Remous et mystères

aux thermes

Une journée simple, tout ce qu'il y a de plus banal au monde. Il va sans dire qu'un récit commençant ainsi est voué à un millier de chose, sauf bien évidemment à se terminer sans la moindre péripétie. Au grand dam de Nora qui, lui ne cherchait qu'un havre de paix, provisoire certes, car bien humble et en connaissance de son propre sort, on ne pouvait lui retirer ce simple constat : sa vie ne serait jamais peinte du blanc uni d'un linceul et malgré que son sort s'approchera un jour ou l'autre, de cette ébauche terrifiante, Lucy avait d'autres plans pour son envie de confort immédiate.

Depuis combien de temps battait-il les plaines d'Aryon en enchaînant les rencontres toutes plus singulière les unes que les autres ? Quelques lunes, tout au moins, cela n'avait cependant toujours pas mit de halte à ses aventures. A la recherche d'un quelconque réconfort, il se rappela vainement de la dernière fois qu'il avait cherché à prendre des vacances. Oh, il n'était pas prêt de l'oublier, son petit détour malencontreux de l'autre côté de la frontière, sa rencontre avec une certaine aventurière et le feu aux sources chaudes pour lesquelles ils avaient bravés bien des dangers. Mais aujourd'hui, il n'était plus question de Wendingo ni d'incendie et justement, des thermes, mixtes, venaient d'ouvrir leurs portes dans la Capitale. Sous la simple prétention d'être un spa réservé à la détente et aux simples plaisirs de la vie, ils assuraient une communication laissant l'aventurier trépignant d'impatience. Avait-il déjà mentionné à quel point il aime les bains ? Non et même s'il l'aurait fait, il ne coutait rien de le rappeler. Les bains font partis des plaisirs qu'il ne sait se refuser, sauvages, à la mer, chauffés ou perdus dans l'intimité et le décor ravissant d'une oasis au cœur d'une forêt à la suite d'un maléfice à en faire pâlir un vampire. Un quoi ? Et comment ça, c'est trop spécifique comme situation ? Passons. Nul besoin de flatter plus longtemps les bienfaits de cette activité et, qui serait ce curieux garçon sinon un idiot, que de se refuser quelques heures dans ce contexte parfait ? Et bien sachez-le, Nora n'est pas idiot à ce point, on lui dit bain et il demandera aussitôt où signer.

C'est donc en route pour ces fabuleux thermes que le jeune homme laissa Nocturne se balader dans un parc à proximité de sa destination. La cœurl, comme il semble évident à beaucoup, n'apprécie guerre l'eau ni l'humidité, alors assez âgée pour fuir en cas de danger et grâce à son lien télépathique avec son père adoptif, elle est prête à vadrouiller librement dans les espaces verts sans que le chasseur ne s'inquiète de trop pour son bien-être. Il faut dire, ces familiers grandissent tellement vite ... En franchissant l'entrée, le chasseur fut accueilli par une réceptionniste habillée de manière soignée, offrant son meilleur sourire au garçon maintenant inquiet du prix de sa petite escapade. Il faut dire, l'endroit n'était pas en manque de cachet et bien au contraire, s'il devait croiser le couple royal dans cet établissement, premièrement il ne serait pas si surpris que ça, secondement, il se cacherait à coup sûr pour éviter les foudres de Grimvor – ce dernier n'étant pas tout à fait copain avec l'aventurier qui escortait la Reine en lieu sûr il y a environ une lune, lors d'un incident laissant son lot de quiproquo. Chassant l'idée gênante de sa tête, le garçon s'avança jusqu'au guichet auquel il fut salué avec distinction.

- "Bien le bonjour, cher monsieur. Bienvenue dans nos thermes, comment puis-je vous servir ?"

- "Bonjour. Je vous prendrais une entrée, je suis seul."

