Marla Oppenheimer

C'était l'heure de la relève. Le garde jusqu'alors en poste laissa Marla prendre sa place dans un silence naturel. Du haut de son mètre quatre-vingt-deux la jeune femme semblait imprenable. Elle ne laissait rien transparaître, sinon un visage dur appuyé par son regard rubis qui transperçait froidement les mèches argentées qui tombaient en cascade jusqu'à ses épaules. Sa silhouette féminine cachait une musculature sèche, adaptée au combat rapproché qu'elle affectionnait tant. Dans sa main, se trouvait son arme de prédilection et moyen de dissuasion numéro un contre les malotrus qui pourraient croire que l'attaquer serait une idée lumineuse, une lance dont la pointe rappelait la lame d'une épée. En plus de son équipement offensif, Marla revêtait quelques pièces d'armure afin de préserver des points cruciaux des blessures tout en gardant de la souplesse dans ses mouvements. À l'abris dans son écrin blanc et noir liseré de bleu et d'or, elle était l'un des reflets du fleuron de l'armée royale. Cette tenue, elle ne la quittait presque jamais, que ce soit a repos ou en service. Elle arguait souvent qu'elle n'avait rien de mieux à mettre, mais c'était plus un réel manque d'envie de s'habiller autrement. De ce fait, il n'était pas difficile de la reconnaître tant elle changeait si peu.

Son air froid et dédaigneux ne la quittait jamais vraiment. Il n'y avait que lors de ses pauses lecture qu'elle offrait un visage un peu plus neutre. Personne ne l'avait vu sourire ne serait-ce qu'une seule fois, et si elle s'y essayait, elle ferait plus peur qu'autre chose.

De toute manière, Marla n'était pas une personne très portée vers les autres. De nature solitaire et taciturne, la jeune femme préférait s'isoler pour éviter toute contrainte sociale. Elle restait néanmoins respectueuse et plus particulièrement envers ses ainés et ses supérieurs qu'elle tenait en haute estime. Les quelques rares personnes à être suffisamment proches d'elles purent connaître une personnalité un peu plus ouverte mais pas plus souriante. Elle parlait un peu plus librement bien que ce soit plus en réponse à une question que pour bavarder. Par conséquent et du fait de son pouvoir, lorsqu'elle parlait délibérément, elle était écoutée. Personne de confiance, déterminée et appliquée, elle s'attelait chaque jour à effectuer son travail de la meilleure des manières, sans faire de vague. Les seuls qui pouvaient se plaindre étaient les ennemis de la couronne qui se trouvaient sur son chemin. Là, elle n'avait aucune pitié.

Elle se tortilla en braillant, ce qui ponctua cette nuit de travail acharné. Elle avait décidé de pointer le bout de son nez alors que tout le monde se reposait. Mais pour Friede Oppenheimer, la naissance de sa fille était un soulagement. Après de multiples fausses couches, elle pouvait enfin voir son enfant vivre dans ses bras. Très attendue, Marla reçut une attention toute particulière de sa mère et de son père, bien que ce dernier soit régulièrement absent. Les Oppenheimer étaient une famille modeste, logeant dans un village bordant un des bras du Grand fleuve. Il n'y avait pas grand chose à faire à part s'occuper du potager ou envoyer la petite à l'école, mais tout fut mis en œuvre pour que Marla grandisse dans le cadre le plus adéquat possible. Dans sa petite école, elle y apprit tout ce que les enfants devaient savoir, sans pour autant arriver à interagir avec les autres. Surprotégée par sa mère, elle avait interdiction de traîner avec les autres enfants en dehors de l'école. La petite fille restait la plupart du temps cloitrée chez elle avec sa génitrice pour seule interlocutrice. Les livres devinrent ses moyens d'évasion, une aventure qu'elle pouvait vivre sans avoir besoin de sortir de cette cage dorée. Mais l'évasion n'était pas éternelle, les pouvoirs de l'enfant l'empêchant de prolonger ses lectures sous peine d'atroces maux de tête qui pouvaient la clouer au lit pour les quelques heures qui suivaient.

