Deuxième lune de la saison Fraîche de l'an 1000
Cela permettait également d'attraper quelques voleurs de bas niveaux sur le fait. Au cours de mes rondes, combien de voleurs de pommes ou d'oranges ai-je attraper ? Parfois, je les laissé partir, oui, il faut le dire. Leur nécessité d'avoir de la nourriture se lisait sur leur visage. D'autres fois, c'était tolérance zéro, et ils se faisaient remonter les bretelles devant les passants.
Aujourd'hui, il y avait foule sur le marché, et cela ne m'étonnerait guère que quelques uns essaye de prendre des produits sans payer. Je garde l'oeil, mais difficile de se frayer un chemin dans cette foule. Je bouscule beaucoup de passant, et je suis obligée de m'arrêter à chaque fois pour m'excuser. Est-ce l'armure ou le blason de la garde royale qui les fait fuir à chaque fois ? Cette question restera sans réponse, malheureusement.
Je m'approche de la fin de la première rue commerçante quand je rentre encore en collision avec quelqu'un. Ni une, ni deux, je fais volte face pour m'excuser.
- Veuillez m'excuser pour vous être rentrer dedans, monsieur.
Malgré son aversion pour cette partie de la ville, il n’avait pas le choix que de la traverser pour se rendre aux jardins botaniques. Il était certes persona non grata et ennemi public, il avait encore quelques affaires à régler là-bas. Depuis qu’il s’en était pris à la reine Allys, la sécurité avait été renforcée autour des jardins. Mais l’éco-terroriste avait plus d’un tour dans son sac et connaissait les entrées et sorties par cœur, même les recoins où on pouvait y entrer discrètement, comme une souris dans une maison… S’il se rendait en ces lieux, c'était pour un objectif relativement simple : assassiner le directeur. Cet homme avait été l’un de ses principaux détracteurs lorsqu’il était encore botaniste là-bas, le motivant à démissionner et entamer sa grande carrière de criminel. C’était plus qu’une vengeance, c’était un véritable règlement de comptes.
Alors qu’il pénétrait dans la rue commerçante, une femme le bouscula brutalement. Titubant de quelques pas en arrière, Klarion manqua de retomber sur un étal de bouteilles, tenu par un apothicaire douteux tentant visiblement de refourguer des remèdes miracle. Le jeune homme se redressa pour constater qui était l’impolie qui venait de le heurter. Une garde, elle portait la tenue de patrouille réglementaire, était armée également… Cependant, le plus curieusement du monde, elle ne semblait pas l’avoir reconnu. C’était plutôt étrange qu’une garde se montre aussi polie envers lui, mais qu’en plus elle ne sache pas immédiatement qui il était et tente de l’arrêter… C’était une première depuis le rapt de la reine ! Peut-être pouvait-il tourner ça son avantage et lui faciliter sa tâche ?
- Ce n’est rien, au moins vous ne portiez pas une armure lourde… J’ai une petite idée pour vous faire pardonner. Pourquoi ne m'escortez-vous pas jusqu’aux jardins botaniques ? J’adorerais pouvoir y entrer, aller dessiner quelques croquis de fleurs, mais j’ai si peur de ce phytomancien qui court les rues…
Relevant les sourcils, Klarion pinça les lèvres et fixa alors le sol, faisant mine d’être légèrement apeuré. Peut-être que la militaire tomberait dans le panneau. Autrement, la rue était assez peuplée pour semer la pagaille et prendre la poudre d’escampette !
Deuxième lune de la saison Fraîche de l'an 1000
Je reviens vers l'homme.
- Pas de problème monsieur. Je vous suis
Alors que nous commencions à avancer vers les jardins botaniques, j'ai l'impression de l'avoir déjà vu. Mais où ? Je vois beaucoup de personne, pendant mes rondes. J'au pu facilement le voir dans la foule, tout à l'heure, ou même un autre jour. Mais ce n'est pas comme d'habitude. Là, j'ai vraiment l'impression de le connaître. Est-ce un ami d'un ami ? Ou même une connaissance que je n'ai pas vu depuis longtemps ?
