Miel avait emporté son morceau de volaille et le mangeait dans un coin proche de l'entrée, il appréciait Nocturne mais pas au point de partager son repas... Vif quant à lui était en train de picorer ses quelques graines et semblait ravis, cependant en sentant les bonnes odeurs du chariot arriver il ne pu s'empêcher de venir voler jusqu'aux deux aventuriers :
- MAMAN ! C'est quoi c'est quoi c'est quoi c'est quoi ?
- ...
- ça sent bon c'est pour Vif !?
- Non, c'est pour nous, tu as tes graines toi
Si l'oiseau aurait pu afficher une mine triste et boudeuse il l'aurait fait. Ses deux petits yeux noirs fixaient sa maîtresse et brillaient doucement alors qu'il lui répondit mentalement avec un ton déçu :
- Mais... Vif aussi veut manger de bonnes choses...
Ain soupira.
- Si tu es sage
- OUIIIIIIIIIII ! VIF EST SAGE ! Alors Vif à le droit de manger !
Et sans même attendre l'autorisation de sa maman, dès que l'aventurière ouvrit la cloche, le petit chantelune fondit sur l'assiette pour picorer quelques morceaux de viandes. Il se redressa le bec plein de sauce avec un cri de joie :
- Hmmm! Trop boooon !
Ain le regardait avec le visage blasé mais elle avait abandonné l'idée d'apprendre les bonnes manières au petit familier. A la place, elle piqua sa fourchette dans la viande pour en décrocher un morceau, il se détacha sans grand mal et elle la porta à sa bouche. Le morceau était vraiment exquis, un vrai régal : plein de saveur sans être trop fort, tendre et ferme à la fois. Le repas était à la hauteur du reste de l'auberge.
- Bon appétit
La jeune femme termina son assiette dans le silence pendant que Vif s'était roulé sur le dos, au bord de la table basse, le ventre plein. Miel avait également terminé son repas et était venu de rendormir près de la cheminée... Ain attendit que Nora eu terminé également son assiette avant de se lever et s'étirer. Elle avait déjà bien mangé et avait le ventre plein. Sur le chariot se trouvait toujours l'assiette des desserts mais elle n'avait plus faim. Elle n'était pas gourmande non plus au point de grignoter à l'excès.
Elle se leva et s'étira doucement avant de dire à Nora :
- Je vais me baigner... Si tu veux les desserts je te les laisse, je n'ai plus faim et je n'en raffole pas.
Joignant les gestes à la parole, elle laissa ôta son peignoir qu'elle déposa sur un des rebords du canapé et entrouvrit la porte vitrée du salon pour se glisser dehors en laissant s'échapper le moins de chaleur possible. Dehors, elle se rinça rapidement sous la douche avant de se glisser dans l'eau brûlante des bains, soupirant de plaisir. Depuis quand n'avait-elle pas été détendue à ce point ? Elle ne pouvait qu'approuver l'idée du doyen et la proposition de Nora de venir dans cet endroit après une telle quête.
Nora savoura alors le bout de viande fondant contre son palais. A vrai dire, il aurait presque été criminel de ne pas le laisser fondre tant il rendait d'un subtil mélange de gras parfumé et de sauce. Les tissus glissant comme deux bouts de soie l'un contre l'autre et déliant chaque fibre au simple passage de sa langue firent visiter un tout autre sommet de la gastronomie au jeune brun. C'était comme si l'équilibre entre densité et tendresse avait été tranché au millimètre près, ne laissant aucun compromis entre le fruit de sa propre cuisine et celle-ci. A n'en pas douter, une force occulte était à l'œuvre, le don du chef à l'origine de ce plat était pleinement redoutable, si bien que sous l'effet du choc, Nora écarquilla les yeux en accusant le frissonnement de tout son épiderme. Et ce n'était pas seulement qu'une question de consistance, non. Le goût des champignons, velouté et boisé tout en assumant une subtile pointe terreuse se mêlait à merveille aux tons épicés du cerf, bien loin d'un civet barbare en comparaison. Il allait sans dire qu'un bon trio ne se tenait qu'à trois, ainsi les défenses de l'aventurier tombèrent lorsque la fraîcheur du céleri et l'onctuosité de la purée firent leur entrée, juste après le passage de la viande. Envoutant, saisissant l'intégralité des papilles et du palais, comme si l'on avait emmené ses sens en lune de miel au sein d'un chalet isolé, au cœur de la forêt. Là, si bien isolé du monde, où l'art servit sous cloche élargissait ses horizons, aux mimiques épatés sur son visage il fut assez aisé de comprendre l'étendu de sa surprise et s'il était bien le chasseur de souvenir, en voici un qu'il aurait aimé répliquer à l'infini.
