Calixte avait beau essayer de se raisonner : il était inquiet. Pas de réponse à ses missives, pas de réponse via le cristal de communication. Pas la moindre trace de mouvement au niveau de sa chambre, de son bureau – hormis Fledric – et aucune indication de sa présence dans la Capitale, en planque, ni au Grand Port. Il avait arpenté les chemins de chacune de leurs façades, et les routes obscures de leurs méthodes plus officieuses. Mais rien, semblait-il, ne semblait faire la lumière sur la situation de l’Ombre. De son amie, mentore et Maître-Espion. Sur Zahria. Et le coursier avait toute confiance en celle-ci, mais plus les jours passaient, moins il ne pouvait s’empêcher de s’aventurer toujours un peu plus méticuleusement et plus profondément dans les méandres de la cité royale. A la recherche d’un indice. D’une explication. D’un espoir. Où était-elle ?

Avec son affectation au Grand Port, les recherches n’étaient pas simples. Enfin, « recherches ». Ce serait accepter qu’elle ait disparu. Alors que, vraiment, elle ne devait certainement qu’être en mission quelque part. Depuis maintenant quelques jours. Semaines. Avec la nécessité de limiter tout contact. De les couper tout à fait. Mais à mesure que ce silence se prolongeait, pourtant plutôt commun dans le paysage des espions, plus l’inquiétude de Calixte grandissait. Car, justement, il y avait là une durée, une absoluité, une brutalité des plus inusuelles dans cette absence. Qu’avait donc bien pu requérir aussi pleinement l’attention du Maître-Espion ? Que faisait-elle ?

Et peut-être était-ce mieux, après tout, que Calixte fût posté loin de la Capitale, où il n’aurait que davantage accusé l’absence. Pris entre les assignations du régiment Al Rakija, ses collègues devenus amis, ses habitudes s’ancrant de plus en plus au Bastion ; l’interrogation était restée un moment dans un coin de son cerveau. Le laissant sagement vaquer à ses affaires quotidiennes. Mais, indéfectible, vaillante comme le phare au milieu de la tempête, elle n’avait cessé de se rappeler à lui. Prenant de l’ampleur à mesure des jours passant sans aucune nouvelle. Jusqu’à s’imposer de plus en plus à lui. Jusqu’à ce que ses missions vers la Capitale devinssent sciemment de plus en plus importantes. Jusqu’à ce que ses temps libres menassent ses pas sur les chemins de la cité royale. Jusqu’à ce que le doute l’habitât tout à fait. Était-elle en danger ?

L’explication logique était certainement que non. Ou, en tout cas, pas de manière absolue. Le propre de la vie étant d’être mortelle. Et celui des gardes d’aller au-devant des risques. Et quand bien même fût-elle en danger, elle était certainement tout à fait capable de l’affronter. Peut-être. Les drames du début de l’année n’étaient pas si loin, et pour toute la confiance qu’il avait dans les ressources de son amie, le coursier ne pouvait s’empêcher de douter, encore, de celles de son Maître-Espion. La reine de l’échiquier n’avait-elle pas besoin du secours de ses pions ? Le silence ne présageait-il pas de mauvais augures ? A admettre l’absence, ne risquaient-ils pas de la laisser s’éterniser ? Et Calixte, acceptant peu à peu celle de Ruth, n’était pas prêt à envisager celle de Zahria. Il n’était pas prêt à la perdre. La perdrait-il ?

C’était ainsi que, au terme de journées de plus en plus remplies d’interrogations et de tracas, l’espion avait décidé de poser quelques congés pour passer davantage de temps à la Capitale. A la volière aux dragons. Au quartier général des espions. Pour prendre le temps de mettre en lumière de manière objective les éléments qu’il possédait sur l’état de sa Maître-Espion. Et du taux d’inquiétude réel qu’il était raisonnable d’observer. Peut-être que, comme souvent, la réponse avait été sous son nez, rendue invisible par sa maladresse, sa malchance, son cerveau embué d’émotions et d’agitation. A passer son temps à courir les chemins, l’on manquait souvent les détails du paysage. Ainsi, apaisé déjà par la possibilité de pouvoir s’adonner pleinement à cette tâche, le garde avait à nouveau posé ses valises à la colocation Luzah, et avait pris le chemin de l’antre des espions.

Sur place, il s’était tout d’abord aventuré avec précaution dans le bureau de Zahria. Il y avait là des sécurités qu’il connaissait bien, inchangées depuis quelques temps. Les derniers documents, aussi, dont ils avaient discuté une tasse à la main. Le cumul de plus en plus prononcé de nouveaux dossiers attestait cependant de l’absence de passage du Maître-Espion depuis de longues journées. Tout comme la couche de poussière prenant de plus en plus ses aises le long des courbes de la pièce. Avisant le terrarium des glooby et ses réserves de nourritures laissées de manière un peu aléatoire, Calixte accusa un instant d’hésitation avant de se décider à le ramener à la volière aux dragons. Cela ne signifiait rien. C’était temporaire. Et puis, il avait parcouru le reste de la planque, à la recherche du moindre indice. En vain. Les papiers couverts d’encre, les objets insolites, les faux-murs et les moutons gris sur le parquet refusèrent de lui livrer quoi que ce soit.

C’était donc dépité que le coursier gisait à présent dans le canapé du petit salon de la colocation Luzah, un thé dans une main et une tablette de chocolat dans l’autre, cogitant la suite des opérations. Entouré de Kaname et Vreneli.

Zah cachée peut-être. Besoin vacances sous couette.
Partie attaquer méchants. Vreneli aurait fait ça.
Cal a regardé dans lit de Zah ? Peut-être Zah dans lit de Luz…

L’espion n’eut cependant pas l’occasion de s’attarder davantage sur cette notion, car le bruit de la porte d’entrée ouverte de manière tout à fait indélicate attira son attention. Se levant dans un bond, renversant une partie de son breuvage et faisant pleuvoir des étoiles de chocolat, il traversa en quelques pas l’espace le séparant de l’entrée.

- Zah… Carci ? fit-il un poil déçu.

Mais tout de même pas mal curieux de la présence de l’aventurière. Elle avait effectivement une clef de la volière aux dragons, mais comme elle logeait surtout dans la ferme en dehors de la Capitale, il était rare de vraiment la croiser ici.

- Allez K’awill, direction la Volière aux Dragons.

Oui j'avais hérité des clés de la demeure de Luz et Zahria de manière inexplicable. Il faut dire qu’entre la métisse en vadrouille, Luz en affaires pour son nouvel hôpital et son projet qui l’accapare de son précieux sans parler de Näery, son chéri ainsi que mon meilleur pote en mission pour la Guilde bah la maison se retrouve bien seule. Non pas que ça me dérange loin de là mais il faut avouer que leur canapé du grand salon était plus confortable que le mien dans ma petite grande en dehors des murailles protectrices de la Capitale. Oui j’aime vivre dangereusement ou simplement pas enfermée, à vous de voir. Je ne dirais pas que je passe beaucoup de temps chez elles mais leur maison était chaleureuse, on s’y sentait bien. La décoration avait le don de réchauffer le cœur et il y avait toujours un petit quelque chose pour se faire sentir chez soi. D’ailleurs dans la chambre d’amis, la plus grande car ma loutre prend un peu de place, il y avait une petite figurine en bois en forme de loutre. Je n’ai pu m’empêcher de sourire à la vue de cette petite attention qui me disait que c'était un peu ma chambre. J’avoue avoir abusé de ce lit quand j’ai voulu goûter un vin qui était beaucoup plus fort que moi. Je tiens l’alcool quand j’ai envie mais ce soir là, je n’avais pas réussi, je revenais de mission et je voulais partager ma joie avec mes amis autre qu’au bar. C’est pourquoi, j’avais accepté cette mission d’arroser les plantes ou vérifier que tout va bien. Un domestique s’occupait du ménage mais ça ne coûte rien de passer devant et de grignoter un carré de chocolat au passage. Oui, c’est ma taxe !

On longe Luisante pour trouver la demeure. En plus d’être chaleureuse, la maison avait un panorama du feu de Lucy ! Vivement la saison chaude pour les barbecues et ne parlons pas des feux d’artifices tirés depuis le Palais, la vue serait magnifique. Peut-être que si j’ai un peu d’économies, je leur achèterai une petite embarcation pour des petites balades. Je demanderai à Naë, si ça pourrait leur intéresser. Nous accélérons la cadence avec K’awill pour se maintenir en forme. L'entraînement, c’est tous les jours ! C’est comme ça qu’on évite les accidents, c’était ma mémé qui me disait ça ou lors d’un séminaire à la Guilde pour diminuer le taux d'accidents bénins. Car ouais, la Guilde a toujours des drôles d’idées et surtout ils ne veulent pas payer une assurance prévoyance trop chère alors elle anticipe, elle informe, elle fait sa bureaucratie quoi. Je n’ai pas assisté à de nombreux ateliers mais j’avoue avoir bien ri, surtout pour expliquer à des rustres qu’il faut se lever doucement de sa couchette le matin pour ne pas se bloquer le dos. Comme si on dormait toutes les nuits dans des lits… HÉRÉSIE, ouais.

Dernier dérapage, passage du portillon, je regarde la Volière. Elle avait vraiment la classe et Luz était un bon parti. Il choisit bien le poto, moi je n’ai pas une femme riche qui a jeté son dévolu sur moi. J’ai eu le droit à une enchanteresse possessive qui s’énerve rapidement et peut exploser tout un quartier si je ne lui fais pas un bisou le matin avant de partir travailler. Je vous dis, j’aime vivre dangereusement ! Je pose pieds à terre, sort la clé dont je ne me rappelle plus de la provenance ou qui me l’avait donnée. Je force un peu et finit par rentrer avec la délicatesse qu’on me connaît. C’était calme quand un truc apparaît devant moi. Je n’ai pas eu le temps de pousser le moindre bruit que je reconnais cette petite bouille blonde. C’était Calixte, un garde enfin coursier si j’ai bien compris son travail. Enfin je dis ça mais je n’ai rien compris de ce que faisait Zahria. Garde à la régulière je crois mais elle est tellement tête de mule, je ne la vois pas officier ou si j’étais son subordonné, j’aurai peur.

K’awill déboula derrière moi, ressentant aussitôt la présence de Kaname. Cette loutre était devenue une adolescente, presque une adulte. Dire que je l’ai connue, elle se tenait dans les bras. Ça me rappelle mon petit loutron à moi quand il était touuuut petit. Rah, le temps passe si vite mais ma monture était si unique que je ne changerai ça pour rien au monde. Je regarde le garde qui semblait déçue de me voir, attendait-il quelqu’un d’autre ? Un rendez-vous galant ?  Quoi qu’il en soit quand je vois la tête de son chandail, il venait de renverser un truc. La maladresse de Calixte est sans pareil.

- Ouaip, c’est moi !  

Je passe le pas de la porte et lui fait la bise - je sais, c’est devenu rare ce genre de choses dans notre temps - Je jette un coup d'œil vers le salon et je vois mon familier sauté partout en jouant avec Kana. D’ailleurs, la table de basse vient de voler dans un coin car il essayait d’esquiver une attaque furtive de son amie. Maintenant elle pouvait rivaliser avec lui, ça devenait de plus en plus difficile de gagner à chaque bataille. On entendait leurs petits cris de loutre, ils communiquaient entre eux et ça me faisait bizarre de pas le comprendre. Finalement, il ne me reste qu’à parler avec le seul humain qui était là.

- Si tu attendais quelqu’un, je ne fais que passer. Je vérifiais si tout allait bien ici. Naëry est en mission et les autres sont en vadrouille aussi donc je m’occupe de faire l’inventaire des stocks de chocolat.  

Je baisse les yeux sur le haut de Calixte et je me mise à sourire.

- Je ne dirais pas qu’il manque quelque chose dans la réserve alors.

Petit clin d’oeil complice à mon ami alors que ma loutre refait son apparition, pressé de me dire quelque chose.

- Blondinet triste ! Moi aider Kaname !

Je tourne aussitôt la tête vers le coursier. Est-ce vrai ? Kaname se place à côté de lui et pousse quelques cris. K’awill traduit aussitôt.

- Amie perdue. Blondinet inquiet. Nous aider Maîtresse ?  
- Tu sais qu’on aide toujours nos amis non ? Tu veux aider Kaname, c’est ça ?  
- Oui et aussi truc qui brille !

Truc qui brille ? De quoi il parle et quand je regarde derrière eux, je vois cette chose brillante. Certainement un nouveau familier du blond. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait d’avoir une ménagerie avec eux mais avec Naëry, ils sont pareils.

- Enfin si Calixte veut de notre aide ou si veut en parler. Tu sais, on ne fait pas ce qu’on veut.  
- Mais d'habitude, nous si !
- Ouais enfin pas tout le temps, on n’embête pas les gens comme ça.  
- Mais moi aider Kaname même si pas droit !

Je finis par l’approcher et lui donne une caresse.

- Va jouer avec elle dehors avec le truc qui brille. On doit parler entre adultes.
- D’accord !

Il pousse un petit cri et part à toute vitesse dans un vacarme sans fond pour la cour arrière. Je m’avance vers Calixte, passe le bras par-dessus son épaule.

