'entraîne pas n'importe qui...
- Je ne suis pas le premier gars sorti de nulle part !
- Je sais bien, mais... bordel, Artho, tu me fous dans la merde, là ! »
Pour chaque attaque qu'elle place, il a la réponse. Nul doute qu'il est doué en combat, mais elle ne le pensait pas habile pour ce qui est de la joute verbale. A priori, il est surtout très motivé, et ça peut changer un homme. Mais enseigner les préceptes des espions au capitaine de la Garde Royale... Ça va au-delà de toutes les règles... Et ce n'est pas si illogique que ça, en réalité.
« Qu'est-ce que tu veux savoir, exactement ?
- Ça veut dire que tu acceptes ? Je te promets d'être le meilleur élève et de ne rien...
- Réponds à la question.
- Je... je ne sais pas. Ce que je peux, ce qui me nourrira, ce qui m'aidera dans ma quête.
- Tu ne préfères pas que je dépêche un espion pour se charger de l'enquête ? Ça te fera gagner du temps, et le boulot sera fait impeccablement. Tu reprendras la suite et tu t'occuperas de leur régler leur compte...
- Zahria... je ne peux laisser qui que ce soit s'en occuper à ma place. »
Elle a un petit sourire. Finalement, malgré le fait qu'elle ait moins d'expérience, il y a des choses qu'elle a déjà mieux compris que lui.
« Quand j'ai eu un cas similaire, chez moi, j'étais comme toi. Je bouillonnais de rage, je n'avais qu'envie de me venger. Mais je ne pouvais pas partir comme ça, bille en tête, sans penser aux autres, à ceux qui sont restés. Alors j'ai délégué. Je ne dis pas que je ne le regrette pas, parfois, mais je sais que je n'aurais pas pu faire autrement.
- Zahria, je ne te demande pas grand-chose, mais là... je ne lâcherai pas.
- Il faut que je réfléchisse, Arthorias. C'est pas une décision qui se prend à la légère. Si je te laisse t'introduire dans cette brèche, il faudra poser des limites, penser aux tenants et aboutissants...
- Je t'ai connue plus frontale.
- J'ai changé. J'ai dû changer. On ne peut pas foncer bêtement comme un sanglier des montagnes sur tout ce qui bouge.
- Qu'est-ce que je peux faire pour te convaincre ?
- Me raconter l'intégralité de l'histoire, et tout ce que tu sais. J'estimerai les ressources qui te seront nécessaires, et ce que je pourrais t'apprendre sans nous mettre, ni toi ni moi, en danger.
- Ici ? »
Ils jettent tous les deux un coup d'oeil autour. Si l'endroit est tranquille, et le patron discret, ils ne sont pas l'abri des oreilles indiscrètes. Et si le plan de base était de changer les idées à Arthorias, la petite taverne était toute indiquée. Mais pour une réunion d'Etat-Major, c'est autre chose.
« Non pas ici. Mais on va pas partir comme des voleurs. Il faut que tu goûtes son dessert, avant toute chose. Peut-être que d'ici la fin du repas, tu auras retrouvé tes esprits et tu auras changé d'avis.
- N'y compte pas.
- Tête de mule.
- Pas autant que toi. »
A quel moment, déjà, sont-ils devenus aussi proches ? En tout cas, c'est agréable de pouvoir parler ainsi avec un ami et capitaine. Depuis la mort d'Elina, les amis de Zahria sont soit ses subordonnés, ce qui implique de ne pas pouvoir leur parler aussi facilement de ses soucis de travail, soit des gens qui n'ont rien à voir avec le milieu, comme Luz ou Naë, et à qui elle ne peut quasiment rien dire de son travail - voire rien du tout, dans le cas de Jack, par exemple, ou Carci.
Elle sourit, en commandant au patron le dessert du jour - une salade de champignon pudding et fraises capillaires. Arthorias peut encore lui réserver des surprises, visiblement, il n'est pas que le capitaine parfait en armure scintillante, le Boucles d'Or bourreau des coeurs que l'on se plait à décrire dans la chronique... Il y a là-dessous un petit coeur, et des défauts. C'est tout de même rudement plus intéressant que l'homme parfait que tout le monde pense qu'il est...