D'un hochement de tête, la demoiselle invita le garçon à régler un montant étonnement pas aussi élevé qu'il ne s'y attendait – enfin, tout étant relatif, il aurait été aussi correct de dire qu'il ne s'était pas fait dépouiller aussi fort que prévu – puis il lui fut indiquer la direction des vestiaires pour homme. Les bains, encore une fois, mixtes, ne se séparaient qu'à l'étape du changement d'habit. Troquant sa tenue d'aventurier avec la plus modeste qu'il lui soit offerte, le brun prit une douche préalable comme recommandé et une fois débarrassé de sa crasse, se dirigea vers les bains avec une simple serviette blanche autour des hanches. La diversité de genre en ce lieu ne le dérangeait pas, tant qu'il n'avait aucune interaction avec un membre du sexe opposé, il savait parfaitement se tenir : son but était noble et parfaitement désintéressé de la gente féminine. Ainsi aussi longtemps qu'il était laissé seul, il se porterait comme un charme et n'aurait rien d'autre en tête que le clapotis de l'eau sur les rebords des bassin et l'arôme subtil des herbes infusées dans les piscines.

Un regard à gauche puis à droite, le jeune homme ne vit ... absolument personne, contrairement à ce qu'il attendait de ce genre de lieu. Le vide le plus complet, était-ce les tarifs qui refroidissaient autant les potentiels clients ? Auquel cas le brun s'était sûrement fait salement pigeonner, mais rien n'était assez cher pour ce genre de plaisir simple, à ses yeux. Il trouva alors le bassin le plus agréable, un bain à remous, l'eau chaude envoya des frissons dans le corps du chasseur aussitôt y avait-il plongé un orteil. Le reste du corps ne tarda pas à suivre, débarrassant sa serviette sur un rebord, il profita de la solitude pour ne se soucier pas un instant de sa pudeur, plutôt profitant les yeux clos du massage prodigué par une aussi belle invention. Si bien qu'il n'entendit que trop tard l'invitée surprise qui l'avait rejoint.

Remous et mystères

aux thermes

Le bruit de l'onde s'écartant sous la plante des pieds d'une étrangère, rouvrant lentement les yeux, le chasseur détermina que – bien heureusement – cette personne avait jeté son dévolu sur un autre bain, non-loin. D'un regard de côté, il aperçut une gracieuse silhouette féminine, toute de pêche et de turquoise pâle, était-ce l'effet de la vapeur d'eau, constituant un rideau naturel entre chaque bain ? Peu importait après tout, ce n'est pas comme si à la personne près, l'aventurier regretterait sa solitude, d'autant plus qu'elle semblait venir ici également pour ses propres intérêts qui ne rencontreraient nullement les siens, ainsi, tout le monde préserverait son intimité et son calme. Si ce n'était pas pour le prix de l'entrée, le chasseur se serait promit des visites régulières, un service de cette qualité couplé au calme naturel de l'endroit, que pouvait-il espérer de plus ? Seul bémol, il s'était facilement perdu dans les multiples couloirs, il y avait beaucoup de pièces pour les divers équipements du spa, ainsi il devrait rapidement prendre l'habitude de suivre la même route pour ne pas se perdre sur ses prochains allers et retours.

Une silhouette, cette fois-ci habillée avec l'uniforme de l'enseigne, s'approcha des bassins et d'une voix ni trop haute, ni trop basse, s'exprima clairement malgré le challenge qu'imposait le bruit des remous et l'écho de la pièce.

- "Puis-je vous proposer une boisson, monsieur ?"

Une boisson ? Voilà une idée qui ne serait pas de refus, mais quoi ? Le jeune homme ne consommant que peu d'alcool en général, il serait une mauvaise idée d'en commander, encore plus avec la chaleur des bains. Sans se redresser, il s'accorda une petite seconde de réflexion avant de donner son verdict.

- "Un thé matcha, glacé, s'il vous plaît."

Une demande peu commune, le matcha étant généralement et objectivement meilleur chaud, mais avec cette chaleur, il ne coûtait rien de s'essayer à de nouvelles choses, d'autant plus qu'un établissement de cette qualité saurait sûrement trouver une harmonie pour accompagner le thé avec la morsure du froid, probablement l'utilisation de miel ou d'un quelconque autre sucrant. La demoiselle prit ensuite sa retraite et ses pas s'arrêtèrent non loin de l'autre demoiselle, cette fois-ci, il n'entendit que le vague écho de sa voix, trop faible pour le perturber dans sa séance de détente.

