En cette fin de troisième lune douce, et à l'approche imminente du solstice de la saison chaude, Dahlia n'était animée que d'une envie : partir en vacances. Ses derniers mois de service avaient été en effet longs et éreintants, et émaillés de bien peu de jours de permission. La garde avait donc plus que hâte de pouvoir abandonner temporairement ses fonctions, pour rejoindre les côtes, où elle pourrait y prendre un peu de répit, allongée sur une plage à siroter des cocktails ou à découper des pastèques – elle avait une imparable technique pour ça, d'ailleurs.

Toutefois, hélas, le temps tant espéré de la farniente n'était pas encore venu. Dahlia devait encore travailler un peu avant de pouvoir s'y adonner, et ses supérieurs venaient justement de l'assigner à une nouvelle mission... pour le moins étonnante. Une enquête, sur les pratiques illégales d'un initié du temple de Lucy, mais ce n'était pas là la partie la plus singulière de cette affectation. Ce qui avait interpellé Dahlia, c'est qu'elle allait être en binôme avec... une garde royale. Carrément.

Cette unité d'élite jouait dans une toute autre cour - royale, en l'occurrence. Son aïeul, Edmond Delancy, en avait été l'ancien Commandant, et Dahlia regrettait de descendre de ce dernier, du fait de la pression dont cela la lestait. De façon plus fortuite, elle avait fait la rencontre du Capitaine de cette faction, il y a peu, en présence d'un tierce participant non désiré : un... Kerberus alpha. Rencontrer une autre membre émérite de la Garde royale promettait d'être stimulant, mais Dahlia craignait de ne pas se montrer à la hauteur.

Dans ce bouquet stimulant d'appréhension et d'exaltation entremêlées, elle se présenta, le jour du départ, à leur point de rendez-vous, avec sa monture, une robuste jument, lestée de ses affaires de voyage.

Sa coéquipière ne tarda pas à la rejoindre, avec une ponctualité toute martiale, et Dahlia prit le temps de la détailler du regard lorsqu'elle s'avança vers elle : la dénommée Jaina portait une tenue de voyage en cuir souple, sobre et fonctionnelle, à l'image de celle que portait Dahlia – la garde l'avait d'ailleurs imbibée d'huile, la veille, pour éviter que celle-ci, toute neuve, ne couine pendant le voyage, ce qui aurait été gênant. Cette tenue la rendait plus abordable que si elle avait été dans son uniforme de garde royale, et Dahlia se détendit un peu.

Elle la salua à son tour, et s'ensuivit une empoignade formelle de mains.

« Enchantée, Jaina, et honorée de faire équipe avec une garde royale. » À la mention de l'emport'tout, elle ajouta : « Oh, voilà qui va nous être fort utile, en effet! Il provient de la boutique du marchand Kechua ? »

Dahlia acquiesça alors lorsque Jaina proposa qu'elles se mettent en route, et après s'être hissée à son tour sur sa monture, les deux jeunes femmes amorcèrent leur voyage. La garde déplorait que le temple ne fut point desservi par un portail de téléportation, mais il fallait croire que cela faisait partie de l'expérience pieuse : le pèlerinage permettant de s'y rendre était déjà une première démarche sacrée, un geste envers Lucy. Et bien heureusement, les sentiers étaient fort bien balisés, jusqu'à son temple, abondamment jalonnés d'indications afin que les pèlerins le trouvent sans encombre.  

Après quelques jours de voyage, alors qu'elles n'étaient plus très loin d'arriver au temple, Dahlia demanda à Jaina :

« Fais-tu partie des fidèles de Lucy ? Pour ma part, je ne suis qu'une croyante... je vais donc devoir forcer un peu le trait, pour notre couverture en tant que pèlerins. »

En espérant que son jeu d'actrice soit suffisamment convaincant.