Alors que nous continuons notre chemin, je lui demande.
- On ne se serait pas vu quelque part ?
La garde, dont il ignorait encore le nom, avait accepté de le conduire aux jardins. Il craignait que ses équipiers de patrouille ne le reconnaissent mais, fort heureusement, ces derniers s’étaient postés trop loin pour le remarquer. Ils remontaient à présent tous deux la rue commerçante pour se diriger vers les jardins, le changement de plan de Klarion se déroulait pour l’instant sans accroc. Avec une garde à ses côtés, personne ne le suspecterait d’être un dangereux criminel en cavale. Peut-être même qu’il pourrait rentrer par la grande porte avec tout le comité d’accueil ! Après tout… Les gardes n’avaient qu’un portrait décrit par la reine, aucun d’eux ne l’avaient réellement vu face à face. Et sous le coup de la panique, on peut omettre un bon nombre de détails utiles.
Klarion enchaîna en tâchant de parfaire son mensonge. Il se mit à raconter plusieurs histoires sur des spécialités nordiques inventées, à base de viande d’ours et de bière ou de vin chaud aromatisé aux agrumes importés du sud. Le maître des végétaux ignorait totalement si ces inventions étaient vraies ou non, mais aux yeux d’une garde royale était-ce réellement important ? La vie de cette demoiselle devait se résumer à attraper des voleurs à la sauvette et s’endormir avec l’impression d’être la plus grande héroïne d’Aryon. Et comme la plupart des habitants de ce royaume infâme, elle devait boire les paroles de la reine comme une panacée. Si elle découvrait qui il était, elle ne chercherait même pas à converser ou comprendre ses motivations. Elle le prendrait pour un perfide sociopathe qui a osé séquestrer une figure d’autorité sacrée.
« Boire… Eau… ! »
« De l’eau ! De l’eau ! »
Klarion releva le nez, une jardinière remplie de bégonias appelaient à l’aide, perchée sur un balcon. Il entendait leurs voix dans sa tête, depuis qu’il avait acquis l’étrange capacité de communiquer avec la flore. Fendre la foule pour grimper arroser les fleurs lui était impossible, lui faisant ressentir un lourd étau autour du cœur. Qui que fut la personne habitant dans cette demeure, elle ne vivrait plus assez longtemps pour posséder d’autres plantes, Klarion se le promettait. Il reviendrait pour ces fleurs, et les mettrait en lieu sûr.
- Ah, enfin l’entrée des jardins !
Le portail de l’entrée principal des jardins botaniques se dressait fièrement devant eux, grand ouvert. Il était temps d’entrer à l’intérieur, en espérant qu’il pourrait passer sans faire de vagues...
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- Il faudrait que je me renseigne sur ce genre de plat. Ils ont l'air délicieux
Nous continuons à marcher quand je sens que l'homme se tend un peu à côté de moi. Je le regarde, lui qui tend sa tête vers le ciel. En suivant son regard, je ne remarque rien qui sorte vraiment de l'ordinaire. Peut-être est-ce son pouvoir qui lui permet d'entendre des choses ?
En tout cas, nous continuons vers l'entrée principale des jardins botaniques. Deux gardes sont postés de chaque côté de la porte. Droit comme un I, on pourrait les prendre facilement pour des statues de pierre.
- Rentrez en premier, je vous rejoint dans quelques minutes
Je me rapproche d'un des deux pour pouvoir le saluer, quand son regard se pose sur l'homme que j'avais emmené jusqu'ici.
- Bonjour monsieur. Tout ce passe bien ?
- Heu oui mais...heu...et vous ?
- Pardon ?
- Bah...l'homme avec vous...c'est pas Klarion Brando ?
- Klarion...Brando ?