Lorsque la serveuse quitta la pièce, Nora se laissa un peu plus couler dans le bassin. Après tout, il était seul, pourquoi ne pas en profiter ? Laissant sa tête hors de l'eau, il savoura chaque remous faisant office de massage et déliant des rigidités dont il n'avait jusqu'alors pas conscience. Une merveilleuse invention vous dis-je. Ainsi il serait bien inconvenant de ne pas en profiter, au moins jusqu'au retour de la serveuse avec sa boisson. Retrouvant une posture un peu plus noble lorsque le bruit de pas fit sa seconde apparition, Nora hocha la tête avec un sourire en guise de remerciement lorsque la demoiselle posa son verre à coté de lui, faisant de même avec l'inconnue avant de disparaitre à nouveau. Curieux de savoir comment le bar avait arrangé sa boisson, le jeune homme en prit une grosse gorgée et fit rouler sur sa langue les ... fragrances ... ? Non, c'était étonnamment bien plus puissant que ce qu'il pensait. Moins sucré qu'espéré aussi et ... cette brûlure au fond de la gorge ne lui était pas inconnue. Son verre contenait bien de l'alcool et non pas la boisson commandée. Était-ce là une confusion ? Pour deux clients, il était compliqué de mieux se planter. Soupirant malgré les effluves remontant ses narines avec la drôle d'impression d'avoir moins d'équilibre, le jeune homme s'extirpa à contrecœur de l'eau et enroula ses hanches dans la serviette en emmenant son verre. D'un pas tranquille vers la demoiselle, il prit garde à ne pas s'accroupir face à elle, alcool ou pas, il savait très bien que ce genre de position aurait eut bien assez vite fait de détruire ce qui lui restait d'innocence, il choisit donc une pose lui permettant de l'accoster sans dévoiler quoi que ce soit, à côté de son bain.

- "Excusez-moi. J'ai l'impression qu'il y a eu une confusion sur nos boissons, avez-vous commandé de l'alcool ? Mon verre en contient, j'ai pourtant commandé un thé ..."

Il posa le verre à ses cotés en lâchant un soupire, évitant de la fixer également. Un bain mixte n'impliquait pas forcément que tout le monde était consentant à se faire dévisager, ainsi le rouge aux joues avec l'ébriété naissante, il chercha à se redresser – trop vite – pour ne pas se montrer dérangeant ni oppressant. Une regrettable erreur, coup dur pour l'aventurier qui prit d'un vertige, perdit l'équilibre ... et finit tête la première dans le bassin de la demoiselle, avec une pauvre serviette abandonnée, flottant à la dérive. Mettons cette curieuse rencontre sur le compte de la maladresse, voulez-vous ?

Remous et mystères

aux thermes

Cette sensation étrange qui couvre nos oreilles et engourdit nos sens, alors que l'air ne manque pas encore, on se retrouve simplement dans une situation où le temps s'arrête, l'instant même ou le frisson parcourt notre épiderme et nous choque, dans un simili de tétanie. La tête sous l'eau, Nora ne comprit pas immédiatement ce qu'il lui arrivait. Il avait senti un heurt, l'étourdissant provisoirement et saccadant le flot de ses pensées. En réalité, il était aussi gracieux qu'une planche à la mer, seuls ses membres étaient submergés alors qu'il exposait un dos presque rond, tatoué tout autour du trapèze droit et sur l'omoplate par des rosiers tout de noir tracé. Il sentit une caresse et une paire de mains se nouer autour de ses épaules pour le sortir du bain dans lequel il s'était malencontreusement étalé. Toussant l'eau infiltrée dans ses poumons, le jeune homme envoya sa chevelure en arrière et frotta ses yeux pour recouvrer la vision, alors que sa sauveuse s'inquiétait de son état. L'aventurier hocha la tête et frotta ses yeux afin de les rouvrir sans les noyer dans l'eau accumulée sur ses cils. Ce qui l'accueillit était disons ... pour le moins inattendu.

Les grandes vallées de velours beige, brassées par une pluie abondante, il n'y avait guère terre plus pure en Aryon, sans en douter un seul instant. Ces plaines interminables continuaient leur ascension vers le nord, où trônaient deux fières collines composées du même velouté de pêche blanchâtre, rougies par la chaleur des bains. La courbe de ce marbre sculpté semblait aussi douce que le brise de son souffle égaré battant les étendues vierges et, bien assez vite, il comprit. Il comprit qu'il ne décrivait pas la magnifique tapisserie des murs ni un chef d'œuvre accroché au musée de la Capitale. Son regard, initialement empreint d'une curiosité innocente se transforma rapidement pour accompagner son expression faciale, paniquée alors qu'il tenta un pas en arrière en bégayant une excuse. Il replongea de plus belle, en arrière cette fois-ci.