- Allons nettoyer ça avant qu’on se fasse gronder et tu vas me raconter tes malheurs.  

Calixte ne savait pas à quoi ils carburaient tous les deux, Carciphona et K’awill, mais ils étaient réellement des cristaux-batteries sur pattes. Croquant un nouveau carré de chocolat pour se donner le temps de tout assimiler et passer sa frustration, il secoua avec dépit son pull trempé. L’auréole diffusait un agréable parfum de fruits rouges, mais commençait à imbiber ses vêtements sous-jacents, les rendant quelque peu inconfortables.

- On a le temps. Je pense, commenta le coursier en aidant tout de même l’aventurière à remettre un peu d’ordre dans le salon. Comme tu l’as dit, Naë est en mission. Luz est en vadrouille pour quelques temps. Vren… Non Vrenn, ne passe plus dernièrement. Ou alors je ne m’en souviens pas, ce qui est aussi possible. Mais ce n’est pas lui qui s’offusquerait du bordel. Et Zahria…

Le coussin qu’il ramassait heurta l’assise du canapé avec un peu plus de violence que prévu, et rebondit avant de s’échouer à nouveau sur le sol. Adressant un regard agacé au mobilier qui ne faisait aucun effort pour lui faciliter la vie, l’espion se baissa à nouveau dans un soupir.

- Zahria, je ne sais pas où est-ce qu’elle est. Ni pour combien de temps. Ni pourquoi faire. Ni avec qui.

Ce qui, dit comme ça, était peut-être un peu flippant. Mais engoncé dans son inquiétude et sa frustration, Calixte ne capta aucunement les écuelles de ses propos.

- Ca fait des jours – des semaines ?! – qu’elle ne répond ni aux missives, ni à son cristal de communication. Aucune trace d’elle à la Caserne. Et elle n’est inscrite sur aucune mission type assignation ou même quête de la Guilde.

Finissant de replacer la table éjectée d’un coup de hanche de loutre géante contre l’un des murs, l’espion récupéra sa tasse presque vide et sa plaquette de chocolat bien entamée pour les y déposer. A la place du sol où il les avait laissés le temps de leur rangement succinct.

- Tu veux boire quelque chose ? demanda-t-il à Carciphona.

Avant de traverser le couloir pour aller remettre de l’eau à bouillir, sans attendre sa réponse. Si ses échecs pour retrouver la trace de Zahria l’avaient jusque-là plongé dans un langueur contemplatrice, l’arrivée de la Saphir semblait lui avoir insufflé l’énergie nécessaire pour alimenter une agitation motrice faisant écho à son agitation psychique. A ses neurones élaborant toujours plus d’hypothèses quant à la disparition de sa Maître-Espion.

- On a du noir, du vert et du blanc… et probablement quelques mélanges. Voire beaucoup. Je ne sais plus trop. Luz a dû me le dire, ou bien j’ai dû le lire quelque part. Mais pour aujourd’hui… le même que le mien ça t’irait ? poursuivit-il en sortant une nouvelle tasse pour son amie.

Celle-ci portait le dessin d’un panda roux. Ou d’un floki. Avec l’usure, les couleurs s’étaient un peu effacées, et le rendu était approximatif.

- Installe-toi, j’arrive, continua-t-il en entreprenant de retirer son pull devenant vraiment inconfortable.

Il entendit vaguement Carciphona lui crier quelque chose qui devint inintelligible alors qu’il passait le vêtement par-dessus sa tête. Et au terme d’une cavalcade maladroite à l’aveugle dans les escaliers, il atteignit la petite chambre qui lui avait été attribuée des lunes plus tôt. Etendant le tissu mouillé sur le dossier d’une chaise, hésitant un instant avant de se débarrasser aussi de son t-shirt un peu humide, le coursier récupéra quelques affaires sèches qu’il enfila avant de dévaler à nouveau les marches. Il courut – glissa – jusqu’à la cuisine pour récupérer la casserole d’eau bouillante, se saisit de la tasse de l’aventurière, et rejoignit celle-ci dans le petit… ah non, dans le grand salon.

Par une fenêtre entrouverte, les éclats joyeux des deux loutres leur parvenaient, comme – pour le coursier – les pensées étrangement mélodieuses de Kaname. Ainsi que la lueur plus ou moins stable du teisheba. Se penchant un peu à la va-vite par l’entrebâillement, il vérifia que les familiers ne terrassaient pas le jardin, puis chantonnant distraitement la musique approximative que sa loutre lui partageait, fit aussi rapidement volte-face pour regagner le centre de la pièce et se réadresser à l’aventurière.

- Et je sais que c’est une grande fille… reprit Calixte comme s’il ne s’était pas passé milles et unes choses depuis ses dernières doléances auprès de la Saphir. Et sans doute que ça ne me regarde pas. Mais ça fait des semaines sans aucune nouvelle ! Et… tu arroses les plantes ? nota-t-il en clignant des yeux en observant Carciphona penchée sur un ficus. Il y a une domestique qui passe pour ça je crois.
Kana manta pist’ plantes des fois !
- Et Kana les asperge d’eau aussi. Parfois. C’est peut-être pour ça qu’il y a une belle rotation des plantes, remarqua le coursier en se remplissant une nouvelle tasse de thé.
K’awill dit aider Cal. K’awill gentil et fort, va trouver Zah !
- Peut-être que tu as eu des nouvelles, toi, de Zahria ? demanda avec espoir l’espion en s’asseyant à nouveau.

La fin de sa plaquette de chocolat avait été ramenée sur la table du grand salon, et il se recoupa un large carré en écoutant les propos de Carciphona.

Est-ce de la jalousie que je vois quand l’oreiller frappe le canapé avec une force que je ne soupçonnais pas ? Non, il faut se le dire, regardez moi cette silhouette frêle du jeune homme ? On peut facilement parier qu’il ne gagne pas souvent aux bras de fer. Alors le voir dans cet état me surprend. Je ne connaissais pas les liens qu’il avait avec Zahria. Après quand on connaît la mêtisse, j’ai plus l’impression que c’est une femme sans attache, qui fait sa vie de petite garde, part en mission, revient à la maison. Après, je ne me souviens plus trop si elle était accompagnée chez Jack, peut-être, enfin ce n’est pas ça qui m’a le plus marqué finalement. Non là, c’était de voir mon ami, car oui finalement on était amis non ? L’ami de mon ami, c’est mon ami puis nous avons eu quelques mésaventures ensemble alors nous sommes potes, je le vois comme ça en tout cas ! Comme pour calmer sa frustration sous-jacente, il replace le mobilier un par un. Il faut dire qu’une loutre géante, ça fait des dégâts alors deux ensemble… Il faut espérer que les murs soient assez solides pour nos deux monstres. Mais bon, je crois que dans l’histoire, Calixte avait besoin de se sentir écouter par un humain et non par ses familiers. Peut-être, il attendait ça de moi alors que c’était certainement la capacité j’étais la plus nulle. Aider les gens avec de bons conseils alors que généralement, ils étaient mauvais ou inappropriés. J’hésitais à ouvrir ma bouche, de peur de le blesser ou au contraire de mettre les deux pieds dans le plat. Je ne connaissais pas tant que ça les deux protagonistes de l’histoire, j’étais l’amie de Naëry, voilà tout.

Il entre en mode automatique, prépare du thé et choisit même pour moi. Bon, le thé c’était bon, je ne dis pas que ça ne plait pas mais je préfère largement le chocolat chaud mais je ne vais pas faire ma difficile. Surtout quand je vois la tasse qu’il me donne. Elle était trop mignonne, je la regarde sous toutes les coutures quand je vois un blondinet, les mains coincées en l’air en essayant de retirer son pull. L’envie de mettre mes mains glacées sur son ventre pour l’embêter me titille mais je retiens mes mains aguicheuses.

- File dans ta chambre au lieu de t’exhiber. Comment tu fais pour toujours finir presque torse nu avec moi...

Dis-je en parlant un peu fort qu’il m’entende jusqu’à l’étage. Bon faisons ce que je devais faire à la base. J’attrape le petit arrosoir et fait mon office quand le coursier derrière et me pose mille et une questions.

- Tu sais, moi on me dit arrose les plantes s’il te plaît, fais un tour pour voir qu’il n’y a rien d’étrange, je le fais. Naëry m’a dit ça à la va vite l’autre jour donc j’exécute. Mais il ne m’a pas mentionné la domestique. Luz a autant d’argent pour se payer ce service.

Je me frotte le menton, songeuse.

- C’est avec elle que j’aurai dû finir. Une retraite heureuse, une grande maison, un K’awill avec un grand jardin, une amante splendide !

Des enfants trop mignons et nous aurions aussi plein de petites loutres ! Car oui, à ma retraite, je suis éleveuse de loutre géante. Je me tourne vers lui, le rejoint dans le canapé et lui vole un carré de chocolat devant ses yeux, le regard plein de défi.

- Pour Zahria, tu sais… De base, elle ne me donne pas trop de nouvelles !  

C’est vrai, on s’est croisé quelques fois mais parce qu’il y avait les autres ou des amis communs. La seule fois où nous étions “ proches “, c’est cette mission de chariot, j’ai pu la croiser sur la route et elle m’a aidé avec des bandits de grands chemins…

- C’est vraiment la première fois qu'elle ne donne pas de nouvelles aussi longtemps.

Pour Calixte, ça avait l’air le cas. Est-ce qu’il y a quelque chose de plus entre eux. Je peux percevoir ce lien presque fraternel entre eux, peut-être même quelque chose de plus puissant qu’ils les unissaient mais quoi ?

- Elle a un collier jumeau ?  

Ça doit être une fille prudente, chaque personne qui part dans des missions suicidaires ont des colliers jumeaux ou autres pierres de lien. Un peu notre balise de détresse en quelque sorte.

- ll faut peut-être trouver la personne qui a l’autre moitié. Ça serait peut-être une piste ou sinon, elle ne veut tout bonnement pas qu’on la retrouve ?  

Peut-être que c’est une super espionne qui travaille pour sa Majesté et qu’elle va faire tomber un énorme réseau de trafiquants de glooby ? Mais bon sérieusement, Zahria, espionne ? impossible, elle est tellement reconnaissable à mon goût surtout avec son franc parler…  

- Mais bon même en cherchant dans ma mémoire, j’ai entendu aucun aventurier parlé d’elle mais ce n’est pas une raison de partir défaitiste. Zahria est têtue et peut-être que sa mission est top secrète !  

Ouais ou sinon hors d’atteinte.

- Mais oui, il y a souvent des expéditions pour la Citadelle des Tréfonds ou la cité Enfouie. Pour avoir fait les deux, on ne capte que dalle là-bas. Elle a peut-être oublié de te prévenir. Luz t’a dit quelque chose là-dessus ?  

Zahria n’aurait jamais pu partir sans prévenir sa meilleure amie, c’était inconcevable sauf si elle est en train de faire la pire bêtise de sa vie.

- Nous faire tour grotte !
- ouais on pourrait faire ça, mon grand.  
- Moi aider amie, moi retrouver femme-chocolat.
-  Tu sais, je n'ai pas de missions actuellement et si je dois t’accompagner à l’entrée de la citadelle des Tréfonds, je le ferai si tu le souhaites ! C’est fait pour ça les amis non ?

K’awill bombe le torse pour montrer que c’était une loutre d’élite. Je soupçonne qu’il veut faire son kéké devant Kaname.

- Trouver animal lumière !
- Mais oui K’awill, ses familiers, ils sont quelque part non ?

Je suis en train de réfléchir sur toutes les possibilités. Déjà, elle n’a pas pu partir sans prévenir Luz, donc mission numéro un, trouver Luz. Mission deux, trouver l’autre propriétaire du collier jumeau si elle en a un, Luz doit savoir ou c’est même elle qu’il l’a. Puis mission trois, trouver les familiers ! Pour finir mission quatre, allez dans des endroits où je ne souhaite plus y aller mais on peut faire un saut et interroger les tavernes et autres postes de gardes. Ça ne coûte rien et ça nous fait un peu de balade.

- Enfin peut-être que je m’emballe trop et que tu veux faire tes recherches tout seul...

C’est en constatant ce point que je me calle de nouveau au fond de mon fauteuil. Je m’emballe toujours trop vite et je veux toujours aider même si ça finit toujours mal mais c’est un autre problème.

- Sinon, on peut rester ici, elle va bien finir par revenir. Son bureau est là-haut non ? Tu as fouillé si tu as trouvé des notes ? Je suppose que oui…  

C’était même sûr, ça serait la première chose que je ferais. Retourner tous les lieux qu’elle a l’habitude d’y aller. Allez, goutons ce thé, peut-être ça m’aidera à voir plus clair…

A la mention du bon parti de Luz, Calixte ne put s’empêcher de sourire. Il était vrai que Naëry avait trouvé là une perle parmi les plus rares, mais l’espion ne pouvait s’empêcher de penser qu’ils étaient déjà bienheureux de profiter de son amitié. Avec bénéfices, parfois. Le souvenir d’une journée pluvieuse lui revint en mémoire, et son attention dérailla temporairement pour se laisser aller au doux songe de valses improvisées. Dans la tempête de ses émois usuels, il y avait eu là une parenthèse charnelle des plus agréables. Carciphona évoqua la possibilité d’un collier jumeau, et le coursier revint à la situation présente, fronçant légèrement les sourcils. Oui, il y avait bien un tel artifice. Il avait mis du temps à l’appréhender. D’abord engoncé dans la tristesse, la colère et la déception. Et puis, il avait fini par accepter ce que ses yeux avisés avaient repéré la première fois qu’ils avaient accroché ce détail. Il l’avait consigné dans son livre mémoire, même. Probablement avec émotion, la première fois. Mais il ne restait là plus qu’une analyse froide du côté de l’oubli, et une incrédulité résignée du côté de l’Ombre.

