L'aube venait de transpercer de ses rayons la petite fenêtre de la chambre dans laquelle Elia dormait, l'arrachant au sommeil dans un grognement revêche. Chambre était toutefois un bien grand mot, il s'agissait d'une pièce minuscule, située sous le toit de la taverne dans laquelle sa mère et son frère Luth travaillaient. Elle avait le droit d'y séjourner quand elle le désirait, du moment qu'elle ne faisait pas le moindre bruit pour ne pas déranger les clients. La jeune fille s'étira en prenant garde à ne pas se cogner la tête contre les épaisses lattes du plafond bien trop bas, même pour elle. Retenant un énième bâillement, elle descendit par la trappe, après avoir vérifié que la voie était libre, et sauta pour se retrouver au milieu du couloir de l'étage. Elle ferma la trappe derrière elle, faisant disparaître toute trace de sa présence à des potentiels curieux, et descendit à la cuisine pour chiper quelque chose à manger. Un bout de pain à la main, elle quitta la taverne en saluant son frère, qui était déjà au fourneau pour préparer le petit déjeuner des clients matinaux.

Elia n'avait pas vraiment une vie de rêve, mais elle ne se plaignait pas souvent. Elle aurait certes préféré que les choses en soient autrement, de bien des façons, mais quitte à avoir cette vie, autant essayer d'en profiter ! La jeune fille avala sa maigre pitance, considérant qu'il allait lui falloir quelque chose de plus juteux si elle voulait tenir jusqu'au soir. Elle avait dans sa poche quelques carrés de sucre, qu'elle utilisait pour amadouer les chevaux du palefrenier de la rue voisine, mais c'était loin d'être à son goût. Il ne lui restait plus un sous, elle avait dépensé le dernier la veille pour une tourte aux asperges, dont la texture lui avait indiqué qu'elle datait sans doute de plusieurs jours. Ce n'était pas le genre de détail qui arrêtait un estomac vide cependant. Mais pour aujourd'hui, elle voulait un peu plus de qualité, et de consistance. Elle avait faim, et de la viande ne serait pas de trop ! Il allait donc falloir ruser, sans doute chaparder, mais n'était-ce pas là la spécialité de la jeune fille ?

La fillette descendit avec énergie vers la place commerçante, déterminée à dénicher quelques bourgeois guère attentifs à plumer. Elle se glissa sur un muret, pour avoir une vue d'ensemble, et plissa les yeux. Il était tôt, il y avait du monde mais l'endroit n'était pas bondé non plus. Elle repéra deux gardes, l'un à moitié endormi sur sa lance, et l'autre en train de faire les yeux doux à une poissonnière charnue, qui ne semblait que bien peu sensible à ses avances. Elia continua de balayer la place des yeux, et son regard s'immobilisa enfin sur quelque chose qui sortait réellement de l'ordinaire. Pour une gamine qui n'avait jamais quitté la place, elle avait déjà vue des créatures étonnantes, mais c'était bien la première fois qu'elle avisait celle-ci. Elle ignorait le nom de cet animal, mais son long corps massif, son pelage qui paraissait à la fois doux et rugueux, et son museau adorable, tout était excessivement attirant chez cette bête. Et la demoiselle était sûre que ce genre de créature se revendrait extrêmement bien, si elle parvenait à mettre la main dessus.

La voleuse en herbe quitta son perchoir, et s'approcha du monstre. Une femme l'accompagnait, entre vingt et trente ans très certainement, plutôt grande, avec une curieuse chevelure noire et blanche, étonnante pour son jeune âge. La propriétaire de l'animal géant semblait en grande discussion avec une vendeuse de bijoux, et si Elia était trop loin pour capter leur conversation, il lui semblait clair que l'une des deux jouait de ses charmes. La fillette se cacha derrière un chariot sans surveillance, et avisa la créature, qui se trouvait à quelques enjambées de là. Elle sortit les sucres de sa poche, et les tendit vers le monstre. Si ce dernier ne sembla pas immédiatement intrigué, il sembla sentir l'odeur de la nourriture, et tourna la tête vers la gamine, interloqué. Elia sourit, et approcha davantage sa main. La bête s'approcha, visiblement curieuse, et alors qu'elle se trouvait presque à portée de main, une ombre se posta devant la jeune fille, qui sursauta et tomba à la renverse.