Des fraises capillaires tiens ?Avait il besoin de davantage de cheveux ? Peut être pas, mais il aurait été difficile de refuser une telle douceur, même si son esprit était bien loin des considérations matérielles ces derniers temps.
La perspective d'avoir une nouvelle sorte de formation était excitant... Bien qu'il sache pertinemment qu'elle ne ferait jamais de lui un espion, un monde séparait leurs deux professions et des réflexes étaient ancrés trop profondément en lui pour que cela change un jour.
Zahria savait rester calme et froide, réfléchir pour tourner une situation à son avantage via de subtiles manipulations. Une femme de l'ombre redoutablement efficace, capable de se faire passer pour une catin comme pour une noble.
Arthorias lui était un pur produit des académies militaires, capable de renverser un conflit à la force des armes pour récolter la gloire.
Une face sombre, une face lumineuse... Voilà désormais que l'un voulait apprendre de l'autre.
-Si on m'avais dit que je finirais cette journée avec des fraises...
-Les surprises font précisément en sorte que la vie vaut la peine d'être vécue, parfois elles sont bonnes, parfois mauvaises, j'ai pensé qu'il valait mieux accentuer les bonnes ces derniers temps. Tu n'as pas eu de chance ces derniers temps avec....
-Ciel ? Jaina ? Rebecca ? Non, pas vraiment, mais que veux tu que j'y fasse... plus le temps passe et plus je me rend à l'évidence : je n'aurai jamais pu y faire quoi que ce soit. Je commande à un régiment composé de ce que le royaume peut offrir de mieux, et je ne pense pas démérité. Mais d'un point de vue personnel, je suis bien incapable de gérer quoi que ce soit.
Plutôt une armée de chevalier qu'une seule femme. On a pas tous la chance d'avoir l'habitude de ce genre de choses.
-Je dois le prendre personnellement ?
-Tu peux le prendre comme tu veux, mais tu sais bien ce que je veux dire par là : Il n'y a rien à comprendre quand on grandit dans un scaphandre, on découvre simplement une réalité pour laquelle on est pas préparée.
Triste constat, mais qui mettait précisément le point sur le malaise actuel d'Arthorias. A force de perdre, il finissait par devenir cynique.
Une main chaleureuse trouva la sienne ainsi que deux iris accompagnés d'un sourire.
-Tu veux que je t'apprenne quelque chose ? Réellement ? Pourquoi pas... mais avant cela, il a falloir donner de ta personne.
-Donner de ma personne ?
-Tu es resté bien trop longtemps dans ton armure, entre les murs de forteresse ou le monde continuait à avancer sans toi. Voilà ma condition, met Aube en situation de commandement, pars en chasse comme le font certains gardes royaux, pas d'armure rutilante de la garde, juste toi, et qui tu croisera.
Une fois que tu aura grandit, je pourrais peut être te montrer deux ou trois choses utiles.
C'était une consigne inhabituelle, mais qui ne manquait pas de bon sens. A quoi bon protéger un royaume qu'on ne connaissait qu'à travers les récits des autres.
A entendre la noiraude, cela serait simple : profiter de la période de repos accordée aux officiers pour faire un tour du pays
-Tu te rend compte de ce que tu me demande ?
-Et toi alors ? Considère cela comme un test, fait ce que je te dit, et on pourra parler d’une formation éventuelle.
Cela te préparera aussi, pour l’instant tu es trop pris dans toutes tes doctrines.
-Hum…. Je vois…
Continuant son dessert en silence, l’officier tacha de mettre en place dans son esprit tout ce que cela pourrait impliquer. Ce serait un bon exercice, autant pour lui que pour la garde royale.
Maintenant que l’organisation avait été refaite, autant s’assurer qu’elle puisse tourner en cas de malheur.
Terminant finalement les fraises, il planta son regard dans celui de son amie.
