S'il y avait bien une chose qu'il savait, c'est qu'il ne devait sous aucun prétexte se laisser aller au moins de vider ses tripes sur le sol de la chambre car si Xylia pouvait se montrer douce, elle n'avait strictement aucune tolérance pour ce genre de contretemps et risquait fort de lui en faire voir de toutes les couleurs s'il abandonnait le combat contre son estomac et s'autorisait à salir leur chambre commune en son absence. Il serra les dents, à deux doigts du malaise, mais son sauveur toqua à la porte de la pièce. Entre deux gargouillements, le malade parvint à articuler faiblement :
"Eugh... Entrez...!"
Le jeune garde venue à sa rescousse pénétra dans la pièce en repoussant timidement la porte entrouverte. Alvar releva la tête et constata avec un immense soulagement la présence d'un accompagnateur, situé juste derrière son collègue. Le garde jeta un regard inquiet à son supérieur et découvrit que l'état de ce dernier ne s'était absolument pas amélioré depuis son départ. Lorsque l'état d'Alvar avait commencé à empirer et que les premiers maux de ventre s'étaient manifesté, le jeune homme avait proposé son aide et avait décidé de contacter un apothicaire pour venir en aide à l'hybride.
"Grâce à Lucy, tu as trouvé quelqu'un ! Oh non..."
Il pivota sur le côté et s'empara maladroitement d'une corbeille vide qu'il avait au préalable mis en position juste à côté de sa couche. Incapable de se retenir plus longtemps, Alvar émit un croassement bestial à la sonorité curieuse et ce fut un flot de sang noirci qui s'écoula de sa gueule de carnassier, directement dans le contenant. Fort heureusement, il était parvenu à viser convenablement. Embarrassé de voir un supérieur hiérarchique dans un tel état, le petit gars invita le soigneur à s'aventurer dans la chambre et résuma la situation :
" 'Faut que j'vous explique ! L'officier il mange pas comme nous, il boit que du sang de bête à cause d'son hybridation. D'habitude c'est aux cuisines qu'il se fournit mais là il s'est payé une bouteille de d'minotaure pour la promotion de l'un de nos gars ! Il l'a bue et il a tout de suite vu que l'goût était pas le bon. Sur le coup on s'est juste dit qu'il s'était fait arnaquer mais depuis hier soir il est comme ça ! Ca veut pas passer, alors on s'est dit qu'il valait mieux appeler quelqu'un."
Alvar opina du chef, serrant son drap avec force comme pour éviter d'avoir à se concentrer sur la douleur qui lui tordait les boyaux. Cette crise n'avait rien d'ordinaire, à en juger par son état absolument déplorable. Torse nu, le cuir de l'hybride luisait tant la sueur l'avait humidifié et c'était dans un oreiller trempé par la transpiration qu'il avait passé l'une de ses nuits les plus difficile. Il était bien rare de le voir dans un tel état et son collègue accablé ne voyait qu'un professionnel pour le tirer d'un tel tourment. L'hybride vomit une seconde fois et le pauvre garde décida de quitter la pièce plutôt que de faire face à son dégoût, offrant sa place au jeune apothicaire.
"Je vous laisse gérer, si vous avez besoin de moi je reste derrière la porte !"
Il s'éclipsa pour de bon et ferma derrière lui, laissant les deux hommes en tête à tête. Alvar haletait toujours, une paume posée sur son estomac endolori. Au prix d'un effort colossal, il parvint à s'exprimer :
"C'était pas du sang de minotaure... Ca devait être autre chose ! Faites partir la douleur, je vous en prie !"
Son estomac de bête grogna à nouveau, comme pour le punir d'avoir osé prendre la parole.