-  Foutre d'âne mais que... pesta-t-elle en se redressant. Elle se figea en voyant que la femme, la propriétaire de l'animal, se tenait devant elle. Un sourire gêné se dessina sur ses traits. Héhéhé... Zut.

Voilà qu'elle se trouvait dans de beaux draps ! Encore temps pour prendre la fuite ?

Contre toute attente, la propriétaire du monstre ne semblait pas spécialement en colère. Si son expression avait d'abord paru sévère, un sourire presque amusé se dessina sur ses traits, tandiq qu'elle posait la main sur son étonnante monture. Une jolie jeune fille ? Elle parlait d'elle là ? Personne n'avait jamais utilisé ce terme pour décrire Elia, même les vieux libidineux qui tentaient parfois de s'approcher d'elle. Avec sa tignasse rousse en désordre, la crasse sous ses ongles et les torchons qui lui servaient de vêtement, la demoiselle pouvait difficilement passer pour une élégante bourgeoise, voilà qui était sûr. Heureusement qu'elle avait toute ses dents, et dans un état correct. Sa plus grande fierté !

La fillette n'était cependant pas au bout de ses surprises, et une expression de stupeur apparu sur son visage lorsque l'animal parla. Certes, elle aurait pu se douter qu'une telle créature était dotée de davantage d'intelligence que les vulgaires chevaux qu'elle voyait souvent en ville, mais tout de même, c'était assez hors du commun ! Et allant d'étonnement en étonnement, Elia resta figée et silencieuse lorsque son interlocutrice lui mit une pâtisserie dans les mains, dont l'odeur alléchante provoquant un bruyant gargouillement dans son estomac, la faisant rougir jusqu'aux oreilles. Sans comprendre, la gamine posa les yeux sur la brioche, puis releva la tête vers la femme à la chevelure bicolore, sans dire un mot. Carciphona ? Ce n'était pas un nom de gueux ça ! Et le monstre - une loutre donc, ou bien était-ce outre ? - avait même un nom. Quelle drôle de journée.

Finalement, on lui demanda son nom, et elle réalisa qu'elle avait gardé le silence tout ce temps. Sans réfléchir, elle enfourna la brioche toute entière dans sa bouche, mâcha avidement, surprise par le goût, presque émue.

- Elia M'dame, répondit-elle en se léchant les doigts. Merci et euh désolée, M'dame. J'voulais pas faire de mal à votre Outre, j'en avais juste jamais vu et je voulais la voir de plus près.

Mieux valait ne pas préciser que son plan initial consistait à voler la créature pour la revendre à quelques mercenaires louches, pour pouvoir s'acheter à manger. Qui avait besoin de savoir ça de toute manière ?

- Vous êtes Aventurière du coup ? demanda-t-elle innocemment.

Les aventuriers devaient amasser un certain butin, à force de périple fructueux, non ? Cette Carciphona, elle avait de quoi s'acheter des bijoux, des brioches, et même une Outre ! Elle devait être richissime. Il y avait peut-être quelque chose à tirer de cette rencontre, après tout...

Encore une fois, la réaction de la femme étonna Elia. Elle ne sembla pas particulièrement horrifié de la voir se jeter sur la brioche comme un chien pendant la curée. Presque... Compatissante ? Voilà un mot qui lui était bien inconnu. La pitié, mélangé au mépris, oui c'était assez clair dans son esprit, mais la bienveillance ? Jamais entendu parler. Carciphona commenta ensuite son nom, et lui mélangea les pinceaux avec cette histoire d'outre et de loutre. Elle cligna des yeux sans vraiment saisir, ne parvenant pas à savoir si le monstre qu'elle avait en face d'elle allait finir en sac ou non, mais hocha la tête malgré tout. La créature, loutre donc apparemment, continuait de parler, provoquant un mélange de surprise et d'émerveillement chez la demoiselle. Elle aurait bien voulu avoir une sorte d'animal comme ça, pour discuter, et avoir un peu de compagnie.

