L’effet papillon

Varda s’était accordée quelques jours de repos pour se rendre au Temple et prier Lucy. Bien que notre demoiselle ait toujours été croyante, elle devenait de plus en plus fidèle à la Déesse et de ce fait, apportait son aide aux lieux de culte. Avec les missions, il n’était pas toujours facile de trouver du temps pour la religion. Les moments de recueillements étaient pourtant très importants aux yeux de Varda ; en période de doute, ils lui permettaient de trouver l’apaisement et de se recentrer sur l’essentiel. Profitant d’avoir un peu de répit, elle fit le voyage jusqu’au sud du royaume et loua une chambre dans le village le plus proche. Elle comptait rester deux ou trois jours maximum avant de retourner à la Capitale. Fatiguée par la route, elle préféra rester au calme à l’auberge le reste de la journée.

Le lendemain matin, elle décida de se ressourcer en allant au lac. L’eau était claire et le soleil brillait dans le ciel, ce qui promettait une belle journée. Retirant ses sandales, Varda s’approcha de la rive pour se mouiller les pieds. La température était bonne et avec cette chaleur, elle n’aurait pas froid en ressortant. Elle jeta un coup d’œil aux alentours pour vérifier qu’il n’y ait personne, puis retira sa jolie robe blanche en soie pour la suspendre à la branche d’un arbre. Nue comme un ver, Varda s’enfonça petit à petit dans l’eau avant de pouvoir faire la brasse. Elle lâcha un soupir de soulagement : c’était si agréable !

- Et bien, on n’est pas seul ici. Lança une voix masculine qui la fit sursauter.

La jeune femme s’immobilisa dans l’eau, cherchant des yeux l’homme qui venait de prononcer ces mots. En se déplaçant en silence, elle put apercevoir trois hommes et une femme qui ne s’adressaient non pas à elle mais à un autre homme masqué. Apparemment, ils s’en prenaient directement à lui. Celui-ci ne semblait pas pourtant chercher les ennuis. Fronçant les sourcils, notre demoiselle en eut assez et rebroussa chemin pour récupérer sa robe.

Habillée mais encore trempée, Varda rattacha sa ceinture sur laquelle était suspendue sa dague. Elle prit quelques secondes de plus pour se transformer sous sa forme insectoïde. Par chance, sa robe était toute simple à bretelles et ne serait donc pas abîmée par la pousse de ses ailes. C’était un comble tout de même : elle venait pour prendre du repos et voilà qu’elle se trouvait confronter à de la racaille. Elle n’aimait pas la violence gratuite, elle n’aimait pas les voleurs et donc, elle ne pouvait pas rester les bras croisés.

Approchant d’un pas de velours, pieds nus, notre papillon fixa le petit groupe. Un des hommes gémissait de douleur, se tenant le doigt. Très vite, les trois énergumènes sortirent leurs armes de fortune. Ils ne devaient pas être bien riches, d’où leur besoin de voler…

- Moi qui croyait que c’était un endroit paisible… Lâcha-t-elle d’un ton froid.
N’avez-vous donc rien de mieux à faire que d’embêter ce pauvre homme venu se détendre ?

Un silence pesant s’était tout à coup installé. Était-ce parce qu’une femme-papillon d’1m75, à la peau bleue et à la carrure peu impressionnante venait de faire son entrée ? Oui, c’est fort possible. Un petit sourire étira les lèvres de Varda, elle faisait souvent cet effet. Le dégoût, l’admiration ou bien la moquerie… cela pouvait parfois être un peu des trois. La femme fut la première à répondre, les traits du visage pleins de rage.

- Elle veut quoi la mocheté ? Barre-toi tout de suite si tu veux pas d’ennuis ! lui dit-elle en resserrant ses mains autour de son bâton ridicule.

- Je suis peut-être moche, mais j’ai des ailes. Vous ne m’en voudrez pas si j’ai pris la peine d’avertir la Garde de vos méfaits. Elle est en chemin et ne devrait plus tarder. C’est un peu le risque lorsque l’on agresse les gens dans un lieu fréquenté…  

Bon, même s’il arrivait que la Garde passe par là faire des rondes, Varda venait tout bonnement de mentir. Mais si cela pouvait éviter quelques contusions, cela valait la peine d’essayer non ? Après tout, le lac attirait de nombreux voyageurs et le Temple n’était pas si loin.
 

L’effet papillon

Alors que Varda faisait de son mieux pour garder la tête haute et paraître crédible, les trois compères prirent congés après les avoir insulté de « monstres ». Elle ne releva pas pour autant, car ce qu’ils pouvaient penser ne lui faisait ni chaud ni froid et plus important encore, son mensonge avait fait mouche ! Elle attendit qu’ils s’éloignent pour se détendre et souffler.