[color=#00ccff]-Très bien… je le ferais
Zahria sourit. Si elle s'attendait à ça, en allant chercher son ami pour déjeuner... Au moins, le repas était aussi bon qu'elle l'avait promis, et les surprises qu'Arthorias lui a fait ne l'ont rendu qu'encore plus intéressant. Nettoyant le sirop de fraise au fond de son bol du bout du doigt, qu'elle vient ensuite porter à sa bouche pour ne pas en perdre une seule miette, elle réfléchit.
Si elle révèle des secrets des espions au Capitaine de la Garde Royale, ça fera certainement à partir de lui partie de leur enseignement et des techniques qu'ils se passeront en héritage. Leur accord est sur le point de chambouler l'histoire de la Garde. Aussi, faut-il qu'elle ait quelque chose du même acabit en retour, qu'elle puisse passer aux générations de maître-espions qui viendront après. Une idée lui vient, une étincelle de malice s'illumine dans son regard de miel.
Les deux amis se lèvent alors, après ce bon repas, et s'avancent vers le comptoir. Zahria pose la main sur le bras d'Arthorias alors qu'il commence à sortir sa bourse, en secouant gentiment la tête.
« Je t'ai dit que je t'invitais, range ta bourse.
- Mais...
- Pas de mais. »
Zahria pose la somme demandée, ainsi qu'un généreux pourboire, entre les mains du tavernier qui la remercie chaleureusement, et insiste même pour les inviter à boire un petit digestif. Mais Zahria refuse poliment, avant de pousser le capitaine de la Garde Royale vers la sortie.
« On va où, du coup, pour parler tranquillement ?
- Bah tu vas me payer ce digestif !
- Pourquoi, il était pas bon, ici ?
- Si, si, excellent, mais ne me mens pas, je suis sûre que tu dois avoir une bonne bouteille dans ton bureau !
- Pas sûr... Il doit bien y avoir un cognac offert par un noble pour s'attirer mes bonnes grâces, mais je ne l'ai jamais goûté...
- C'est honteux, t'as même pas de quoi payer un coup à tes amis ?!
- Je n'ai pas tant d'amis que ça, tu sais...
- Bon, et bien allons goûter ce cognac, alors.
- Qu'est-ce que tu trames ?
- Moi ? Rien, voyons, je suis blanche comme neige ! »
Elle sourit de toutes ses dents, comme pour donner un semblant de crédibilité à sa réplique, puis emboîte le pas à Arthorias, en direction de l'île de la caserne royale. Ils font le trajet en discutant de tout et de rien, en commentant les choses qu'ils voient, comme deux passants le feraient, sans que le boulot n'interfère jamais dans la discussion. Puis finissent par revenir à leur point de départ, et à entrer dans le bureau du Capitaine. Il sort la fameuse bouteille ainsi que deux verres poussiéreux qu'il nettoie rapidement, l'ouvre et puis les sert. Et sans même y avoir goûté, prend la parole avec une certaine impatience.
« Du coup tu voulais venir ici pour parler de mon... entraînement ?
- Il est bon, ce cognac, Artho, tu devrais en faire profiter plus de gens.
- Zahria...
- On ne va pas encore en parler. Je t'ai déjà expliqué ce qu'il fallait que tu fasses avant d'être prêt.
- Alors... quoi ?
- Je sais très bien comment ça se passe quand on a un poste aussi important que le tien ou le mien. Il
y a des archives, des documents secrets, que l'on ne se passe que de Capitaine à Capitaine, de Maître-Espion à Maître-Espion...
- Tu veux me voler mes techniques secrètes de la Garde Royale ? Je vois pas très bien ce que tu pourrais en faire...
- Non. Je veux rien te voler, déjà. Mais je veux un cadeau, en échange de celui que je vais t'offrir, ainsi qu'à tes successeurs. Quelque chose du même acabit.
- Tu penses à quelque chose en particulier, n'est-ce pas ?