Ce n'était cependant pas le moment de rêver à des choses impossibles. Une bête comme ça devait coûter une fortune, des centaines de cristaux sans doute, une somme que jamais Elia ne pourrait espérer obtenir. Son interlocutrice lui répondit alors, confirmant ce qu'elle pensait. Oui, une aventurière évidemment. Cela expliquait sa fortune. La jeune fille ouvrit de grands yeux, lorsque Carciphona poursuivit, et balbutia :

- Dans la Guilde, moi ? C'est euh... Impossible non ?

Elle n'y connaissait pas grand chose, mais elle n'avait sans doute pas les pré-requis pour rejoindre ce regroupement d'aventuriers. Elle n'était qu'une petite voleuse des rues, sans aucun autre talent que celui de savoir chiper les bourses, et même son pouvoir ne servait qu'à prendre la fuite. Mais voilà que sans attendre, son interlocutrice l'entraînait dans une échoppe, prétendant avoir besoin de son aide. Elia se laissa faire, sa curiosité piquée. Et puis, juste une brioche, ce n'était pas très concluant pour la journée, elle devait pouvoir tirer profit de cette rencontre. Une part d'elle admettait que la proposition que Carciphona venait de lui faire avait piqué son intérêt, mais le reconnaître aurait été trop humiliant. Une gosse des rues comme elle ne devait pas s'autoriser l'espoir d'une vie différente.

Elle ouvrit de grands yeux devant le gros sac rempli de pâtisseries que lui tendait la femme aux cheveux bicolores, incapable de réaliser qu'il puisse s'agir d'un cadeau. Pourquoi ? Pourquoi lui donner à manger ? Elle venait de tenter de voler sa loutre, et avait toujours en tête de lui faire les poches ! Bon, cela elle l'ignorait évidemment, mais elle devait bien s'en douter. Non ? N'avait-elle jamais vu de pick pocket ?

- M... Merci mais euh... J'sais pas trop quoi vous dire M'dame. Mon rêve ?

Elle ne s'était jamais vraiment posée la question. Avait-elle un but ? Une aspiration dans sa vie ? Elle vivait au jour le jour, sans penser au lendemain. La fillette baissa les yeux, un peu honteuse. Elle n'avait pas de rêve. Elle voulait juste avoir de quoi manger et un toit sur la tête. Elle se redressa, se rappelant une de ses pensées, l'instant d'avant.

- Ah euh j'imagine que ce serait bien d'avoir un ami. Pour m'aider, avoir un peu de compagnie. Comme K’awil pour vous. Je préférerai un dragon géant je crois ! Personne n'irait m'embêter si j'avais un dragon géant !

Elia eu un petit rire, songeant qu'en effet, sa vie serait bien différente si elle était accompagnée d'une telle créature. Bon, tout ceci était incroyablement ridicule, mais cela faisait longtemps qu'elle n'était pas plaisanté avec sincérité avec quelqu'un.

L'interrogation immédiate de Carciphona fit simplement hausser les épaules de la fillette. Des amis de son quartier ? Depuis que sa bande s'était dissoute, avec la mort de deux de ses frères, Elia avait globalement évité de tisser tout lien. Les gosses des rues se regroupaient souvent pour avoir plus de chance de survivre, mais la rouquine ne voulait pas prendre le risque d'être déçue, de perdre à nouveau quelqu'un de cher. Etre seule était certes plus difficile, mais au moins elle n'avait qu'elle  gérer, qu'elle sur qui compter, et cela lui allait très bien. Enfin, c'était ainsi qu'elle se rassurait en tous cas.