- Merci de votre aide, Miss, cela m'aura évité un combat inutile. Mais ne vous dénigrez pas, vous êtes magique sous cet aspect-là. Cette femme faisait bien pâle figure comparée à vous. Je me nomme Maxime Escaflow et puis-je connaître le nom de ma sauveuse ? demanda l’homme masqué.

Notre papillon lui adressa un petit sourire, même si elle ne pouvait pas voir ses réactions avec son masque. C’était d’ailleurs assez étrange de discuter avec quelqu’un sans voir son visage. Que pouvait-il bien dissimuler ? Elle le détailla de haut en bas, sans vraiment faire preuve de discrétion. Varda avait toujours été une jeune femme curieuse et spontanée. Et il faut bien l’avouer, cet homme l’intriguait.

- Entre monstres il faut bien s’entraider n’est-ce pas ? dit-elle amusée. Je suis soulagée d’avoir évité un combat, cela aurait été bien dommage par cette belle journée ensoleillée. Oh, et je vous remercie du compliment.

Battant des ailes, elle s’approcha lentement et vint se poser devant lui.

- Je m’appelle Varda Métivier, enchantée. Dit-elle en lui tendant la main.

Bien, les présentations étaient faites. Mais maintenant qu’allait-il se passer ? Devait-elle retourner à ses occupations et le laisser tranquille ? Notre demoiselle était du genre bavarde, mais face à un homme si mystérieux, ce n’était pas si simple. Il fallait tout de même noter que les détails de son masque étaient vraiment beaux. Elle avait très envie de lui demander pourquoi il portait un tel accessoire, mais il devait déjà subir ce genre de questions à longueur de temps, et elle ne voulait pas être impolie. Ce n’était pas le physique qui importait le plus et ce n’est pas ce qui l’empêcherait de faire connaissance.

- Avez-vous un peu de temps ? Je comptais profiter quelques heures de ces rayons de soleil et de l’eau mais puisque je viens de tomber sur vous, peut-être voudriez-vous vous joindre à moi ? Ce serait plus agréable que de faire bande à part. Je m’étais installée un peu plus loin au bord du lac.

Mince ! Dans la précipitation, elle avait laissé ses sandales et son sac là-bas. Et si quelqu’un le lui avait pris ? Elle n’avait rien de grande valeur à l’intérieur mais tout de même… elle jeta un rapide coup d’œil en arrière, là où elle avait laissé ses affaires. Pas de chance, d’ici elle ne voyait rien. Ils n’avaient croisé personne depuis que les trois voleurs étaient partis, inutile de s’inquiéter.

L’effet papillon

Maxime accepta de suivre la jeune femme et rassembla ses affaires. Elle le regarda  faire en silence avant de se mettre en route. Cet homme était vêtu de la tête au pied, ne laissant voir aucune parcelle de sa peau. Par cette forte chaleur, il devait vraiment avoir très chaud ! Toutes ces couches de vêtements... Varda le plaignait. Elle portait uniquement une petite robe légère et c'était déjà bien suffisant. Maintenant qu'elle n'était plus seule, il était évident qu'elle ne pourrait pas se baigner nue, tant pis elle ferait avec. Avoir de la compagnie était tout de même plus agréable.

Très vite, ils arrivèrent près du lac, là où ses affaires étaient encore posées sur le sol. Elle vérifia rapidement le contenu de son sac avant de retourner mettre les pieds dans l'eau. Elle restait suffisamment proche de Maxime pour lui parler et cela lui permettait de se rafraichir.

- Dîtes moi, vous n'êtes pas garde ? Et vous ne semblez pas civile, vous êtes une aventurière ?

- Oui, je fais partie de la Guilde des aventuriers. Je sais, cela peut paraître étonnant vu mon gabarit mais jusqu'à présent, je m'en sors plutôt bien. dit-elle tout sourire. Je suis éclaireuse, ceci expliquera peut-être cela. Et vous, cher Maxime, que faites-vous dans la vie ? Attendez, laissez-moi deviner ! Hm, je dirai... un hors-la-loi qui se cache et qui évite les ennuis ?

Varda paraissait très sérieuse tout à coup. Peut-être un peu trop car un nouveau silence pesant s'installa. Elle fit la moue, fixant ses petits pieds dans l'eau claire, avant de rire gaiement.

- Pardonnez mon humour, il n'est pas apprécié de tous ! Ne vous en fait pas, je ne suis personne pour juger autrui. Qui que vous soyez Maxime, je suis heureuse de faire votre connaissance.

Sans attendre son reste, notre papillon s'enfonça dans le lac avant de plonger tout habillée. Elle avait encore une dernière blague à faire... enfin, ça n'en était pas vraiment une. Elle resta quelques secondes sous l'eau, profitant d'être cachée pour reprendre sa forme humaine. Lorsque ses ailes disparurent et que sa peau redevint blanche, elle sortit la tête pour reprendre son inspiration.