- Les secrets de cette île et sa caserne. »
La caserne de l'île de la Caserne Royale, un endroit presque aussi vieux que la Garde elle-même, et qui, à ce que l'on dit, renferme moult passages secrets et joyeusetés invisibles aux yeux des inconnus, même du Maître-Espion. Rien n'a jamais filtré, et personne dans la troupe des espions n'a jamais eu le droit d'accéder à ces trésors d'informations, ou alors les données ont été perdues. Il s'agit là pour Zahria donc d'une mine d'or, de quoi poser une magnifique pierre à l'édifice du Savoir des Anciens, ce carnet magique qui lui a été remis, et inscrire son nom dans l'histoire pour ses successeurs... Qui sait, si dans cent ou deux ans, ces informations ne sauveront pas des milliers de vies... Et voilà, ça y est, elle se met à réfléchir comme le Vieux.
Balayant ces idées de sa tête, elle sirote son cognac, observant la réaction du Capitaine de la Garde Royale avec son petit sourire félin sur les lèvres. Très bon, ce cognac.
Un sacré bureau, livré avec un passé chargé d'histoire, qu'Arthorias n'avait pas encore totalement exploré.
Il l'avait trouvé empoussiéré, de vieux carnets et de vieux livres un peu partout.
C'était un bureau ancien que le nouvel officier avait redécouvert alors que beaucoup l'avaient oublié.
Récemment, le Garde Moorhel avait choisi une pièce plus informelle, moins riche et plus adaptée à son vrai rang.
Un immense meuble en occupait le centre, le bois patiné accusant l'age vénérable de la pièce. A certains endroits, la fibre était détériorée, pile à l'endroit ou se serait posé une main.
Et des mains, il y en avait eu, de nombreuses. Parfois d'hommes, parfois de femmes, des nobles comme des roturiers. Rien que s'asseoir dans le fauteuil faisait parfois paraître la cape trop lourde pour ses épaules
Zahria ne savait rien de tout cela, bien sur, les noms étaient une chose, mais une confrérie liée par l'honneur avait été dirigée depuis plusieurs centaine d'année depuis ce lieu, des générations de soldats avaient eu leurs sorts décidés dans cette pièce. Une certaine lourdeur emplissait ce lieu, pour qui fréquentait le monde du devoir et de l'honneur.
Quand il fut mention des secrets de la garde et de sa caserne, l'officier se mit à rire.
-Les secrets de cette île et de la caserne ? Crois tu que nous somme des espions ?
-Ne me prend pas pour une idiote, ce bâtiment est même plus vieux que le palais.
-Tu sais ce que tu me demande au juste ?
-Evidemment, et comme tu en fais autant...
Soupirant, Arthorias se mit à réfléchir... Que pouvait il vraiment révéler ? Certaines archives n'avaient pas été ouvertes depuis des temps immémoriaux, et même les gardiens noirs ne savaient rien sur l'étendue des souterrains....
Qu'importe il y avait tant de choses....
-Tout les secrets, cela serait trop, et même moi, je n'en connais pas l'intégralité, mais je pense déjà savoir ce qui pourrait t'intérésser.
Suis moi.
Le cognac, si luxueux et bon soit il fut déposé sur le meuble et Arthorias enfila cette fois son armure, se glissant dedans dans un petit flash lumineux, ajustant sa cape et Pénitence dans son fourreau.
Certains lieux ne se visitaient pas n'importe comment, surtout quand ces derniers étaient plus vieux que l'officier.
Il tendit une cape à Zahria.
-Met ça, même moi, je ne peux rien contre des siècles de traditions.
Il n'était pas question de se couvrir le corps, mais mis à part le capitaine, tous devaient porter un vêtement noir en signe d'humilité, et il n'avait rien de mieux sous la main pour le moment.
-Je me doute que tout cela, tu le léguera à tes successeurs, et peut être un jour, cela pourra aider le royaume. Mais que cela reste entre les maîtres espions.
-Ne t'en fais donc pas.
Ils quittèrent le bureau, se dirigeant vers les étage inférieur de la tour, ou les gardes royaux se faisaient de plus en plus rare jusqu'à ce qu'une porte parmi tant d'autre soit ouverte, révélant une pièce en pierre gardée par deux prétoriens royaux, leurs haut cimiers dénonçant clairement leurs rang.
