Ruisselante de pluie et couverte de boue, Cobby avançait laborieusement dans la petite foret qui isolait Manillam de la plaine. Malgré l’épais feuillage des bois, l’eau parvenait vicieusement à s’insérer sous chaque morceau de tissus qui couvrait son poil fin. Pourtant, la vaillante jument grise ne se démoralisait pas ! Les muscles tendus par un effort trop longtemps prolongé, elle continuait d’avancer, un sabot après l’autre.

Sur son dos, Leoven n’avait pas plus fière allure. Lorsque le déluge s’était abattu sur Aryon, elle avait rabattu bien vivement sa capuche sur son épaisse tignasse flamboyante. Mais rien n’y avait fait, la pluie lui avait ri au nez tant et si bien que la rouquine avait décidé de laisser sa belle chevelure à l’air libre, quitte à se transformer en serpillère rousse…

La jeune femme s’arrêta une énième fois pour déplier sa carte qui tenait plus du torchon trempé qu’autre chose. L’encre avait coulé par endroit au point qu’elle ne parvenait plus à se repérer avec. Il lui était impossible de deviner où elle s’était encore perdue et elle n’avait pas emporté suffisamment d’affaires pour passer la nuit dehors en toute sécurité. Elle devait absolument trouver Manillam, un village, ou quatre planches de bois, pour se mettre à l’abris. Pas question de devoir, à nouveau, se battre contre un iguanard pilleurs ou autre immondice peuplant ces bois !

Solveig, la prochaine fois que tu m’envoies chercher à bouffer pour ton stupide teishibas – et Lucy sait combien je HAIS ces bestioles – je te promets que tu iras cavaler toi-même dans la foret ! Cristaux ou pas, je ne ferais plus jamais de courses à ta place !

Furibonde, l’impulsive perdit définitivement patience en repérant une nouvelle fois le même tronc qu’elle avait pris la peine de marquer. Furieuse, elle céda à la colère et ses griffes lacérèrent la carte en un joyeux tas de confettis. Cobby renâcla d’un air offusqué, elle n’avait jamais apprécié le pouvoir dévastateur de sa maitresse…

« Oh ça va hein ! J’en ai assez de toute cette flotte, on m’avait dit que la saison chaude arrivait… Et puis tu fais rien pour m’aider toi aussi ! »

Agacée de tourner en rond, l’adolescente décida de mettre pied à terre mais en descendant de cheval, elle tomba à pied joint dans une magnifique flaque boueuse. Fantastique… Au summum de sa fureur, elle ne put retenir un magnifique :

« PUTAIN ! »

Mais elle fut chanceuse dans sa malchance : du bas de son cheval, elle pouvait distinguer au loin quelques lumières. Des lumières ?! De la vie !! Son énergie retrouvée, elle bondit presque de joie en direction du village, trainant Cobby derrière elle. Plusieurs portes étaient fermées, mais à force de volonté, Leoven trouva enfin une auberge ! Elle approcha sa jument de la barre d’attache qui était bien heureusement abritée et constata qu’un grand nombre de montures en tout genre étaient rassemblées ici. Eh ben… La clientèle ne manquait pas ! Avec quelques difficultés, mais sans perdre son enthousiasme d’avoir enfin trouvé un abris, l’adolescente dessella sa jument et l’embrassa avec gratitude sur le museau avant de rentrer d’un pas guilleret dans l’auberge.

Elle se stoppa net devant la foule qui encombrait les lieux puis se fit percuter par une masse bien plus imposante qu’elle. Surprise, elle se retourna en se concentrant bien sur son pouvoir. Laisser ses griffes lui échapper dans une foule pareille serait un vrai carnage ! Elle prit une tête de constipée sous le coup de la concentration et se tourna vers l’inconnue avec un regard criant : " toi… t’es pas tombée sur le bonne personne ! "

« Désolé petite, je ne t’avais pas vu. »

Ben dit donc… Pour être particulière, elle était particulière elle ! Vêtu d’une curieuse tenue, bien que d’assez bon goût, et d’un grand chapeau vraiment étonnant rappelant les sorcières des contes pour enfants. Mal à l’aise, et gêné par le nombre bien trop important d’inconnus dans la pièce, Leoven marmonnant maladroitement :

« Ouai ben… »