Ah, le retour de cette sensation, les oreilles couvertes, les sens amoindris, tout ça, tout ça ... Sortant de l'eau et s'étouffant de nouveau, il tenta entre deux toux de s'excuser.

- "Eck tousse Excusez-moi ! Je ne tousse voulais pas vous tousse tousse regarder ainsi !"

Ereinté tant par l'alcool, ses deux presque-noyades et la chaleur des bains couplée à sa toux, il tenta tant bien que mal de rejoindre un bord du bassin, celui-ci n'étant pas très profond, il n'eut que peu de mal, mais naturellement grand, il ne pouvait pas non plus se permettre de se tenir droit sans serviette, au risque de ternir encore plus son image. Il chercha du regard autour de lui cette dernière – qu'il ne trouva bien évidemment pas – et un bruit sourd résonna dans toute la pièce.

A vrai dire, ce n'était pas tout, ce bruit fut accompagné par l'extinction de tous les cristaux de lumière, plongeant l'endroit dans l'obscurité totale. Il ne subsistait que l'écho des vagues et les bulles du bain à remous qu'il avait quitté plus tôt, ainsi que la voix des deux clients, à présent dans une situation délicate.

- "Hum, c'est vous qui avez éteint la lumière ?"

La question semblait bête, elle était présente dans le même bassin, actuellement, mais ne sait-on jamais quelle magie est à l'œuvre - ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Lucy se montre taquine.

- "Ne bougez pas, j'essaie de revenir."

Un peu à tâtons, le chasseur trouva une des bordure du bain et chercha à retourner auprès de la demoiselle en suivant sa voix, sûrement par réflexe. A deux dans cette situation, il était plus prudent de s'assurer de la présence de l'autre, était-elle victime du même incident ou son instigatrice ? Il le saurait en étudiant ses réactions et en confirmant sa présence, une main devant lui pour ne pas la heurter, il chercha la jeune femme turquoise à l'aveugle. Il était bien imprudent de se déplacer dans les bassins de cette manière mais après tout, ils n'avaient que cette solution, du moins à sa propre connaissance, car Achromat était avec ses affaires et de toute évidence, bien trop puissante pour illuminer la pièce sans les aveugler.

Remous et mystères

aux thermes

La progression du garçon était lente, cherchant à ne pas heurter un obstacle ou la jeune femme, il se concentra, les yeux clos, à trouver son chemin sans rentrer dans quoi que ce soit. Prenant en considération la taille de la demoiselle, il plaça sa main un peu plus bas en balayant l'espace horizontalement. Plus haut et il aurait eut sur le dos un délit d'agression sexuelle, trop haut et un accident était tout aussi vite arrivé. Finalement, ses doigts terminèrent leur course sur une soie fine et il s'assura que ce soit bien la demoiselle avant de retirer sa dextre, la réaction de l'inconnue ne laissant aucun doute qu'il l'avait bien trouvée.

- "Ah ! Oui, excusez-moi ... je ne voulais pas vous surprendre."

Un contact aveugle effleura son torse et finalement, la main entière suivit. Il faut dire, c'était un jeu bien trop dangereux pour le jeune homme, bien que la situation ne prête pas à la découverte d'un partenaire à l'aveugle, il ne pu empêcher le rouge de monter à ses joues. Bien heureusement, personne ne pouvait le voir. Seulement malgré cette angoisse grandissante, il aurait pu charrier la demoiselle pour tenter de détendre l'atmosphère, mais l'instinct du chasseur frappa et il sentit cette désagréable sensation que ressentaient toutes les proies avant d'être prise en chasse. Nora posa sa main sur le bras de la demoiselle et serra légèrement sa poigne pour éviter qu'un incident ne les sépare. On en entend bien trop, de ces histoires où un groupe décide de scinder ses forces pour une raison ou une autre, les conséquences qui en résultent sont souvent désastreuses et en l'occurrence, il ne comptait pas laisser cette étrangère prendre le moindre risque. Sa promesse à lui-même refit surface : "Il n'y aura plus de sacrifice inutile". Décidé à tenir parole envers lui-même, il s'apprêta à rassurer la demoiselle quand elle s'exprima la première.

- "Hm... vous croyez qu'il faut attendre ? Le personnel va bien finir par rallumer les lumières non ?"