Deux fauchards furent pointés devant les intrus, puis rapidement relevés quand la stature du capitaine fut reconnue.
-Mon Capitaine ?
-Je viens trouver la sagesse de nos anciens, et parier sur un avenir salvateur.
-Je vois... Vous connaissez la procédure ?
L'officier tendit les mains autours desquelles furent enserrés des menottes anti-magie, et une question unique lui fut posée
-Qui êtes vous au fond de vous même ?
-Je ne saurais le dire
-Je vois... Vous vous portez garant pour votre invitée
-Sur mon titre et mon nom
Les deux soldats libérèrent l'officier de ses menottes, les passant quelques instant au maître espions avant de finalement les libérer et leur donner accès à une nouvelle pièce dénuée de toute décoration, si ce n'était un piédestal de pierre au centre de la pièce.
-Deux soldats pour une pièce vide, cela ne me parait pas
Le blond appuya sur le bouton sur le piédestal, déclenchant un bruit de raclement de pierre alors que la plate forme se mettait à descendre dans les profondeurs de l'ïle citadelle.
-Tu sais Zahria, nous n'avons pas été que les gardiens du palais, si nous sortons toujours aujourd'hui, il fut un temps ou nous étions bien plus nombreux.
Au bout d'un moment, la plate forme finit par arriver dans une grande pièce chichement éclairée, de petites lanternes à cristaux limitant les différentes entrée d'un réseau de tunnel qu'on ne devinait à peine.
Plusieurs petites lampes étaient déposées et Arthorias en prit une dans la main avant de l'allumer et la tendre au maître espion
-Chaque couloir mène quelque part une salle oubliée, une armurerie ancienne, qui peut vraiment le savoir ?
-Mon Capitaine ?
Une voix distante se fit entendre alors qu'une silhouette surgissait des sombres couloirs, vêtue d'une armure aussi noire que la nuit, seuls les sceaux gravés dessus prouvant son allégeance à la couronne.
-Bonjour frère noir, comment se passe la veille ?
-Comme toujours, les couloirs son calme, et l'ancien dors paisiblement.
-Je vois, pas de nouvelles depuis ma dernière visite ?
-Non son sommeil est calme
Hochant la tête, il fit signe à Zahria de continuer tachant de lui sourire.
-Nos anciens servent encore, les frères noirs patrouillent nos couloirs, et tachent d'en explorer les mystères
Il l'a embarquée, et Zahria prend des images mentales de tout ce qu'elle voit, pour pouvoir retranscrire ça au mieux à son retour dans son bureau. Pas sûr qu'il voit ça d'un bon oeil qu'elle sorte un carnet maintenant et se mette à prendre des notes avidement, donc elle préfère se taire et absorber avidement un maximum d'informations. Elle a l'impression de se retrouver, enfant, devant toutes les merveilles - et autres choses moins merveilleuses - qu'on pouvait lui montrer pour la première fois, quand elle ouvrait ces yeux énormes et qu'elle ne faisait que déborder de curiosité. Celle-ci est toujours présente, et une vraie motivation dans beaucoup de situation pour la métisse, mais elle a beaucoup moins l'occasion de découvrir des choses aussi énormes qu'elle ne connaisse pas déjà. Sans pour autant la blaser, ça la renvoie du coup d'autant plus en enfance dans ces moments-là.
Et Arthorias doit donc reconnaître en partie cette enfant qu'il a entraperçu au palais, il y a peu, le jour où Queen Milan et elle se sont faites empoisonner à la potion de jouvence. Cette gamine curieuse et avide d'en prendre plus. En plus discrète. Et moins problématique. Et plus grande. Enfin bref, vous avez compris l'idée. Elle comprend aussi que ce sont des lieux extrêmement symboliques où la mène Arthorias, donc elle garde le silence et la bouche bien close, malgré le nombre de fois où sa mâchoire semble prête à se décrocher d'étonnement ou d'émerveillement.