Ils se dirigèrent vers les quartiers de la Garde, esquivant passants, vendeurs, et autres animaux déambulant dans les ruelles. Le jeune soldat lui intima de presser un peu le pas, sans vraiment lui en dire plus sur la situation. S'approchant rapidement des quartiers militaires, Egbert se douta qu'un des supérieurs étaient un des individus souffrant. Enfin souffrant, il n'en était même pas sûr, mais pourquoi faire appel à ses services si ce n'était pas le cas ?
Ils arrivèrent devant ce qui semblait ressembler à une caserne. Le garde salua ses collègues à l'entrée, et fit signe à Egbert de le suivre. Celui-ci lui emboîta le pas et pénétra dans le bâtiment. Après quelques minutes à marcher dans les couloirs relativement sombre et humides de cette bâtisse, nos deux joyeux lurons arrivèrent devant une grande porte en bois, probablement du chêne. Le garde fit signe à Egbert d'attendre quelques instants ici et entra dans la pièce. Un bruit de vomissement, bien qu'étrange, résonna dans la pièce. Quelques secondes plus tard, le garde revint et fit un résumé de la situation à l'apothicaire.
Il entra dans la pièce et découvrit un homme visiblement épuisé, allongé sur le côté, armé d'une fidèle corbeille probablement destinée à accueillir le contenu de son estomac. L'opération avait d'ailleurs déjà commencé. Une odeur de sang immonde emplissait la pièce, et quelques gouttes étaient parvenues à atteindre le sol. Celui ou celle qui devra nettoyer ça sera sans doute ravi...
"Bonjour, je suis Egbert, apothicaire de métier. Votre garde m'a rapidement fait un état de la situation, mais seriez-vous capable de me donner un petit peu plus de détails?"
Après un rapide topo de la situation, non sans mal, l'apothicaire essaya tant bien que mal de réfléchir à un moyen de soigner cet homme un peu... différent. Il prépara rapidement une concoction de son secret, à l'aide de multiples plantes broyées, de racines, de feuilles et d'eau. Il tendit la mixture au pauvre homme.
"Ce sang, ou quoi que ce soit, agit comme un poison, alors il faut l'évacuer. Je vous préviens, il va falloir vous accrocher. Je vais faire brûler quelques tiges de plantes apaisantes pour inhiber un peu vos sens et calmer la douleur."
Le soldat avala la mixture d'une traite, comme pour en finir, et ses yeux s'écarquillèrent instantanement. Il saisit la corbeille à côté de lui et l'entièreté de son estomac semble s'y retrouver. Egbert déposa une bouteille de sang de lapins qu'il posa sur la table de nuit, à côté de l'homme épuisé, éreinté par l'effort.
"Vous allez bientôt vous endormir durant une petite heure. Je vous laisse ça là pour votre réveil., je crois que vous en aurez besoin si j'ai bien compris votre situation. Je reste par là, j'aimerai voir si tout va bien à votre réveil."
Alvar s'endormit, de par l'épuisement et les fumées qui lui pénétraient les narines. Egbert décida d'inspecter le contenu de la corbeille en attendant le réveil de son patient.
Son sauveur prit la parole et lui demanda d'offrir davantage de détail concernant son mal et ce fut à travers la brume qui habitant son esprit que le pauvre hybride tenta d'apporter une réponse satisfaisante aux questions du soigneur. Alvar tenta de se redresser en prenant appui sur l'un des coudes. Il réalisa qu'en plus des tâches sur le sol, il avait accidentellement percé le tissu à cause de ses ongles terriblement solides et aiguisés. Il grommela, vint extraire sa main du drap déchiré et tâcha de prendre la parole, non sans mal.
"C'est chez un marchand itinérant que j'ai trouvé la bouteille. Ce scélérat vendant de tout, de la poudre d'os de Tsi'lys jusqu'à des crocs de tisseuse, probablement le genre de ressources utiles aux faiseurs de potion. Le prix de son sang de minotaure était bien trop abordable, j'aurais dû me douter que quelque chose clochait..."