Ce concert d'émotion toucha malheureusement à sa fin avant qu'il n'atteigne l'extase, aussi lorsqu'il contempla l'assiette vide face à lui, un détail important vint à son esprit. Aussi incroyable fut ce repas, il lui manquait quelque chose d'absolument essentiel. Un ingrédient secret que lui seul au monde connaissait, une épice si rare qu'il est impossible de s'en procurer aux dépenses de bien matériel. Cet ingrédient, il l'avait déjà goûté, dans le sandwich de Ain, au départ de la maison des doyens lorsqu'ils firent une pause ensemble. Cette curiosité gustative qu'il n'avait jamais connu n'avait alors révélé son identité que le jour suivant et le jour d'après. Il ne s'agit, bien évidemment, de rien d'autre que l'amour, car dans un geste innocent et désintéressé, l'aventurière avait procuré une expérience sans égal à son partenaire, en lui offrant son repas ce jour-là. Il en chérit alors la mémoire et reput des dernières émotions culinaires qu'il s'accorderait ce soir, leva le regard en direction de sa chère et tendre amie qui lui proposa le dessert.
- "C'est gentil, mais je suis rassasié, merci. J'arrive aussi."
Son regard glissa sur le corps nu qu'elle exposa aux brises froides et sans seconde hésitation, il la rejoint à l'extérieur en exécutant la même suite de mouvement. D'abord, un rapide passage à la douche, ensuite, il retourna à l'eau en accusant la délicieuse emprise bouillante qui enserra la plante de ses pieds jusqu'au mollet. Il enfonça sa seconde jambe et sans la moindre hésitation, alla voler un baiser à la brune après s'être installé à ses côtés. Il était reconnaissant pour beaucoup de choses. Son aide, sa présence, ses attentions innocentes, la manière qu'elle avait de le regarder par moment, tout chez elle avait un charme captivant qui ne laissait pas le jeune homme indifférent. Au contraire, il prenait lentement goût à tout ce qui la faisait, elle, celle ayant fait repartir son cœur et détruit ses murailles de pierre froide. Ainsi, il se glissa jusqu'à mi-hauteur des côtes dans le bain en invitant la demoiselle à son bras, languissant de cette proximité, alors que simplement le contact de leurs jambes ne suffisait plus à le combler. Une braise s'alluma dans ses yeux et il chercha ceux de son amante, lentement, ils tombèrent sur ses lèvres et il dut se faire violence pour ne pas l'assaillir ici et maintenant.
- "Ain ..."
Son rythme cardiaque monta d'un cran en s'imaginant une potentielle suite des évènements, laissé rêveur par les charmes de l'aventurière. Inconsciemment, il s'était un peu plus approché d'elle.
- Ain...
La jeune femme ouvrit les yeux, au dessus d'elle son compagnon ne se trouvait qu'à quelques centimètres de son visage. Elle pouvait sentir son souffle chaud sur sa peau, glacée par l'air de la montagne malgré la vapeur du bain. Il se rapprochait doucement de ses lèvres, ne laissant aucun doute quant à son intention... La jeune femme ferma les yeux et se laissa entraîner par Nora...
Dans sa tête, les idées bouillonnèrent, toujours les même questionnements, hésitations, craintes et peurs. Cependant cela ne lui ressemblait pas de se morfondre et de tergiverser de la sorte. Elle profita simplement du moment avec Nora et se laissa emporter par la fougue du garçon... Sans songer au lendemain ni même aux évènements.
La nuit était bien avancée... Après qu'elle ai pleinement profité du bain, la jeune femme se leva de l'eau et sortie sur la pierre glacée du rebord. Elle se sécha instantanément et jeta un petit coup d’œil à Nora, les joues rougies par le froid qui, bien qu'elle ne pouvait le ressentir, était bien présent.
- Il se fait tard... je rentre un peu
Elle repassa la porte vitrée et enfila le peignoir qu'elle avait laissé dans le salon. Les trois familiers dormaient à points fermés, même Vif qui était du genre nocturne semblait repu de son repas et s'était réinstallé dans sa petite niche contre le mur...