- Elle a un collier jumeau, acquiesça-t-il pensivement. Doublé d’une pierre de lien, ajouta-t-il presque à contre-cœur.

Restait à mettre la main sur Vrenn. Ce qui, s’il s’en donnait la peine, ne serait probablement pas très compliqué. Ils étaient après tout liés par leurs cristaux de communication, en plus de leur Maître-Espion.

- Oui, peut-être… poursuivit-il de plus en plus renfrogné à l’idée d’une mission top secrète.

Et, sans le vouloir, Carciphona était certainement dans le vrai. Zahria avait toujours été entourée de mystères, et ce davantage avec sa promotion. Néanmoins, le coursier avait toujours été plus ou moins mis au courant de ses agissements, ou alors ces derniers ne l’avaient pas laissé aussi longtemps dans l’ombre. Ce qui le souciait. Plus que d’être vexé, il était véritablement inquiet. Même si Luz lui répétait de ne pas l’être. Peut-être de nature plus anxieuse que la flamme, ou moins confiant que celle-ci quant aux ressources de sa Maître-Espion, il ne parvenait à se faire à l’idée de se détacher tout à fait de cette absence prolongée.

- Je… apparemment elle lui aurait indiqué de ne pas s’en faire, répondit-il en se remémorant son échange avec la médecin à ce sujet. Mais, à nouveau, c’était il y a quelques temps.
Luz gentille. Luz savoir plein de choses. Luz fait dodo avec Zahria. Si Luz pas inquiète, pourquoi Cal inquiet ? Peut-être Luz a bien caché Zahria sous sa couette. Comme ça elles restent entre copines !
J’en doute Kana, j’en doute.
Toute façon K’awill va trouver Zahria. Et Cal sera plus triste.

Laissant l’amusement et la tendresse adoucir ses traits, le coursier passa une main sur le sommet du crâne de la loutre géante qui tendait son museau avec intérêt vers lui. Confortée par cette caresse, elle s’avança encore davantage à son contact, s’enroulant presqu’autour de sa chaise et lui donnant l’impression d’être pris dans la chaleur d’un large plaid vivant.

- A part Wendy, son glooby qui vit dans le terrarium avec le mien, je n’ai pas retrouvé ses autres familiers, nota-t-il à voix haute.

C’était d’ailleurs presqu’étonnant. Emmener un, ou quelques, familiers en mission était monnaie courante. Mais quel type d’assignation avait bien pu requérir la présence d’un lumios, d’un drarbuste, et d’un skur nocturne à peine dressé ? Soit Zahria avait décidé de ne pas faire dans la dentelle pour cette affaire, soit elle avait tout embarqué pour se prendre des vacances tranquilles à l’autre bout d’Aryon. Soit il manquait quelques informations à Calixte. Et il penchait plutôt pour cette dernière possibilité.

- Sa chambre comme son bureau ne montrent pas la moindre trace de passage depuis quelques semaines, ni le moindre indice quant à sa possible localisation actuelle, acquiesça-t-il au cheminement de pensées de la Saphir. J’ai même essayé de la repérer par ma boule de vision, mais impossible de donner aux images un parcours évident voire cohérent.

Même avec ses données d’espion. Mais, au moins, cette dernière lui permettait-elle d’être quasiment certain de sa mentore était vivante. A défaut d’autre chose. Il avait essayé de remonter la piste des lieux mis en avant par l’objet de magie, mais soit ceux-ci lui étaient totalement inconnus et inaccessibles, soit son retard de parcours rendait ses déplacements ainsi orientés caduques. Il n’avait pas non plus réussi à déchiffrer la motivation derrière les diverses routes empruntées par la Maître-Espion, et le mystère de plus en plus évident entourant celles-ci n’avait fait qu’accroitre son inquiétude. Ses interrogations. Ses doutes. Ravivant la dichotomie de ses sentiments pour Zahria sa mentore et amie, et Zahria sa cheffe hiérarchique. Mettant en exergue l’appréhension fraternelle qui ne le quittait jamais tout à fait, comme l’incertitude qu’il aurait aimé ne pas avoir, mais jamais tout à fait absente, concernant les décisions de sa Maître-Espion.

Mais pour avancer sur ce terrain-là, sans doute Carciphona avait-elle raison : il était temps d’interroger ses collègues sur le sujet. En commençant peut-être par celui auquel elle avait confié sous forme de collier son attention. Et peut-être un peu plus. Découpant un nouveau carré de chocolat et l’engouffrant sans hésitation, Calixte dégaina son cristal de communication avec la ferme intention de contacter le Sbire.

- On va commencer par Vrenel… Vrenn, indiqua-t-il à sa partenaire de jeu de piste. Tu le connais peut-être, il est à la Guilde aussi. C’est lui qui a l’autre moitié du collier jumeau de Zahria.

Sa main joua un moment distraitement avec l’objet entre ses doigts, et son regard se posa avec davantage d’attention sur la silhouette vive de la Saphir.

- Tu sais Carci, je suis content que tu sois là – et toi aussi K’awill, avoua-t-il sincèrement. Parce que Zahria… elle est importante, pour moi. Comme une sœur. Et déjà que je ne suis pas forcément le plus débrouillard, alors parasité par l’inquiétude…
Cal des fois tourne en rond, acquiesça Kaname en traduisant probablement ses propos à son ami loutre par quelques couinements. A vérifié le bureau de Zahria déjà quatre fois. Dont une sous forme autre, parce qu’a dit que ça changerait peut-être sa perspective. A eu vertige, a cogné meuble ; effectivement a changé perspective.
- K’awill n’a peut-être pas besoin de connaitre tous mes exploits…
K’awill grand pisteur, besoin de toutes les informations !
- Mais il est vrai que je suis aussi content d’avoir une vraie pisteuse de la Guilde avec nous.
K’awill dit Carci espionne ?

Calixte s’étrangla avec son thé. Et alors qu’il toussait ses poumons dans le creux de sa main, il oublia temporairement son élan de plutôt de contacter le Sbire. Son regard embué de larmes sous ses sourcils arqués de surprise se reposèrent avec interrogation sur la Saphir.

- Espionne ? Je ne savais pas que la Guilde avait des espions.
Carci espionne forte, si Cal pas savoir !

Pour se redonner contenance et laisser le temps à son interlocutrice d’éclairer sa lanterne, le coursier se ressaisit d’un carré de chocolat qu’il boulotta en lui prêtant une oreille attentive.

Cal oublie Oubli, lui rappela finalement Kaname qui, pour le coup, ne paraissait pas perdre le nord.
- Ah oui ! Vrenn !

Et peut-être même le Sbire n’était-il pas trop loin de la Volière aux Dragons, et qu’il daignerait les rejoindre dans leur pause gourmande – puisqu’il semblait finalement que des chocolats chauds c’était mieux que du thé – pour échanger quelques informations. Et autres plaisanteries. Quoi que de quitter le nouvel immobilisme menaçant de se saisir à nouveau du coursier serait certainement tout aussi bénéfique.

D’ailleurs, retrouvant une bribe de curiosité, Calixte se dit que c’était peut-être aussi l’occasion de demander à l’homme où ils en étaient avec Zahria. Niveau relation. Parce que dernièrement il n’avait à peu près rien compris à celle-ci.

La relation qu’il entretenait avec Kaname avait évolué. J’ai l’impression de me voir avec K’awill. Maintenant qu’elle était plus grande, il était plus facile d’avoir des interactions ensemble et avec un si grand corps, elle pouvait servir de monture et garde du corps. K’awill m’envoyait quelques images télépathiques, heureuse que son ami ait trouvé un maître si aimant. Je l’étais également quand je vois ses quelques marques d’affections entre eux. C’était un peu déroutant de ne pas entendre parler à vive voix, j’ai pris tellement l’habitude avec le mien. Ça crée une atmosphère plus intime, seuls eux pouvaient se comprendre. Même si je me passerai bien des commentaires à voix haute de ma loutre quelques fois…

- Luz est d’un naturel très optimiste ! Elle pourra soulever une montagne si elle le voulait pas sa volonté.  

Sa joie de vivre était très communicante et sa confiance envers ses amis presque effrayante. Si Zahria lui a dit de pas s’en faire, alors tel un roc, elle ne se bilera pas. Mais j’avoue que l’histoire d’une fuite avec tous ses familiers étaient étranges. Ca voulait dire qu’elle pouvait assurer la sécurité de tous ses petits monstres ou elle les a donné à une personne de confiance mais qui ? Ce n’était personne de la Voilère et je pense que Calixte a dû demander à toutes ses connaissances de la Garde pour savoir si on pouvait voir un petit lumios et un drabuste dans le coin. Car ouais, ce petit dragon ne passait pas inaperçu car Lin en a un aussi et c’était plutôt rare ces machins.

Le coursier me fait part de ses autres interrogations, la boule de vision lui donnait pas de lieu précis mais c’était déjà la preuve qu’elle était vivante. Si les images changent, c’est qu’elle n’était pas captive. Elle était en filature, je ne voyais que ça, elle ne pourra pas fuir Calixte et ses amis, ce n’était pas possible ou vraiment pas sympa. Il nous restait donc à contacter cette personne qui était liée magiquement avec Zahria. Ce Vrenn, ça ne me dit rien et pour que Zahria lui donne ses bijoux, c’est qu’ils étaient liés mais comment alors qu’elle ne me l’a jamais présenté. Bon je n’étais pas sa meilleure pote mais tout de même ! Je mérite de savoir qui a volé le petit cœur de la métisse ! J’ai cru quelques secondes que le blond avale le cristal de communication à la place du carré de chocolat. Je note que pour faire plaisir au garde, il faut l’acheter avec du chocolat ou certainement d’autres gourmandises !

C’est alors qu’il me regarde, un peu trop. Genre, le regard qui annonce que ça va être le moment émotion et c’est toujours à ce moment là que je foire tout. Car je n’ai jamais le bon mot pour rassurer les gens, la preuve lors du repas chez Jack, j’ai annoncé que l’amour de sa vie était morte à plusieurs reprises sur le ton de la plaisanterie. Ça m'étonne que les autres ne m’ont pas tué après ça… peut-être que mon sourire ravageur à sauver mon âme. Donc ma prémonition était juste, il me raconte ses liens fraternels avec Zahria même si je soupçonne un peu plus, qu’il était content que je sois là, blablabla. K’awill me transmet en même temps les paroles de Kaname. Je ne comprenais pas tout. Je vois l’image de Luz et Zahria caché dans une grotte, puis Zahria qui vole, puis Zahria dans un coffre puis calixte qui se tient le pied. Je pense que la communication entre loutres était à revoir. Car au moment où je reçois l’image de moi avec une cape et un bandeau dans les yeux, Calixte s’étouffe à moitié. Ça voulait dire quoi cette image ? C’est blondinet qui me répond.

-  Espion.. Espion. Je ne dirais pas ça.

Dis-je en me frottant l’arrière du crâne un peu gênée. C’était sujet à interprétation. Mon pouvoir me donnait un sérieux alibi pour ce genre de missions mais espionner les secrets des autres et les revendre au plus offrant, ce n’était pas mon truc. Peut-être si c’était pour la bonne cause pourquoi pas, travailler pour la Couronne mais pour un Noble véreux, sans façon.

- je dirais plutôt qu’avec un pouvoir comme le mien, je peux espionner facilement. Me faufiler partout ! Je t’ai déjà raconté la fois où je suis allée dans les coulisses du Grand Théâtre. Bon je crois que je me faisais pourchasser par un examinateur de la guilde enfin je ne me rappelle plus trop mais j’ai vu la Première Ministre… Elle ne se gène pas !    

Je me mets à rigoler de la situation, je n’ai jamais vendu cette information, elle pouvait faire ce qu’elle voulait de ses fesses mais peut-être avec un verre de trop, je l’ai raconté un peu fort… Boarf, elle a qu’à assumer ses actes hein, elle est majeure !

- Bref si tu as besoin de rentrer dans un endroit, je suis un peu passe-muraille. Je t’attrape, je te rends invisible avec moi et à nous les vestiaires des jolies danseuses !  

Je m’imagine encore la scène. Les jolies danseuses se déshabillent devant mes yeux chastes. Ses courbes si féminines.

-Toi manger beaucoup !

K’awill me sort de ma rêverie. J’attrape la tablette du garde et me coupe un morceau.

-  Ta ligne là !  

Je gobe le bout de chocolat pendant qu’il me parle de ce Vrenn.

- C’est qui ce type. Ce nom me dit quelque chose… Enfin il  y a une femme qui s’appelle presque comme ça, elle est devenue saphir mais je ne comprends pas comment… les mystères du Royaume !  

