- L’petit arrêtais pas d’me tanner pour v’nir.
- Ah bah génial, merci Marlo… Grogna Arthur avant de poser ses yeux noisette sur Solveig. - Parait que tu vas pas tarder à repartir, dans les jours à venir.
- Vrai. Demain ou après demain j’imagine. Le plus tôt sera le mieux… Un petit sourire désolé s’afficha sur ses traits. Marlo comme Arthur avaient tout deux été de très bons compagnons, loyals comme devait l’être un garde. Elle se félicita une nouvelle fois d’avoir eut foi en eux. Mais elle n’était pas mécontente de rentrer pour autant. Les frimas de l’hiver commençaient certes à s’apaiser mais ce n’était pas suffisant pour la blanche qui s’ennuyait de sa terre natale et de sa chaleur. Elle se voyait déjà dans les rues bondées du Grand Port, flanant entre les étales afin de négocier mets et épices, tandis que sur ses épaules se dandinerait Samaël avec quelques centimètres en plus. Il lui manqua soudainement, comme l’eau manque au désert.
- Du coup je me disais… Arthur tortilla ses doigts comme l’aurait fait une damoiselle qui n’oserait poser la question fatidique. - Je… Le rouge lui monta aux joues, si bien que son vis-à-vis le regarda comme si elle avait la berlue.
- Le p’tio aimerait que tu lui apprennes quelques mouvements et moi aussi. Dit enfin Marlo de sa voix calme et tranchante.
- Marlo ! S’indigna Arthur.
Le concerné haussa les épaules.
« Mais j’ai faim… »
- Fais un effort. La voix de Leiftan se voulu murmure mais fut plus proche du cri.
- Très bien…
Ainsi les trois soldats s’éloignèrent.
Le reste de la journée passa à la vitesse de l’éclair. Il fallait dire que s’entraîner était une chose que Solveig adorait et qu’elle n’avait pas fait depuis longtemps. Marlo et Arthur, s’ils n’étaient pas au niveau de ses comparses Valkyries, avaient un niveau tout à fait respectable. Le premier avait l’avantage de l’expérience, tandis que le second reposait principalement sur la témérité qui incombait aux jeunes personnes. L’un comme l’autre mordirent la poussière, et cela à chaque essai. Quand enfin Solveig se mit à transpirer, un sourire satisfait aux lèvres et que Arthur têtue comme une mule cessa les assauts – Marlo avait eut son compte et même si il avait eu moins d’échecs que son camarade il ne tenait pas à se briser une hanche – ils décidèrent de s’arrêter là. La nuit était déjà tombée depuis quelques minutes, le vent frais qui s’était levé les faisaient frissonner malgré leurs mouvements. Il fut vite décidé d’aller manger – Solveig, morte de faim était presque partie en courant. Ce soir là elle dévora non pas le double de ce que mangeait ses camarades mais bien plus. Si bien que non content de la regarder bouche bée, ils finirent par lui proposer les restes. Solveig exulta, jamais plus elle ne passera autant de temps sans manger. A vrai dire, elle se demandait encore comment elle était parvenu à ne pas s’évanouir tout simplement, elle qui ne supportait pas de rester le ventre vide autant à cause de sa nature que de sa gourmandise.
Elle s’apprêtait à rejoindre la chambre de Calixte - il y avait un repas qu’elle n’avait pas encore prit – lorsqu’un messager l’interpella à grand renforts de cris et d’agitations de bras. D’abord sur le qui-vive, elle se détendit dès que ses yeux repérèrent une lettre dans sa main. A bout de souffle, il l’a lui tendit. Le cacheton du Grand-Port en scellait l’ouverture, fronçant les sourcils, Solveig tenta de s’imaginer les raisons de cette missive impromptue. Rien de normal ne lui vint, contrairement aux nombreux scénarios catastrophes. Le sud était tombé au main de pillards ? Son fils était sur son lit de mort ? Sa mère peut-être ? Thépa avait décidé de sauter d’une falaise avec son armure ? Secouant la tête Solveig chassa ses pensées importunes et déchira le sceau de cire. Ce qu’elle lu sur le papier jaunit par le temps et les intempéries n’était pas aussi horrible qu’elle l’avait imaginé. Toutefois, ce n’était pas réjouissant. Une ombre barra son visage et elle congédia le coursier qui laissa ses épaules s’affaisser de soulagement.