Elle s’essuya le front duquel perlait de grosses gouttes malvenues tout en se poussant sur le côté pour laisser la femme entrer. Ce faisant, elle écrasa le pied d’un homme qui buvait sa bière assis. Le veinard…

« Eh, gamine ! Bouge de là et regarde où tu mets les pieds si tu veux pas que je te refasse le portrait ! »

Ben voyons…

Sans s’excuser, elle adressa un regard noir à l’ivrogne, sa lance bien en poing et l’air peu commode. Ah ça non, elle ne se laisserait pas marcher dessus par une loque tout juste bonne à enrichir les taverniers ! Elle n’était peut-être pas équipée de son armure, mais sa médaille dorée luisait sur sa peau humide, signe distinctif de son affiliation à l’armée. L’homme grommela en baissant les yeux sur sa boisson sous le regard satisfait de la jeune femme qui se retourna vers celle qui tenait tout juste dans l’entrée. En temps normal, elle lui aurait grogné dessus, mais bon, elle ne pouvait tout de même pas imiter l’abrutit qu’elle venait de corriger ! Elle se montra donc inhabituellement amicale :

« Ce n’est rien ! Nous ne sommes vraisemblablement pas les seules à avoir investi les lieux... »

Elle accompagna ses paroles exceptionnellement polies d’un sourire radieux. Du jamais vu ! Mais avant de pouvoir jouer les faux culs un peu plus longtemps, le patron de l’auberge vint difficilement à elles, encombré par le nombre de client impatients d’être servis.

« Je suis désolé, je ne vais pas pouvoir vous accueillir comme il se doit. Comme vous pouvez le constater, nous n’avons plus de places assises… ni même de serviettes sèches.  Cette pluie franchement ! Quelle idée de tomber d’un coup comme ça ? Enfin, vous pouvez bien sûr rester à l’intérieur le temps que le temps s’améliore ! »

Merveilleux… D’autre bonnes nouvelles dans le genre à m’annoncer ?

D’un regard crispé, Leoven rassura l’homme d’un sourire puis soupira une fois qu’il s’éloigna pour prendre la commande d’un autre client. Cette soirée risquait de s’annoncer longue…

La rouquine fronça les sourcils devant le ton assez autoritaire de son interlocutrice. " Souriez et ne vous énervez pas " Voilà typiquement le genre de parole qu’aurait pu prononcer sa mère, et ce n’était pas un compliment. Leoven serra néanmoins des dents pour ne pas répliquer et suivit l’étrange femme à l’allure de sorcière dans un coin légèrement moins encombré de la pièce. Elle la vit sortir une espèce de gibecière remplie de plantes en tout genre. Sa curiosité piqué au vif, l’adolescente ne pu s’empêcher de jeter un petit regard sur les différentes fleurs. Elle releva bien rapidement les yeux vers l’étrangère lorsque cette dernière s’adressa à elle. Sans grande surprise, l’impulsive qu’elle avait toujours été se renfrogna sous le coup de la critique. Assez sèchement, elle répondit sans prendre la peine de filtrer ses paroles :

« Oui je fais partie de l’armée, et je n’ai pas pour habitude de laisser des ivrognes manquer de respect à qui que ce soit. Si vous aviez été à ma place, j’aurais réagi encore plus durement. Quant à mon âge, je suis persuadé qu’un enfant de quinze ans volontaire peut-être bien plus efficace qu’un soldat de quarante alcoolique et dépressif. Je n’utilise donc pas mes " allégations " de manière abusive. Un bon garde ne s’arrête pas de veiller sur la population lors de ses jours de congés. »

Elle leva la main pour appeler le tavernier qui ne sembla pas la voir, trop occupé à servir des adultes à la bourse très certainement plus alourdie. Grommelant dans sa barbe, Leoven reporta son regard sur la femme au chapeau et fut assez surprise de la voir trifouiller dans sa besace de manière assez incongrue. Elle l’observa avec attention déposer une curieuse poudre bleu sur les plantes séchés avant de récupérer la poussière à l’aide d’un drôle de bâton. Les yeux tout écarquillés d’intérêt, la jeune fille semblait avoir retrouvé un air enfantin qui tranchait étonnement avec son attitude tout d'abord dure et sérieuse. En un sens, l'étrangère avait eu raison de la cataloguer dans la case '' agressive '', Loeven n'en avait simplement pas conscience. Son animosité chassée par son intérêt, elle se pencha en avant et demanda d’un ton plus candide :

« C’est de la magie ? C’est drôlement intéressant ! Au faite, je m’appelle Leoven, Leoven Norris. »

Avec un demi sourire, elle retira l’un de ses gants pour tendre la mains vers l’inconnue en signe de paix. Elle n'avait pas envie de se battre aujourd'hui, du moins, pas si l'on ne lui en donnait pas une bonne raison !