Personne n’a réussi à m’expliquer. La mystérieuse aventurière qui prenait des missions dangereuses sans montrer son visage. Un jour; je perçerais ce mystère.

- Bon appelle-le comme si, plus vite ça serait fait, plus vite on pourra partir en mission de sauvetage.  

Je lui laisse le temps de parler avec cette connaissance pendant que je m’amuse avec Kaname.

- Alors toi, tu as bien grandi, dis donc tu mets combien de temps pour faire la Guilde au téléporteur ? K’awill le fait en 4 tours de cadrans trois quart !    
-Oui moi très rapide !
- Bon par contre, au niveau de la place commerçante, il y a pas mal de caisses.  Il faut bien s’accrocher et surtout éviter la garde… j’ai eu quelques incidents...  
-Oui mais jamais attrapé sauf moustachu.
-  Ouais le commandant m’a dit de me calmer. Un privilège, il est vraiment pas sympa comme type, ne le rencontre jamais Kana, jamais !  
- Si toi rapide, toi pas soucis !
- Bien dit mon K’awill !    

Je caresse les têtes des deux loutres alors que Calixte semble avoir terminé avec sa communication.

-  C’est quoi le plan ? Il vient ici ?  

Ça en avait tout l’air et je décide de prendre place dans le canapé, le sommant de s’asseoir également.

-  Non parce que si on a le temps, on peut papoter un peu si tu veux…  

Me positionnant de trois quarts pour mieux étudier ses réactions. J’affiche un sourire taquin sur le visage.

- Car tu me dis que Zahria est mystérieuse mais je me suis toujours demandée car je sais que tu as eu le béguin pour Naëry alors je me demandais pour Zahria. Bon tu viens me dire que tu la vois comme une soeur, bon je ne pense pas que tu as des délires étranges hein mais il y avait l’autre fois où tu batifoler dans l’herbe avec la grande blonde. Donc je me dis… tu as conclu avec elle ou tu as jeté ton dévolu sur une autre garde ou un homme, tu es libre de faire ce que tu veux hein ! Surtout avec ton super pouvoir là.  

Il pouvait s’adapter aux goûts et envie de l’autre, c’était plutôt pas mal à mon humble avis… après est-ce que j’en ai l’utilité maintenant que j’étais avec Lin ? Non je ne pense pas mais bon ça pourrait être marrant !

- Mais bon après si tu ne veux pas parler de ça en ce moment, je peux t’aider à finir ce chocolat.  

J’arrache des mains son paquet et dévore un gros bout pour le taquiner ! Je lui adresse un petit baiser sur la joue pour le remercier de m’avoir si gentiment donné ce présent !

- Oh, il y a même du gui accroché au lustre !  

****

Une perte de temps, presque. Une inquiétude supplémentaire, à n’en point douter. Vrenn avait quitté la demeure depuis maintenant déjà quelques minutes – quelques heures ? il était difficile de garder une idée précise du temps qu’il avait passé en leur compagnie – et le regard fiévreux – maussade – de Calixte parcourait encore et encore les lignes nouvellement tracées dans son livre mémoire, comme si le sens des mots inscrits lui échappait. Le portrait aux traits tirés du Sbire lui renvoyait un regard mauvais, vitreux, rempli de fatigue et de vices quelconques. Et le coursier se demanda distraitement si son collègue avait replongé dans quelques travers, éprouvait quelques difficultés, ou était aussi inquiet que lui de la disparition de leur Maître-Espion. D’ailleurs, à en croire ses notes, il avait diligemment évité de répondre à ses interrogations sur leur relation. Plus occupé à vider d’une traite son café. Observer son carnet de notes avec amertume et méfiance ; les doigts de Calixte s’étaient serrés avec prudence sur la couverture de cuir, et il avait presque cru qu’il allait devoir se battre pour conserver son bien. D’autant que le balayage des yeux du Sbire à travers la pièce lui avait donné l’étrange impression que l’homme repérait le lieu de futurs méfaits. Ou s’attendait à ce qu’on lui sautât dessus à tout moment. Finalement, bien que les nouvelles qu’il leur avait apportées n’avaient guère été bonnes, le Damoiseau avait été heureux de voir son camarade tourner les talons.

Sbire manque de câlin. Mauvaise tête, nota avec tristesse Kaname. Prochaine fois K’awill et Kana remonter moral à Sbire !
Riche idée, répondit distraitement Calixte en croquant hargneusement dans un carré de chocolat issu d’une nouvelle plaquette.

Il avait esquissé un mouvement pour sortir quelques remontants plus corsés, mais Carciphona ne l’avait pas entendu de cette oreille. Et, au terme d’un jeu de jambes tenant plus de la maladresse du canard à trois pattes que de la délicatesse d’une valse, la bouteille d’apéritif corsé avait effectué un vol plané au-dessus de la pile garde-Saphir-loutres géantes pour finir sa brève existence contre le sol de la Volière. Disséminant éclats de verre et liqueur à travers la pièce. Après avoir accusé un temps de pause coupable, les quatre acteurs – sous l’œil goguenard de Vreneli qui observait toute l’agitation d’une saine distance – s’étaient lancés dans un ménage sommaire qui avait laissé derrière lui un parfum persistant d’alcool. Et de chlore. Le mélange était étrange. Mais Calixte qui, s’il avait cédé de bonne grâce à la morale de son amie ne s’était pas départi de sa morosité inquiète, ne s’y était pas attardé et avait réinvesti son perchoir les mains accrochées à sa tasse de thé.

- S’il était planqué, et pas perdu, c’est que c’était certainement de son fait, non ? réfléchit-il à haute voix en revenant sur le sujet du collier jumeau serti de la pierre de lien de Zahria.  

Et qu’elle ne souhaitait pas être trouvée. Mais pourquoi ? Pourquoi personne dans les rangs de la Garde ne semblait être au courant ? Quant aux espions… Le coursier hésita un instant. Risquait-il de la mettre en danger, à trop la chercher alors qu’il semblait qu’elle avait pris quelques mesures – extrêmes – pour s’assurer une certaine discrétion ? Ou, au contraire, pourrait-il la perdre complètement à ne pas tendre suffisamment le bras vers elle ?

Essayer encore ? Lia pas vue. Pomme non plus.
Pomme ? Feuille.
Vert pareil.

Et comme sa persistance à ne pas lâcher l’affaire semblait raviver la curiosité taquine de Carciphona, l’espion cligna des yeux avant de les ouvrir grands comme deux billes.

- Oula non ! Zahria n’est qu’une amie ! Une très très bonne amie. Une sœur presque. J’insiste. Et comment tu sais pour… ben pour Naë ?

Le ton, aisément plus léger, ne gardait aucune intonation de ses émois des lunes passées. Ils appartenaient à un autre temps, à d’autres circonstances. En parler à présent relevait presque de l’amusement. Elle était certainement douée, Carciphona, en tant qu’aventurière pour avoir atteint le statut de Saphir. Mais elle était encore plus brillante pour tirer chaque lueur des situations les plus obscures. Même dans cette étrange cabane où ils avaient failli passer sous le fer de Franclum, elle avait réussi à le rassurer et à lui arracher un sourire alors qu’il avait surtout eu envie de dégobiller et de prendre ses jambes à son cou. Vraiment, elle était de ces joyaux à la rare beauté d’aviver celle des autres. Lorsqu’elle ne créait pas le chaos autours d’elle. Calixte avait eu vent de son intervention lors de la campagne de Whiskeyjack, et il était surpris que depuis son inscription à la Guilde la Saphir n’eut pas déjà détruit un pan de celle-ci.

Naë gentil. Apo dire Naë jolies fesses !
- Oui, jolies fesses, répondit-il distraitement en se souvenant de certaines valses à l’étage d’au-dessus.

Et ça n’était clairement pas le propos de leur réunion improvisée.

- Enfin, je veux dire que la nature…
Vrenn parler nature !

La notion d’un Sbire dans son plus simple appareil, doté des atours que la nature avait bien voulu lui céder, s’imposa abruptement à l’esprit de Calixte dont les sourcils s’arquèrent haut sur son front. Etonnamment, c’était une image qui ne lui semblait pas si incongrue. S’étaient-ils déjà désapés l’un devant l’autre à l’occasion d’une mission ? Une relecture de son livre mémoire allait s’imposer. Plus tard. S’il n’oubliait pas. Il oublierait.

- C’est vrai que la boule de vision a tendance à montrer de manière régulière quelques coins boisés qui me sont inconnus. Qui pourraient globalement être n’importe où… si ce n’est qu’il me semble y avoir observé une végétation plutôt issue de la Grand Forêt. Peut-être que…

Il secoua la tête et plongea son regard hésitant dans celui de son amie :

- Est-ce que tu trouves que je m’inquiète pour rien ? Qu’on en fait trop ? J’avouerai avoir du mal à faire preuve d’objectivité lorsqu’il s’agit de Zahria.
Et Solveig ! Et Lio. Lia. Lichael. Luz. Naë. Carci. Réno. Lara…
- Peut-être que… je n’ai fait que le Grand Port et la Capitale. Mais si l’on va se renseigner directement auprès de celle des Belluaires… et à celle de la Forteresse, en dernier lieu, si vraiment…
Lia et Lichael ! Mettre affiches de Zah !?
- Des a… quoi ?
Avec ça ! s’exclama Kaname sans lui laisser le temps de réfléchir à la chose.

Tirant d’un tiroir les restes de jeux d’une soirée éméchée, la loutre géante montra une feuille à K’awill – qui s’empressa d’acquiescer – avant de la déposer entre les mains de Carciphona. Heureuse de son idée. Reconnaissant là les reliquats de sa propre dextre – déjà pas très agile lorsqu’elle était sobre – avinée à l’occasion de la fête d’anniversaire de Zahria, le coursier grimaça à son œuvre aux traits hasardeux comme à la faute d’accord.    

- Alors pour le coup, ça c’est peut-être vraiment un peu trop, déclara-t-il.
Mais joli dessin pour trouver vite jolie Zah ! Partout dans les villes !
- Peut-être qu’elle a quand même besoin d’un minimum de discrétion, si on doute qu’elle soit vraiment en planque quelque part. Et avec des avis de recherche placardés partout… Même si la ressemblance est globalement nulle entre son visage et… ça.
Mais Cal chercher quand même.

Il y avait comme une impression de tourner en rond. Soupirant, l’espion finit par s’imposer un compromis qu’il proposa à haute voix :

- On peut au moins jeter un œil du côté du Village Perché, je connais là-bas quelqu’un qui devrait pouvoir nous renseigner aussi bien que tous les Belluaires si jamais Zahria a été vue dans le coin. Et puis… en fonction, on avisera. Qu’en penses-tu Carci ? poursuivit-il en reposant un regard indécis sur l’aventurière.

Dans cette situation où il se perdait entre l’inquiétude paranoïaque et la compréhension aveugle, elle restait son point d’ancrage. Sa raison.

Ce type, c’est bizarre, sa tête ne me revient pas...J’ai plus l’impression qu’on l’a dérangé lui aussi mais bon vu la tronche qu’il tire, sans oublier l’odeur, il ne doit pas passer de bonne nuit. Il nous donne quelques pistes mais comment dire que le royaume est peut-être de trois quarts de nature… non gros indice là ! Juste après son départ, un nouveau jeu télépathique se déroule sous nos yeux. K’awill semble mieux comprendre la situation que moi et il me dit qu’il a déjà vu cet homme qui ne sourit jamais. Ouais enfin moi je ne m’en rappelle pas et il y a plein de gens qui font de sales têtes à la Capitale ! Kaname et K’awill sont maintenant tous enjoués, prêts à faire une bêtise.

- Oui câlin !!!

Bon, je ne vais pas chercher à comprendre et les laisser faire hein pendant que le blondinet dévore son chocolat. Ça devient monstrueux la quantité de chocolat qui mange. Si il continue comme ça, il va devenir énorme sans parler des autres trucs qu’on peut avoir et que je n’arrive jamais à prononcer les mots. Il faut que je lui enlève ça de la bouche et tout de suite.

- Calixte, arrête de manger ça. Je sais que le chocolat, c’est le truc du bonheur ou de l’endortruc, enfin le truc qui rend joyeux mais arrête de faire ton gloot et rends moi ça tout de suite !  

Bon, mon avertissement ne semble pas l’effrayer alors je décide de tenter l’offensive numéro deux qui consiste à arracher sa drogue de la bouche. Évidemment, comme les boulets que nous étions, la tablette s’en sort indemne mais pas la superbe bouteille d’alcool qui était juste là. D’un commun accord avec moi-même, j’accuserai K’awill si nécessaire. Après ce nettoyage pour effacer les traces de notre crime, on reprend notre enquête initiale. Où est passée la garde mystérieuse qui ne souhaite vraisemblablement pas se faire retrouver. Bon après nous sommes ses amis enfin surtout Calixte. Enfin comme il le dit si bien, c’est sa soeur, soeur de coeur, je n’ai jamais compris ce concept mais je zappe vite ce sujet quand il évoque Naë. Ce petit sourire mutin en dit long sur ce que je pense réellement, surtout ce petit lapsus sur ses fesses...