Les traits de son visage n'avaient pas changé, sa chevelure était peut-être plus dorée que sous sa forme insectoïde et légèrement plus courte. Les deux antennes plumeuses qui ornaient toute à l'heure sa tête n'étaient plus là, et ses lèvres qui tiraient sur le bleu nuit avaient repris une couleur rosée. Bref, c'était bien elle, en plus humaine.

- J'ai finis mon tour de spectacle. Désormais vous pourrez me reconnaître sous cette forme aussi. Si toutefois nous venons à nous revoir. D'ailleurs, vivez-vous dans les proches villages ? demanda t'elle en s'asseyant au bord de l'eau, les jambes encore immergées.

L’effet papillon

Pour la première fois depuis leur rencontre, Maxime se mit à rire derrière son masque. Enfin ! Cela donnait quelques indices à notre demoiselle, qui jusqu’à présent ne savait pas trop comment il réagissait là-dessous. Peut-être en avait-il tout simplement marre, peut-être était-il vexé, énervé… dans tous les cas, elle était forcée d’attendre qu’il se dévoile pour espérer le comprendre. C’est dans ce genre de moment que l’on se rend compte qu’un visage peut transmettre énormément d’informations… et là, il venait de rire. C’était pour le moins soulageant.

Très vite, il tourna la tête sur le côté, comme s’il ne voulait pas la regarder.

- Je loge au village proche, mais ce n'est que temporaire, je suis chapelier à la ville. "Hate in Time", j'ai ouvert il y a peu et me suis pris des vacances pour me poser. Dit-il avant de lui tendre une serviette. Vous devriez vous sécher un peu, vous risquez d'avoir froid et... On peut tout voir.

Sa dernière phrase fut presque inaudible, mais Varda avait l’ouïe fine et elle parvint à comprendre ce qu’il voulait lui dire. Ses joues s’empourprèrent, révélant à quel point elle était mal à l’aise. Elle n’avait pas pensé que même en restant habillée, sa robe blanche dévoilerait suffisamment son corps une fois mouillée. Oui, elle était un peu tête en l’air. On ne peut pas dire que ce soit une personne pudique, loin de là, mais que Maxime lui fasse la remarque était assez gênant. Elle attrapa la serviette et l’enroula autour de ses épaules, tout en remerciant le chapelier d’une petite voix. Par chance, celle-ci était assez grande pour cacher son buste. Elle se racla la gorge pour se donner de la contenance puis reprit la parole.

- Ainsi vous êtes chapelier… c’est fantastique ! Je trouve que c’est un très joli métier.

Maxime lui demanda à son tour ce qu’elle faisait par ici, en y ajoutant un nouveau compliment. Lui avait-elle tapé dans l’œil ? Elle n’était pas habituée à tant de flatteries. Ou alors elle ne fréquentait tout simplement pas assez d’hommes… il est vrai que depuis sa dernière relation, elle n’avait pas souhaité retenté l’expérience. Pour commencer, en serait-elle capable ? Un tel traumatisme laisse des séquelles, même si le temps a passé.

- Je suis venue passer quelques jours ici, principalement pour me rendre au Temple. Je loge également dans le village d’à côté mais je vis à la Capitale. Et puis, je ne suis plus seule maintenant. Dit-elle en lui faisant un sourire.

Assise au bord de l’eau, enroulée dans la serviette de Maxime, elle ne savait pas trop si elle devait l’inviter à venir s’asseoir près d’elle ou si elle devait se relever pour ne pas paraître malpolie.

- Je serais ravie de pouvoir visiter votre boutique à l’occasion. Je n’ai jamais eu la chance d’avoir de beaux chapeaux mais peut-être pourrais-je faire une exception…

Après tout, elle arrivait à mettre des cristaux de côté chaque lune ; elle pouvait bien se faire plaisir de temps en temps. Elle tâcherait d’y penser à son retour à la Capitale.

- Cela me permettra aussi de vous revoir.

Au moins sur son lieu de travail, elle pourrait difficilement se tromper de personne.

L’effet papillon

Maxime semblait tout disposé à la recevoir prochainement dans sa boutique à la Capitale. Elle ne put s’empêcher de lui sourire une nouvelle fois. Il lui expliqua en riant doucement que sous sa forme de paon, il doutait qu’un chapeau puisse relever sa beauté. Au début, elle ne comprit pas bien ce qu’il voulait dire par là… était-ce une critique ou un compliment ? Il comprit son manque de clarté et se reprit bien vite. Elle hocha la tête, il s’était simplement mal exprimé.