Une décision sage, si seulement il n'avait pas émis un doute plus tôt sur leurs capacités. Non, il n'y avait aucune rancœur, simplement que l'endroit, relativement nouveau, n'avait fait office d'aucune garantie en ce qui concerne la qualité des services, aussi, il était probable que ces derniers affrontaient eux-mêmes leur lot de problèmes. Un bruit résonna dans la pièce et fit écho. Quelque chose frappant la surface de l'eau, puis de nouveau, plus fort, peut-être même plus proche. La jeune femme posa une question à haute voix mais rien, seulement son propre écho. Sentant sa prise le quitter, il en déduit que la demoiselle s'était baissée, il en fit de même et à l'aveugle, chercha ses lèvres pour poser un doigt en travers, l'incitant au silence. Puis son autre main chercha celle de la demoiselle pour s'en saisir. Il approcha de son oreille et murmura au plus bas possible.

- "Suivez-moi."

Pas le temps pour plus d'explication, il n'y avait aucun artifice suspendu au-dessus des bassins alentours qui aurait pu justifier ces bruits, cela le laissa pensif et d'autant plus méfiant. Tirant avec douceur la main de la demoiselle pour l'inviter à sortir du bassin, le chasseur fit de même en étudiant les bruits d'éclaboussures qui n'avaient cessés, à son grand soulagement, aucun n'était aussi fort que le second. Pour le moment du moins. Debout en dehors de l'eau, l'aventurier se dirigea vers le pan de mur le plus proche en évitant de tomber dans un autre bassin, prenant les devants jusqu'à ce que la surface couverte de fresque les accueille. Une fois contre celle-ci, le brun se pencha de nouveau à l'oreille de sa partenaire de malchance pour lui donner la suite des évènements.

- "J'ai besoin de mon matériel, il se trouve dans les vestiaires. Sans lumière nous sommes à notre désavantage."

Et comme pour appuyer ses dires, il reprit la marche à pas feutrés, veillant à tenir un rythme qui permettait à la demoiselle faire de même. Un renfoncement se fit sentir et s'engouffrait dans un long couloir menant ultimement aux vestiaires masculins. Malheureusement, l'aller avec la lumière s'était avéré compliqué, il n'imaginait pas le retour à l'aveugle mais, à défaut d'avoir le choix, il s'engouffra dans les corridors aussi sombres que le reste de l'endroit. Sans trouver la moindre visibilité même après plusieurs minutes les yeux grands ouverts, le chasseur dut se fier à ses autres sens. Son ouïe captait encore les bruits d'éclaboussure et bien contraint d'avancer sans sa vue, il eut soudainement l'illumination en reconsidérant la situation.

"Nocturne, retrouves-moi, j'ai besoin de toi."

"Papa ! Papa m'appelle ! Mais l'oiseau il veut pas descendre ..."

Ne se figurant qu'à moitié ce que faisait la coeurl, il passa ce détail.

"On ira chasser ensemble tout à l'heure, pour l'instant rejoins moi vite. Dans la grande maison avec des murs blancs et des dessins dessus, à côté du parc."

"J'arrive !"

Contraint de décrire vaguement le bâtiment, il espéra qu'aucun autre ne ressemble à cette description dans le coin et en attendant, il continua sa marche à tâtons en essayant de rassurer sa partenaire.

- "De l'aide arrive, mon familier peut nous retrouver."

Un nouveau signal de la petite arriva, avec des nouvelles pour le moins inquiétantes.

"La maison est fermée ! La porte est bloquée !"

Pestant dans son souffle, le garçon hâta un peu plus la marche. Il fallait qu'il trouve un moyen de retrouver sa fille au plus vite, avec sa faculté à se déplacer dans le noir, elle serait un précieux atout pour trouver une sortie. Finalement, une porte se démarqua visuellement des autres au grand soulagement du garçon. Une pâle lueur filtrait de son interstice au niveau du sol, indiquant la présence d'un potentiel cristal de lumière fonctionnel. Sans hésiter une seconde de plus, le jeune homme s'y engouffra avec la demoiselle, oubliant parfaitement leur nudité et cherchant du regard la provenance de cette lumière. Une petite fenêtre encastrée dans le haut du mur qui donnait sur un bâtiment voisin, lui sans ouverture. Le placement de cette petite ouverture n'était pas laissée au hasard car ils venaient également de trouver le vestiaire des hommes. Malgré quoi, ce qui importait le plus pour l'instant restait la cœurl qu'il appela de nouveau mentalement, lui demandant de chercher une fenêtre par laquelle il faisait passer sa main pour lui faire signe.