Son interlocutrice lui parla ensuite des dragons, évoqua celui qu'une amie possédait, faisant ouvrir de grands yeux à la fillette. Adopter un dragon était donc possible ? Voilà qui était incroyable ! Et Carciphona était même déjà aller en chercher un ? Encore plus incroyable ! Pour Elia, qui peinait déjà à avoir à manger quotidiennement, l'idée d'avoir une créature magique à ses côtés paraissait tout à fait invraisemblable. L'envisager sérieusement était bien impossible, mais il n'y avait pas de mal à rêve un peu, non ?

- Ils sont forts les Drarbustre ? On peut être petit et puissant après tout !

La femme aux cheveux bicolores lui reparla ensuite de la guilde, ce qui fit une fois de plus naître des sentiments contraire chez la fillette. Une part d'elle voulait bien croire qu'elle avait ses chances d'entrer dans la Guilde, un jour, mais l'autre, réaliste, lui soufflait que ce rêve était inaccessible pour elle. Une gamine sans talent, vivant dans la rue... Qu'aurait-elle bien à proposer aux vrais aventuriers ? Elle serait immédiatement mal vue, dès lors qu'ils connaîtraient son passé de voleuse. Il valait mieux rester à sa place.

- Oui j'y penserai, dit-elle d'une petite voix, les yeux s'égarant au sol.

Carciphona, qui s'était approchée d'un autre stand, lui mit alors une petite statuette entre les mains; Une figurine du dragon dont elle lui avait parlé toute à l'heure. Elia ouvrit de grands yeux en contemplant l'objet. Le dragon miniature semblait avoir du ramage sur sa tête et sur ses ailes, et son regard fier plaisait à la fillette. Une créature vraiment magnifique, voilà qui ne faisait aucun doute. La rouquine releva la tête vers son interlocutrice, sans comprendre. D'abord de la nourriture, puis cette statuette... Mais cela n'avait aucun sens !

- Pourquoi vous m'offrez tout ça ? Je n'ai...

Elle n'eu pas le temps de finir sa phrase, que des bras puissants la soulevaient, et la posaient sur la selle de la loutre-monture. Elia sentit tout l'air contenu dans ses poumons, et s'agrippa de toutes ses forces là où elle trouvait une prise. Et avant qu'elle ne puisse poser la moindre question, Carci fit signe à la créature de démarrer, ce qu'elle s'empressa de faire. La rouquine poussa un cri de surprise, refermant sa prise, et se força à garder les yeux ouverts. La démarche rapide et brusque de K'awill lui donnait presque envie de vomir, mais elle devait reconnaître que c'était sans doute la chose la plus incroyable qu'elle ait fait de sa vie. Un immense sourire se dessina sur ses traits, tandis que la bête faisait le tour de la place; au pas de course, la ballottant dans tous les sens au passage. Aurait-elle un jour l'occasion d'avoir sa propre monture ? Il y avait peu de chance, mais si cela arrivait, elle pourrait dire qu'elle était déjà montée sur une loutre.

K'awill revint finalement vers sa maîtresse, et Elia se laissa descendre au sol, les jambes un peu tremblante, une expression ravie sur son visage.

- Wouah, c'était... C'était fou ! Merci M'dame, et merci K'awill. Elle tapota sur la tête de l'animal. Tu es drôlement forte ! Elle se tourna ensuite vers Carciphona. Ca fait longtemps que vous l'avez ? Vous l'avez eu comment ? Ca coûte cher ?

Elia était un peu gênée de parler de la loutre comme d'une simple marchandise, et elle espérait que cette dernière n'en prendrait pas ombrage. Après tout, elle avait l'air plus intelligente que les chevaux qu'elle avait déjà vu, et elle pouvait même parler ! Ce n'était pas un animal ordinaire.

