Trop occupée à vérifier en direction du comptoir, je me dirige de table en table prenant ainsi commande sur commande. Bien évidemment je sors mon petit calepin prenant le temps d’y mettre quelques notes avec les numéros de table. C’est ma première soirée officielle et je dirais que le patron a vu bien grand en pensant que je pourrais m’occuper de la salle presque seule. Je ne suis pas douée avec les noms de bière et ait encore du mal avec les numéros de table alors je n’ai pas trop le choix de me trouver des trucs. Il s’agit là d’habitués alors je n’ai pas besoin de perdre mon temps à leur expliquer que Devon avait la possibilité de leur offrir pas mal de choix pourvu qu’il connaisse la recette de l’alcool. Eux le savaient déjà parce que Devon devait leur avoir expliqué de nombreuse fois entre deux pintes le fonctionnement de son pouvoir. Enfin, au moins, personne ne se plaignait de la rapidité du service au vu de leur regard et leur sourire en coin. Je crois plutôt qu’ils ont pitié de moi qui semble avoir du mal. Cela n’a rien à voir avec la forêt ou servir de guide dans celle-ci. Je m’y sens bien moins perdue…

Je jette rapidement un coup d’œil en direction de Faolan qui semble bien aller de son côté. Il est concentré et son humeur semble plus légère et un rapide coup d’œil à l’extérieur m’indique qu’il ne neige plus. Enfin, d’où je suis, difficile de voir qu’une fine pluie semble avoir remplacé les flocons. Tout ce que j’espère c’est que bien des clients nous visitent ce soir et profitent de la nourriture que nous avons à offrir. Après tout, c’est une spécialité de ce soir pour la réouverture. Normalement, Devon ne vend que de l’alcool alors il faudrait que tout soit mangé jusqu’à la dernière miette pour éviter les restes ou le gaspillage. Enfin, on pourra toujours en emporter une partie à la maison et en donner à Faolan aussi.

De nouvelles mains m’interpellent, mais mon calepin commence à être chargé de note et il ne faudrait pas que je fasse attendre les premiers clients auxquels j’ai répondu, alors je me dirige rapidement vers eux, pour leur faire comprendre que je les ai vus tout en m’excusant du léger délai. Bien évidemment, je leur affirme que je reviens vite vers eux, mais qu’avant tout je dois passer commande au tavernier.

« Pas facile, han?! Me répondit alors l’homme en rigolant, premier soir?
- Euh, oui…en effet.
- J’me d’mande bien où est-ce qu’il a pu dégoter une jolie femme comme toi. On t’a jamais vu dans l’coin!
- Normale, je ne suis pas de la capitale, normalement. Sur ce, je reviens vite! »

Et je m’échappe aussitôt et je suis plutôt heureuse de voir Devon sortir de derrière son comptoir armé d’un plateau et de bouteille d’eau. Sur le coup, je me dis que c’est un peu intrépide. Après tout, il suffit d’une perte d’équilibre pour que tout tombe au sol. Alors tel un chevalier j’arrive au galop auprès de ce dernier et lui vole le plateau des mains échangeant avec le mien.

« Ne te surmène pas! » lui dis-je alors que je semble en voir de toutes les couleurs en ce moment. « Il faudrait vraiment trouver un moyen que je ne dépende pas de toi à chaque fois pour servir… Tes clients réguliers semblent toujours prendre la même chose alors… » Je laisse ma phrase ainsi et me dirige alors vers la première table en tenant le plateau qui faisant tout de même son poids en compagnie de Devon.

« Désolé pour l’attente! Vous aurez même droit au service personnalisé de Devon lui-même! »

Bien évidemment, cela n’aurait rien changé entre le fait que je leur serve des refiles directement ou que Devon le fasse directement. J’économise seulement des pas et de nombreuses allées-retour alors bon. Seulement, ce dernier n’a plus qu’un bras d’opérationnel alors il nous faut travailler en équipe même si je m’inquiète tout de même pour lui.