Si un vacarme tonitruant provenant des chambrées n’avait pas attiré son attention, Solveig serait resté un moment encore planté au milieu de la placette enneigée, les yeux dans le vague en se demandant ce qu’elle avait bien pu faire de mal pour être ainsi punie par Lucy.
- Qu’est-ce que…
Sa chambre, non pas qu’elle fut une seule fois bien rangée, était soudainement devenue un champ de mine. Pire de bataille. Une guerre ouverte entre Calixte et une théière visiblement. Des cookies avaient aussi prit part à l’affrontement. Étrangement, l’air maussade de Solveig laissa place à un demi sourire moqueur. Sa dextre se tendit pour aider Calixte non pas à aller chercher un balais mais à s’installer sur le lit. Sa poigne était douce mais pas moins ferme. Lorsque ce fut fait, elle s’en détourna pour aller chercher la trousse du parfait maladroit que l’âme avait déjà extirpé de ses entrailles.
- Le thé attendra, il est trop chaud de toute façon. Dit-elle en retenant de justesse un rire lorsqu’elle avisa les doigts du garde. Elle ne savait pas comment il s’y était prit, mais deviner qu’il s’était brûlé n’était pas compliqué. Revenant s'agenouiller devant lui, elle entreprit de poser un onguent contre les brûlures superficielles sur ses doigts puis de laisser courir les siens le longs de sa cuisse, s’attardant sur le galbe légèrement différent de celui de l’homme qu’elle connaissait. Arrivant à son pied elle le toucha avec douceur et le libéra de sa prison de tissu avant de se mettre à fouiller dans la trousse.
- J’ai une mauvaise nouvelle. Enfin non. Pas mauvaise. Contrariante… Elle soupira, ses oreilles se couchant légèrement tandis qu’elle cherchait ses mots. - Je ne repartirais pas avec toi. L’apprendre était une chose, en prendre conscience une autre. - Le Grand Port a envoyé un message. Elle déposa la lettre sur ses genoux. - Je dois rester ici et attendre Valentino. Nous allons explorer la cité enfouie. La perspective fit briller une lueur d’envie dans son regard. - Je rentrerais après cette mission. Alors qu’elle parlait, ses mains s’étaient mise à travailler, massant le pied endoloris avec un nouvel onguent avant de l’enfermer dans une cage de gaze, de bande crêpe et autre joyeuseté. Lorsqu’elle fut certaine que son amant eut entendu ce qu’elle disait, elle releva la tête dans sa direction.
- Et toi comment vas-t-… C’est une blague ?! S’écria-t-elle brutalement. - Deux ? Poursuivit-elle sur le même ton alors que son visage perdait ses couleurs, vacillante elle se leva pour s’asseoir aux côtés de Calixte. Combien de fois allait-elle devoir reléguer au placard ses envies ? Et quelle autre surprise allait-il lui sortir de son chapeau ? - Que ne m’auras-tu pas fais ? Gémit-elle. Avant de prendre la mesure de ce qu’elle venait de réaliser, de ce qu’il avait et de ce qu’elle n’avait pas. La jalousie lui saisit l’estomac, mais elle la repoussa aussi sec et se laissa tomber en arrière sur le matelas. - Les cœurs. Précisa-t-elle finalement d'une petite voix. Y avait-il une façon correcte d'annoncer ce genre de chose finalement ?
- Deux ?