« Ah ! Et il nous faut des noms de famille factices, pour ne pas être repérées... Que penses-tu de... Jaina Howlmes et Dahlia Ouatsone ? »

Jaina était donc issue de la Garde civile, et semblait éprise de nostalgie à l'égard de ses années de service dans la régulière. Dahlia pouvait l'entendre. Bien que la Garde royale soit nimbée de prestige, devoir rester cantonné dans l'enceinte du Palais royal, ce n'était peut-être pas une si grande chance. Car arpenter le marbre du dallage des sols, sous les haut-plafonds ouvragés et entre les murs lambrissés et emplis de dorures, ou parcourir les allées taillées des jardins où des statues montaient déjà immuablement la garde, cela devait finir par être lassant. Les rues de la Capitale étaient un terrain de patrouille plus mouvant et organique, et donc probablement moins ennuyant.

À la fin de leur voyage, Dahlia put découvrir un autre fait très intéressant sur Jaina : que celle-ci faisait partie des fidèles de Lucy, et plus que cela, qu'elle avait été élevée par des sœurs de ce clergé, dans l'un des sanctuaires de la Capitale... Qu'en était-il de sa famille ? Peut-être morte, ou l'ayant abandonné ? Cela était toutefois d'ordre trop privé pour l'interroger à ce propos... Tout comme l'évènement l'ayant orientée vers une carrière militaire, plutôt que vers une vie consacrée au dévouement envers Lucy, en tant que membre interne du Culte. Dahlia préféra garder ces questions pour plus tard, peut-être.

Il y avait donc des chances que que la garde royale soit reconnue par certains membres religieux du grand temple, s'y étant déjà rendue dans le passé... Hm, cela allait-il aider les deux jeunes femmes dans leur enquête, ou les entraver ? Cela était encore délicat à savoir, pour l'heure.

« Oh, je vois. Nous n'avons plus qu'à espérer qu'aucun religieux du temple ne te reconnaisse, ou en tout cas ne soit courant de ta fonction... ou qu'on puisse compter sur sa discrétion, le cas échéant. »

Dahlia sourit alors face à l'idée du nom d'épouse évoquée Jaina. Elle avait anticipé le cas de figure le plus gênant, concernant leurs fausses identités, et était donc parée pour conserver sa couverture, en cas de besoin.

« Très bonne idée, ça te permettra de ne pas te retrouver en porte-à-faux, en effet. »

Il ne restait plus qu'à éprouver la solidité de leur plan sur place.

Leur voyage dans les plaines du sud d'Ayron ne tarda à toucher à sa fin. Un matin, après une nouvelle nuit fort agréable dans la spacieuse tente de l'emport'tout de Jaina, les deux gardes arrivèrent au lieu consacré, juché avec magnificence sur la petite colline sur laquelle il avait été érigé.

Ce temple était le plus grand sanctuaire d'Ayron dédié à la Déesse Lucy, et en terme de grandeur, il n'était en effet pas en reste, comme put le découvrir Dahlia : de hautes colonnades de marbre cerclaient les quatre côtés de l'imposant édifice, édifiant un péristyle majestueux. Après avoir gravi la colline, puis les marches d'albâtre menant à l'entrée principale, elles pénétrèrent à l'intérieur du lieu sacré.

Des volutes d'encens s'échappaient de brûloirs, exhalant des odeurs de parfums fumés. Une sœur vint à leur rencontre. Leurs tenues de pèlerins devaient être convaincantes, car elle sembla immédiatement reconnaître leur foi envers Lucy.

« Bonjour mesdames, c'est un plaisir d'accueillir de nouveaux fidèles dans notre sanctuaire voué à la Déesse Lucy. Je me nomme sœur Constance, et je suis là pour guider les pèlerins arrivés jusqu'à nous. Souhaitez-vous commencer par une visite du temple ? »

Sa voix était basse et tempérée, et son attitude respirait une dignité pieuse, à la fermeté tranquille.