Ce nom me dit quelque chose...mais où l'ai-je entendu, ou lu ? J'essaye de faire fonctionner ma mémoire, mais c'est le garde qui m'aide à m'en souvenir.
- L'homme qui a kidnappé la reine ! C'est lui ! C'est lui !
Je fais volte face, me retournant vers l'homme qui avait bien avancé depuis.
- Hé vous là !
Plusieurs mètres devant, dans une allée décorée de bosquets de camélias, s’était lui aussi retourné pour faire face à la garde qui lui avait servi d’escorte. Derrière elle, les deux gardiens de l’entrée étaient éberlués et ne savaient pas trop quoi faire eux-mêmes. Klarion se contentait de fixer sa fugace compagne avec un sourire empli d’une certaine malice. Il avait réussi à déjouer les premières lignes de défense avec brio et se trouvait désormais sur un terrain qu’il connaissait et dans lequel il pouvait évoluer les yeux fermés. Toutefois être découvert si tôt allait rendre délicate toute son opération, il devait se dépêcher d’atteindre le bureau du directeur pour ensuite décamper.
- Hé oui, depuis tout ce temps j’étais sous votre nez et vous n’avez rien remarqué. Ce que je vais vous dire risque de ne rien changer, mais avant que vous ne vous mettiez à me courir après comme une furie, tendez un peu l’oreille. Pendant le court laps de temps que vous avez passé avec moi, vous m’avez considéré comme n’importe quel sujet d’Aryon. Vous avez plaisanté, vous m’avez écouté, vous avez été curieuse sur ce que j’ai pu vous dire. Vous ne savez rien de moi, ni ce que je recherche, ni ce que je projette. Et pourtant vous allez me poursuivre parce que mon joli petit nom est marqué sur vos listes noires. La question que vous devrez vous poser en rentrant ce soir chez vous n’est pas “ai-je été héroïque ?” mais plutôt : quel est le prix de ma bravoure ?
Un silence s’installa après sa tirade. On entendait plus que la légère brise passant au travers des branches et feuillages environnants. Klarion n’espérait pas la convaincre mais faire germer quelque chose dans son esprit, lui montrer que tout n’était pas aussi blanc et noir que ce que les hautes instances de la Garde et de la royauté voulaient faire croire à son sujet. Cela prendrait le temps qu’il faudrait, mais peut-être qu’un jour cette petite graine qu’il avait déposé dans l’esprit de la demoiselle se mettrait à germer, peut-être qu’elle comprendrait. Peut-être qu’il n’en serait pas le déclic, peut-être que cela concernerait quelqu’un d’autre. Mais d’une certaine manière, il aurait encore fait pousser une autre plante : celle du doute.
Le phytomancien recula de quelques pas, son interlocutrice avança du même nombre, prête à bondir comme une biche à travers bois. Le jeune homme ne la quittait pas des yeux, son sourire toujours bien étiré sur son visage de porcelaine. Les deux gardiens de l’entrée, toujours penauds, tenaient fermement leurs lances. Les grandes armes d’hast les encombreraient durant la poursuite, ils risquaient de ne pas pouvoir aller bien loin s’ils se mettaient à courir eux aussi.
- Je me permet de vous prévenir également… Je connais ces jardins comme le fond de mes poches. Les plantes me parlent, je saurai où tous vos petits amis se trouvent. Et, également, j’ai des chaussures magiques. Je peux courir toute la journée si j’en ai envie ! À vos marques…
Et avant même de ne sonner le départ, Klarion disparaissait entre deux fourrés.
Deuxième lune de la saison Fraîche de l'an 1000
En soit, je ne peux pas dire que je déteste l'homme. Je l'ai accompagné pendant quelques temps jusqu'aux jardins botaniques. Il a toujour été aimable. Mais faire du mal à la Couronne, c'est faire du mal à tout le royaume d'Aryon, à tous son peuple. Et pour un garde, ou même une personne normale, cela n'est clairement pas acceptable.