La jeune femme s’était légèrement crispée en entendant les nouvelles remarques de l’alchimiste. Leoven n’avait jamais été du genre à accepter des conseils venant d’inconnus. Son caractère rebelle et sauvageons la poussait à ne pas se laisser dicter quelle conduite adopter. Elle acceptait de respecter les règles qui lui semblaient justifiées mais refusait de se laisser ‘’ guider ‘’ par des personnes prétendument plus sage qu’elle ! En un sens, cette jeune demoiselle n’avait pas encore la maturité nécessaire pour prendre du recul. Elle préférait tester elle-même les limites du raisonnables, quitte à le regretter après coup. Elle s’était néanmoins montrée prudente et n’avait pas répondu, préférant taire une réplique impolie. Ses yeux observateurs suivaient les mouvements de l’étrange femme qui se présenta en tant que " préceptrice et alchimiste royale " ! Rien que ça !

Elle sourit en empoignant sa main délicate puis remarqua les curieuses marques probablement laissées par des contrecoups de son métier. La garde baissa les yeux sur cette main et ne pu s’empêcher de penser à Maxime, l’homme qu’elle avait in extremis sauvé de la noyade. Celui dont le corps était couvert de cicatrices de brûlures. Bien souvent, ce sont chez les aventuriers et les gardes que l’on s’attend à trouver le plus de balafres, mais Leoven avait vu suffisamment de blessures pour savoir que le ‘’ petit ‘’ peuple peut aussi avoir une vie difficile et éreintante. Elle se rassit plus confortablement et soupira en regardant autours d’elle. La foule bruyante et humides de voyageurs en tout genre l’oppressait toujours, mais les exercices de Java commençaient à porter des fruits. Les griffes, bien qu’aux aguets, ne s’étaient pas encore manifestées. Malgré tout, la rouquine manqua de sursauter lorsque le patron de l’auberge revint vers elles. Anxieuse, elle serra ses bras, comme si son geste pouvait les retenir de partir gifler le pauvre homme.

Toujours aussi maladroit et intimidé, le tavernier leur dit :

« Veuillez me suivre s’il vous plait. »

Interloquée, la rouquine regarda Nema d’un air interrogatif puis haussa les épaules et suivit l’homme, sa lance à la verticale pour ne pas blesser qui que ce soit sur leur passage. En se glissant difficilement dans la foule, la jeune femme ne pu retenir une grimace crispé. C’est que ça sentait assez fort le mâle trop alcoolisé par ici… Alors qu’elle commençait à perdre patience, le gérant les guida jusqu’à une petite chambre exigüe. Surprise, Leoven grommela :

« Qu’est ce que c’est que ça… ?!
- C’est tout ce que nous pouvons vous proposer pour l’instant… »

Par Lucy ! Qu’ai-je bien pu faire pour avoir autant la poisse ?

Franchement agacée, la rouquine soupira longuement en se massant le crâne. Elle répondit néanmoins, par pure politesse.

« Hum… Merci, on fera avec… Je suppose. »


L’homme sourit d’un air contrit puis se retira servir d’autre client. Avec un air maussade, l’adolescente entra dans la pièce et se tourna vers Mme la Préceptrice Alchimiste Royale avec un regard interrogateur. Qu’allaient-elles bien pouvoir faire maintenant ? La tentation de sortir chercher un meilleur refuge était grande, mais sans tente ni vivres cette solution devenait bien vite un nouveau problème…

L’adolescente observa avec ce drôle de regard peu aimable qu’elle avait parfois la chambre, n’écoutant que d’une oreille les paroles de Nema qui semblait réclamer de l’alcool. C’était encore pire que ce qu’elle avait imaginé. Des draps crasseux, des murs à la peinture si écaillée que l’on ne peut en deviner la couleur originelle, un plafond cloqué d’humidité, des fenêtres trop sales pour renvoyer une imagine net de l’extérieur. Très peu enjouée et rassurée à l’idée de dormir dans un lieu tel que celui-ci, Leoven mit un peu plus de temps que Nema à entrer. Elle se sentait oppressée dans cette pièce trop étroite et ses griffes électrisaient sa peau, faisant se dresser ses poils sur ses bras.