Les deux jeunes femmes sous couverture flanquèrent leur guide tandis que celle-ci les menait dans les différentes parties clefs du temple. L'arpentant pour la toute première fois, Dahlia portait un regard aussi attentif que curieux autour d'elle. Selon leur nature, les salles découvertes pouvaient être empreintes de grandeur, comme celle vouée aux prières, dont la voûte richement peinte surplombait les autels regorgeant d'offrandes dédiées à Lucy, ou d'une sobriété austère et fonctionnelle, comme le réfectoire. Dans tous les cas, toutes les pièces qu'elles parcouraient exsudaient la piété fervente, qui semblait suinter des pierres même des murs.

Le plus grand défi, pour Dahlia, était de parvenir à admirer l'architecture et la composition des lieux, tout en jetant un œil aux occupants qui y résidaient. Car ils étaient tous emplis d'initiés, et il fallait, en théorie, surveiller le moindre signe pouvant trahir un potentiel suspect parmi eux... Ardu, pour la garde qui ne pouvait décupler son attention, mais elle savait qu'elle pouvait se reposer sur Jaina, qui était déjà familière des lieux et donc moins divertie par leur exploration.

Lorsque sœur Constance les interrogea sur la durée de leur séjour, et Dahlia s'efforça de rester évasive :

« Nous pensions rester a minima une nuit, mais nous n'avons pas encore arrêté la durée définitive de notre recueillement en ces lieux... Nous vous remercions en tout cas, grandement, pour votre hospitalité. »

Les deux gardes allaient devoir demeurer au temple jusqu'à ce qu'elles parviennent à percer la nature et l'origine des agissements illégaux perpétrés dans celui-ci. La durée de leur séjour serait donc corrélée à celle – encore incertaine - de leur enquête... Mais Dahlia ne pouvait l'avouer à leur guide, du fait de la discrétion qu'exigeait leur mission.

Leur parcours sous l'égide de sœur Constance les entraîna dans une petite cour intérieure, dotée d'un jardin modeste mais fort plaisant, dont la verdure adoucissait la géométrie stricte du patio. Une fontaine joliment ouvragée trônait au centre de celui-ci, libérant de cristallins gazouillis.

Mais la quiétude apaisante de cet écrin ne dura pas... Car l'attention de Dahlia fut subitement attirée par un signe de main esquissé discrètement de la part de Jaina. Sa coéquipière avait visiblement décelé une manifestation anormale, et pointait... le sol. Dahlia remarqua que la pierre du bracelet ceignant le poignet de Jaina brillait d'une étrange lueur. Un sceau de détection de magie ? La garde ne réfléchit pas davantage, et interpella leur guide avant qu'elles ne quittent le jardin :

« Ex-xcusez-moi, ma sœur... Je me demandais, est-ce que le temple dispose d'un... sous-sol, à tout hasard ? » la question pouvait sembler incongrue, mais sœur Constance ne sembla pas s'en offusquer.

« Oh eh bien, oui, il s'agit de la crypte, où reposent les tombeaux de nos défunts. »

Une visite de celle-ci semblait être indiquée, mais elle n'était malheureusement pas incluse dans le circuit prévu par sœur Constance. Le parcours se poursuivit encore un peu, puis leur guide les quitta finalement au niveau des dortoirs des fidèles. Les gardes se virent affecter des chambres, où elles purent y déposer leurs affaires. Assise sur la couche de son lit sommaire, Dahlia souffla alors à Jaina :

« Je crois qu'une p'tite visite improvisée de la crypte s'impose... On y va soir, incognito, après le repas et les offices ? »

Voilà qui allait faire office de réjouissante sortie nocturne.

Jaina acquiesça à la proposition de Dahlia d'aller explorer la crypte, puis se fendit d'une remarque très pertinente concernant les probables témoins existants. En effet, des signalements devaient forcément avoir été rapportés à la Garde, pour qu'on en vienne à détacher deux gardes au temple, chargés de mener une enquête et d'arrêter l'initié baignant dans l'illégalité.