"Je vois Papa ! Nocturne arrive !"

Il ne fallut pas longtemps pour voir une silhouette féline se faufiler par cette entrée, juste assez large pour elle et atterrir gracieusement derrière l'aventurier. Ses vibrisses naviguaient fluidement autour de son corps malgré sa petite taille, actuellement aussi grosse qu'un chat adulte de très bonne corpulence, si bien que le chasseur se demandait lui-même comment il faisait pour la transporter dans sa capuche la majorité du temps. Nocturne s'approcha de la demoiselle et les oreilles dressées, chercha à la sentir, ne sentant aucune hostilité de la part de son père et surtout, très curieuse naturellement. Le jeune homme tira pendant ce temps-là d'un emplacement de rangement loué plusieurs outils en hâte, son épée, Achromat, sa longue vue avec vision nocturne et sa dague. Curieusement, aucune trace de ses habits et d'une grande partie de ses effets personnels, mis à part sa cape et quelques outils d'aventurier, avait-il affaire à un vol ? Il y avait-il un service de nettoyage offert duquel il n'avait pas été avertit ? Pestant de nouveau, il se tourna vers la demoiselle et prit au dépourvu, fit bien assez vite un demi-tour, oubliant qu'ils étaient dans une situation disons ... délicate.

- "Je n'ai que mes armes, aucune trace de mes habits ... Prends ma cape pour le moment, en attendant qu'on trouve le reste de nos affaires."

Offrant l'habit en l'évitant du regard, il attendit qu'elle ait terminé de se couvrir pour lui remettre également la longue vue et la dague, cette dernière à contrecœur, elle est après tout son seul héritage d'un père disparut, mais la situation ne prêtait pas aux élans émotionnels du genre, il n'ajouta donc rien de plus à ce propos.

- "Nocturne va pouvoir nous guider, vous aussi avec cette longue vue. Ce n'est pas le plus grand luxe mais ce sera déjà mieux que rien ... Oh, je m'appelle Nora, d'ailleurs. Enchanté."

Il ne lui tendit pas la main pour la serrer, nu comme un verre, il préférait se dissimuler et éviter les salutations formelles. Il désigna alors la cœurl d'un coup de menton et poursuivit.

- "D'après mon familier, il semblerait que l'entrée soit fermée, il faut qu'on retrouve nos affaires ainsi qu'une sortie. Si vous voyez quoi que ce soit qui vous alerte, prévenez-moi. J'ai ... un mauvais pressentiment concernant la suite."

Il valait mieux la tenir au courant de ses impressions sur l'endroit, car qui sait ce qu'ils trouveraient effectivement, une coupure de courant et des affaires manquantes, quel genre d'institut proposait des services aussi bancals ? Sans évidemment évoquer les bruits d'éclaboussure dans les thermes. Comme si ce n'était pas suffisant, il y avait aussi ses sens légèrement amoindris par le combo de chaleur et d'alcool, adressant une lutte acharnée à l'adrénaline qui cherchait à rendre au chasseur ses facultés habituelles. Voici une exploration qui promettait d'être intéressante.

Remous et mystères

aux thermes

La jeune femme - répondant donc au nom de Zylan - sembla peu rassurée au contact de Nocturne qui elle, s'amusait de la couleur que prenait ses cheveux et chercha innocemment à jouer avec. Le chasseur l'appela mentalement pour qu'elle se range à coté de lui. Cette demoiselle, lorsque le brun lui confia ses objets, les lui rendit à l'exception de la cape en dévoilant son pouvoir, lui permettant de fuir pour aller chercher la garde. Se retrouver seul dans cet endroit ne laissait présager rien de bon, aux yeux du jeune homme qui commença à se remuer les méninges malgré l'entrave de l'alcool. Finalement, il serait effectivement plus sage de procéder ainsi, mais son côté aventurier ne le laisserait pas à si bon compte sans qu'il n'ait pu satisfaire sa curiosité, puis, attendre bien sagement dans le vestiaire était à son avis tout sauf une bonne idée.

- "Ce serait certainement plus sage, oui. Je vais donc en profiter pour essayer de retrouver le reste de mes effets personnels en attendant, il y a certaines choses que je ne peux pas me permettre de perdre."