Me demander de ne pas m’en faire pour lui est bien difficile lorsque je sais qu’il a disparu pendant plusieurs semaines sans même pouvoir entré en contact avec qui que ce soit suite à un naufrage. Il m’est revenu, en effet, mais qu’est-ce que cela lui a coûté? Un bras en moins et même s’il ne m’en parle pas, je sais qu’il se passe autre chose dans sa tête. Comment rester sain lorsque l’on voit tant de morts. Il ne m’en parle pas, mais ses réveils en sursaut, son sommeil agité me dit que cela lui pèse bien plus qu’il ne le laisse paraître. Peut-être devrais-je m’asseoir avec ce dernier et prendre le temps de lui en parler, qu’il se confit à moi, qu’il me parle de ce dont il se souvient. Je veux partager ses peines et ses douleurs, mais je ferme les yeux à chaque fois faisant comme si de rien n’était, puisqu’il fait de même. J’espère simplement qu’un jour, il se décidera à m’en parler de son propre chef.

« En effet, elle t’en a donné un second, mais pour le moment moi j'en ai deux! » dis-je tout simplement en me tournant, le plateau en main, pour me diriger vers la prochaine table. Devon sert rapidement les gaillards avant de me faire part de ses intentions de préparer des bouteilles d’avance. J’hoche la tête rapidement satisfaite. Après tout, je ne dois pas toujours déranger ce dernier, même s’il s’agit avant tout de son boulot, mais ce serait embêtant de toujours apparaître en plein milieu d’une conversation. Surtout qu’il semble bien occupé au comptoir.

La pluie semble attirer bien des clients ce qui n’est pas plus mal, mais il s’avère que pour une première fois, cela en fait beaucoup pour moi. Je ne suis pas spécialiste des boissons, je ne peux rien conseiller et je ne suis là que pour servir. Bon d’accord, je peux faire un peu la conversation avec certains clients et j’évite à Devon de se déplacer trop souvent de derrière le comptoir, mais voilà. Nous ne pensions pas que cela aurait cet effet et peut-être aurions-nous dû viser sur de l’aide supplémentaire? Je glisse donc sous mon bras mon plateau vide, puisque Devon est reparti avec ses bouteilles, et frotte mon front de mon avant-bras. Tant pis pour le chemisier blanc, mais il commence à faire bien chaud ici.

Les nouveaux arrivants prennent place, dont certains semblent être en famille et bien évidemment cherchent certainement à se désaltérer et peut-être même à manger un bout? Du coup, bien que je ne puisse pas réellement leur rapporter de l’alcool sans l’aide de Devon je peux bien me promener avec quelques plats faciles à manger avec les doigts en attendant. Me dirigeant vers le buffet, je mets quelques victuailles sur mon plateau et commence ainsi à me promener entre les tables, offrant ainsi à tous la possibilité de goûter au plat préparer par notre cuisiné sans manquer de venter ses talents.

« N’hésitez pas à aller vous servir. Il y a bien plus de choix sur la table et il y en a pour tous. »

Évidemment, je prends quelques commandes dont certaines que je peux très bien m’occuper. Après tout, ce n’est pas tout le monde qui désire boire de l’alcool, puis je ne peux pas refuser un jus de fruit à ce petit garçon rempli de confiance et tout fier de m’avoir donné lui-même sa commande.

Bien évidemment, je me dirige vers le comptoir et remarque un visage que je n’avais pas encore croisé ce soir. Regardant ses mains vides je m’empresse alors de lui demander ce qu’elle désire boire.

« Un jus de pomme? Très bien, donner moi quelques instants, je vous sers cela! »

Je glisse doucement, non loin de Devon, les futures commandes notées sur un bout de papier à préparer et me dirige vers l’entreposage des jus prenant une bouteille de jus de pomme ainsi que de jus de fruit. J’attrape quelques verres et m’empresse d’y faire couler les liquides tenant une bouteille dans chaque main. Le truc c’est de garder constamment l’œil sur chaque verre afin d’éviter de faire des dégâts et de garder un débit constant.