« Certainement, en effet... Ils ne sont peut-être plus au temple, s'il s'agissait de pèlerins. En tout cas, ils auraient pu être moins avares en détails, dans leurs témoignages... »

En effet, la Garde ne semblait pas détenir d'indications sur la teneur des pratiques illégales soupçonnées d'être perpétrées. Sinon, Jaina et Dahlia en auraient été informées. Les témoins n'en avaient peut-être pas vu assez ? Les deux gardes devaient réaliser leur investigation... dans le flou le plus complet. Bon, au moins, elles étaient parvenues à identifier une première piste, grâce à l'équipement de Jaina... Souterraine, et pas très engageante, toutefois. Il restait à voir où celle-ci les mènerait...

Mais avant de pouvoir l'explorer, les deux gardes devaient continuer à jouer leurs rôles de pèlerins, et n'éveiller aucun soupçon.

Dahlia entreprit donc d'aller à la salle des prières, pour y faire une offrande à Lucy. Elle déposa une très bonne bouteille de vin, d'un cépage rare - elle l'avait prévue pour l'occasion, sur l'autel qui y résidait, puis, inclinant la tête et fermant les yeux, récita intérieurement sa prière pour Lucy : découvrir l'initié coupable. Et rapidement, de préférence. Non qu'elle voulût déjà quitter le temple, qui était un endroit fascinant à bien des égards, mais il était ardu de profiter des lieux et de leur sérénité, en étant investie de ce travail d'enquête.

En fin d'après-midi, elle alla aider les sœurs à préparer le repas du soir, avec Jaina. En effet, participer à la vie du temple était une partie importante de leur séjour. Cela permettait de soutenir les membres internes du Culte, et de les remercier pour leur hospitalité. Par ailleurs, réaliser ce type d'activités avec eux offrait des moments de partage fort précieux.  

Une fois les plats confectionnés et enfournés, prêts à libérer toutes leurs saveurs, elles purent rejoindre les grandes tablées dressées pour le repas. Jaina alerta alors Dahlia, à demi-mots, sur l'homme étrange qu'elle avait croisé à l'entrée du réfectoire. La garde tenta de l'observer du coin de l'œil, dans la plus grande discrétion. De loin, il lui semblait plutôt quelconque. Le harem de jeune femmes aimantées par lui, telles des abeilles autour d'un pot de miel, était en effet plus que suspect.

« Hm, louche, en effet... D'ordinaire, c'est plutôt en se rapprochant d'une personne qu'on peut être amené à déchanter... pas l'inverse. »

Elle ajouta alors, à voix basse :

« On va le garder à l'œil, et suivre ses agissements de près... mais pas trop. »

Il ne fallait pas qu'elles se retrouvent piégées par l'emprise de son charme artificiel, et en perdent leurs moyens. Le reste du repas se déroula très agréablement. Les plats se révélèrent savoureux, d'autant plus qu'elles avaient contribué à leur préparation, et Dahlia se délecta également de la conversation des fidèles, à leur table. La religion de Lucy étant portée sur l'ouverture d'esprit et la philosophie, il était fort plaisant d'échanger avec eux.

À la fin du dîner, l'homme prit congé, et Dahlia put alors noter un fait très étrange : il partait seul. Sans aucune compagnie... malgré le choix manifeste qu'il avait. La garde adressa un regard entendu à Jaina. Il fallait le suivre. Elles s'excusèrent donc à leur tour, et s'éclipsèrent du réfectoire pour prendre le suspect en filature.

L'exercice n'était pas évident, car il fallait bien jauger la distance : ne pas être trop éloignées de lui, pour le garder en vue, mais ne pas trop s'approcher plus, pour ne pas être repérées, ni affectées par sa magie. Elles le suivirent un moment dans le dédale des sombres couloirs du temple, que des braseros éclairaient çà et là. Parfois, il leur fallait se réfugier contre le pilier de pierre d'une arcade, pour s'y dissimuler. Finalement, elles purent voir l'homme se diriger... vers un escalier, qui s'enfonçait au sous-sol. Il semblait donc rejoindre la crypte, visiblement. Tout convergeait.

Mais alors qu'elles s'apprêtaient à rallier l'escalier à leur tour... Une silhouette s'avança devant elles.