Alors qu'il commence à se mettre à courir, je me retourne vers les deux gardes de la porte d'entrée, qui n'avait fait que regarder la scène, bouche ouverte.
- Fermez toutes les portes des jardins ! Dépêchez-vous !
Les deux gardes mettent un peu de temps à se mettre en route, tournant sur eux même pendant au moins une dizaine de secondes.
- Heu ha oui ! Tout de suite !
Je m'enlace enfin à la poursuite de Klarion, mais son avance n'est pas négociable. Je trottine pour l'instant, espérant tomber sur lui d'une manière ou d'une autre. Mais les jardins botaniques portent bien leur nom : botanique. De grands arbres barrent le champs visuel, et même si nous sommes toujours en saison froide, ici, dans les jardins, la température est assez bonne pour avoir des feuilles et des fleurs presque à toutes les saisons.
Je me baisse, avance doucement, me cache parfois dans les broussailles. C'est alors que je vois un bout de vêtement courir, à une cinquantaine de mètres devant moi. Je le tiens ! Je me met à courir à sa poursuite, contournant tous les obstacles qui peuvent entraver ma course.
Je sens que cette poursuite va être longue, mieux vaut ne pas courir à fond pour l'instant. Les jardins ne sont pas immensément grand. Si Klarion ne peut pas sortir, aucun risque qu'il ne nous échappe.
Aucun risque.
Klarion entendit les voix fluettes d’un parterre de tulipes, le motivant à bifurquer dans une autre direction. Les fleurs semblaient lui indiquer la présence d’un individu armé à sa droite, il devait sans doute s’agir d’un garde ou d’un agent de sécurité. Ne projetant pas de se faire pincer, il traversa une petite marre nimbée de nymphéas bourgeonnant en sautillant sur les pierres décoratives qui permettaient de rejoindre un autre sentier. Le jeune homme sauta sur le dossier d’un banc en pierre sculptée. Un couple était en train de s’y reposer et, pris de surprise, émirent d’intenses hurlements. Les crèmes glacées qu’ils étaient en train de déguster se répandirent sur leurs beaux atours, et la capeline à plumes de la dame tomba sur la pelouse, la décoiffant au passage.
- Au secours ! Au secours ! Beugla la femme en s’étalant de tout son long sur le sol.
Klarion ne prit même pas la peine de se retourner pour voir s’ils allaient bien, il n’entendit que son compagnon la rejoindre à terre en piaillant avec une voix de fausset irritante. Des bruissements dans les fourrés derrière le banc indiquait que sa poursuivante arrivait à tenir la cadence et conservait sa trace. Il était peut-être temps de semer un peu plus la pagaille au sein des jardins pour causer un peu plus de déroute. Quitte à ce qu’elle persiste à le poursuivre, autant causer le plus de chaos possible pour brouiller les pistes des gardes. Il avait une première idée en tête, facile et rapide à mettre en œuvre.
En face de lui se dressait une grande fontaine autour de laquelle se réunissait toujours beaucoup de promeneurs. Klarion redoubla son allure tout en attrapant plusieurs fioles cachées dans son manteau. Les fioles contenaient des spores de toutes sortes. Tel quel, ces spores étaient parfaitement inoffensives, ou pouvaient causer tout au plus une quinte de toux passagère. Klarion comptait s’en servir plus tard sur de prochaines concoctions mais il devrait les sacrifier pour le bien de la diversion. Il traversa la foule et brisa les fioles tout autour de lui, libérant des nuages de spores rosés et dorés tout autour de lui. Les passants, pris de paniques, s’écrièrent de stupeur et se mirent à courir comme des fourmis à qui on venait de couper la route…
- Petit cadeau de la part de Klarion Brando, bourgeois d’Aryon. Bientôt vous ploierez tous devant le Souverain de la flore !