Sur le chariot, une assiette couverte attira son attention : il s'agissait des petites mignardises qu'ils n'avaient pas encore mangé. Est-ce qu'elle était toujours bonnes ? Ain souleva le chapeau et dévoila les deux petits gâteaux encore intactes. L'assiette était enchantée pour être glacée et maintenait les gourmandises à la bonne température... La jeune femme hésita et regarda vers l'extérieur... Elle prit doucement l'assiette et entrouvrit la porte proposant à son compagnon dans la source chaude :
- Il reste encore les deux gâteaux... tu en veux un ?
Elle se faufila à l'extérieur avec l'assiette, essayant de ne pas laisser sortir la chaleur de la pièce à vivre et fit quelques pas pour rejoindre Nora.
L'air frais caressa sa peau, ondulant avec la vapeur d'eau pour stimuler son épiderme frissonnant un peu au hasard. Ce ne fut pas désagréable, étrangement, il avait bien besoin d'un peu de fraîcheur pour retrouver ses idées. Ainsi il contempla le fond des sources couleur jade pour y trouver un fil conducteur quel qu'il soit, une pensée dans laquelle s'échapper provisoirement. Quitter l'eau à cet instant ne l'enchantait guère, non pas qu'il n'ait pas eu assez de baignade : ce n'est que rarement le cas. Plutôt, cet instant semblait bien choisit pour réfléchir aux évènements passés, que la lucidité l'assaillait à ce moment-même après qu'il ait tant profité des joies de la chair. Que souhaitait-il vraiment ? Que souhaitait Ain ? Comment pourrait se dérouler leurs carrières respectives s'ils décidaient de s'engager l'un envers l'autre ? Beaucoup d'idées se bousculèrent dans la tête brune, pourtant aucune réponse évidente ne fit surface. Il prit son menton entre ses doigts et soupira longuement. N'était-ce là qu'une courte halte dans leurs quotidiens rythmés, là pour leur faire prendre conscience de l'importance de la vie, du bonheur d'aimer ? Ou il y avait-il un but réel à tout cet enchaînement de circonstances ? Ils n'étaient qu'amis l'avant-veille et pourtant, c'était comme s'ils avaient toujours été aussi proches qu'à l'instant. Une bien curieuse sensation s'étant emparé de son flot de pensée, ne le laissant que voir cette unique évidence. Il avait bel et bien des sentiments pour elle, au-delà de tout possible, aussi grande soit les contraintes, il voulait – à terme – partager sa vie avec elle. Mais le devoir d'un aventurier est grand, d'autant plus pour ceux ayant un objectif précis. Ainsi l'aventurier se redressa l'air pensif, tourna les talons en direction des douches et enclencha le cristal de pluie sur son thermostat le plus froid pour noyer sa chevelure et son visage sous une cascade purificatrice. Un petit frisson parcouru l'échine de l'éclaireur qui secoua sa tête par réflexe pour chasser les gouttes gelées, tombant en pluie éparse sur son torse et dans son dos en lui tirant d'infimes sursauts chaque fois.
L'accès à l'intérieur fut ouvert une nouvelle fois et Ain fit son retour. Tout d'abord silencieux, Nora détailla une fois de plus son visage, sa silhouette, son regard, puis lui adressa un sourire discret, répondant à l'affirmative lorsqu'elle lui proposa de prendre un dessert. Un peu de sucre pour réveiller ses sens n'aurait pas été de trop, effectivement, ainsi il retourna proche du bassin, sur la pierre bordant les bains et débarrassa la jeune femme le temps qu'elle s'installe aussi. Il attendit alors qu'elle choisisse une part avant de prendre celle restante. Un gâteau, tout ce qu'il y a de plus simple, malgré tout son apparence était déjà gage du genre de sensation qu'il éprouverait en le portant à sa bouche. Moelleux, sucré, une pointe acidulée au glaçage et un cœur crémeux praliné. Alliant pointes citronnées à la crème mousseline plus chargée en goût, le gâteau révélait tout ses atouts avec sa fraîcheur calculée, estompée par la chaleur ambiante et donnant cette impression de fonte de la pâtisserie sur la langue. Avaient-ils prévu que ce genre de dessert serait mangé au bord des sources chaudes ? Les établissements de luxe ne laissaient vraiment rien au hasard, si bien qu'avant-même qu'il ne s'en rende compte, Nora avait terminé son dessert. Un peu à regret, il n'en garderait qu'un agréable souvenir, allant de paire avec le reste de cette soirée vraiment unique.
L'aventurier s'occupa alors de nettoyer ses mains en ramenant l'assiette au passage, quand Ain eut finit elle-même de profiter de sa sucrerie. A son retour, il observa les bains et constatant qu'il était presque sec, hésita un instant avant de proposer une dernière baignade avant qu'ils rejoignent éventuellement la chambre pour y terminer la soirée. Il s'arrêta donc à hauteur de la belle brune et lui fit cette proposition.