Oubliant complètement ses desseins de voleuse, Elia écouta avec attention le récit de son interlocutrice. Elle n'avait pas songé à tout l'équipement qui accompagnait une monture, de la selle en passant par les diverses sangles et sac que l'on pouvait y accrocher. Pour les longs voyages, cela devait être bien pratique ! Enfin ce n'était pas comme si la rouquine avait eu l'intention de partir de la capitale, cela ne lui serait pas vraiment d'une grande utilité. Mais pour une aventurière comme celle qu'elle avait en face d'elle, cela devait faire la différence ! La rouquine avait envie de la questionner sur ses voyages, elle devait avoir de sacrés histoires à raconter ! Mais elle ne voulait pas montrer trop d'intérêt, de peur de passer pour une gamine ignorante. Elle fut surprise d'apprendre qu'en plus de savoir parler, K'awill était aussi télépathe. Voilà qui était un don drôlement utile pour communiquer discrètement ! Si un jour elle parvenait à obtenir un familier, il devrait savoir faire cela également.

Le lien entre la créature et sa maîtresse était touchant, la fillette devait bien le reconnaître. Elle eu un sourire lorsque Carciphona lui ébouriffa la tignasse en l’exhortant de l'appeler par son prénom. Ce n'était pas évident, Elia n'était pas spécialement habituée à faire des familiarités avec les gens qu'elle prévoyait de détrousser ! Enfin... Avait-elle réellement encore l'intention de faire les poches de qui que ce soit aujourd'hui ? Elle avait obtenu un gros sac de friandises, et une figurine de dragon, c'était bien assez. Même si elle était une petite hors la loi, Elia n'était pas ingrate pour autant. Perdue dans ses pensées, elle poussa un cri de surprise en voyant la loutre disparaître sous ses yeux, suivit par la femme aux cheveux bicolores. Elle cru d'abord que l'humaine et sa monture s'étaient volatilisés, puis, réalisant son erreur, s'écria :

- Vous pouvez vous rendre invisible ! C'est votre pouvoir ? Et K'awill a le même ? C'est drôlement pratique !

Une pointe d'envie était perceptible dans sa voix. En effet, plus jeune, elle avait souvent rêvé d'avoir un don plus utile que le sien, et se rendre invisible avait fait parti de ses fantasmes. Elle avait renoncé à jalouser les autres depuis longtemps cependant, trouvant finalement son propre pouvoir plutôt sympathique, et en accord avec son gagne-pain.

- Moi je peux me transformer en lézard. C'est moins impressionnant, mais c'est bien utile pour se sortir de situation ennuyeuses !

Elle se garda bien d'ajouter qu'elle se servait notamment pour éviter la garde, ou les personnes qu'elle venait de détrousser. Une fois son interlocutrice de nouveau visible, Elia se mordit la lèvre, hésitante. Elle finit par lui demander :

- Dites M'd... Carci. Vous, enfin tu peux me dire ce que tu fais pour la Guilde ? Une aventure épique ! Tu dois en avoir des tas à raconter !

Elle espérait ne pas passer pour une gamine réclamant une histoire avant de dormir - elle avait 14 ans tout de même elle n'était plus une enfant ! - mais elle était plus que curieuse d'entendre les récits de son interlocutrice, et de son ami la loutre.

Les paroles de l'aventurière étaient plutôt sage en vérité, et Elia avait heureusement comprit que son pouvoir lui offrait certains avantages, en grandissant, et avait cessé de le voir comme un handicape. Quant à la partie maximiser... La rouquine était loin d'avoir assez d'argent pour s'offrir ce genre d'enchantement, mais elle espérait un jour pouvoir améliorer son don de façon significative. Ce n'était cependant pas à l'ordre du jour. Elle prêta une oreille attentive lorsque Carciphona évoqua ses périlleuses aventures, soudain grandement intéressée. Comme elle s'y était attendue, son interlocutrice avait de la bouteille, et semblait avoir affronté de sacrés dangers. des combats épiques contre des monstres, des enquêtes, de l'explorations... Pour une adolescente qui n'avait toujours connu que les hautes murailles de la capitale, tout cela paraissait bien incroyable.