Il fit quelques pas vers le casier pour terminer de s'équiper du maximum de ses affaires, gardant sa lame retour à portée de main. Ce faisant, il passa à coté de Zylan en évitant tout regard indiscret et en croisant ses yeux, lui offrit un sourire sympathique.

- "Ne me fais pas trop attendre, d'accord ?"

Sur un air charrieur. Il valait mieux qu'elle parte sans se faire de mouron inutile, ainsi lui-même pourrait se motiver à rester toujours au plus vigilant, il s'éloigna après un adieu à la demoiselle pour franchir la porte et retourner dans l'obscurité quasi-totale. Il avait supposément entre une quinzaine et une trentaine de minutes pour explorer l'endroit avant l'arrivée des gardes, ainsi, c'est ce qu'il fit en s'aiguillant des indications de Nocturne et de sa longue-vue réglée au minimum, prenant grand soin de ne pas approcher des bains, dans le doute où quelque chose de dangereux y rôdait. A pas feutrés, il approcha de chaque porte pour jeter un œil par le hublot s'il y en avait un, cherchant une buanderie ou un stockage dans lequel ses affaires auraient pu être disposées et ce n'est qu'après une dizaine de minutes sans un bruit qu'il trouva une salle dans laquelle les serviettes usagées étaient entassées. Entrant dans cette nouvelle pièce en surveillant minutieusement chaque recoin pour ne pas se faire surprendre, il retourna chaque panière pour trouver ses affaires, sans succès malheureusement. Dans une consigne peut-être ? Il sortit de la pièce, mais cette fois-ci entendit les bruits d'éclaboussure faire de plus en plus d'écho dans les bains. Gardant un œil vigilant, il continua sa progression pour rejoindre l'accueil et chercher un passage réservé aux employés. L'absence de personnel était également inquiétante, aussi, il se pardonna son infraction pour s'engouffrer dans de nouveaux couloirs, plus étroits, où il pu trouver des vestiaires privés, des pièces dont il ignorait l'utilité ainsi qu'un passage pour rejoindre le dessous des thermes, la salle des chauffages. Ne faisant que poser une main contre la porte le séparant de ce dernier lieu, il sentit une vague de frisson l'envahir et un instant criant de fuir, Nocturne partagea ce même sentiment et elle commença à s'ébouriffer en bombant le dos.

"Du calme, Nocturne. Tu entends quelque chose ?"
"Nocturne ne veut pas aller derrière la porte !"
"Il y a peut-être des choses à voir là-bas ..."
"Je veux pas !"