Un vertige lo pris soudainement, et si iel avait été moins perturbé-e par les propos de la Valkyrie, sans doute aurait-iel trouvé une bonne chose qu’iel fut déjà assis-e. Et peut-être ses songes, ses sentiments, et ses couleurs s’envolèrent-ils temporairement vers d’autres contrées, lointaines, oniriques, le temps de quelques secondes ou quelques minutes. Mais lorsqu’il lui sembla revenir tout à fait à iel, en pleine possession de sa chair et de son être, totalement présent-e ; seule une résignation sereine persistait. Il y avait là une possibilité, une occasion. Un cadeau, presque. Qu’il fut singulier ou pluriel. Ses yeux cherchèrent à nouveau ceux de Solveig, et profitant de la position de celle-ci, allongée sur le matelas, iel se tourna en basculant ses jambes afin de monter à califourchon. Bassin contre bassin, fort-e de cette vue imprenable sur les atours de la Valkyrie, iel lui adressa un sourire amusé, et tendre. Ses mains allèrent trouver celles de la jeune femme, et iel les ramena contre son ventre.
- Si je suis désolé de t’imposer ces rudes conséquences de mon imprudence, je ne le suis pas de les découvrir avec toi, déclara-t-iel doucement. Merci d’être là, pour moi, poursuivit-iel en levant la dextre de Solveig à ses lèvres. Pour nous. Je ne veux pas t’obliger à quoi que ce soit dans cette affaire, mais… il serait mentir que de nier que ce sont ton soutien, et ta présence, qui me donnent le courage d’appréhender cette situation.
Leurs doigts liés redescendirent effleurant sa gorge, puis celle de la Valkyrie, avant de se poser contre l’ovale de son visage. Affectueusement, la pulpe de son pouce caressa un sillon blanc se découpant sur la peau hâlée.
- Je vais garder cette grossesse. Même double. Mais j’aimerais… J’espèrerais… je souhaiterais…
Avait-elle toujours été si intense, si éclatante, la lueur des yeux vairons de son amie ? Si hypnotiques, les entrelacs en arabesques délicates de ses iris ? Si mystérieux, inquiétants et séduisants, les miroirs sombres de ses pupilles fendues – où iel pouvait presque se voir par le voile d’affects qui n’étaient pas les siens ? Aimait-iel, ce reflet qui lui était renvoyé ? Iel n’avait pas tellement d’avis sur la question. En revanche, rien n’était plus certain que son amour croissant, presque sans limite, pour la mi chiraki.
- Solveig Prudence Prêth, murmura-t-iel d’un ton presque solennel, emprunt de sentiments trop multiples pour qu’en affleurât l’un plus que les autres. Si cette grossesse touche un jour son terme, accepterais-tu d’être la mère de mes enfants ?
Le jour déclinait rapidement lorsque Calixte arriva enfin à la Forteresse, globalement frigorifié mais heureux. En raison d’une nuit plus courte que prévue, il n’avait repris la route qu’alors que le soleil atteignait son zénith, retardant son planning d’origine. Mais le coursier ne regrettait rien, et le sourire béat qui s’était inscrit sur ses lèvres quelque part entre minuit et deux heures du matin ne s’en était toujours pas décroché. Et ce malgré sa chute maladroite en pleine poudreuse à l’occasion d’une pause. Kaname l’avait regardé d’un œil amusé et, mal interprétant la situation, avait décidé de le joindre pour quelques roulades dans la neige. L’affaire avait été cocasse, mais fort rafraichissante malgré sa cape en tissu anti-climat, et le soldat rêvait de se délasser aux douches communes de la Caserne, voire dans les bains chauds de la cité. Néanmoins, avant de se mettre en quête d’un lieu où il pourrait se défaire de son nez rougi par le vent glacial, des stalactites entourant ses mèches blondes depuis sa glissade, et du froid ayant commencé à s’infiltrer jusqu’à ses os, il irait trouver Wendy. Afin de lui faire part de l’évolution de sa situation. Ainsi que Lichael, pour lui faire son rapport officieux.