En entendant les bruits peu glorieux de la chambre de gauche, elle grimaça. Elle n’était habituée aux ébats des ‘’ grandes personnes ‘’. Ses parents ne s’aimaient pas, l’école militaire ne permettait pas ce genre de chose et puis, de toute façon, qui oserait poser ses mains sur le corps d’une fille capable transformer son partenaire en steak haché au moins faux mouvement ? Elle détourna donc le visage dans une moue désapprobatrice, n’accordant aucune attentions aux bravades vides de sens des occupants de la chambre de droite. Après un (très) rapide tour des lieux, elle se tourna vers Nema qui lui adressait justement la parole, une serviette à l’aspect douteux tendu en avant. La rouquine s’en saisit du bout des doigts et la reposa sur le lit sans s’en servir. Elle préférait de loin attraper un rhume. Qui savait quel genre de saloperie trainaient dans ce tissu ? Surprise par le nouvel intérêt de l’alchimiste, elle répondit avec nonchalance :

« Une simple course pour ma colocataire trop vieille pour bouger ses fesses toute seule… Je dois lui ramener quelque chose que son familier pourra manger. Mais évidemment, son familier n’est pas une bestiole courante dont on connait le régime alimentaire ! »

En pensant à Solveig et son imbuvable Teishibas Leoven leva les yeux au ciel en soupira. Elle posa sa lance contre le mur et s’approcha de la fenêtre, laissant derrière elle une trainée humide. Distraitement, elle défit l’attache de sa cape verte en observant difficilement l’extérieur. Elle n’avait aucune idée de l’heure et l’orage assombrissait bien trop le ciel pour que l’on puisse se repérer à l’œil. Qu’elle journée de merde… Se retournant vers Nema, elle ajouta en grommelant comme une petite vieille :

« Hum… Je sais pas toi, mais je ne compte pas m’éterniser ici. Dès que la pluie s’arrête, je rentre chez moi. Solveig se débrouillera toute seule pour nourrir son monstre ! »

Mais bien évidement, le temps n’était pas prêt de s’améliorer…

La jeune fille leva un sourcil roux surprit aux paroles de l’alchimiste. Altruiste hein ? Si Leoven avait dû décrire sa situation, elle aurait plutôt utilisé les mots docile et soumise. Tout ce qu'elle n'avait jamais voulu être ! Avec une grimace, elle répondit :

« Quand bien même. Je suis payée pour protéger la population, pas pour courir après des insectes dans la foret. J’aurai postulé à la guilde sinon. »

Son ton désinvolte lui donnait une allure plutôt méprisante, comme si elle s’amusait à critiquer le travail des aventuriers. Pourtant, son petit sourire en coin n’avait rien d’orgueilleux. Leoven prenait simplement du plaisir à se souvenir de la petite compétions qu’elle avait eut contre un aventurier pour définir qui des deux avait la plus grosse… Mais ce défi purement amical (sur le papier du moins) n’avait servi qu’à faire comprendre à chacune des factions qu’elles n’étaient que plus fortes ensembles. Malgré son jeune âge, la rouquine avait déjà une sorte de maturité qui la distinguait des autres recrues. Néanmoins, elle n’en restait pas moins une adolescente un poil susceptible et parfois incohérente. Elle ajouta donc en râlant :

« Suuuuper. Passer la nuit ici me fait frétiller d’excitation… »

L’attitude excessivement calme, au point d’en devenir agaçante, de sa camarade commençait à user son peu de patience.

Tout doux Leo… Java a dit de rester calme et de gérer ses émotions. Faut pas que je laisse cette put… petite pluie me rendre folle ! C’est que de l’eau… beaucoup d’eau, certes, mais que de l’eau.