- Oh, tu sais. L’instinct, tout ça quoi. Je ne sais pas, peut-être que la cabane m’a ouvert un peu les yeux. Pas forcément de la part de Naë car il est indéchiffrable ce mec mais toi. Je ne sais pas comment l’expliquer après peut-être c’était un vieux fantasme à moi et qu’à force d’y croire il s’est réalisé. Puis quand tu m’as montré le SAPIC, je me suis dis… rien ne pouvait vous arrêter car sérieux, tu étais… sexy !  

Je secoue la tête et me frotte les tempes.

- Mais nous n’étions pas là pour ça… donc nature.    

Végétation dense, ça correspond effectivement au territoire du Village Perché mais certaines îles de l’Archipel ont la même configuration mais je me vois mal ajouter cela à la liste du coursier. Il était déjà inquiet et je pose une main sur ses épaules pour tenter de le rassurer.

-  J’aurai voulu avoir un ami comme toi pour me retrouver  ! Mais si elle n’a rien voulu te dire, bah c’est de sa faute. Donc sans détails, il faut partir du principe qu’on doit la retrouver et lui dire que les cartes postales existent !

Kaname détourne notre attention et court vers un tiroir de la commode. K’awill la suit sans demander son reste et je ne fus pas déçue du voyage. Me retenant de rire face à cette… œuvre d’art ?

- Non mais tu es sérieux ! Tu ne rends pas gloire à sa beauté.  

Oubliant le reste de sa phrase, je retourne à la commande, retourne le tiroir pour trouver un papier et de quoi dessiner.

-  Non mais regarde. Je ne sais ce qu’il t’est arrivé ce soir-là mais il manque par exemple ses lèvres qui ne demandent à qu’à être gouté.  

Je dessine alos ses lipes puis ensuite les courbes de son visage.

- Puis cette mâchoire, on dirait une personne fière puis ses yeux qui te transpercent.  

Bon je crois que je venais de faire un peu des patates mais bon je ne suis pas artiste moi, je tape du monstre !

-  Et cette tignasse là, on a envie de glisser ses doigts dedans.

Moi j’avais des problèmes capillaires mais elle… la pauvre, un sac de nœuds, enfin elle fait ce qu’elle pouvait.

- je suis sûre qu’ils sont doux. Tu le sais toi non ?  

Question débile, je passe à la suivante.

- Puis son cou dégagé, son collier qui trône généralement qui tombe sur au-dessus de sa poitrine..  

Elle avait une silhouette d’une femme sportive. En y repensant, elle avait un corps d’une garde qui avait livré quelques batailles. Quelques stigmates de blessures et aussi qu’elle était plus vieille que nous globalement.

- Je m’égare non ?    

Je pense que oui. C’est à ce moment-là que je me rendis compte que je l’avais observé plus que je le pensais. Elle avait un charme certain et cette beauté un peu exotique.

- Manque femme-chocolat la plus belle !
- Oh tu as raison, K’awill.  

J’ajoute à mon oeuvre d’art “ Zahria la plus belle “ et nous voilà avec deux magnifiques portraits de notre amie !

- Tu as raison, si on placarde sa tête partout surtout ça… elle va nous tuer !  

Pour la mocheté mais aussi qu’elle souhaitait ne pas se faire retrouver alors si on mets les affiches partout dans les lieux de passage, on va la retrouver en peu de temps sauf avec sa couleur de peau.

- Mais allons au Village Perché, je n’ai pas de mission et je ne peux pas te laisser dans cet état là.  

Une tape dans le dos et voilà le problème résolu !

-  Tu sais quoi, ça sera notre première mission ensemble. Tu crois qu’il nous arrivera quelque chose de bizarre parce qu’avoue, à chaque fois que tu es dans le parage, ça finit toujours mal.  
- Nous partir avec Kaname ?
- Bah oui, on part tous ensemble !  
- Kaname, tu entends. Nous partir ensemble !

Ma loutre saute sur celle de mon compagnon pour un calin improvisé.

- Bon, ils ont l’air vachement contents tous les deux là… Tu as des trucs à prendre avant de partir ? Mes besaces sont pleines et si besoin je rentrerai d’un coup de bracelet chez moi si nécessaire.  

J’attrape la dernière tablette de chocolat pour la mettre dans ma besace.

- ça sera pour la route.  

On range pour effacer toutes les catastrophes environnantes et on se prépare pour rejoindre le téléporteur. La route fut un peu silencieuse certes mais une fois devant le bâtiment, je retrouve deux loustics que je connais bien.

- Hey Carci, tu viens nous donner un nouveau truc avec un monstre dedans ?
- Non rien de tout ça, on veut aller au Village Perché !  
- Tu sais qu’on se souvient encore de ta petite “ blague “
- Ouais, le chef nous a passé un tabac et on a été de corvée de latrines pendant une lune.
- Hey, ce n’est pas de ma faute si vous ne m’écoutez pas...
- Du coup, ton voyage va attendre un peu.
- Si tu crois qu’on va te laisser passer pour rejoindre le portail…
- Sérieux les mecs… je vais passer quand même, vous le savez.  
Comme si une loutre savait réfléchir…

Les deux montures regardent les jeunes gardes prétentieux. Je ne sais pas si Calixte pense la même chose que moi. Après ce sont ses camarades mais je donne un petit ordre télépathique à K’awill et d’un coup, celui-ci prend de l’élan et saute pour courir à la hâte vers le téléporteur.

- Salut les nazes !  

Particulièrement heureuse de cette mission conjointe, improvisée, avec Carciphona et K’awill, Kaname s’élança à son tour à vive allure vers le portail de téléportation. Néanmoins, les gardes qui s’étaient remis de la surprise de la Saphir passant sous leur nez, s’interposèrent à grand renfort de mouvements de bras – armés – et Calixte, les yeux aussi ronds que ses collègues, courut derrière son familier en hurlant :

- Kana, non ! Attends-moi ! On ne passe pas comme ça !

Surprise par l’éclat métallique des lames, et d’un naturel docile aux ordres du coursier, la loutre géante pila net devant les surveillants, et tourna un regard interrogateur vers le blondinet. Vreneli, qui s’était glissé dans l’une des sacoches, ne fut cependant pas aussi coopérant et montra le bout de son museau pour envoyer une salve électrique bien sentie au pied des deux hommes qu’il avait catégorisés comme agresseurs. Un nuage de poussière surgit à l’impact, et l’atmosphère se mit à crépiter.

- Stop ! Vreneli ! Stop ! VREN !
- Non mais retenez-les un peu ! Sinon pour attaque sur la Garde…
- Je sais, je sais, pardon ! s’excusa Calixte en arrivant à la hauteur de Kaname et en intimant du plat de la main au teisheba de se renfoncer dans les confins de la sacoche.

Sortant à la fois son pass et sa médaille de garde, il adressa un sourire contrit à ses camarades dont il reconnaissait vaguement les traits. A force d’emprunter les portails pour son travail, certaines têtes devenaient familières.

- Ah Alkh’eir, je t’avais pas reconnu avec tout ça. Tu la connais Carci ? Tu lui diras que la prochaine fois…
- Parce que crois moi qu’on s’en souvient bien de ses passages, et qu’en plus ses merdouilles ça tombe toujours sur nos rotations…

Pressé de poursuivre son chemin, le coursier se força à afficher un sourire compatissant, et au terme de quelques minutes qui lui parurent interminables, accéda enfin à la téléportation pour joindre le Village Perché. Et Carciphona. Et K’awill. Kaname ne perdit pas de temps pour rejoindre son ami loutre et, nul doute, lui faire part de leurs péripéties.

- C’était quoi cette histoire de « nouveau truc avec un monstre dedans » ? demanda Calixte à l’aventurière alors qu’ils prenaient le chemin de la Caserne.

Et tandis que la jeune femme lui relatait l’histoire ravivant certains souvenirs communs, l’espion regarda les deux loutres les précéder joyeusement. Kaname, qui était pourtant déjà venue une fois dans les parages avec Calixte, ne pouvait s’empêcher de tout observer avec curiosité. Et il semblait que K’awill, plus habitué des lieux, prenait grand plaisir à la couver de… couinements ? Informations ? Conseils ? Recettes de poissons en saumur ? Ses pas étaient plus assurés que ceux de sa jeune compagne et celle-ci, lorsque son attention se refocalisait entre ses interludes papillonnants, observait avec intérêt la manière de se mouvoir de son aîné. L’imitant plus ou moins correctement. Avec toujours plus de grâce que son maître.

Bientôt la silhouette du quartier général des Belluaires se dressa devant eux, et ils pénétrèrent dans la Caserne en effervescence à cette heure-ci. Il leur fallut un petit moment pour mettre la main sur quelqu’un sachant où est-ce qu’ils pouvaient trouver la soldate Mavrocordato – Calixte en était d’ailleurs à se dire qu’utiliser son cristal de communication serait finalement le plus aisé – lorsque leur chemin croisa celui du Sergent Elmex qui, non seulement semblait bien connaître la jeune fille, mais en plus était tout disposé à les conduire jusqu’à elle. Tout en les faisant profiter de la narration de ses derniers exploits. Et de ses dernières insolences.

Lia ! s’exclama Kaname en repérant leur cible en première après quelques minutes de déambulation à travers le bâtiment militaire.

Et sans attendre davantage, elle fonça sur l’espionne pour la couvrir d’attentions baveuses. Malgré les circonstances de leurs retrouvailles, le coursier ne put que sourire. Et imiter sa loutre. Pour l’attention, pas pour la bave.

- Salut Lia, glissa-t-il en déposant un baiser sur la couronne de mèches sombres de la jeune fille qu’il avait attrapée contre son cœur. Voici Carci et K’awill, présenta-t-il en s’écartant pour laisser respirer Xylia. On est en… mission personnelle, finit-il en levant le regard pour observer le Sergent Elmex qui les laissait à leurs préoccupations.
Misson importante ! acquiesça Kaname en sortant de sa sacoche ventrale les dessins de l’aventurière et de l’espion pour les montrer à la Belluaire.
- Oui alors heu… commença Calixte qui n’avait pas vraiment prévu d’aborder l’affaire ainsi. On cherche Zahria. Je n’ai pas eu de nouvelles d’elle depuis quelques semaines, poursuivit-il en se calant contre sa loutre câline, lui caressant distraitement le pelage de signes discrets.
Silence total stop.
- Elle ne répond pas à son cristal de communication. Et n’a laissé de nouvelles à personne dans notre entourage. A moins que toi tu n’en aies eues ?
Sbire deux collier jumeaux stop zéro idée où Ombre stop.
- J’ai essayé de voir du côté du Grand Port et de la Capitale : pas de trace de mission particulière, ou de participation à une quête. Pas de trace tout court.
Planque vide port et capitale stop zéro document mission officieuse stop secrétaire pas savoir stop pas trace familier stop poussière bureau stop.
- Les boules de vision montrent des paysages variés, globalement verts.
Vivante poireau mission hameçon.
- Et même si on dirait que la végétation est celle de la Grande Forêt… c’est déjà bien grand, comme territoire. Et puis…
Probabilité mission stop moi inquiétude toujours stop stop stop.
- Peut-être l’as-tu vue passer ?
Rumeur hameçon.
- C’est sans doute moi qui m’inquiète de trop mais… on ne sait jamais.
Cabale stop stop stop hameçon.
Lia aussi dessin pour Zahria ? intervint Kaname en levant un regard enthousiaste vers les deux – trois – espions.
- Et… heu Kana aimerait un troisième portrait de Zahria ? On ne va pas les accrocher…
Si ! Chambre à Zahria ! Comme ça reviendra plus vite.
- … ou uniquement dans la chambre de Zahria à la Volière. Je ne suis pas sûr que ça la fasse revenir plus vite néanmoins. Si tu n’as pas plus d’informations que nous, je pense qu’on finira par Lich’ à la Forteresse. Pour le moment pas la peine d’en informer le monde entier, surtout si elle est vraiment en mission, précisa-t-il en écartant l’idée de placarder le visage de la Maître-Espion dans toutes les villes d’Aryon.

Il était rare pour K’awill de se promener au Village Perché, on y faisait peu d’haltes dans cette ville surtout aussi proche de la caserne des Belluaires. D’ailleurs, je ne connaissais pas de Belluaires et j’avais en face de moi une nouvelle recrue de cette armée d’élite ! Enfin, j’y comprends rien à leur régiment, je sais juste que tu as ceux de la garde royale puis les autres. J’observe ma loutre qui était restée en retrait pour une fois. Peut-être qu’il ne fait pas trop le malin dans ce bastion avec autant de gardes ou il essaye de montrer à son amoureuse qu’il peut-être une loutre mature et responsable. Ouais enfin, il ne faut pas pousser mémé dans les orties non plus, depuis quand c’est responsable un Ixchel ? Jamais ! Les deux amis se font un calin de retrouvailles, je n’y étais pas invitée et surtout elle avait l’air jeune, j’évite les ennuis moi. En tout cas, c’est aussi une proche de Zahria, peut-être elles avaient fait des missions ensemble, je ne connaissais pas son affection à l’autre disparue là. Peut-être que j’arriverais en savoir plus car je vois mal la métisse être proche intimement avec cette fille.