Il serait inutile de négocier, visiblement, d'autant plus qu'il n'avait ni le temps, ni l'envie de contredire son familier. Il avança donc jusqu'aux vestiaires des employés et ouvrit une à une chaque porte, pour la refermer une fois son inspection terminée. Cette dernière fut interrompue par un bruit de pas venant de la salle des chauffages, sans réfléchir plus longtemps, le garçon se glissa habilement dans une des cabines et la verrouilla derrière lui en prenant Nocturne contre lui, enserrée par le bras tenant la longue-vue. Son autre main tira la dague pour se préparer à un éventuel affrontement. Contre qui ou quoi ? Rien de bien, qui a un rythme aussi serein dans la pénombre, ne pipant mot et se profilant au gré des ombres. Les pieds frappant le sol étaient semblablement nus, avançant à un rythme régulier et ponctués par des respirations profondes, des expirations complètes. Le rythme cardiaque du jeune homme accéléra lentement, à l'unisson avec celui du familier qui n'osait sortir le moindre miaulement, ni le moindre mot par télépathie. L'inconnu rôda, fit quelques pas dans la direction du garçon et le bruit d'une paire de doigts – supposément – glissant sur les murs laissa un brun frissonnant d'inquiétude. Peut-être aurait-il mieux fait de rester dans le vestiaire et d'attendre la garde ? Mais son intuition lui guidait autre chose, ainsi, lorsque les bruits de pas s'estompèrent au loin, en direction des bains, le jeune homme décida d'aller jeter à œil à cette chaufferie - la direction dans laquelle il était assuré de ne pas croiser cette chose. La porte menant à sa destination, entrouverte, laissait filtrer un courant d'air chaud dans la pièce et une légère brume compromettait la visibilité générale du lieu. S'étendant sur plusieurs mètres en longueur et en largeur, plusieurs fours dégageant une chaleur oppressante tournaient à plein régime, comme s'ils venaient d'être alimentés en bois pour maintenir les bassins chauffés malgré la panne de cristaux. Mais qui se soucierait de ce détail avant de prévenir les clients ou de les rassurer ? Ci-et-là, un paquet de leviers et cordes dont le chasseur ignorait l'utilité, une trappe pour rejoindre directement la salle des bains et mis à part ça, il y avait une autre porte à l'autre bout de la pièce. En faisant un tour rapide, le brun s'en alla vers ce nouveau couloir qui le guida à une branche annexe de l'établissement, la remise tant cherchée. Et la chance fut de son côté car il y trouva bel et bien ses effets personnels mais aussi ses habits et d'autres, appartenant à une femme. Les poches étaient toutes retournées et sacoches, bourses, tout autre contenant s'étaient retrouvés inspectés, ouverts voir éventrés. Un vol donc, malgré qu'il ne manque aucun cristal au jeune homme. Après tout, un criminel aurait amplement le temps de fouiner dans les effets volés après s'être débarrassé des potentiels gêneurs. Nora déglutit, la situation était peut-être plus dangereuse qu'il ne l'avait calculé, passant de simple problème technique à un véritable coup monté visant à dépouiller les clients de l'endroit, voir pire. Décidément, il n'aura jamais l'occasion de visiter des thermes sans qu'il s'y passe quelque chose d'insolite. Après s'être rhabillé en vitesse et rééquipé, il emporta au maximum des affaires volées et chercha dans le noir une autre sortie. Le bruit de pas saisit alors cet instant pour faire son retour et Nocturne, postée en garde au niveau de la chaufferie fut celle qui prévint l'aventurier.

"Le bruit ! Il revient !"
"Restes là où tu es et surveille pour moi, je vais nous trouver une issue."

Et son issue était une porte fermée à clé, au fond de la remise. Cherchant les murs et les étagères frénétiquement à la recherche de son sésame, en contenant la panique grandissante, il ne trouva rien et pire, d'un mouvement maladroit fit tomber une lampe à huile qui se brisa au contact du sol.

"Ça s'est arrêté ..."

La voix de Nocturne résonna comme un soulagement dans la tête du chasseur, d'assez courte durée d'ailleurs.

"Ça court ! Le monstre court !"
"Reviens tout de suite !"

Plus le temps de réfléchir, c'est l'épaule la première qu'il emboîta dans la porte. Un coup n'était pas suffisant, un second alors ! Le choc se répandit dans les murs et vibrait en répercutant le son étouffé de la charge du garçon. Reculant d'un pas, il envoya sa botte fraichement nouée à son pied au niveau de la poignée pour fracasser le verrou dans un bruit de bois déchiré. Un dernier coup d'épaule et manquant de tituber, c'est avec son butin sur l'épaule qu'il courut de toute ses forces, gardant la longue vue contre son œil droit pour voir un peu mieux dans la pénombre. S'il trébuchait ou heurtait un mur, il occasionnerait sans douter de lourds dégâts, malheureusement, il n'avait pas le choix car les pas s'approchaient de plus en plus, accompagnés du souffle puissant et rythmés de son agresseur. En peu de temps, le chasseur pu rejoindre le hall d'entrée par une autre entrée également réservée au personnel et il se retourna proche de l'accueil, dos à la sortie bloquée. Haletant, il avait lâché son butin et échangé sa dague avec son épée, épiant avec son outil d'aventurier le couloir duquel il était sortit en panique. Un jour s'invitait de sous la porte d'entrée et partiellement visible, il se ficha d'être vu, bien au contraire. Si l'ennemi le voyait armé, il saurait à quoi s'en tenir en s'approchant, bien que le brun ne soit pas tout à fait serein non plus. Du corridor duquel il s'était extirpé, il entendit le bruit de pas s'arrêter et du coin du mur, simplement dépasser un coin de visage, un œil l'épiant, froid, écarquillé, injectés de sang. Comme le glas de Lucy le tirant d'un effroyable cauchemar, la porte derrière lui vola en éclat après un coup de pied bien placé de la garde. La silhouette disparut et Nora tomba sur ses genoux, lessivé, le regard marqué par l'horreur qu'il venait de vivre.