Les clameurs redoublèrent et la panique se fit plus intense lorsque les promeneurs découvrirent avec horreur qui était leur assaillant surprise. Ils essayaient tant bien que mal de trouver la sortie la plus proche ou se mettre en sécurité, courant dans tous les sens comme des poules face un renard, prises au piège entre des grilles…
- Voyons un peu ce que vous dites de ça ma grande…
Face à Klarion se dressait le bâtiment administratif des jardins. Le directeur devait se trouver là...
Deuxième lune de la saison Fraîche de l'an 1000
Y avait-il des taupes dans la garde ? Comment pouvait-il être au courant de nos positions ? Son pouvoir lui permettait-il de connaître la position de toute personne autour de lui ? Je ne sais pas du tout si la garde connaît le pouvoir de Klarion Brando. En tout cas, il s'agit d'une chose qu'il va falloir chercher.
Je continue à le poursuivre, quand il arrive finalement dans une zone où la foule est beaucoup plus importante.
- Poussez-vous ! Laissez passer !
Même si les habitants me laissent facilement passer aux sons de mes cris, cela devient beaucoup plus compliqué quand un mouvement de foule naît, suite aux attaques de Klarion.
Je me fait bousculer de tous les côtés, complètement prise dans la vague des habitants apeurés. J'essaye, essaye et essaye de passer, tendant mes bras devant moi pour écarter les hommes et femmes.
J'arrive finalement à la fin de la marée, mais j'ai complètement perdu de vue Klarion. Où a-t-il pu partir ? Comment faire pour finalement le rattraper ? Tout d'abord, il faut que je me calme, que je reprenne mon souffle. La toute première question à se poser, c'est : pourquoi venir ici, pourquoi aux jardins botaniques ? Pourquoi revenir sur les lieux de son crime ? A-t-il oublié quelque chose, un indice par exemple ? Veut-il vérifier quelque chose ? A part des végétaux, je ne vois pas forcément ce qui peut-être intéressant pour lui.
Lui. Voilà ce qu'il faut que je fasse. Que je réfléchisse comme lui. Un criminel du royaume, qui s'en ai prit à la Reine en personne. Il veut revendiquer quelque chose, mais quoi ? A-t-il envie qu'on parle de lui ? Fort possible, mais comment le faire ? Il a déjà taper fort, comment en faire plus ?
Et puis une idée. Il n'y a qu'une seule personne qui est digne d'intérêt, presque en permanence .
Je me retourne pour chercher d'autres gardes dans les environs, mais je ne vois aucune armure. Et bien soit, il va falloir que j'y aille seule. Recommençant à courir, j'essaye de me diriger vers l'aile administrative des jardins botaniques. Je n'ai jamais mis les pieds ici, et avec toutes les salles que compte ce genre d'aile, j'espère ne pas perdre trop de temps.
Klarion entra dans son bureau en poussant doucement la porte. Ce dernier, penché sur des monticules de dossiers, n’avait pas relevé le nez, trop absorbé par sa tâche. Le parquet ciré de la pièce était si luisant et n’émettait aucun craquement. Sur les murs, on pouvait admirer plusieurs natures mortes, des huiles sur toiles de paysages d’Aryon et, sur des présentoirs vitrifiés, des œuvres sculptées représentant des créatures mythologiques qui avaient dû coûter bien trop cher… Tout dans ce bureau suintait le luxe et l’étalage, mais rien n'était distingué. Il n’y avait là que de la surenchère, aucune élégance, aucun style. Isaac voulait imposer une image qu’il ne possédait pas, mais seuls les dupes étaient pris dans son jeu.
- Bonjour Isaac, fit Klarion d’une voix douce.
L’intéressé releva brusquement la tête, surpris de ne pas avoir entendu l’arrivant. En voyant Klarion, le directeur lâcha instantanément la plume dont il se servait pour écrire, retirant son parchemin. Ensuite, il écarquilla de grands yeux hagards, son monocle argenté se délogeant de son œil gauche. Il ouvrit la bouche, n’arrivant qu’à émettre un souffle, cherchant ses mots…
- Je paris que tu ne t’attendais pas à me revoir, n’est-ce pas ?
