Voulant faire ça discrètement afin de garder son identité un minimum secrète, elle avait pris une bourse pleine de cristaux afin de payer la tenue. Une tenue qui serait de qualité devait coûter extrêmement cher. C’est ce qu’elle pensait en se dirigeant vers la maison qu’on lui avait indiqué. Traversant agilement la foule elle repéra rapidement son objectif. Tout était bien trop grand pour elle, bien trop spacieux et aménagé. Soupirant à nouveau, elle s’arrêta pour réfléchir.
Elle ne savait pas comment se présenter ni ce qu’elle devait demander comme tenue. Quelque chose d’adapté au palais, certes, mais pour elle cela ne voulait rien dire et elle n’avait pas osée demander plus de précision. Une erreur comme une autre mais qui désormais lui posait problème. Aller chez quelqu’un sans savoir ce que l’on voulait était toujours un peu étrange, et elle ne voulait pas créer de malaise. Pas maintenant. Lentement elle s’annonça.
- Hel D. Gher, j’aurais besoin d’une tenue pour le palais.
Elle stressait, ne parvenant pas à s’habituer au comportement des nobles. Chacuns était différent mais surtout, elle avait l’impression de ne pas vivre le même monde qu’eux. Attendant devant l’entrée, elle n’osait pas non plus frapper à nouveau pour ne pas paraître trop insistante. Dansant d’un pied à l’autre elle attendit patiemment que l’on vienne lui ouvrir.
- Aaah ! S’exclama Olenna en voyant son invitée. Vous voilà enfin !
- Bonjour. Répondit simplement Hel d’un ton poli, toujours anxieuse.
Olenna tenait entre ses doigts fins une tasse de porcelaine remplie de thé. Un service avait été dressé sur un plateau d’argent, disposé sur une tablette de pierre et de marbre. La boisson noire fumait encore, de minces fumerolles s’échappant de la tasse. L’élégante femme n’avait toujours pas posé ses lèvres sur la porcelaine, et reposa sa tasse sur le plateau lorsqu’elle vit Hel arriver jusqu’au salon extérieur. Olenna l’invita à s’asseoir en face d’elle sur le coussin d’une chaise de fer forgée avant de lui proposer du thé, ce qu’elle déclina. La couturière fit signe à la servant masquée de partir ; ordre que cette dernière exécuta un centième de seconde après l’avoir reçu, toujours sans le moindre bruit. La couturière s’en retourna vers Hel, toujours penaude à l’idée de se trouver là.
- Bien… Hel D. Gher, c’est bien comme ça que l’on vous nomme n’est-ce pas ? Fit Olenna en esquissant un sourire.
- Oui, c’est bien ça.
- Vous pouvez m’appelez Lady Belmont, rétorqua-t-elle comme si elle n’avait rien entendu. Dites moi, mademoiselle Gher, quelle est la raison de votre venue ?
- J’aimerais, s’il vous plaît, vous commander une tenue pour…
- Non, la coupa Olenna, toujours en train de sourire.
- Je… vous refusez ? Mais je n’ai rien dit…
- Je n’ai rien refusé. Non, vous n’êtes pas là pour me commander un habit.
- Je ne comprends pas.
Manifestement non, Hel ne comprenait pas. Elle regardait Olenna, éberluée, comme si elle venait de débarquer dans un tout autre monde qui lui était inconnu. La couturière, quant à elle, ne se fit pas prier pour reprendre la parole, de même que sa tasse.
- Si vous êtes là, mademoiselle Gher, c’est pour montrer patte blanche à la Cour.
Hel ne répondit pas, laissant son interlocutrice continuer dans sa soliloque.