« Voilà votre jus de pomme! » lui tendis-je finalement alors que j’écoute distraitement sa question alors que je remplis mon plateau des verres. J’avoue qu’un peu d’aide ne me serait pas de refus, mais venant d’une parfaite inconnue à mes yeux, je ne sais pas trop s’il s’agit d’une bonne idée. Après tout, je ne la connais pas et je ne sais pas à quoi ressemble cette supposée Psolie dont il m’avait déjà touché mot. « Je ne peux pas vous mentir, mais c’est la première fois que je dois faire le service ainsi. J’ai eu l’aide de Devon pour me pratiquer afin d’être prête pour ce soir, mais je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il y ait autant de monde! » J’essuie rapidement ma main sur l’un des torchons qui traînait sur le comptoir. « Enfin, c’est Devon le patron, je ne peux pas vraiment parler pour lui… À moins que vous vous connaissiez déjà, dans ce cas-là, je ne dirais pas non à un coup de main! Je ne saurais pas vraiment vers quoi vous diriger, mais il reste encore quelques tables à servir, dont les thés…»

Ah, avec tout ça, j’ai oublié de mettre l’eau sur le feu pour préparer les thés. Je me donne une légère tape sur le front du plat de ma main et fais vite un tour sur moi-même pour récupérer la théière que je remplis d’eau et place ensuite sur le brûleur que j’allume de ma pierre de feu. Quand cela fut fait, je prends des verres vides que je rajoute à mon plateau et dépose en son centre une bouteille d’eau pour faire balancer le tout et je le prends à l’aide de mes deux mains et sourit à la demoiselle, malgré la pression que je ressens, avant de quitter l’arrière du comptoir pour m’arrêter soudainement à ses côtés. « Au fait moi c’est Saryna! » Parce qu’il faudrait au moins que je me présente à cette dernière si elle compte nous aider.

Puis je me dirige, finalement,  vers les tables où se trouvaient les quelques enfants leur remettant ainsi leur jus tout en offrant bien sûr de l’eau à leurs parents. Je vois que certains se sont servis et je ne peux m’empêcher de sourire. Lorsque mon plateau est vide, j’en profite donc pour ramasser un peu de vaisselle sale pour ramener derrière afin de la laver.

Je dépose alors le tout dans un bac vide avant de me laver vite fait les mains pour finalement vérifier l’eau pour les thés et prépare finalement les tasses qui m’avaient été demandées les posant ainsi sur le plateau sur lequel je passai vite un coup de chiffon enlevant ainsi les résidus de nourritures qui pouvaient s’y être collées. Il ne me reste qu’à attendre les bières que j’ai commandées à Devon et nous sommes prêts pour un autre service.

S’ils avaient manqué à leur habitué? Je m’étais arrêtée un instant d’empiler verre et boisson sur mon plateau dans le but de balayer du regard rapidement la salle plutôt animée. J’imagine que oui? Après tout, il y a bien de ces gens qui sont venus saluer Devon personnellement d’une bonne poignée de main et de bonnes tapes dans le dos.

«  Certains l’ont fait remarqué oui, mais pour ma part je suis la petite nouvelle »  dis-je amusé, même si en vérité je ne suis pas des plus petites. « Je ne connais personne, pour le moment, mais le mérite revient à Devon. » Après tout, ça ne fait qu’un mois plus ou moins que je suis ici et c’est d’ailleurs ce dernier qui s’est démené pour tout ce qui touchait au relationnel, alors bon tout ça pour dire, que je ne suis pas celle qui s’est promenée dans les rues en criant que l’Aventurier Téméraire ouvrirait de nouveau ses portes aujourd’hui. Je jette un bref regard à côté de la demoiselle afin d’observer l’homme qui semble déjà avoir trop de consommation dans le pif, puis je rapporte mon attention sur cette dernière.

«  Non, absolument pas. À vrai dire, je travaille normalement dans les bois, je guide, je chasse, je prends les contrats que l’on pourrait considérer trop faciles pour être demandé à la guilde, bien qu’il m’arrive parfois de chasser plus gros. Il m’est arrivé de travailler avec la garde, dont la lieutenante Alnilnam. Une chouette femme, enfin, je suis une forestière dans l’fond. »

Je vérifie que la théière est bien allumée, qu’il y a assez d’eau et je me retourne finalement en fronçant les sourcils. Comment en étions-nous arrivés là? Comment est-ce qu’après un simple mois de vie commune, nous en étions déjà mariés? C’est quoi la suite? Je suis enceinte depuis nos retrouvailles et l’enfant naîtra à la troisième lune de la saison froide?! Et puis quoi encore? Je ricane doucement en revenant vers mon plateau et la regarde avec un grand sourire carnassier simplement dû à ma dentition.