L'intervention du sculpteur auprès duquel la femme aux cheveux bicolore avait acheté la statuette de dragon amusa la rouquine. Ils semblaient bien se connaître, ces deux là, et partager une complicité dont elle pouvait presque être jalouse. Elia était seule depuis longtemps maintenant, et même si elle voyait régulièrement son frère Luth, ils n'étaient plus liés comme autrefois. Bientôt elle cesserait complètement de lui rendre visite, et il finirait par oublier qu'il avait un jour eu une sœur. L'adolescente ria cependant de bon cœur devant leur chamaillerie.

- Heureusement que vous m'avez mis en garde, pour peu j'aurai cru que Carci était vraiment une grande héroïne de légende ! lança-t-elle avec amusement.

En vérité, la rouquine n'en doutait pas un seul instant. Elle ne sentait étonnamment pas intimidée, comme elle aurait du l'être, mais plutôt en confiance. Son interlocutrice était douée pour mettre les gens à l'aise, cela se sentait.

La seconde suivante, Elia était de nouveau sur le dos de la loutre géante, à sa grande surprise, en route pour de nouvelles aventures. La fillette resta d'abord sans voix devant la question de Carciphona, ignorant quoi répondre. Elle ouvrit finalement la bouche, une idée en tête. Il y avait bien un endroit qu'elle avait souvent rêvé de voir, sans oser s'y rendre d'elle-même.

- Est-ce que... Est-ce qu'on peut aller en haut des fortifications ? J'aimerai bien voir l'extérieur de la capitale, une fois.

Que trouvait-on en dehors des murailles ? La rouquine avait très envie de le découvrir.

La demande de la fillette lui paru, bien vite après l'avoir formulé, assez irréalisable. C'était le caprice d'une gamine n'ayant jamais pu lever les yeux trop haut, elle en avait conscience, mais cela valait la peine de poser la question. Carciphona sembla réfléchir un instant, puis fut visiblement traversé d'une idée. La rouquine toujours sur le dos de la loutre géante, elles se mirent en route à vive allure, vers une destination inconnue. Elia s'agrippait dans le dos de sa bienfaitrice du jour, impressionnée par la vitesse de course de l'animal. Comment faisait-il pour ne percuter personne au milieu des rues ? L'adolescente regardait autour d'elle pour se repérer, et comprit qu'ils allaient vers le Nord de la capitale. Carci semblait savoir ce qu'elle faisait, mais la fillette des rues n'était pas pleinement confiante. Allait-elle vraiment pouvoir monter tout en haut ? Ce privilège était sans doute réservé aux gardes, aux soldats chargés de la sécurité de la ville. Pas vraiment des amis à elle, donc.

Elles arrivèrent assez rapidement devant un vaste escalier, qui menait sans doute au sommet des fortifications, et dont la porte était surveillé par deux gardes que Carciphona semblait connaître. Après un rapide échange avec eux, les deux femmes furent autorisé à monter, toujours portée par la loutre. Un peu sonnée, et ne comprenant pas réellement ce qu'il se passait, Elia se laissa ballotter jusqu'en haut. Une fois en haut, le coeur battant à tout rompre, elle retint sa respiration tout en regardant autour d'elle. L'aventurière l'aida à descendre de la monture, lui laissant tout le loisir d'admirer la vue. Les secondes s'écoulèrent, et la rouquine resta sans voix. D'un côté, elle pouvait observer toute la capitale, tous les bâtiments, d'une façon inédite. Et de l'autre, elle pouvait voir des champs, des vastes prairies, mais aussi des forêts, des villages... Et tout là bas, au loin, la mer.

- Wouah... C'est vraiment incroyable. Murmura-t-elle lorsqu'elle eu retrouvé son souffle. Je... Merci. De m'avoir emmené ici.