- C’est gentil à vous. Pendant l’espace d’un instant, j’ai cru que j’étais moins jolie sous ma forme naturelle. Dit-elle dans un petit rire. La plupart des gens préfèrent me voir ainsi que sous ma forme de paon. C’est plus dérangeant pour certains. J’imagine que les antennes y sont pour beaucoup ! souffla t’elle comme si c’était un secret. Je compte néanmoins sur vous pour réfléchir à un chapeau qui puisse me convenir sous cette apparence.

Le chapelier toussota sous son masque avant de changer de sujet. Il semblait partager son amour pour les petites virées au Temple, ce qui plut forcément à Varda. Il mentionna le travail exceptionnel des prêtres et elle ne put qu’acquiescer. Elle tiqua néanmoins sur un passage… il venait de parler de « nouvelle vie » et visiblement, ils l’avaient soigné. Était-ce en rapport avec son apparence actuelle, dissimulée aux yeux de tous ? Il en avait sans doute déjà trop dit, car il arrêta bientôt son récit.

- Pardon, je ne veux pas vous ennuyer avec ma vie déprimante. Elle n'est pas très heureuse, je ne veux pas vous faire perdre votre doux sourire Miss Métivier.

Le pauvre homme semblait soudainement abattu, triste. Varda ne savait plus quoi dire. Elle finit par se relever, gardant toujours la serviette autour de ses épaules. Elle s’approcha lentement, comme pour ne pas le brusquer et vint poser une main réconfortante sur son bras.

- Je ne sais pas ce que vous avez traversé, mais je me doute que vous n’avez pas eu la vie facile. Sachez que vous ne m’ennuyez pas du tout et je suis suffisamment forte pour sourire pour nous deux. Certaines épreuves sont douloureuses, mais il y aura toujours des moments qui valent la peine d’être vécu et il faut continuer à se battre pour ça. Alors, peu importe ce qui vous tourmente, continuez à tenir bon Maxime !

Varda essayait tant bien que mal de lui remonter le moral. Elle ne voyait peut-être pas son visage, ses expressions, mais le timbre de sa voix ne trompait pas. C’était un homme malheureux qui se trouvait devant elle. Elle aussi avait vécu des choses difficiles, très difficiles… mais elle ne pouvait pas baisser les bras. Aujourd’hui, elle faisait de son mieux pour aller de l’avant et se reconstruire petit à petit. Heureusement pour elle, elle avait une famille et des amis sur qui compter. Elle espérait que Maxime aussi.

L’effet papillon

C’était bien la première fois que quelqu’un trouvait ses antennes jolies. Maxime mentionna même leur douceur et l’envie d’y toucher, ce qui la fit rougir automatiquement. S’il y avait bien un aspect du petit paon de nuit qu’elle n’appréciait pas chez elle c’était pourtant bien ses antennes… peut-être parviendrait-elle à les accepter à force d’entendre ce genre de choses. Varda répondit à sa question en lui expliquant qu’elle souhaitait un chapeau pour sa forme humaine uniquement.  

L’homme masqué ne fit aucun mouvement de recul à son approche, il posa même sa main sur la sienne. Il avait une voix qui supposait quelqu’un d’assez jeune et son acte montrait bien que malgré son masque et son passé, il pouvait se montrer tendre. Varda avait de plus en plus envie d'apprendre à le connaître et il n'était visiblement pas le seul.

- Miss Varda, puis-je faire mon curieux et savoir ce que vous alliez faire au temple ?

- J’ai grandi dans une famille croyante, alors je l’ai toujours été. Mais avec le temps je me rends compte que je deviens de plus en plus fidèle à Lucy. Dernièrement je me suis mise à faire de petites donations aux lieux de culte. Je suis venue spécialement pour pouvoir prier au Temple et faire une offrande à la Déesse.  J’ai moi-même eu des expériences difficiles dans ma vie et cela me fait du bien, cela me rassure. J’aime me rendre utile et pouvoir aider mon prochain.  

Varda n’avait rien à cacher à ce sujet. La religion n’avait rien d’obligatoire mais cela lui apportait beaucoup. Elle ne se permettait jamais de reprocher un manque de foi, d’implication. En revanche, elle supportait rarement les offenses faites à la Déesse. Par chance, Maxime semblait lui aussi baigner dans cet univers. Une idée lui vint tout à coup…

- Je dois repasser à mon logement me changer et prendre quelques affaires mais peut-être pourrions-nous aller au Temple ensemble ?  demanda-t-elle d’une voix douce.

Varda ne voulait pas brusquer Maxime mais peut-être n’était-ce pas dû au hasard s’ils s’étaient rencontrés si proche du Temple et en ayant le même but ? De plus, elle espérait secrètement en apprendre un peu plus sur les soins que semblait lui avoir prodiguer les prêtres.