- Voyez-vous, mademoiselle Gher, beaucoup de personnes ne me voient que comme “la couturière royale”, une attraction du palais qui ne sert que pour l’extravagance des courtisans. Mais je suis bien plus que cela, je ne suis pas qu’une simple fonction. Voyez-vous, c’est moi qui dicte la tendance aux nobles de la Cour. C’est moi qui leur dit comment s’habiller, comment se comporter, ce à quoi il faut rire, comment plaire ou quand il faut s’indigner. Je modèle la Cour, à la baguette, et autour de mon simple avis s’accorde tout un essaim de nobles prédisposés à faire la roue devant la famille royale. Ce n’est pas une simple tenue que vous venez me commander, c’est la reconnaissance d’une faction invisible dont je suis à la tête et dont personne n’a conscience.
Hel demeurait interdite. L’espace d’un instant, le sourire d’Olenna s’était fait rictus, les étincelles de ses yeux furent brasier et un silence de quelques secondes s’installa, durant lequel on ne put entendre que le vent.
- Et, s’exprima enfin Hel, je peux savoir pourquoi vous me raconter une chose pareille ?
Olenna ne put réprimer un rire au son cristallin.
- Pour que vous soyez consciente que je ne suis pas une “simple couturière”, mais en réalité une noble au pouvoir insoupçonné. Si je vous dis tout cela, mademoiselle Gher, c’est pour que vous ayez conscience de qui je suis, et de ne pas me sous-estimer.
- Et pourquoi ferais-je une chose pareille ? Demanda Hel, cette fois le plus sérieusement du monde, sans une once d’angoisse.
- Car je sens que vous risquez de me mentir.
- Pardon ?
- Je vous ai vu au palais, mademoiselle Gher. Plusieurs fois, de loin, mais je vous ai vu. Vous avez une tenue d’aventurière somme toute assez… vétuste, mais qui semble avoir fait ses preuves. Du cuir de léviaran je présume ? Quoi qu’il en soit, il est fort peu courant que des aventuriers soient si réguliers que vous l’êtes au palais royal. La Cour vous a bel et bien remarqué, sachez-le. Et en tant que grande prêtresse de cette Cour, j’en suis évidemment la première informée.
Olenna but une tasse de thé, l’odeur d’agrume vint lui chatouiller les narines et elle ferma ses paupières en battant élégamment des cils. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle planta son regard dans celui d’Hel, son sourire toujours figé sur son visage si blanc.
- Qui êtes vous, Hel D. Gher ?
Son identité réelle était sensé être secrète, seules quelques personnes de confiance étaient au courant et elle n’avait aucune information concernant la couturière. Apparemment, malgré sa position elle n’avait pas était mise dans le secret et ce n’était pas la tatouée qui allait le faire.
- Je suis effectivement une aventurière et actuellement je travaille en grande partie au palais pour des recherches concernant la tour en ruine qui est apparue l’année dernière dans la grande forêt.
Elle ne souriait pas, se focalisant sur la vérité et ce pour quoi la reine lui avait demandé de travailler. La tour en ruine, retrouver le livre correspondant à cette période afin d’avoir des indices sur l’identité de ce bâtiment. Un livre que la tatouée avait retrouvé, mais qui au final n’apportait pas de réponse réelle. Pour appuyer ses propos, elle ajouta.
- Si vous voulez vérifier vous pouvez demander à la guilde des aventuriers ainsi qu’au capitaine Al’rakija actuellement en poste au grand port.
Un sourire apparu sur le visage de Hel, léger, satisfaite de sa réponse elle se demandait si derrière elle aurait le droit d’avoir sa tenue et si Lady Belmont serait satisfaite d’une réponse de ce genre. Sans doute serait-elle déçue. Mais Hel voulait se tenir loin de tout problème potentiel et quelqu’un contrôlant la cour ne pouvait qu’être une source de problème. Encore plus lorsque l’on parle du monde des nobles. Péniblement, elle essayait de faire bonne figure, suivant les conseils de l’espion chargé de la former. Garder un visage tranquille, comme si l’on gérer la situation, s’accrocher à une parcelle de la vérité pour ne pas en dévoiler plus que nécessaire. Et ce, même si un mensonge doit devenir une vérité pour que cela fonctionne. Pour Hel, c’était une première expérience en temps réel, sans personne pour la guider et déjà, elle ne l’apprécier pas.