- Le… La Garde ! Comment es-tu entré ?!
- J’ai simplement demandé, rétorqua le jeune homme en esquissant un fin rictus.
Klarion s’avança à grands vers le bureau du directeur, ce dernier se levant brusquement en agrippant un coupe papier pour se défendre. Le phytomancien saisit une autre fiole dans son manteau, versa une fine poudre dans sa main avant de la souffler sur Isaac qui, lâchant le couteau, se mit à tituber contre une armoire. La poudre soporifique faisait son petit effet, le rendant somnolant pour l’instant. D’ici quelques minutes, il allait succomber aux bras de Morphée. Klarion l’attrapa par le col :
- Tu ne fais qu’utiliser les plantes pour ton propre prestige. Tu ne les as jamais respectées. Et maintenant Isaac, il est grand temps d’aller dormir… pour toujours.
Ne lâchant pas le col du directeur, Klarion le gardait fermement en main et fit pousser dessus une longue branche. Cette dernière encercla le visage du vieil homme, de petites fleurs brunes ressemblant à des visages hurlant se mettant à bourgeonner ça et là sur la tige.
- Du lurgubus hurlant, mon cher. Inspire bien profondément, tu vas cauchemarder comme jamais, entendre des cris si stridents que tu préfèreras mourir. Et si tu ne meurs pas… hm, alors tu auras gagné une bonne retraite anticipée.
Du bruit se fit entendre derrière lui, déboulant devant la porte, la garde qui le talonnait depuis tout à l’heure fit son entrée dans la salle. Elle avait l’air satisfaite de l’avoir coincé, mais Klarion conservait son calme et jeta Isaac à ses pieds, reculant près de la fenêtre donnant sur la Rivière Luisante.
- Arrêtez-vous !
- La journée est si jolie, vous êtes chanceuse car je vous fais grâce d’un autre cadeau. Vous avez le choix : m’arrêter et laisser mourir cet homme ou le sauver et me regarder plonger au loin. Il n’en a plus pour longtemps après ce que je viens de lui infliger… Faites votre choix ma grande : avoir du sang sur les mains, ou les garder propres...
Deuxième lune de la saison Fraîche de l'an 1000
Mais je me retrouve encore une fois complètement à dépourvue quand le directeur des jardins botaniques s'écroule au sol, complètement inconscient, alors que le criminel se fait la mal par la fenêtre. Je sais qu'on me reprochera d'avoir laissé passer un criminel du royaume, mais encore plus d'avoir laissé un noble mourir.
La prochainement fois qu'on se croisera, je serai beaucoup plus préparée. Et j'utiliserai mon pouvoir, qu'importe les conséquences qui peuvent arriver.
Je suis dans l'impasse, et je décide tout de même de le laisser partir, à contre-coeur, bien entendu. Une fois que Klarion soit parti, je me précipite sur le directeur. Celui-ci est complètement inconscient, mais sa respiration se fait des plus difficile. Son visage est tordu de douleur, il a l'air de souffrir énormément.
- Un guérisseur ! Faîte venir un guérisseur maintenant !!
Klarion restait assis pendant de longues minutes sur le ponton, rejetant ses cheveux de jais vers l’arrière de son crâne. Il avait beau avoir des chaussures enchantées lui permettant d’économiser son endurance durant les efforts, le jeune homme haletait tout de même pour reprendre son souffle. Ça n’était pas la première fois qu’il plongeait dans le fleuve de la ville, il avait déjà utilisé cette technique par le passé pour s’éviter des ennuis, tantôt pour fuir la Garde, tantôt pour fuir d’autres malfrats. Il avait même piqué une tête, une fois, pour repêcher le soulier de Diane Avalon, une de ses rares amies, tombé dans l’onde froide.
- Tout va bien, bonhomme ?