Carciphona lui indiqua le bâtiment de la guilde, ce qui fit sourire Elia. Son interlocutrice pensait-elle vraiment qu'elle était capable de devenir une aventurière ? Pour elle, c'était quasiment mission impossible. Elle pouvait cependant rêver, après tout ? Dans deux ans, qui pouvait prédire où elle serait ? Peut-être pourrait-elle postuler et tenter d'entrer dans la Guilde à son tour ? Si elle n'avait pas rejoint un groupe de hors la loi d'ici là évidemment.

- C'est formidable. J'espère que je pourrai voir l'intérieur de ce bâtiment, un jour. Déclara-t-elle avec sincérité.

Son regard se porta finalement sur le Palais, une bâtisse immense, disait-on protégée par un puissant sort magique. Voilà bien un lieu où elle n'avait aucune chance de jamais mettre les pieds ! La rouquine se tourna vers l'aventurière pour lui demander :

- Tu es déjà entré dans le Palais Royal ? Ça doit être quelque chose là dedans !

L'aventurière avait peut-être déjà accompli une mission pour la famille royale, après tout. L'adolescente était toujours curieuse d'entendre ces récits, elle semblait savoir tant de choses ! Par rapport à elle qui ne connaissait rien du monde, Carciphona avait tant voyagé, tant découvert... Elle ne pouvait que l'admirer, et l'envier un peu, d'une certaine manière.

La réponse de Carciphona déçut légèrement la rouquine, qui avait espéré en apprendre davantage sur l'intérieur du palais. Pour une gamine comme elle, qui n'avait rien de plus que son baluchon sur l'épaule, imaginer un lieu si riche, si faste était presque impossible. Elle écouta les paroles de l'aventurière, enviant la simplicité et les joies de son existence. Travailler pour la guilde garantissait un revenu, la possibilité de se faire des amis, de vivre des péripéties incroyables, d'être soutenu aussi, d'une certaine manière. Certes, elle lui avait laissé entendre qu'elle pourrait elle aussi avoir droit à une telle destiné, mais Elia n'y croyait pas vraiment. Elle regardait de ses yeux la ville qui s'étendait devant elle, le bâtiment de la guilde, le palais royal, la place du marché, et tout cela lui semblait appartenir à un autre monde.

L'adolescente sursauta et fut tirée de sa rêverie en entendant un pot se briser. Carciphona était visiblement plutôt maladroite, c'était le deuxième objet qu'elle brisait aujourd'hui ! Elia retint une remarque, ne voulant pas s'attirer les foudres de l'aventurière alors qu'elles se trouvaient encore en zone interdite. Cette dernière lui signala qu'il était par ailleurs temps de se dire au-revoir, à sa grande déception. Elle sortit de son sac un curieux petit sucre et lui tendit. Plein de curiosité, la rouquine le rangea soigneusement dans sa sacoche, songeant qu'elle ne manquerait pas de s'en servir à l'occasion.

- Merci. Encore. Elle eu un sourire.

C'était bien la première fois que la jeune fille recevait autant de cadeaux en une journée ! Sans perdre de temps, car cela faisait plusieurs minutes qu'elles profitaient de la vue, les deux humaines et la loutre géantes descendirent des fortifications pour retrouver le sol dallé des rues de la capitale. Tenant à bout de bras son sac de friandise, dans lequel se trouvait à présent la figurine de dragon que Carci lui avait offert, ainsi que le sucre magique, Elia regretta de ne pas avoir de cartable ou une mallette pour transporter tout ça.

- Euh eh bien... Je vais te ficher la paix du coup. Lança-t-elle, un peu gênée. Merci, vraiment, pour tout... Pour tout ça. Peut-être qu'un jour je rejoindrai la Guilde, s'ils veulent bien de moi !

Elle n'avait pas réellement d'espoir sur ce sujet, mais en le disant à voix haute, cela semblait presque réalisable. Et malgré tout, malgré sa situation, cette journée avait été une des plus incroyable depuis bien longtemps. Cela faisait des années qu'elle n'avait pas sourit comme ça, sans avoir à se soucier de rien. Et juste pour cela, elle pouvait remercier Carciphona.