« Je ne suis pas son épouse, mais nous sommes bel et bien ensemble. Je me demande bien d’où peut venir cette rumeur, d’ailleurs… »

Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que ça vient du type à ses côtés qui marmonnent dans sa barbe. En tout cas, je me présente vite fait et elle fait de même. Ah! Ceci expliquait donc cela. C’était donc tout naturel qu’elle souhaite offrir son aide, puisqu’il s’agissait bien évidemment de cette fameuse Psolie. « Enchanté, Psolie! » Enfin, je pars donc avec mon cabaret laissant ainsi cette dernière seule avec ce pauvre homme qui semble ne pas avoir toute sa tête et fait ma petite tournée avant de revenir quelques instants plus tard les mains charger. Le truc c’est de ne jamais rien faire pour que tout roule et bien évidemment, avec l’aide de cette dernière qui avait décidé de desservir et de se mettre à la plonge. J’avais déposé ma vaisselle dans un bac vide et essuyé mon front d’un revers de bras. Il semblerait que Psolie soit bien curieuse sur moi et je ne peux pas lui en vouloir. Enfin, au moins elle le fait de la bonne façon et ne semble pas me  questionner sur mon apparence, ce qui est pourtant pas mal. Elle n’est pas trop intrusive et j’imagine que si Devon et elle se connaissent déjà et qu’ils avaient déjà discuté d’une entente, c’est qu’on peut lui faire confiance? Enfin j’imagine. Sauf que bon, je n’ai pas trop le temps de répondre que Bernard semble en voir long à dire. Surtout que non seulement il accuse Psolie de vouloir me voler mon boulot, mais en plus il essaie de me détourner de Devon en me proposant d’autres hommes? Je secoue la tête en soupirant, je pourrais l’ignorer, mais quelque chose vint titiller mon oreille quand je l’entends parler de bébé en attente dans mon ventre.

« Déjà, j’suis pas enceinte, Bernard, dis-je d’un ton tranchant, et j’apprécierai que tu évites de raconter n’importe quoi aux gens sur moi. Parce que Devon, il est peut-être gentil, mais moi j’hésiterai pas à te botter les fesses, habitué ou pas. » Je pousse un grand soupir alors que c’est à ce moment que Devon décide de faire son apparition pour venir calmer le jeu en avertissant ainsi l’homme qui retourna donc s’asseoir. Je lui jette un bref regard, en espérant qu’il ne m’aille pas entendu puis je jette vite fait un regard en direction de Psolie en lui souriant avec gêne.

Du coup, je profite donc de cet instant pour m’éclipser afin de refaire une nouvelle tournée de bière que j’avais demandé à Devon et surtout distribuer les thés. J'ai pas eu la chance de répondre à toutes ses questions, mais bon, la soirée est encore jeune! Puis on a du boulot sur la planche. Dans le fond, je me dis que ce n’est pas plus mal comme travail, après tout, suffit d’être agile d’avoir un peu de dextérité et d’endurance pour tenir le cap. Enfin, ça ne remplacera jamais mon amour pour la forêt. Les gens semblent servis, nombreux sont ceux à manger, les discussions font bon train et personne ne semble me rappeler pour le moment. C’est le moment de me poser et de souffler un peu. Bien évidemment, je ne peux pas m’empêcher d’entendre quelques bribes de leur conversation et je roule des yeux. Raaah les hommes, ça ne peut pas passer un seul instant sans parler de nous, han?

En tout cas, je prends un simple torchon et frotte le comptoir histoire d’enlever les gouttes d’alcool qui pourraient y être tombées avant de tourner la tête en direction de Psolie. Je suis tout de même un peu curieuse.

« Sinon, tu fais quoi normalement comme boulot, quand tu ne laves pas la vaisselle dans cette taverne? » J’essaie de me montrer sympathique envers cette dernière et puis il faut bien faire connaissance, surtout si je suis pour la revoir un de ces quatre. «  Tu as fait la connaissance de Devon ici? » demandai-je pas la suite en observant tout simplement dans la direction du géant et un grand sourire s’affiche sur mon visage. Je me sers un simple verre d’eau, parce que je suis tout de même en service et qu’il ne faudrait pas que je perde de ma motricité et je ne peux pas m’empêcher de rigoler à ce que Bernard m’a dit. « Et dire qu’on a essayé de me convaincre qu’il y a mieux comme homme. » Je porte finalement mon verre à mes lèvres et me désaltère d’une bonne gorgée d’eau bien froide.