Un vieillard tapota gentiment l’épaule de Klarion, l’ayant visiblement vu sortir du fond de la rivière. Relevant la tête, le phytomancien constata que le passant portait d’épaisses lunettes ressemblant à des culs-de-bouteille, un béret tricoté de laine avec un gros pompon rouge trônant au-dessus. Appuyé contre une canne, un journal était glissé sous son bras et tout son corps tremblotait comme n’importe quelle personne âgée pouvait le faire au fil que le temps passait. On pouvait entendre des éclats de voix provenant des jardins botaniques depuis l’autre côté de la rive, donnant à Klarion le signal qu’il était grand temps de retourner vers l’une de ses planques. D’ici peu, la ville serait en effervescence et la Garde de sortie.
- Je suis tombé, dit-il simplement en se relevant.
Le garçon essora sa chemise avant de remonter le ponton, laissant le vieil homme tout penaud se gratter le crâne en passant un doigt bistré sous son béret. Après tout ce qu’il venait d’accomplir, Klarion avait faim, très faim. Il aurait bien voulu dévorer ce qui lui passait sous la main, n’importe quelle victuaille ferait l’affaire. Mais après sa baignade, quelque chose de chaud et réparateur était de rigueur. Il songeait également à se concocter une potion pour prévenir un potentiel rhume, il valait mieux être prudent.
La garde qui l’avait poursuivi devait être en furie, mais il n’en avait cure, elle n’était pas la première et ne serait pas la dernière. Il avait eu sa revanche contre les vils maîtres des jardins botaniques. Avec le départ forcé d’Isaac, leur mécanique bien huilée allait s’effondrer comme un château de cartes. Et peut-être que leurs remplaçants seraient plus respectueux envers les plantes.
Si non, alors le Souverain de la flore risquait de leur payer une nouvelle visite…
Deuxième lune de la saison Fraîche de l'an 1000
Je déteste tout ce que je suis. Ma lenteur, mon hésitation, mon sens de l'orientation. Et je déteste qu'on me prenne pour un âne.
Après être sûr que les guérisseurs appelés prennent bien en charge le directeur des jardins botaniques, je me penche par la fenêtre par laquelle Klarion s'était enfuie. La chute est assez haute, mais mortelle. Il a déjà dû arriver sur l'autre rive. En scrutant un peu plus la berge d'en face, je peux apercevoir une silhouette tout de noir vêtu partir de la rive. Est-ce lui ? Qu'importe, personne ne pourra le rattraper. Mais je n'oublierai plus jamais son visage. Il est marqué à jamais dans ma mémoire.
- Tout va bien. Le poison n'a pas eu le temps de faire de dégât. Monsieur Author est simplement endormi.
Mon supérieur me jette un regard noir. Il a eu le temps d'arriver, et met sur mes épaules la fuite du criminel le plus recherché d'Aryon.
- Amenez-le au centre de soin le plus proche. Long, ton rapport doit se faire sans tarder. Suis moi.
Sa voix est froide, et me gèle complètement de l'intérieur. Mon capitaine ne m'avait jamais parlé de la sorte. Etre traité comme telle...donne l'impression de n'être qu'une moins que rien.
Mais même si cette situation pousserait quiconque à abandonner, elle ne me donne qu'une force supplémentaire. Une force au plus profond de moi. Oui, je met mon avenir dans cette phrase, mais je retrouverai Klarion Brando, et je le conduirai à la justice. Il paiera pour tout ces crimes, et sera exilé de l'autre côté de la Frontière. J'en fais mon serment.
Une fois mon rapport fait, j'ai eu le droit à ma journée. Mais peut-on vraiment parler de droit ? On m'a congédié, tout simplement. J'en profite donc pour aller m'entraîner, taper dans quelque chose ne pourrait que me faire du bien.
Je pense à la façon dont ce criminel m'a mené en bateau. Mes poings se font de plus en plus fort, la douleur aussi. Mais je m'en moque, il faut que toute cette rage sorte. Et dans un dernier cri, mon poing vient heurter la matière souple qui me servait de défouloir.
Sur ma foi, il me le paiera.
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