« Jaina... ? C'est bien toi... ? »

Dahlia examina la personne qui se dressait face à elles, dont le visage était irradié par l'éclat orangé d'une torche. Il s'agissait d'une sœur, d'un âge assez avancé. Ses yeux cernés de douces pattes-d'oies étaient légèrement écarquillés, et semblaient briller. Leur l'humidité était-elle due à l'émotion ?

« Tu as tellement grandi... depuis toutes ces années. »

Poursuivit-elle d'une voix vibrante, confirmant l'hypothèse de Dahlia, sur l'émoi qui l'animait. La garde jeta un coup d'œil rapide par dessus l'épaule de la sœur. L'homme avait disparu, s'étant engouffré dans l'escalier. Mais elles ne pouvaient plus le poursuivre, car la sœur leur bloquait présentement le chemin. Voilà un petit souci dont il allait falloir se dépêtrer...

Les retrouvailles entre Jaina et la vieille sœur émue, que la garde royale avait désignée comme sa tante Agnès, furent malheureusement marquées par une funeste nouvelle : le décès de sœur Prudence, qui surprit Jaina au plus haut point. Dahlia ne connaissait pas la nature exacte du lien entre cette dame et sa camarade d'armes, mais il lui semblait très fort, et était visiblement entretenu par des correspondances régulières entre les deux femmes. Cependant, les dernières lettres reçues par Jaina n'avaient manifestement pas été envoyées par dame Prudence, du fait de son trépas... Une personne mal-intentionnée devait être derrière tout cela, et leur présence au temple avait permis de le révéler.

Il y avait également un autre avantage à la malheureuse annonce : sœur Agnès était encline à les conduire dans la crypte, dérogeant à une règle du sanctuaire. Cela allait les aider, mais il fallait espérer que leur accompagnatrice n'allait pas être mise en danger. Dahlia vit l'inquiétude voilant les prunelles de Jaina, mais elles ne pouvaient faire autrement, et suivirent donc la sœur jusqu'à l'entrée de la nécropole.

Une fois à l'intérieur, elles arrivèrent dans une première pièce. Celle-ci était de taille modeste, et emplie de tombeaux portant les inscriptions funéraires des défunts, ainsi qu'une image, de nature magique, de leurs faciès. Le regard de Dahlia erra sur les caveaux. Ces derniers étaient garnis de bas-reliefs illustrant la vie des disparus qu'ils renfermaient, qu'ils fussent initiés, prêtres ou prêtresses. Ils constituaient de beaux hommages aux membres du culte.

C'est alors qu'un son étrange leur parvint, brisant le silence sépulcral des lieux. Jaina fut la première à donner l'alerte. Sœur Prudence éclaira alors la provenance du bruit lancinant, révélant... un corps anormalement décharné, portant une tenue de prêtre, qui s'avançait vers elles d'un pas traînant. Un onde glacée parcourut l'échine de Dahlia.

« Par la Grande Prêtresse... »

Alors que Jaina intimait à la sœur de rester derrière elles pour bénéficier de leur protection, Dahlia parcourut les environs d'un regard rapide et circulaire. Elle n'avait apporté avec elle qu'une dague, et cela était une arme trop petite à son goût, pour affronter cette créature émaciée au râle sinistre. Elle avisa alors une épée décorant l'un des sarcophages, drapée de vieilles toiles d'araignées, et s'en saisit.

Sans attendre, Dahlia s'avança au devant du squelette ambulant et lui trancha la tête d'un moulinet d'épée. Heureusement, le tranchant de cette dernière ne semblait pas trop émoussé, et elle parvint à décrocher l'encéphale excavée, à la chevelure roussie, du corps la soutenant. Celui-ci s'écroula au sol dans un fagot d'ossements.