Kaname avait l’air toute contente de la retrouver et je dis à K’awill par télépathie de venir s’approcher de nous surtout si il voulait une caresse lui aussi. Heureux de cette proposition, le voilà qu’il avance dans son galop loutrien pour nous rejoindre. Ca avait un certain style avec son petit déhanché, un peu ridicule mais terriblement efficace. La petite finit par me donner un peu d’attention et j’explose de rire quand je l’entends me vouvoyer. Bon il y avait aussi le fait qu’elle parle de grand frère et je lève un sourcil interrogateur vers Calixte pour comprendre de quoi elle parle mais nous avons tout le temps de parler de ça plus tard. Je dois d’abord l’embêter celle-ci.

- Sérieux ! Tu me vouvoie ? Tu crois que j’ai quel âge ? Je crois que j’ai deux ans de plus que ce nigaud mais c’est tout !  

Je lui frotte la tête du coursier et voilà avec une magnifique coupe de cheveux. Je sors mon cristal de communication et lui tends devant moi.

- Allez tiens. Comme ça, si on perd sa trace, je sais qui je dois appeler !    

L’action dure quelques secondes et nous voilà connecter ! Piouf, mon répertoire va finir par être plein, c’était sûr même. Je finis par prendre l’affiche que la petite avait fait et je rigole de nouveau.

- Non mais il y a pas un pour rattraper l’autre dans l’histoire. Zahria ne va jamais revenir avec des trucs pareilles.  
- Non très joli !
- K’awill… ne prends la défense de tout le monde toi    
- Mais si femme-chocolat joli même sur papier
- Ouais enfin quand on connaît tes goûts !    

Je jette un coup d’oeil à Xylia. Peu de gens voyaient des loutres qui parlent et il faut dire que j’ai passer des heures à l’entraîner pour qu’il parle avec des vrais mots même si ce n’est pas toujours gagné.

- Toi Lia ? Kaname dit Lia

Car même si nous pouvons comprendre lorsqu’ils utilisent la magie. Ils parlaient le loutre entre eux. Ces successions de gémissements plus ou moins aiguës. C’était trop mignon quand il discutait ainsi, je pourrai les regarder des heures !

-  Ouaip, c’est quoi ton petit nom ? Lia comment ? Tu es donc une Faucon ? Tu as connu comment Zahria ? Car ouais, je suis curieuse et n’empêche c’est un vrai mystère cette femme. Bon elle n’a jamais voulu aller plus loin avec moi car blablabla, il y a Lin. Blablabla, n’importe quoi ! Je pars lui sauver la peau des fesses et je suis sûre que je n’aurai pas de bisous de remerciement !  
- Maîtresse parler beaucoup.
-  Aaaah mais qu’est-ce qui te prends toi. Ne dis pas tout non plus.  
- Elle exagérer beaucoup.
-  Dis aussi que je suis une grosse feignasse pendant que tu y es.  
Elle adorer sieste mais elle adorer ami !

C’est trop mignon ce qu’il dit et je me jette à son cou pour lui faire un gros câlin. Ça dure quelques secondes et j’arrête mon cirque avant de revenir sur notre affaire.

-  Enfin bref, tu dis que tu n’as pas d’information et qu’elle n’a pas pointé son nez ici au Village perché. On pourrait aller dans l’annexe de la guilde ou dans une auberge pour voir si quelqu’un a vu sa tronche. Avec une tête pareille, on ne peut pas la rater non ?  

Je regarde mes deux camarades, fière de ma blague. Bon je ne sais pas si elle fonctionne mais j’enquille sur autre chose.

- Tu sais ce qui te manque petite ? Une loutre, Kaname manque de copine ! Bon une loutre femelle d’accord. Kaname est déjà promis à K’awill ! Regardez comme ils sont mignons.    

Je force Calixte à regarder la scène. Les deux étaient assis sur leur séant. Mon familier tout prêt, agissant comme un protecteur. Je lui adresse un petit message télépathique “ Bien joué, champion, c’est comme ça tu l’auras “ . Bon d’ici trois saisons, j’aurai des petits loutrons à m’occuper je pense.

Xylia n’en savait visiblement pas tellement plus. Et c’était, finalement, assez peu étonnant mais toujours un poil frustrant. La bonne nouvelle c’était tout de même qu’elle avait fait l’acquisition d’un cristal de communication et que Calixte pourrait ainsi passer son temps à l’appeler pour prendre de ses nouvelles. Et vérifier qu’elle allait bien. Il n’était pas impossible que toute cette histoire eût finit par réveiller la douce paranoïa sommeillant en tout espion. D’ailleurs c’était quoi ce dossier possiblement en rapport avec la Cabale ? Zahria en avait-elle tout en même entendu parler malgré son absence apparente ? Quelqu’un s’y était-il davantage penché ? Fronçant légèrement les sourcils alors que la jeune fille poursuivait en répondant à la requête de Kaname, le coursier se dit qu’il allait vraiment falloir qu’il rendît visite à Lichael. Si quelqu’un devait savoir quelque chose, c’était bien lui.

Lia le plus joli dessin !

Personnellement Calixte partageait plutôt l’avis de Carciphona, mais il se contenta d’adresser un sourire mi perplexe mi encourageant à sa loutre comme à Xylia. Il allait falloir que les cours de dessins fussent rajoutés au cursus des espions ; ça n’était visiblement pas leur point fort.

K’awill raison. Carci parler beaucoup.
K’awill n’a-t-il pas toujours raison ? taquina le coursier alors que la tornade de Saphir abordait sa petite sœur de cœur.
Oui toujours ! K’awill très fort !

Contenant un rire amusé, Calixte caressa d’une main moqueuse le sommet de la tête de Kaname. Celle-ci lui répondit de son regard étincelant. Vraiment, s’il retrouvait ce petit vendeur ambulant proposant des colliers magiques parant les familiers de motifs divers, il faudrait qu’il lui prenne celui d’étoiles pour la loutre géante.

- Oui on pourrait… commença-t-il avant que ses songes ne fissent brusquement une halte.

D’ailleurs les mains enthousiastes de Carciphona ne lui laissèrent guère le choix que de changer complètement de centre d’attention, le rivant sur les deux loutres poursuivant leur agréable conversation imperméable à celle des humains.

- Quoi ? s’étrangla-t-il en mettant enfin du sens derrière les propos de l’aventurière. Je… Quoi ?
Quoi promise ?
… quoi ?

Etait-il vraiment étonné qu’une fois de plus en la présence de Carciphona les choses partissent en cacahuète ? Il avait fâcheuse tendance à l’oublier. Saisissant d’un bras celui de la Saphir, et attrapant brièvement de l’autre Xylia pour s’offrir une embrassade bien sentie, il finit par marmonner à cette dernière :

- Une loutre c’est une bonne idée, mais peut-être pas le familier le plus adapté pour le coin. Merci pour les infos Lia, je te tiens au courant de notre avancée. Faudra que tu me fasses découvrir la Soupière Gourmande la fois prochaine.

Ou des échecs. Mais il préférait ne pas trop y penser. Déposant un dernier baiser sur la joue de l’espionne, il tira avec lui l’aventurière qui continuait à s’extasier sur l’évidence du couple K’awill-Kaname. K’aKa ? Un frisson le saisit, et il soupira à l’adresse de son amie tandis qu’ils reparcouraient les couloirs en sens inverse.

- Allez madame Ixchel, cessez de vouloir caser les petits jeunes entre eux, ils le feront bien assez vite tous seuls. Je sais qu’il vous tarde d’être grand-mère, mais tout de même.
Kaname promise K’awill ! répéta une nouvelle fois la loutre pour laquelle la signification restait obscure mais la phrase sonnait plutôt pas mal.
Non, non, non. On en parlera plus tard. Mais Kana n’est promise à personne, et surtout pas à ton âge.
- Faisons un détour par les quartiers administratifs voir si le nom de « Zahria Ahlysh » réveille des souvenirs, puis essayons l’antenne de la Guilde. Ça c’était une bonne idée.
Si Lia loutre aussi. Loutre aussi promise à K’awill ? Bien, non ?
Quoi ? Non ! Personne n’est promis à personne ! A part peut-être Naëry à Luz, mais je crains qu’on ne voie jamais la couleur de quoi que ce soit de ce côté.
Alors « promis » c’est quoi ? … Kana va demander à Apo. Apo plus bavarde que Cal.
- Parfait, grommela le coursier de frustration.

Et comme il gérait assez mal son anxiété ces derniers temps, il piqua la plaquette de chocolat que Carciphona avait emportée dans ses affaires, et entreprit de se découper un large carré. Pas des masses vindicatif, il tendit aussi un morceau à l’aventurière.

Le passage par les bureaux de l’administration des Belluaires ne leur apprit pas grand-chose, si ça n’était que retrouver les propriétaires des caisses de lingerie subtilisée n’était visiblement pas si évident que cela. On leur proposa de remplir quelques formulaires selon leur degré d’inquiétude et de recherche de leur amie, comme de placarder les magnifiques portraits réalisés, mais Calixte refusa poliment et ils s’éclipsèrent d’une pirouette à l’image de la discrétion de leur duo – soit à grand renfort de loutres et d’exclamations improbables.

C’est ainsi qu’ils finirent attablés au bar de l’annexe de la Guilde au Village Perché, un chocolat chaud entre les mains. Si cette quête ne leur ramenait pas la Maître-Espion, ils garderaient quelques kilos en souvenir.

- Qu’est-ce que ça veut dire : promettre ? demanda le coursier à sa loutre comme elle ne démordait pas de l’expression employée par la Saphir.

D’ailleurs cette dernière semblait faire les yeux doux à la jolie demoiselle aux cheveux roses derrière le comptoir afin d’obtenir les informations qu’ils cherchaient désespérément. Enfin désespérément pour Calixte. Et peut-être que Carciphona était désespérée de le voir dans cet état. C’était un sentiment habituel pour l’entourage du coursier, même dans des conditions plus joyeuses. Sa famille avait toujours été désespérée de son manque d’ambition. Ses instructeurs de sa maladresse. Ses proches de sa malchance.

Promettre c’est dire qu’on fait.
- C’est plus que ça. C’est s’engager à. Affirmer que, quoi qu’il arrive, on le fait.
Alors Kana promise à K’awill pas de sens…
- Non, pas de sens… puisque Kana n’est promise à personne, répéta obstinément le garde. Être « promis à », c’est avoir été donné en promesse. Avoir été donné à, quoi qu’il arrive.
Kana donnée à K’awill !
- Oui. Non ! Personne ne donne personne à personne ! s’écria Calixte en se demandant distraitement si sa triple négative avait du sens.
Mais Kana veut bien être donnée à K’awill. K’awill gentil ! Et fort ! Et intelligent !

Dans un long soupir accompagné d’une lamentation, le coursier se pencha pour entourer l’encolure de la loutre de ses bras et enfouir son visage dans le doux pelage.

Ah mais Kana déjà à Cal. Kana promise à Cal ?
- Noooon, gémit l’espion qui visiblement était loin d’être le meilleur des pédagogues. Carci ? Tu ne veux pas lui expliquer ? demanda-t-il à son amie avant de réaliser qu’il ouvrait peut-être là la boite de Pandore.

L’amie de Calixte finit par partir et nous voilà de nouveau tous les deux. Je ne sais pas ce qu’il passait entre le garde et sa loutre mais celui-ci débattait avidement avec celle-ci. N’étant pas dans l’échange télépathique, il était assez marrant de voir les réactions du blondinet alors qu’il essayait de garder un semblant de normalité alors qu’on part rejoindre l’annexe de la guilde.

- Tu devrais arrêter le chocolat, ça file des boutons à forte dose. Tu le sais ça ?  

Car Monsieur vient de dévorer un autre carré et pour une fois me propose un bout que j’accepte volontiers. On continua le chemin pendant que K’awill me faisait des résumés des pensées de Kaname. Je ne comprenais pas grand chose parce que le message était plus que déformé. Je devrais vraiment lui apprendre à mieux s’exprimer celui-là, il va finir par me faire des quiproquos monstrueux. On arrive dans la guilde, on nous demande de remplir de la paperasse mais Calixte refuse tout bonnement, nous voilà au bar de la guilde. Je n’osais pas poser la question mais pour quelqu’un qui souhaite retrouver son amie coûte que coûte, c’était plutôt étrange. Il avait certainement ses raisons. Bon j’ai dû hurler à plusieurs reprises car Kaname et K’awill avaient décidé de faire du saute-loutre au milieu du hall d’entrée. C’est comme du saute-mouton mais avec des loutres qui font le triple en envergure. Bref, vous avez compris, on s’est fait remarquer ! Alors que j’étais en train de faire mon numéro à l’hôtesse aux cheveux roses.

- Tu ne trouves pas ça sexy les filles aux cheveux roses toi ?    

D’ailleurs, c’était quoi les goûts de Calixte ? C’était plus les femmes ou les hommes son truc ? Un gars comme ça, je le vois bien avec une femme forte, avec des muscles, forte poitrine. Ouais tout l’inverse de lui, ça serait tellement amusant. Bon, je l’ai déjà vu se rouler par terre avec cette officier proche des murailles de la Capitale. A mourir de rire. Bref, ce n’était pas la question car nous voilà assis à cette table et nous n’avions pas trouvé d’indices. Mon familier se pose près de moi, se reposant sur son séant avec que la petite Kaname semble attendre une réponse de son maître. Je place mes coudes sur la table, glisse ma tête dans mes mains, impatiente. Je vois alors le dialogue entre les deux sauf que cette fois-ci, Calixte parle à voix haute. Ça devenait vraiment intéressant et je me met à rire de mon côté. On dirait un père qui devait expliquer la vie à son enfant. Un grand moment sauf qu’au bout d’un moment, il me jette la patate chaude entre les mains.  