La dragonne, qui ne supportait pas d’être enfermée dans un espace qui ne lui convenait pas, retrouvait sa nervosité naturelle. Ses jambes s’agitaient et elle faisait discrètement tournoyer son harmonica au fond de sa poche, histoire d’avoir les mains occupées... Nullement fatiguée (mais pleine de boue et trempée jusqu’aux os) elle préférait rester debout près de la fenêtre mal isolée. Elle avait le regard rivé à l’extérieur lorsqu’un cris féminin particulièrement fort la fit sursauter. Elle se tourna vers Nema et ferma les yeux pour contenir son exaspération. Apparemment, les choses se passaient plutôt bien dans la chambre de droite…

« Je vais exploser si je reste plus longtemps enfermée ici et crois-moi, il vaut probablement mieux éviter ce genre d’incident… ! »

La jeune fille n’aimait pas l’agitation, être enfermée, les inconnus, être mouillée, être seule loin de chez elle et beaucoup d’autre choses qui étaient présentes dans cette situation. Malgré toute sa bonne volonté, Lucy semblait tout faire pour qu’elle explose, quand bien même elle tentait de ne pas se laisser emporter par sa morosité habituelle.

Lorsque l’alchimiste eut la très mauvaise idée de la toucher, Leoven se crispa et serra les poings à s’en faire blanchir les jointures. Elle prit sur elle pour ne pas réagir agressivement et tenir ses griffes. Son corps était aussi tendu que la corde d’un arc prêt à tirer. Elle ne put s’empêcher de soupirer de soulagement en retrouvant son espace personnel puis recula jusqu’à ce que son dos touche le mur humide. Ses sourcils froncés assombrissaient son regard et raffermissaient son allure de bête farouche. Elle écouta Nema se diriger vers la pièce d’à côté et hurler puissamment. Son ton autoritaire la fit sursauter et de petites fentes apparurent sur le papier peint contre son dos.

Elle ne fut pas surprise d’entendre un silence effrayé suivre l’ordre de l’instructrice. Après tout, son métier comprenait l’éducation de jeunes plus ou moins obéissants…

Avant que sa camarade ne revienne, la jeune fille tenta de se calmer et relâcha son souffle. Elle desserra la prise sur ses poings et se passa machinalement une mains dans la crinière qui lui servait de chevelure. Sans surprise, elle en retira une mains trempée et sale. Parfait.

Elle se tourna vers Nema lorsque cette dernière entra dans la pièce et lui offrit un pauvre sourire.

« Mmh… Merci. Disons que je n’ai pas encore l’habitude de dormir dans ce genre d’endroit. Est-ce que tu pourrais faire ton … heu… truc, avec les cristaux, pour rendre l’endroit un peu plus propre ? »

Gênée, la petite rousse ne savait pas vraiment comme s’exprimer. Elle n’avait jamais été très douée en sciences et n’avait pas la moindre idée de ce que faisait réellement une alchimiste, et au fond, elle s’en moquait. Néanmoins, elle était forcée d’admettre que ce savoir pouvait s’avérer utile, de temps à autre… Elle regarda le lit en tentant de masquer les traces de griffures qui avaient un peu plus abîmé le papier peint et prit un air innocent en regardant le lit. D’ailleurs, un petit lit pour deux, ça n’annonçait rien de bon. L’une d’elle aurait à dormir sur ce parquet sale, à moins de dormir ensembles…

Leoven observa Nema s’affairer à trouver une solution à leur " problème ". Elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle était en train de faire et sursauta en même temps de qu’elle lorsqu’un étrange de liquide lui brûla les doigts.

« Attention ! Viens je t’ouvre la fenêtre. »

Joignant le geste à la parole, elle se dépêcha de débloquer le loquet des carreaux désormais propres. Désormais, elle comprenait mieux d’où venaient toute les traces de brulures sur les avant-bras de l’alchimiste… Elle se triturait les doigts nerveusement en cherchant quelque chose à faire. Ne pas pouvoir se rendre utile l’agaçait profondément. Elle avait l’impression d’être redevenu une sale gosse de riche incapable de faire ses lacets seule ! Fort heureusement, Nema ne fut pas longue à élaborer une solution que la garde ne pouvait pas comprendre. Elle se contenta d’obéir lorsqu’on lui ordonna de fermer les yeux. Une vive lumière se dessina derrière ses paupières closes et en ouvrant les yeux, l’adolescente constata que les draps étaient quasi propre. Comment avait-elle fait ça ? Elle ne le saurait probablement jamais…

« Merci. C’est assez pratique tes trucs dis donc. »

Traduction : ta sorcellerie m’impressionne mais je ne compte pas en savoir plus que ça.