Apprendre qu'il existe une telle vie et de tels passages dans cette caserne, même si elle s'en doutait, est source de ravissement pour Zahria. Elle se demande qui, quoi, comment. Qui a conçu cet endroit ? A quoi servait-il à l'origine ? Comment les anciens ont-ils pu faire de telles choses, sans les moyens modernes ? Mais ses questions restent sans réponses, du moins pour l'instant, car elle se contente de suivre le capitaine aux longs cheveux dorés, se faisant toute menue pour ne pas déranger dans ces lieux sacrés de la Garde Royale. Mais quand ils arrivent dans ces sombres couloirs, seulement éclairés par les lampes qu'Arthorias a décroché des murs, et qu'il fait allusion aux frères noirs et à un ancien, Zahria ne peut s'empêcher d'enfin ouvrir la bouche. Elle attend que le "frère noir" soit loin, pour s'approcher de son ami, et chuchoter à son oreille.
« Tu m'expliques ces histoires de frère noir et ancien et couloirs sombres secrets et...
- Pas ici. Il vaut mieux garder le silence. Contente toi de regarder, et quand on retournera dans mon bureau je t'expliquerai tout. »
Elle acquiesce, compréhensive, et la visite reprend son cours. La Garde Royale a ce côté fascinant, plein de secrets et d'histoire, presque aussi mystérieuse que l'escouade des espions sur certains points. Mais ces derniers n'ont presque plus de part d'ombre pour la jeune femme, et découvrir ainsi toute une nouvelle facette sur ce régiment que tout le monde réduit à des hommes et femmes se pavanant en armure complète dans les couloirs d'un palais de toutes façons jamais en danger, ça la révolte et attise d'autant plus son respect pour eux. La Garde Royale, comme tout un chacun sur Aryon, n'est pas déméritante, et Zahria est sur le point de comprendre encore mieux à quel point...
Les couloirs se faisaient plus sombre à mesure du cheminement du petit groupe, les entrailles de la terre étant bien avare en son. Et seuls les claquements que faisait l'armure du capitaine donnait un peu de rythme à cette marche funèbre.
Une imposante couche de poussière stagnait sur le sol, et les traces des prédécesseurs semblaient former une couche plus fine par endroit.
Pour autant, le sol était usé, et la pierre polie par le passage des gens, signe que ces couloirs n'avaient pas toujours été le sépulcre d'une gloire passé.
Parfois, on entendait d'autre bruits de pas, ou un claquement dans l'obscurité, signe que la vie n'avait pas attendue les profondeurs de la citadelle de pierre.
Mais d'après les textes qu'avait lu l'officier, ils étaient bien loin de l'époque faste de l'armée royale.
Il finit par s'arrêter à un embranchement quelconque, se tournant pour lui confier à voix basse.
-Je sais que les archives royales sont vastes, mais le palais à brûlé à une époque
-Oui en 700 et ?
-Et bien... les nôtres elles sont encore intactes, vieille, mais toujours là, je vais réveiller l'ancien pour qu'il puisse nous montrer
-L'ancien ?
-Tu verra
Prenant à droite, ils finirent par arriver dans une antichambre qui s'élargissait largement, donnant sur deux grandes portes en bois sculptées de scènes oubliées.
Là, une petite maison avait été creusée à même la roche et Arthorias dut frapper plusieurs fois à la porte avant qu'un homme d'un certain age ne vienne leurs ouvrir
Sa longue barbe noire et son visage buriné en disait long sur son age, et malgré cela, il eut un grand rire en voyant les deux petits jeunes devant sa porte
-Le jeune Arthorias, bien longtemps que je ne t'ai pas vu ici ptit gars, et encore moins accompagné
-Allons l'Ancien, vous savez bien que je n'ai pas le loisir de venir tout le....
-J'le sais bien mon gars, tu veux avoir l'accès aux archives c'est ça ?
-Si vous le permettez
-C'est ta propriété en temps que Capitaine, je sers juste d'archiviste
L'homme avait une bonne forme, et sous le regard étonné de Zahria, l'officier se courba légèrement pour remercier le gardien des portes qui produisit une vieille clé en fer brut, qu'il enfonça dans une ouverture dans la paroi
-C'est le capitaine de la garde royale qui s'incline presque devant....