Cette première intervention de la part de l'officier fut interrompue par un croassement sonore et les remugles de son désastreux repas lui remontèrent aux narines en réveillant immédiatement sa nausée. Il avait beau vomir encore et encore, l'empoisonnement semblait si profond qu'une purge ne suffisait. Décidément, il aurait mieux fait de boire tranquillement son sang de chèvre et de ne pas chercher des nouvelles saveurs dans l'étalage d'un voyageur suspicieux.
"Au goût, je pense avoir reconnu une origine marine... peut être marécageuse. C'est extrêmement flou."
Éprouvé par cette brève explication, le militaire accueillit la concoction de l'apothicaire avec empressement, espérant que l'ingestion d'un mélange d'herbe n'allait pas le blesser encore davantage. Les vapeurs odorantes s'élevèrent dans la pièce et étrangement, les tiges brûlantes eurent effectivement un effet positif sur ses douleurs, lui permettant peu à peu de sombrer dans un sommeil difficile mais réparateur. Sous l'effet du poison et des plantes mêlées dans un cocktail puissant, il se mit cependant à cauchemarder.
La tour des plaines se manifesta dans son rêve. Tout était brumeux, une chaleur insoutenable l'empêchait de respirer convenablement. A bout de souffle, Alvar rugissait, abattant sa lame monstrueuse sur les corps décharnés des hommes tombés de la main du nécromancien. Un flot de sang jaillit en une gerbe discontinue, empourprant l'horizon verdoyante et conférant au champ de bataille une atmosphère malveillante. A chaque cible abattue, il sentait une rage bestiale croître en lui à mesure que l'animal prenait le pas sur l'homme. Il vit l'assassin et se rua sur lui, hors de contrôle. Ses mains immenses se refermèrent sur la gorge du criminel mais cette fois-ci, les cris de sa camarade ne furent pas assez pour le ramener à lui. Le monstre qu'il était devenu poussa un cri sauvage et ses crocs s'enfoncèrent dans le cou de sa proie. Tout devint noir et seul l'écho de la voix de Dahlia lui parvint.
Il se réveilla en sursaut, poussant un cri d'effroi pour ensuite reprendre son souffle. Alvar retrouva pied, en sueur, et se retrouva assis sur le matelas où le soigneur l'avait laissé. En proie à la panique occasionnée par son terrible rêve, le pauvre hybride secoué de tremblements se massa vivement le visage à deux mains, tâchant d'effacer les images terribles que son esprit torturé avait jugé bon de lui montrer. Egbert était toujours présent, attablé non loin de son patient et Alvar nota immédiatement l'absence de sa corbeille de secours, que l'expert semblait justement en train d'inspecter. Fort heureusement, les nausées étaient toujours fortes mais pour l'instant, il les maîtrisait et c'était déjà une amélioration impressionnante comparée à l'atroce sensation qu'il avait dû subir avant son cauchemar.
Le bond angoissé d'Alvar semblait avoir été suffisant pour attirer l'attention du soigneur et ce fut avec une reconnaissance absolue qu'il accueillit la présence de l'expert. Il n'avait aucune idée de la nature du traitement qu'il venait d'ingérer, mais cela avait au moins le mérite de lui ravoir rendu un peu de son aplomb. D'une voix bien rauque du fait des remontées acides, il prit enfin la parole :
"Merci bien mon cher monsieur, vous m'avez tiré d'un mauvais pas. Je me sens déjà un peu mieux. Mes pouvoirs de régénération me permettent généralement d'éviter ce genre de désagrément mais j'ai la nette impression que cette crise a quelque chose de... différent."
Il se repositionna un peu mieux sur son oreiller, épuisé malgré sa courte sieste. Il se sentait totalement affamé mais savait pertinemment qu'avaler une seule goutte de sang risquait de résulter en un triste résultat. Il attendit donc patiemment que le soigneur vienne à sa rencontre plutôt que de tenter quoi que ce soit.
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