« De la nécromancie... Voici donc ce que pratique l'initié que nous recherchions. »

Cela faisait froid dans le dos, mais elle ne pouvait céder à la peur. Elle s'adressa alors à la sœur tremblotante qui s'était réfugiée dans un coin de la pièce :

« Nous devons continuer d'avancer et arrêter ce dernier, en tant que membres de la Garde. Sœur Agnès, je vous invite à retourner au temple, pour vous mettre en sécurité. »

La crypte était presque aussi vaste que le temple lui-même, sous lequel elle étendait ses galeries. Il s'agissait d'un véritable dédale funéraire. Cependant, des incantations, qui résonnaient faiblement, semblant émaner d'assez loin, aiguillèrent les deux gardes. Alors qu'elles arrivaient dans une autre pièce, Dahlia vit que certains des tombeaux présents, disposés sous les alcôves sculptées, étaient entrouverts alors qu'ils auraient dû être hermétiquement clos, et que des débris de tombes brisées reposaient au sol.

« Il y a des tombes ouvertes... Restons sur nos gardes. »

L'entrée de la crypte avait été refermée et était à priori à présent verrouillée, suite à la demande formulée par Jaina à sœur Agnès. La garde royale avait vu juste, il fallait en effet éviter, à tout prix, que les revenants ne s'échappent de ce lieu. Ils émergeaient de leur trépas visiblement animés d'une soif avide de vies humaines pour combler celle qu'ils n'avaient plus... et il ne fallait pas qu'ils puissent s'en prendre aux résidents du temple.

L'idée d'être enfermée dans ce lieu clos, à l'air raréfié, fait d'obscurité et où erraient ces âmes en peine en nombre encore inconnu, n'était pas pour rassurer Dahlia. À vrai dire, elle avait du mal à calmer les palpitations de son cœur, emballé malgré elle par une peur insidieuse, et était heureuse d'avoir l'appui d'une garde royale dans cette épreuve.

La démarche plus ferme que le cœur, elle avançait donc dans la seconde pièce, la main serrant la garde de son épée tirée au clair... Lorsqu'elle sentit une étreinte glacée se refermer sur son épaule, provenant de derrière elle. Dahlia fit volte face et se retrouva nez-à-nez avec le masque exsangue d'une sœur. Un masque de mort, qui susurrait un râle inaudible. Elle se recula d'un bond afin d'avoir l'allonge nécessaire pour lui porter un coup fatal.

Un cri de surprise provenant de Jaina retentit alors, suivi du choc ferme d'une lance. Les squelettes semblaient nombreux, et il était plus judicieux d'aller droit au brut, comme le suggéra pertinemment la garde royale.

« Tu as raison... Hâtons-nous de trouver ce parjure. »

Leurs pas se pressèrent dans le labyrinthe de galeries et de corridors, dévalèrent les rampes inclinées et les marches polies par le temps, sous les voûtes basses à la pesanteur macabre. Les incantations se faisaient de plus en plus audibles... et elles arrivèrent finalement dans la galerie renfermant les tombes des Grandes Prêtresses.

Leurs sépultures étaient reconnaissables à leurs riches ornementations, et aux gisants paisibles reposant sur les couches de pierre. Debout au milieu de la pièce, se tenait... l'homme qu'elles poursuivaient. Il portait une longue robe noire agrémentée d'osselets, et était plongé dans un étrange rituel. D'une main, il tenait un poignard à la lame incurvée, et de l'autre, un livre d'incantation, tandis que sa voix entonnait une invocation lente et syncopée, dans un langage inconnu.

« Par Lucy, chercherait-il à réveiller... »

La voix de Dahlia dut l'alerter, car l'homme s'interrompit soudain, et darda sur elles un regard acéré, ne révélant aucune peur.

« Vous allez avoir le privilège d'assister à la résurrection d'une Sainte Grande Prêtresse, chères visiteuses... »

« Garde, vous êtes en état d'arrestation... Vous allez payer pour votre hérésie ! »

« Vous croyez être les seules à être armées, ici ? » poursuivit-il avec un sourire carnassier.