-  Allez, viens voir Tata Carci, je vais tout t’expliquer !  

Je tapote ma cuisse et la voilà qui s’assoit près de moi.

- C’est tout simple. Être promis à quelqu’un, c’est comme les doigts de la main. Ils sont liés ensemble, tu comprends ?  

On dirait bien que oui.

- Tu vois quand on est promis à quelqu’un c’est comme si nous faisions une paire.  Par exemple.  

Je lève ma main en direction de Calixte pour faire un demi-coeur.

- Fais pareil avec ton autre main Calixte.  

Le coursier s’exécute.

- Tu vois, moi j’ai une moitié et Calixte à l’autre. Quand on rassemble les deux parties, ça fait un tout. Quand je dis que tu es promis à K’awill, c’est une plaisanterie mais je sais que si tu le souhaite, il peut-être ton promis. Ton autre toi !    
- Moi être moitié ?
- Mais non, c’est comme vous les loutres. Il y a la loutre et la rivière. Vous avez besoin de l’eau pour vivre car vous adorez ça non ?  
- Moi adorer l’eau !  
- Tu vois, tu es donc promis à l’eau. Enfin quelque sorte.    
- Moi promis eau ?  
-  Non tu adores l’eau !  
- Moi adorer Kaname aussi ! Comme adorer eau ! J’aime jouer avec Kaname !  
-  Car elle est super gentille non ?  
- Oui gentille ! Et bientôt super forte comme moi !  
- Elle est encore jeune ! Mais elle sera forte aussi plus tard.  
-Moi tout apprendre pour qu’elle soit forte !  
-  Autre exemple. Par exemple, j’aime Lin. C’est ma promise comme un peu Naë et Luz. ils font un tout !  
- Kaname dit que Apo a plein de promis alors ?  
- Apoline la trousse ? Je ne sais pas si c’est un bon exemple !  
- Kaname dit que Apo gentille. Apo parler beaucoup comme toi. Apo lui apprendre plein de trucs. Car Calixte pas bavard.  
- Alors Calixte… on ne joue pas son rôle de maître ?    
- Kaname dit que Cal promis à Kaname ?  
-  Oula non ! Calixte c’est un peu comme ton papa. Tu sais comme K’awill et moi.  
- Carci est ma maîtresse ! Moi la protéger, moi la porter !  
-  Oui, c’est mon familier, ça n’a rien à voir. On est toujours promis à quelqu’un qu’on ressemble. Je ne ressemble pas à une loutre et ni Calixte non ?  
- Pouah ! Non, vous ressemblez à deux jambes.  
-  Vous voyez !  

La fille du comptoir aux cheveux roses finit par arriver. Curieuse.

- Vous me faites rire tous les quatre ! Vous êtes vraiment en train de leur expliquer l’amour là ? Pourquoi pas les bébés pendant que vous y êtes !  
- Bébé ?  
- Oui les bébés loutres ! Faut bien les faire !  
- Comment faire bébé moi ?  
- Bon, je vous laisse mais toi la Saphir, si tu as du temps libre, viens me voir. Tu sais où me trouver !  

Elle me fait un clin d’oeil avant de partir, nous laissant avec une autre question délicate !

- Nous savoir ! Nous savoir bébé nous !  

Je regarde Calixte, désemparée.

- On vous le racontera une prochaine fois. Nous avons Zahria à retrouver d’abord.    
- Mais femme-chocolat ne veut pas se faire retrouver.  
- Pourquoi tu dis ça K’awill ?    
- Car si elle vouloir. Elle laisser indice ? Elle forte cache-cache !  
- Comment tu sais ça.  
- Car avec Kaname, nous discuter. Nous pensez faire cache-cache. Calixte nul à ce jeu. Maîtresse aussi. Nous veut savoir bébé nous !  

Je me frotte le visage, essayant de comprendre. Il avait peut-être raison, peut-être que Zahria ne souhaitait pas être retrouver.

- Zahria n’avait pas des amis de confiance au Blizzard ? Je sais qu’il y avait le feu capitaine mais peut-être qu’elle a d’autres amis qui pourraient nous renseigner mais j’ai bien peur que ses deux loustics ont trouvé le problème...  

Est-ce que la métisse n’avait pas confiance envers Calixte et n’a rien voulu lui dire. Peut-être qu'elle avait fait ça pour le protéger. Il y avait tellement de possibilités et plus le temps passe, plus l’anxiété du blondinet va grandir…

- On tente Forteresse ? Au pire, on fera un passage aux sources chaudes. On dit que c’est parfait pour réfléchir !    

Intrigué par son amie qui prenait l’éducation de leurs loutres en main, Calixte se redressa sur sa chaise, oubliant presque le chocolat chaud qui diffusait de doux arômes au-dessus de la tasse qu’il tenait entre ses doigts. Après tout, c’était auprès de l’aventurière qu’il avait lui-même initialement fait appel pour s’informer du dressage adéquat de Kaname ; Carciphona était certainement bien meilleure pédagogue que lui. La loutre géante se rapprocha avec enthousiasme de la Saphir, et se laissa entraîner dans les explications bien plus ludiques de celle-ci. Le visage quelque peu froncé en signe de concentration, il semblait qu’elle était tout de même plus réceptive au langage épuré, simple, de la jeune femme. Se prêtant au jeu, le coursier leva sa senestre qui vint au contact de la dextre de son amie, formant ainsi un cœur à eux deux.

Carci bonne professeur ! Kana tout comprendre ! Promis c’est cœur.
Pas tout à fait, continue à écouter.
Cœur dans eau !

Décidément, tout n’était visiblement pas gagné dans l’explication des subtilités de leur langue, et notamment sur des sujets touchant à l’intimité. Distraitement, le garde se demanda s’il existait à la librairie une section de revues adaptées, prévues pour l’éducation sentimentalo-sexuelle des familiers. Ses pensées s’égarèrent à la devanture de l’un des livres d’Apolline, et il réprima un frisson, s’obligeant à se réintéresser au moment présent. Il fut aidé dans sa tâche par l’hôtesse aux cheveux roses qui, apparemment amusée de leur déconfiture, ne put s’empêcher d’ajouter son grain de sel à leur conversation. Il regretta cependant bien vite son intervention.

Comment faire bébé loutre ? s’empressa de lui demander Kaname tandis que ses yeux s’arrondissaient de désespoir.
- Carci a raison, on verra une prochaine fois.
Si Cal est papa de Kana, est-ce que c’est Cal qui a fait bébé Kana ?
- Non ! C’était une image.

Heureusement, K’awill réaborda le sujet qui les avait initialement rapprochés et fait entreprendre cet étrange voyage de portail à portail, et comme la loutre du coursier n’aimait rien de plus qu’écouter son aîné, elle se réintéressa aussi vite à leur mission officieuse.

- Tu as raison K’awill, finit par admettre l’espion dont le cœur – la logique y était déjà arrivée, mais il avait toujours été plus émotif que logique concernant Zahria – se résignait doucement à cette possibilité. Peut-être ne veut-elle pas être trouvée. Elle est effectivement forte à cache-cache…

Finissant son breuvage cacaoté comme s’il pouvait y noyer son inquiétude persistante, il riva son regard hésitant sur la silhouette de son amie aventurière. Sans doute l’avait-il déjà su, et ce depuis quelques jours, qu’il ne réussirait à la pister. Et que c’était bien là le signe qu’elle avait sciemment disparu. Sans tenir personne au courant. Sans le tenir au courant. Mais accepter cette notion avait été étonnamment compliqué. Ça l’était moins, en la présence rassurante de la Saphir et de son fidèle compagnon. Comme si, quelque part, ils lui ôtaient une part de responsabilité qu’il ne pouvait s’empêcher de ressentir dans l’absence de sa mentore. Comme si la normalité, guidée par la vivacité de Carciphona et l’enthousiasme de K’awill, se glissait plus aisément dans le vide laissé par la Maître-Espion. Rendant cette situation viscéralement inconfortable pour Calixte, finalement presqu’acceptable.

Voir Lich quand même ?

Hochant mécaniquement la tête, l’espion adressa un sourire résigné à son amie.

- Oui, on peut faire un saut à la Forteresse et voir si Lichael a plus d’informations. Sans doute n’aura-t-il rien de plus, mais au moins aurons-nous tout tenté, dans la limite du raisonnable.




Lichael, il s’avérait, avait en réalité plus d’informations que les autres espions. Pas beaucoup plus, mais suffisamment pour dissiper une large partie des inquiétudes de Calixte. Il avait, notamment, la charge de s’occuper d’un certain nombre de tâches usuellement administrées par la Maître-Espion, et cet ordre coïncidait à peu près avec la disparition de cette dernière. Il n’avait aucune explication non plus, ni la moindre idée de l’occupation actuelle de leur supérieure, mais savoir que Zahria avait vraisemblablement planifié tout cela avait suffi à accorder le cœur du coursier à sa logique. Au terme de leur rapide conversation – orale et gestuelle – au sein de l’austère Caserne de la Forteresse, il n’avait pas résisté à l’envie d’embrasser aussi chaleureusement son collègue que Xylia, et ses gestes avaient été accompagnés d’une bonne dose de gratitude.  

C’était ainsi que, quelques minutes plus tard, dotés d’un nouveau portrait de Zahria et quelque peu allégés de leur fardeau – la version officielle et audible de Lichael étant qu’il l’avait vue quelques semaines auparavant et qu’elle lui avait effectivement mentionné être très occupée dans les lunes à venir – Carciphona et Calixte observaient leurs familiers batifolant dans la neige recouvrant les reliefs des thermes ouverts dans lesquels ils avaient finalement échoué. L’endroit était globalement mal agencé, les sources soit brûlantes soit trop refroidies, l’hygiène un peu douteuse, et les clients un poil grossiers, mais c’était l’un des rares endroits de ce genre acceptant les familiers au niveau des bassins. Les deux amis avaient fait une croix sur le confort afin de continuer à profiter de la présence de leurs compagnons. Kaname avait usé de sa magie pour diminuer de taille, et s’amusait à grimper sur le dos de K’awill avant de sauter dans la poudreuse ou dans l’eau. Leur agitation avait éloigné la plupart des autres baigneurs eux-mêmes accompagnés de leurs animaux, et cela n’était pas pour déplaire à l’aventurière comme au garde. Certains avaient les mains quelque peu baladeuses.

- Faudra qu’on en tente d’autres, lorsqu’on sera entre humains, nota Calixte en retirant une plume argentée du ramequin garni de chocolats en forme de cœurs qu’on avait déposé sur la faïence à leurs côtés. J’avais été une première fois avec…

Il ne se souvenait pas très bien, et n’était pas certain de vouloir faire la lumière sur la totalité des évènements de cette journée ; ça avait été juste après la mort de Ruth. Lors de l’enquête. Donc avec Vrenn, et avant le manoir. Des images en lambeaux d’un établissement coquet, de clients se raréfiant à mesure de l’avancée de la nuit, et de la jambe de son collègue flottaient à la lisère de sa mémoire, attisant sa curiosité entre les miasmes de l’appréhension. Il y avait là quelque chose à oublier. Secouant la tête, chassant les fantômes de temps révolus, il poursuivit :

- Personne d’important. La deuxième fois c’était avec une amie, Rebecca. On a failli prendre feu. Ce qui est un peu ironique dans des bains. Mais si on choisit un endroit un peu raffiné à la mécanique certaine, et que tout se passe bien… En couple ça doit être chouette aussi, réfléchit-il songeur. Comment elle s’appelle déjà ta bien-aimée de la Ville Aquatique ? Peut-être que ça lui plairait les sources chaudes.
Cal a Soly chérie !
Oui. Peut-être un jour on reviendra avec Sol ?
Soly chérie et Cal faire bébés après ?

Calixte s’étrangla sur le chocolat qu’il venait de gober, et alors que Carciphona lui tapait énergiquement dans le dos, il se dit distraitement que ce serait assez cocasse de laisser à Lichael son certificat de décès par étouffement cacaoté dans l’attente du retour de leur Maitre-Espion.

Kana pas oublier, déclara fièrement la loutre en se glissant entre l’aventurière et le garde.

Elle avait pu garder un talisman glacial, et se fondait avec délice dans l’eau brûlante sans craindre de surchauffer.

Cal a eu bébé Kana comme ça ? Avec autre que Soly chérie ?
- Mais non, tu te souviens… gémit l’espion en toussotant toujours. Tu étais toute petite, mais il y avait Naë et…
Naë et Cal ont fait bébé Kana !
- Non ! Les humains ne font pas d’enfant familier. Comme ils ne… pondent pas d’œufs de familier. Et tu avais déjà quelques lunes quand je t’ai trouvée, tu te souviens ?
Kana pas aimer temps avant Cal…
- Je sais, pardon, soupira le coursier en embrassant la loutre qui se cala contre son torse nu. On essaiera de trouver un imagier, ou un livre d’éducation, ou quelque chose comme support pour tout ça à la librairie avant de rentrer, proposa-t-il avant de lever son regard vers la Saphir. Tu les connais un peu dans le coin ? Sinon on ira au petit bonheur la chance.