- "Tu veux encore te baigner ? Ou peut-être es-tu fatiguée à présent ? Je pense profiter encore un peu des bains avant de rentrer, si tu veux m'y accompagner, ce serait avec plaisir."
Il lui offrit un sourire affable et proposa sa main pour l'aider à se redresser, ce à moins qu'elle ne décide de se hisser elle-même dans l'eau, auquel cas il la suivrait sans faire trop d'histoire.
Nora alla rapidement amener l'assiette et nettoyer ses mains pendant que la jeune femme resta installée dehors. Elle leva la tête vers le ciel dégagé et étoilé... Avait-il toujours autant brillé ? Elle se souvenait lorsqu'elle observait les astres avec son père enfant mais depuis qu'il n'était plus de ce monde, elle n'avait même pas prit le temps s'y songer... D'ailleurs, le poste frontière n'était pas très loin d'ici... Elle eu une pointe au cœur à cette idée et était tiraillée par l'hésitation. Pouvait elle aller lui rendre visite ? Elle n'était pas du genre à se recueillir sur une tombe, ce genre de sentimentalisme n'était pas fait pour elle, mais peut-être que cela lui soulagerait le poids qu'elle avait sur la poitrine depuis cette aventure dans la forêt ? Elle soupira tout en y réfléchissant... Est-ce que Nora l'accompagnerait ? D'ailleurs, qu'était-il pour elle ? Un ami au minimum et certainement plus... Mais pouvait-elle lui demander de venir avec elle ? Elle secoua la tête lorsqu'elle le vit revenir et lui proposer une nouvelle baignade.
- Non merci.. je vais rentrer je pense
Alliant le geste à la parole, elle se leva du rebord et croisa le chemin de l'aventurier, en direction du salon. Après l'avoir salué une dernière fois, elle se glissa à l'intérieur par la baie vitrée et se faufila dans la chambre... Elle retira son peignoir et se laissa tomber sur le lit. Elle roula sur le côté et s'allongea sur le dos, attrapant l'épaisse couette pour la tirer sur elle et songea à Nora dehors... Peut-être qu'un jour, elle irait le présenter à son père, mais ce jour n'était pas encore arrivé, elle avait beaucoup apprécier énormément son partenaire, elle n'était pas encore prête pour cela...
Bercée par ses propres réflexion, la jeune femme s’endormit paisiblement avant même que Nora n'ai pu la rejoindre.
Il regagna ses esprits. S'était-il écoulé plusieurs secondes, plusieurs minutes, plusieurs heures ? La fatigue fut devancée par la surprise de s'être momentanément assoupi dans son bain, ainsi l'éphèbe barbota une poignée de secondes supplémentaire avant de quitter le bassin. Après une dernière douche rapide, psychologique pour le jeune homme souhaitant profiter une dernière fois de l'eau chaude, il se rhabilla de sa serviette et retourna encore à moitié mouillé à l'intérieur pour récupérer son peignoir. A l'intérieur, il n'y avait plus aucun bruit, sinon celui du feu terminant de consumer sa buche, signe également qu'il n'avait pas été alimenté depuis un moment. Il alla alors disposer au sein du foyer de quoi le maintenir jusqu'à l'aube, espérons-le, ce en essayant au maximum de ne pas déranger les familiers, dont Miel et Nocturne dormant blottis l'un contre l'autre tout proche de la cheminée. Suite à quoi, le brun s'éloigna sans un mot en réprimant son envie d'offrir une caresse au cœurl et franchit la porte de la petite chambre. Ain était déjà assoupie, son visage semblait paisible. L'aventurier avança alors à pas feutrés, arrivant au bord du lit en retirant son habit et s'inséra tout doucement entre les draps, veillant à causer le minimum de remous possible. S'il pensait avoir la peau chaude, celle de son amie le semblait d'autant plus et par sécurité, il évita de la toucher pour lui épargner un réveil désagréable, plutôt, il approcha tout doucement son front pour y poser un chaste baiser, puis se tourna et ferma les yeux. Il avait des projets pour le lendemain, aussi en parlerait-il à son amie au réveil, pour le moment venait l'heure du repos. Il se laissa glisser dans les bras d'une maîtresse à l'étreinte réparatrice, jusqu'à l'aube le lendemain n'eut-il rencontré la moindre perturbation. De loin, ce fut certainement une de ses meilleures nuits depuis des années.
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