Descendant de sa monture pour traverser la ville qui se préparait doucement pour la soirée à venir, Calixte flatta distraitement l’encolure de Kaname tout en avisant le chemin qui s’ouvrait devant eux. Peut importait où celui-ci devait les mener à terme, soutenu par le souvenir de la chaleur de Solveig, il était bien décidé à s’y engager pleinement.
A son tour, son visage se fendit d’un sourire. Léger mais bien présent. Ses tympans étaient emplit de ses propres battements de cœur, si bien qu’elle se demanda s’il n’était pas en mesure de les entendre lui aussi. Du bout des doigts, elle caressa les lippes du coursier -coursière – lorsqu’il les porta à ses lèvres avant de nicher volontiers son visage dans la main chaleureuse qui vint y trouver sa place. Elle était bien ici, prisonnière du poids de son corps autant que de celui de ses sentiments, caressé par la seule main qu’elle pensait être en mesure de la blesser.
- Tu as fais ton choix. Constata-t-elle d’une voix calme et neutre. Et elle ferait avec, même si cela incombait un avenir plus qu’incertain. Y avait-il un autre choix ? Calixte comptait-il la repousser afin de laisser cet autre prendre la place qui lui revenait de droit ? Une ombre passa dans ses iris alors qu’elle le contemplait. Serait-il capable de l’abandonner ainsi ? Est-ce que lui aussi s’enfuirait vers d’autres contrées ? Au bras d’un autre ? L’air se raréfia dans ses poumons, un vertige la prit mais elle ne bougea pas. Comme si le moindre de ses mouvements pouvait briser l’équilibre qu’ils avaient forgés. Ce ne fut que sa voix, douce, presque soufflée, qui lui permit de s’arracher aux cauchemars de ses songes éveillés, remisant ses peurs plus loin dans les tréfonds de son cœur pour laisser place à des émotions d’une nature toute différente.
D’abord la surprise, ensuite la peur. Chez certain il y aurait sans doute eut la réflexion. Chez Solveig il s’agit de la résolution. Pas de celle que l’on prend par défaut et que l’on s’impose. Celle de l’évidence, de l’affection et de l’acceptation. Si elle resta interdite un instant, les yeux grand ouverts à admirer ce visage qu’elle aimait tant, elle se redressa bien vite toujours avec un air ahuris.
Il était de notoriété publique que Solveig était avant tout une femme d’action. Une fois de plus elle le démontra avec brio. Ses lèvres, par deux fois, s’étaient entrouvertes pour laisser échapper un néant dépourvu de son, de mot ou même de souffle, aussi vide que son esprit. Seul son corps trouva une réponse adéquate. Nouant l’un de ses bras autour de la taille gracile -quoi qu’un peu plus large dernièrement – l’autre venant soutenir son séant, elle inversa la tendance, imposant son poids à son partenaire tout en prenant soin de ne pas lui écraser le crâne contre l’angle du lit -c’eut été un comble. A ce moment précis elle oublia tout. Le passé, l’avenir n’étaient plus que des notions abstraites. Le vent qui hurlait sa solitude par delà la porte entrouverte, le froid qui tendait à glacer la pièce où ils se trouvaient, les familiers et autres compagnie qui étaient en train de filer à la aryonnaise. Même le rire gras d’Apolline emmenée de force ne lui parvint pas. Seul le présent avait de l’importance. Et Calixte. Ô Calixte…
- Je t’aime. Souffla-t-elle simplement avant de lui dérober un baiser. Le premier d’une longue série enflammée. Solveig n’en restait pas moins plus agile de ses gestes que de ses mots, et si ces derniers ne lui suffisaient pas, elle avait d’autres armes pour le convaincre. Ainsi, elle le dévora.
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