-Cet homme est notre Archiviste, c'est un également un ancien capitaine... bien des années avant ma nomination et même celle de celui avant moi. On l'appelait le Capitaine Pierre Grise, il doit frôler les soixante dix ans...
Une légende...
Mais avant qu'une parole de plus ne puisse être dite, d'antique mécanisme se mirent à tourner, faisant s'ouvrir les portes qui raclèrent sur le sol de pierre, crissant et grondant telle une bête mythique sortant du sommeil, révélant de grandes archives, plongées dans l'ombre.
Des dizaines et des dizaines d'étagères étaient là, croulant sous les volumes poussiéreux et les parchemins jaunis par le temps.
Des armes et des armures conservés pour la postérités étaient alignés proche de l'entrée, laissant deviner une évolution technologique progressive des armures de l'armée royale, et de ce qui était devenu la garde royale
-Les archives sont à toi petit gars et tache de faire en sorte que ton amie n'ébruite pas tout ce qu'elle à vue
Dit le vieil homme avant de s'en retourner à sa maison de pierre, laissant Zahria et Arthorias seuls dans l'immensité de la pièce.
-Voilà ce qui pourrait t’intéresser, les archives de ce qui à été l'armée royale, puis la garde royale, entreposé ici depuis la dynastie inconnue. Mille ans d'histoire, inaccessible aux gens extérieurs aux Prétorien
Les yeux de Zahria s'ouvrent en grand alors qu'ils pénètrent dans cette salle immense et obscure, où des documents précieux et uniques s'amoncellent de toutes parts, certains certainement aussi vieux que le bâtiment dans lequel ils se trouvent. Préservés de la lumière, des mites et des rats par le temps et le soin fourni par les Prétoriens et leur Ancien, ces écrits constituent aux yeux de Zahria un joyau plus précieux encore que les bijoux de la Reine. Elle s'approche, fait quelques pas dans ce temple de la connaissance, en imaginant la réaction qu'aurait Luz si elle pouvait voir ça. Certainement la même que la sienne, d'ailleurs. Elle feuillette quelques livres, déroule deux ou trois parchemins, sous le sourire attendri d'Arthorias, sans vouloir trop en faire. Puis elle revient vers lui d'un pas décidé.
« Bon, qu'est-ce que je dois faire ?
- Comment ?
- Qu'est-ce que tu veux ?
- De quoi tu parles ?
- Comment je négocie avec toi l'accès illimité à cet endroit ? »
Il éclate de rire puis fait un signe de négation de la tête.
« Tu ne peux pas, je te l'ai dit, c'est réservé aux Prétoriens.
- Arthorias, je suis le Maître-Espion.
- Et bien tout Maître-Espion que tu sois, si tu veux accéder à cet endroit, ce ne sera que sous ma vigilance. »
Elle soupire. Néanmoins, ça constitue une petite victoire pour elle. Il n'a pas dit qu'elle n'aurait pas le droit de revenir.
« Donc si j'ai besoin d'informations, je peux te faire une demande pour venir ici, on est d'accord ?
- Tu peux. Je l'étudierai et te donnerai une réponse sous trois lunes. »
Il a un sourire taquin qu'elle ne lui connaissait pas jusque là. Arthorias est donc capable de faire preuve d'humour ! Elle sourit à son tour, s'approche de lui, féline.
« Tu sais, j'ai des passes-droits pour pas mal d'endroits... Je connais beaucoup de gens... Les rumeurs ne peuvent pas être complètement infondées à ton sujet, si tu manques un jour de "matériel" parmi tes recrues, je peux t'aider à trouver... il faut s'entraider, si tu vois ce que je veux dire ! »
Sensuelle, elle fait encore un pas vers lui, avant de briser la bulle d'un petit rire amusé. Elle sait qu'elle finira par obtenir plus qu'un "droit de visite surveillé". Il doit le savoir aussi, quelque part. Mais pour leur amitié, et l'équilibre des forces, il faut laisser cette manche gagnée par le Capitaine. Après tout, rien que de savoir que cette pièce existe est déjà une belle rémunération pour les cours que Zahria devra certainement dispenser à Arthorias.