Puisqu’après tout, il semblait que leur enquête officieuse n’irait pas plus loin que cela.

Alors peut-être que les gardes sont très tactiles mais à chaque qu’on change de bastion, il trouve le moyen de faire un câlin avec un collègue à lui. Peut-être son privilège de coursier… En tout cas, il est marrant ce Lichaël, lui aussi a joué le jeu du portrait robot quand K’awill a décidé de montrer nos œuvres d’art en poche. Je note que le mien était le plus joli, je rétablissais la beauté de Zahria avec un délicat doigté. Modeste ? Oui… c’est tout moi.

Malgré cette longue journée à se balader un peu partout dans le royaume, nous arrivons enfin aux sources chaudes. Ce n’était pas l’endroit le plus romantique au monde, non ce n’était pas l’auberge où tous les couples finissent… Non c’était le repère de roublards et autres gens à l’hygiène douteuse. Mais si on voulait garder un oeil sur nos deux familiers, nous pouvions finir qu’ici. Après avoir insulté deux gars qui ont cru que j’étais disposée à satisfaire leur moindre désir, nous étions enfin plus tranquilles quand j’ai demandé télépathiquement à K’awill de jouer près de moi de préférence en éclaboussant les autres clients. Au début, il ne comprenait pas l’ordre que je donnais mais après avoir certifier qu’il pouvait déranger tout le monde, il mettait tout son cœur pour vider les bains avec une Kaname rétrécie. Pour une fois que leurs bêtises servent.

Maintenant installés, nous allons profiter de ses eaux pour discuter un peu. Malgré tout, du chocolat traînait dans les environs. L’addiction de Calixte devenait préoccupante, est-ce que je devrais lui dire que ça devenait affolant la quantité de chocolat qu’il mange et ça depuis ce matin ! D’ailleurs, il s’apprêtait un truc sympa quand il s'étouffe avec ce chocolat coeur.

-  Sérieux Calixte, ça va finir par te tuer tout ça !  

Je lui tapote le dos pour éjecter l’indésirable m’amusant de la situation. On m’avait dit que si on s’étranglait pour de vrai, on ne faisait pas de bruit et on devenait tout bleu. Un gars à la guilde m’a dit un bon coup de point dans le plexus et ça expulse l’air. Enfin il m’avait parlé d’un truc du genre. “ Tu mets le poing dedans et tu remontes “, ça doit être ça, gros coup et paf ! Faudrait que je teste un jour !

- Ça va mieux ?    

On dirait bien et commence à parler de ma chérie.

-  Lin, Lin Gher ! Meilleure enchanteresse du royaume. Une femme superbe, un tempérament d’acier et qui me supporte. Je pense que c’est ça son super pouvoir, me supporter. Mais tu as raison, ça serait bien un petit séjour en tête à tête ici. Je ne l'avais jamais fait avec une personne que j’appréciais beaucoup, j’ai cru entendre que c’était un peu la base de faire un truc comme ça. Est-ce que tu penses que ça lui ferait plaisir ?  

Lin n’était pas difficile. Il ne fallait pas de gardes dans les environs, elle en avait une peur bleue mais je suis sûre qu’avec Zahria et Calixte, elle pensera que finalement, ils sont gentils comme tout. Qui n’aimerait pas un petit blondinet comme lui ?

-  Toi aussi coco tu trouveras quelqu’un de bien. Une personne importante qui t’apprécie pour ce que tu es. Puis un gars qui est capable de retourner tout le royaume pour trouver son amie, ça ne peut-être qu’un type bien !  

Je lui donne une tape dans le dos pour finir de l’achever et être sûre qu’aucune trace de chocolat traîne dans son œsophage. Kaname en profite pour s’approcher de nous. K’awill beaucoup trop grand pour le coup restait à distance. Je comprends très vite que lui aussi voudrait un câlin comme le font nos deux voisins. Personnellement, je tenais à ma vie et je ne survivrais pas à des centaines de kilos de loutres…

- Vous parlez encore de ça tous les deux ?    

K’awill redresse ses deux oreilles, lui aussi était curieux pour le coup.

- Peut-être que le plus simple c’est d’aller dans un refuge à loutres géantes. Ses congénères pourraient lui expliquer. Je ne t’avais pas dit que plus tard, pour ma retraite, je compte me reconvertir en éleveuse de loutres géantes !  

Mais tant que j’ai la force de faire mes missions, je continue. Je n’ai jamais eu de graves accidents et j’ai toujours toutes mes facultés. La retraite peut attendre une dizaine d’années encore.

- Ouais, je connais plusieurs boutiques. Tu connais la forge d’une femme qui a des biscottos aussi gros que le Lieutenant Aggun. Franchement, je pense que tu mets ses deux là côte à côte, je ne sais pas laquelle gagne. Puis je vais te raconter un truc bien marrant.    

Je me redresse, faisant attention à bien tenir ma serviette contre moi. C’étaient des bains mixtes et mes seins ne regardaient que moi. Bon Calixte avait le droit de regarder mais pas l’autre pervers où la serviette ne cachait pas du tout son contentement. Je lui lève mon majeur dans sa direction et glisse mon pouce sous la gorge pour le prévenir que si il continue, c’est une dague entre les deux yeux qui l’attends.

- Bref, tout ça pour te dire franchement… Elle est vachement sexy, si on aime les bonhommes mais c’est une autre histoire. C’était après ma mission suicidaire et j’avais du cuir de gévaudan à revendre. J’ai décidé de me faire une nouvelle armure.  

Calixte me regarde et je sens que je suis en train de le perdre. J’essaye d’abréger de nouveau.

- Donc ouais, tout ça pour dire qu’au moment de prendre les mesures, c’était si… elle était si proche de moi, ses mains qui prennent son temps, son mètre-ruban qui entourait mes poignets, ma taille, ma poitrine. Son souffle chaud dans mon oreille. Son corps beaucoup plus grand que le mien qui se plaquait contre le mien. Je m’imaginais ses bras puissants qui m’attrapaient puis ce comptoir…    

Oui bon j’avais oublié le moment le plus marrant. Quand je rentre dans la boutique, elle glisse dans un pot de peinture dans une position inconfortable et moi, voulant l’aider, je finis sur elle. Lucy a voulu que ma tête se trouve entre ses seins et ses mains sur mes hanches. Mais c’était une autre histoire beaucoup trop longue à expliquer.

-  Tu vois un peu le truc. Ce moment où tu te dis que tout peut basculer, un regard, une parole, un geste.  

Puis j’ai pensé à Lin et j’ai dû m’écarter un peu.

-  Bon ça ne s’est pas fait parce que voilà… J’ai dis à Lin que je ne ferai pas de bêtises et qu’elle a confiance en moi ! Mais quand même, c’était si chaud ! Piouf. Surtout dans sa forge. Je l’ai vu travaillé le cuir de gévaudan, c’est un cuir dur et lorsqu’elle le martelait avec sa masse, tous ses muscles ruisselaient…  

Je secoue la tête et Kaname décide à ce moment-là de me faire un calin. Alors peut-être que K’awill a compris qu’il avait le droit mais une vague géante poilue finie par me tomber dessus. Je bois la tasse par trois fois avant de lui dire télépathiquement de se pousser avant que je l’étripe.

- K’awiiiiill, tu veux ma mort ou quoi ?    
- Non, moi calin
- je vais vraiment finir par t’acheter un parchemin de rétrécissement à toi aussi.  
-Moi devenir bébé ?
- Non juste petit, pour te cacher !  
-Oh moi plaire ça.
- Va montrer à Kaname ton nouveau pouvoir. Tu sais ton truc de pistolet à eau.    
-D’accord.
-  On s’en va dans quelques minutes alors ne partez pas trop loin !  

Dis-je en criant vers la fin alors qu’ils partaient à l’autre bout du bâtiment.

- ils vont finir par nous épuiser.. C’est ça d’être parent ?  

Bah une loutre c’était largement suffisant alors deux… je passe mon tour. On passe dans une autre pièce pour faire notre toilette et on se retrouve à la sortie quelques minutes plus tard. Nos deux compagnons à quatre pattes nous attendaient déjà.

- Je ne pense pas qu’on puisse trouver la moindre chose sur les loutres géantes à Forteress. Au Village Perché, pourquoi pas mais bon tu sais quoi, la journée touche presque à sa fin et j’ai une superbe idée !    

Je fouille dans ma besace et sort un petit guide touristique de Grand Port. J’ouvre une page qui était cornée, avec l’adresse d’un glacier réputé de la ville portuaire.

- Vu que tu es basé là-bas maintenant, je me dis que tu pourrais m’aider sur un truc. Je passe que en coup de vent au Grand-Port et je ne prends jamais le temps de m’arrêter. Je sais que Lin aime bien cette ville et je voudrais lui faire connaître une bonne adresse de glaces. Est-ce que tu pourrais m’aider dans cette tâche ?    

Je lui fais les yeux doux, K’awill jouant même le jeu. Kaname fit de même, trouvant la chose marrante.

-  S’il te plaît ! Je paye ma tournée et ça te changera des chocolats !  

Faisant fi de la remarque de Carciphona sur son régime déséquilibré – comme de son presqu’étouffement quelques minutes plus tôt – Calixte engloutit le dernier chocolat taillé en cœur et s’adossa à la paroi carrelée du bassin pour profiter de la narration enthousiaste de son amie. Distraitement, il se demanda si Lin était d’une quelconque manière parente à Hel D. Gher, pour laquelle Naëry et lui avaient réalisée une quête sous les racines de l’Arbre Sacré quasiment un an plus tôt. Il s’était par ailleurs retenu d’évoquer sa relation – charnelle – débutante avec Solveig. Si son entourage, et notamment espion, devait l’apprendre, il préférait que ce fût de ses propres mots, et pas de la langue loquace de l’aventurière. Tenant toujours Kaname entre ses bras, il écouta donc dans un silence contemplatif le récit de la Saphir. Ou, plutôt, ses fantasmes occasionnés par l’artisane auprès de laquelle elle avait passé commande d’une nouvelle armure. Les sourcils s’arquant haut sur son front, le coursier ne put s’empêcher de trouver l’eau plus chaude que précédemment et rit doucement d’incrédulité aux propos enflammés de son amie. Il y avait des choses qui ne changeaient pas, et il serait éternellement reconnaissant que la franchise vive de Carciphona restât des constantes de ce monde.

La discussion se rattacha au sujet de leurs amies loutres, et il regarda avec amusement Kaname se lover contre l’aventurière avant de retrouver K’awill pour jouer encore.

- Je ne sais pas, répondit-il en se glissant un peu plus dans l’eau pour profiter de sa chaleur. Mais je ne suis pas pressé de le savoir.

Ils restèrent encore quelques minutes à barboter dans les termes, puis avant de trop s’alanguir au contact des vapeurs moites de la pièce, décidèrent de mettre un terme à leur expérience dans l’établissement. La fraicheur des rues enneigées de la Forteresse raviva leurs pensées, la brise glaciale gelant presqu’immédiatement les quelques trainées humides qu’ils avaient pu avoir le malheur de mal essuyer, et ils gagnèrent sans traîner davantage les portails de téléportation. Se rapprochant de la Saphir alors qu’elle lui montrait un guide touristique du Grand Port ayant visiblement déjà vécu pas mal de péripéties, Calixte ne put s’empêcher de sourire largement à la demande de son amie.

- Tu fais bien de choisir cette adresse, leurs glaces sont vraiment exquises, approuva-t-il en suivant des yeux la ligne que lui indiquait Carciphona. On a l’habitude d’y aller l’été après le service ; je vais t’y accompagner, c’est aux portes du quartier touristique.

Complétant leur voyage aux quatre coins d’Aryon, l’aventurière et le garde empruntèrent les portails et finirent leur périple commun à la ville portuaire. Ils y passèrent encore quelques longues minutes comme la Saphir dévalisait l’artisan glacier de ses bacs à emporter, et leurs chemins se séparèrent sur les quais où Calixte attendit avec son amie que la navette faisant la liaison vers la Ville Aquatique ne prît cette dernière pour l’amener à sa chère et tendre. Lorsque finalement il ne lui resta plus de Carciphona et K’awill qu’un écho chaleureux au creux de son âme, l’espion hésita un instant. Avant de reprendre, une dernière fois, la route pour la Capitale.

A la Volière aux Dragons le coursier et sa loutre ne croisèrent cette fois-ci personne, mais contrairement à plus tôt ils ne s’attardèrent guère. Calixte récupéra les affaires qu’il n’avait pas embarquées dans son voyage avec l’aventurière, et après un bref moment d’indécision, il poussa la porte de la chambre de Zahria. Rien, évidemment, n’avait bougé depuis le matin même. Après quelques secondes à contempler les lieux que la pénombre vespérale engloutissait peu à peu, le coursier déposa sur le lit les divers portraits dessinés, obtenus, au cours de cette journée. Peut-être, si elle repassait par-là malgré le mystère dont elle s’était entourée, cela la ferait-elle un peu penser à eux. Après un dernier regard résigné, laissant la porte de la chambre entrebâillée, l’espion reprit le chemin du Bastion.