Et il se détourna alors d'elles comme si elles ne représentaient guère plus qu'une mouche sur une dépouille, tandis qu'un mort-vivant, armé jusqu'aux dents, se relevait de sa léthargie... L'initié devait avoir trouvé un prêtre particulièrement versé dans le combat à ressusciter, à leur plus grand dam.

Contrairement à ce que suggéraient leurs apparences, de prime abord, les membres du culte de Lucy ne versaient pas uniquement dans l'étude des écritures sacrées, la calligraphie, et l'art du sermon et de la prière. Ils devaient également être à même de défendre leur temple, pour faire face à toute éventuelle menace, et les initiés apprenaient donc le maniement des armes durant leur parcours. Ils étaient donc autant des guerriers, bien que sommairement formés, par rapport à un garde, que des hommes de lettre et de foi.

Cette polyvalence était bienvenue, sauf quand un profanateur décidait de ranimer le plus retors de ces prêtres, pour leur barrer la route... Le cadavre relevé, pour avoir été scellé dans son cercueil en armure, et flanqué d'une épée, devait avoir accompli un acte de défense particulièrement éclatant, dans des temps plus anciens... Il avait été édifié en protecteur, au vu de son hommage mortuaire.

Et à présent, cet initié impie l'avait sorti de son trépas glorieux pour qu'il le protège, lui... Jaina indiqua alors qu'allait s'occuper de la carcasse armée, et couvrir Dahlia, qui devait absolument arrêter l'incantateur. La garde hocha la tête avec résolution. Il fallait qu'elle l'interrompe au plus vite, car bientôt, d'autres squelettes, errant dans la crypte, allaient affluer dans la salle, attirés par la clameur du combat, et les mettre en difficulté par leur nombre.

Tandis que résonnaient les échos de l'affrontement, dans son dos, Dahlia se précipita vers l'homme en scapulaire sombre. Celui-ci entonnait toujours sa litanie profonde et mortifère, et elle put voir qu'il était entrain de... faire couler son propre sang, sur le mausolée ornementé de l'une des Grandes Prêtresses, à l'aide du couteau sacrificiel.

C'était donc le prix à payer, pour défier la mort et corriger l'ordre immuable des choses... Pour obtenir le relèvement d'une dépouille, il fallait céder une partie de soi, en contrepartie. L'homme semblait se consumer lui-même dans le rituel, transcendé et aveuglé par le dessein qu'il s'était fixé. Il allait sortir certainement très affaibli de cette épreuve, et n'était, au demeurant, pas menaçant pour Dahlia...

Mais il lui restait un atout : sa magie d'attraction. Et cela, dans l'empressement qui l'animait, la garde l'avait hélas oublié. En arrivant près de lui, prête à lui passer les menottes, elle sentit soudain des papillons se déployer dans son ventre.

« Jaina... ! Je crois qu'il a encore sa magie de... »

Mais il était trop tard. Et sa camarade d'arme croisant déjà le fer avec le squelette cuirassé, elle n'allait pouvoir l'aider, présentement. Le seul avantage, fut, pour Dahlia, d'avoir une conception de l'attirance très libérée : à son âge, elle n'était plus une pucelle mijaurée qui se contentait de s'effaroucher. Quand elle était séduite, elle pouvait se montrer très... entreprenante.

Elle sauta sur l'initié. Non pas pour l'arrêter, à cet instant, transfigurée qu'elle l'était, mais le résultat fut tout de même là : en tombant sur lui, elle stoppa son incantation, et les squelettes churent au sol dans un fracas d'ossements. L'homme poussa un cri de surprise, et dans sa chute, il se cogna la tête contre l'un des coins de marbre du tombeau.

Oups, elle y était peut-être allée un peu fort. L'homme plongea dans l'inconscience, et sa magie sembla alors se dissiper, ce qui permit à Dahlia de retrouver peu à peu sa lucidité... libérée de son emprise suffisamment tôt, heureusement. Elle s'adressa alors à Jaina :

« Heu, on évitera de mettre les détails superflus de cette fin de mission dans notre rapport, hein ? »

Quelle histoire.