Ils restent encore quelques minutes sur place, où elle essaye d'emmagasiner un maximum d'informations, qu'il lui faudra retranscrire dans le Savoir des Anciens le soir même. Puis elle finit par revenir vers son ami, tous sourires.
« On peut repartir, si tu veux. Tu dois avoir des choses à faire et moi aussi. Je sais que si je me lâche, je suis capable de passer la nuit ici, et certainement celle d'après aussi. Tu as peut-être des obligations, ou quelqu'un à retrouver, de ton côté... »
Elle se laisse donc guider par Arthorias, essayant de mémoriser les chemins pris, les couloirs, les détours. Elle a l'impression qu'ils ne passent pas par le même chemin qu'à l'aller, ceci dit. A-t-il autre chose d'encore plus extraordinaire à lui montrer, ou essaye-t-il juste de la perdre ?
Le savoir était le péché de tout espion, et si la Garde Royale ne se voulait pas le gardien jaloux de cette connaissance, la laisser ainsi entre les mains de n'importe qui ne serait pas non plus une idée fantastique.
Lui même n'en parcourait pas tout les volumes fréquemment, mais il lui était parfois arrivé de sortir de ces archives en claquant violemment la couverture d'un volume avant d'en sortir avec un air sombre. Ainsi, quand la jeune femme parla de repartir, il acquiesça avant de feuilleter un des ouvrages posé sur une table.
-Oui tu as raison, et si je n'ai pas du travail par dessus la tête, il va falloir surement rendre des comptes pour ce que j'ai fait aujourd'hui. Nul ne pénètre ici sans que des yeux sévères ne les voient, pense y si tu veux envoyer des gens à toi ici
Dit il avec un sourire avant de rebrousser chemin.
Il doutait que la maître espion tente quoi que ce soit, elle savait parfaitement que ce qu'elle avait vu ici ne serait accessible que si le contrat était respecté, tout comme Arthorias ferait de même avec le sien.
Tout ce qu'il apprendrais finirait sans doute sur une des étagères, stockée au cas ou la Garde Royale en ai besoin un jour.
Une ouverture certes, mais à double tranchant.
Le commandant avait fait cela à dessin, l'officier se le tenait pour acquis.
Quittant les ténèbres des archives, il la fit remonter par le même couloir, bien que cette fois, ce fut sous la surveillance d'une nouvelle silhouette qui les suivait de loin.
Les anciens de la royale veillaient sur leurs secrets tout comme ceux du dehors veillaient sur la famille royale.
-Il va nous suivre longtemps ?
-Aussi longtemps qu'il le jugera nécessaire, je crains que la confiance des vétérans soit une denrée rare et difficile à obtenir, et je ne peux les en blâmer, ces souterrains font l'objet de rumeurs et si nombre de ces derniers les font taire, l'histoire à notée quelques curieux qui ne sont jamais aller très loin
-Ici même ?
-Non dans la caserne déjà, l'île est une forteresse en elle même, on n'y rentre pas comme dans un moulin, bien que j'aimerai avoir un dôme anti magie ici aussi. Mais ce n'est pas moi qui peut imposer cela
Remontant à la surface, le duo fut frappé par l'air frai et vif de l'extérieur alors qu'ils regagnaient le centre de la caserne, le soleil brillait encore et faisait légèrement mal aux yeux en contraste avec les ténèbres d'en bas
Observant son ami, il finit par retirer son casque pour prendre un bol d'air pur avant de dire.
-Voilà qui scelle un pacte je suppose ? Je ne saurais te donner un accès limité aux archives, mais en cas de besoin je promet de faire moins que trois lunes... disons deux !
Plus sérieusement... Merci de m'avoir tiré de là Zahria, le commandement n'est pas une chose aisée comme tu le sais...
En tout cas... Porte toi bien, et à très bientôt je l'espère
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