Leoven avait toujours été très curieuse et elle adorait faire travailler son esprit. Néanmoins, les " miracles " de Nema lui apparaissaient plutôt comme des tours de magie : formidables et mystérieux. En comprendre le fonctionnement cassait toute la fantaisie…

Par politesse, et peut-être avec un semblant d’attention, elle ajouta :

« Tes mains vont bien ? Oh et… Tu vas dormir où toi ? »

Partager son lit ne lui semblait pas être une bonne idée. Non pas qu’elle craignait Nema (malgré ses jolies démonstration scientifiques, elle n’était qu’une simple civile non formée au arts martiaux) mais plutôt qu’elle n’avait jamais dormi avec quelqu’un. Jamais. Elle ne savait pas comment agissait son pouvoir lors de son sommeil et il était préférable de ne pas transformer une inconnue en viande hachée… En particulier si cette inconnue était affilée à la famille royale !

Je devrais peut-être lui dire que je comprend absolument rien à son charabia… ? Mais bon, si ça lui fait plaisir, autant jouer le jeux !

Loin d’avoir saisi les explications de son aînée, Leoven se mit à hocher dubitativement de la tête, l’air faussement passionnée et légèrement amusé. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas reçu de cour de sciences. Ses parents avaient bien tenté de faire d’elle une intellectuelle en lui collant un précepteur, mais rien à faire, elle n’avait jamais été du genre scolaire. Quoi qu’il en soit, elle revint la leçon principale : on ne touche pas ce qu’on ne connait pas. Chose qu’elle se tuait à répéter à tout ceux qui avaient la manie de lui tripoter les oreilles ou le crane…

« Compris, de toute façon, je ne suis pas trop potions et sort vaudou… Je préfère les choses plus tangibles, si tu vois ce que je dire. »

Avec un petit sourire, elle désigna sa lance du menton puis changea brusquement d’expression en la voyant retirer son haut sans aucune pudeur. Visiblement bien plus mal à l’aise qu’elle, elle rougit et mit ses mains devant elle d’un air défensif et regarda le plafond.

« Houlà Nema ! Ne le prend pas mal, tu es très jolie, mais ça m’arrangerait si tu pouvais garder tes fringues… »

Pas de réponse… Un peu gênée, Leoven finit par baisser les bras et regarda du coin de l’œil le coin où se tenait l’alchimiste quelques secondes auparavant. Elle haussa un sourcil circonspect en remarquant le petit tas de vêtement. Son regard fut ensuite attiré en direction du lit sur lequel un beau chat noir se léchait la patte d’un air nonchalant.

La rouquine soupira de soulagement et se passa une main dans les cheveux avant de lui dire d’un air bourru :

« Eh ! T’aurai pu prévenir ça m’a surprise. »

Bien qu’elle soit habitée à partager son intimité avec des colocataires, Leoven n’avait jamais été très à l’aise avec la nudité. Elle se senti néanmoins un peu honteuse d’avoir réagit de la sorte et laissa échapper un petit rire nerveux en venant s’asseoir près du chat. Elle l’observa un instant et se demanda si son pelage était aussi doux qu’il le semblait.

Ce serait probablement très impolie de la toucher sous cette forme… Je ferais mieux de me préparer à dormir moi aussi.

Avec un nouveau soupir, elle déboutonna le premier bouton de sa tunique (histoire d’être plus à l’aise sans qu’elle ne se sente nue) puis elle se coucha sous les couvertures. A présent que les draps étaient propre, elle réalisa combien elle était sale de boue et de poussière. En d’autre circonstance, elle y aurait probablement prêté attention, mais la fatigue de cette longue journée à cheval commençait à la gagner. Les yeux ensommeillés, elle tourna la tête vers Nema et sourit en coin.

« Merci, c’est mieux comme ça. Essaie juste de ne pas trop me toucher en dormant… Enfin, si tu peux. Disons que mon pouvoir n’est pas aussi agréable que le tiens. C’est un peu compliquer de le contrôler en dormant. »

Bon et aussi le reste du temps, mais ça, elle n’a pas besoin de le savoir !

Ayant dit ce qu’elle avait à dire pour avoir la conscience tranquille en cas de pépin griffus, elle posa la tête sur son petit oreiller et resserra ses jambes contre son ventre. Malgré la petitesse du lit, elle était si serrée sur elle que Nema avait la place de s’étendre sous sa forme féline. Même en dormant, Leoven avait une posture toute crispée et nerveuse, comme si elle cherchait à se protéger du monde.