Marla n'eut le droit de sortir qu'au décès de sa mère, emportée par une forte fièvre. Dès lors rien ne pouvait l'empêcher de vagabonder avec les enfants de son âge et jouer avec eux. Mais au lieu de cela, la petite se mit à lire en extérieur. De toute manière elle ne connaissait personne et les autres refusaient qu'elle les accompagne. Les rares fois où elle avait des interactions avec d'autres enfants étaient les bagarres dans lesquelles elle était physiquement impliquée. Son père étant aventurier lui avait appris, les quelques fois où il restait assez longtemps à la maison, à se défendre convenablement pour faire face à ce genre de situations. Inspirée par les héros des livres qu'elle avalait, elle se retrouvait rapidement à échanger quelques marrons avec des garçons qui trouvaient amusant de déranger sa lecture.

Un jour, alors que le paternel Oppenheimer s'endormait presque sur la table de la cuisine, sa fille arriva en hurlant.
- Je veux être une garde!
Désorienté par se réveil en fanfare, l'homme au crâne lisse manqua de tomber de sa chaise avant de fixer la petite d'un air incrédule. Il avait du mal à voir la prunelle de ses yeux armée jusqu'au dents prête à en découdre avec des tueurs tous plus dangereux les uns que les autres. Pourtant il se doutait bien qu'elle ne voudrait jamais avoir une petite vie tranquille après avoir été confinée et abreuvée de grandes aventures épiques.
- Tu ne veux pas devenir aventurière comme Papa?
- Non. T'as pas de belle armure et t'es jamais là.
Elle n'avait pas la langue dans sa poche. Oppenheimer père sourit, amusé par un tel bagou et l'invita à le rejoindre à table. Puisqu'elle voulait devenir garde, pourquoi l'en empêcher? En y réfléchissant bien, elle en aurait sûrement l'étoffe. Et puis qui disait formation de garde disait internat, ce qui lui enlevait une épine du pieds. Elle serait logée nourrie sans qu'il eut à s'en soucier.
- Quand tu auras l'âge, alors tu pourras, d'accord?  
Elle opina du chef puis glissa de sa chaise pour retourner à ses occupations.

À ses douze ans, Marla fut comme promis amenée à l'académie militaire pour passer les tests qui devaient lui permettre de commencer sa formation de garde. Les contrôles physiques et psychologiques se suivirent dans une solide ambiance militaire. Marla n'eut aucun problème à passer les tests physiques, et pour le bilan psychologique la seule chose qu'on pouvait lui reprocher était d'être déjà une solitaire, sans pour autant que cela soit pénalisant pour la suite. Elle fut conduite à l'internat où elle allait vivre le temps de sa formation. En arrivant à l'académie, Marla ne se différenciait des autres jeunes que par son cruel manque de sourire. Elle n'était pas exceptionnelle outre sa mémoire et sa capacité d'assimilation dues à son pouvoir, mais elle travaillait durement. En plus des fruits de ce travail, l'adolescence fit son effet, transformant la petite fille en une sorte d'anomalie de la nature. Elle avait poussé d'un coup, atteignant une taille respectable lui permettant de regarder n'importe qui dans les yeux sans trop avoir à redresser la tête. Elle était devenue une combattante redoutable, subtil alliage de taille, vitesse, puissance et agilité. Elle disposait toujours de grosses  lacunes sociales, mais elle était déjà considérée comme irrécupérable dans ce domaine.

L'argentée sortit de l'académie parmi les têtes de sa promotion. L'opportunité s'offrit à elle de rejoindre les gardes royaux, groupe de soldats d'élite chargé d'assurer la défense du palais royal et de ses occupants. Elle hésita. Certes cette proposition était prestigieuse mais était-elle suffisamment apte à servir la famille royale? Elle n'avait jamais vraiment considéré cette éventualité, n'ayant jamais montré une quelconque adoration des dirigeants de ce royaumes comme certains de ses camarades pouvaient le faire. Cependant elle n'était pas complètement détaché des souverains, envers qui elle exprimait un profond respect. Elle se laissa tenter, prit son affectation au palais et fit son entrée dans un monde nouveau.

Après quatre années de bons et loyaux services, Marla s'était habituée aux rouages quotidiens du palais et son personnel avait appris à la côtoyer de près ou de loin. Elle se révélait très fiable à son poste et comptait continuer ainsi. Ce travail lui saillait parfaitement.

Petite chronologie indicative: