"Monsieur Ramar ! Tout c'est bien passé, de votre côté ?"
Dès que la voix de la jeune femme retentit devant lui, Ramar put les repérer, elle et le vétérinaire qu'ils étaient venu sauver. Mais quelque chose clochait. Les yeux rougis de l'une, la mine déconfite de l'autre. Le jeune aventurier ne comprenait pas. Il allait demander si tout allait bien, mais Chimère intervint. L'écharpe se trouvait toujours au cou de Chrystielle, et avait compris les échanges entre elle et le secouru.
*Non, Ramar. Ne demande rien. Je ne suis pas sûre mais elle a été affectée par ce que tu viens de faire, je crois...*
Le jeune homme avait ouvert la bouche quand ces mots le stoppèrent net. Il la referma donc, bêtement. Il se sentait honteux et aurait voulu s'excuser et se justifier, mais pour quelles raisons ? Il n'en était pas certain non plus, et préféra donc aviser d'en dire le moins possible et de faire vite. Il récupéra simplement le dénommé Jaïkan pour le porter lui-même après avoir rangé ses lames rapidement. Elles étaient l'instrument de la mort de la bête, moins elles seraient visibles, mieux ce serait, pensait-il. Il installa l'homme dans son dos, lui permettant de s'accrocher avec ses bras autour de son cou et le soutenant par les cuisses, comme on le ferait avec un jeune enfant. Il pesait son poids, néanmoins cela ne dérangea pas forcément le jeune aventurier. Il était robuste malgré son apparence et ne s'inquiétait plutôt que pour la remontée par l'étroit chemin. Il ne put, toutefois, ne pas répondre à Chrystielle.
Tout s'est bien passé, je n'ai pas vraiment été blessé et vous non plus. Heureux de vous rencontrer Monsieur Jaïkan. Nous allons vous ramener en sécurité désormais. dit-il, détournant la conversation aussi vite qu'il put.
La réponse très hésitante de la jeune femme ne fit que confirmer les doutes de l'écharpe et son propriétaire. Il jugea avoir bien fait d'en dire si peu. Il s'employa donc à effacer tout ça de son esprit pour le laisser au passé, afin de ne pas gaffer et d'en reparler malencontreusement.
Ils prirent ainsi le chemin inverse. Ressortir de l'entrée étroite ne fut pas aisé, mais une fois réalisé, les petits renards familiers de la jeune femme vinrent à son encontre. Ramar s'employa à réajuster la position de sa charge le temps de sortir de la maison. Les deux fautifs se trouvaient toujours au sol, ligotés et assommés, pour le plus grand soulagement des trois autres personnes...
Ce fut en sortant que Chrystielle brisa le silence qui s'était alors installé. Toujours balbutiante, elle lui apprit qu'une patrouille de garde était en approche. Il ne se posa pas la question sur l'obtention de l'information, il lui fit juste confiance. Il décida tout de même de continuer jusqu'à les rencontrer sur le chemin à l'entrée de la propriété.
La patrouille comptait cinq ou six gardes au total. Ramar s'occupa de relater les événements rapidement à celui qui sembler mener le groupe. Deux gardes récupérèrent le captif pour le porter à deux, plus facilement, et les raccompagner au cœur de Forteresse où se trouvaient l'Astre de l'Aube et la noble, Luz Weiss, commanditaire de la mission de sauvetage. Les autres, le chef y compris, prirent la direction de l'homme et sa mère, ligotés. Ils avaient sorti leurs armes, prévenus pour les gros chiens.
Espérant que Chrystielle n'aurait pas remarqué, Ramar se mit aussitôt en route afin qu'elle suive et ne soit pas trop perturbée à l'idée de ce qui pourrait bien survenir encore... L'aventurier avait prévenu aussi pour l'autre homme, Bjorn, afin que les gardes n'aient pas de surprise inutile. Il valait mieux être prudent.
Quelques dizaines de minutes silencieuses plus tard, ils arrivèrent devant le bâtiment, le même où les deux coéquipiers s'étaient rencontrés plus tôt. Une fois à l'intérieur, il laissa Chrystielle mener les gardes afin de soigner au plus vite le pauvre Jaïkan, après qu'elle lui ait rendu son écharpe. Ne sachant pas trop quoi faire, Ramar la salua maladroitement puis resta d'abord planté dans le hall. Il n'était d'aucune utilité à la jeune femme, désormais, voire il ne serait plus qu'une gêne, d'autant plus qu'il sentait bien que sa présence l'incommodait désormais plus encore. Il pouvait comprendre, mais malheureusement c'était son métier, de tuer des créatures...
*Tu devrais peut-être aller prévenir la noble pour la réussite de la mission...?* lui dit doucement Chimère, hésitante.
Elle avait raison. Il se sentait un peu abattu par l'attitude de la jeune femme, mais son amie avait raison. Il restait encore à prévenir la personne qui l'avait missionné qu'ils avaient retrouvé et ramener la personne disparue. Il reprit donc contenance et essaya de retrouver le chemin pris la première fois. Il y parvint non sans mal mais cela eut le mérite de lui remettre les idées au clair.
Il se retrouva alors devant la même porte que celle par laquelle ils étaient partis, plus tôt dans la journée. Il toqua et attendit qu'on lui permette d'entrer. Il entendit au bout d'un bref instant la même voix que précédemment, appartenant à la même noble rousse qu'alors. Il entra donc, non sans exécuter le même geste respectueux que lors de sa précédente sortie. Il s'avança, voyant que Luz Weiss le reconnaissait et s'interrogeait de le voir revenir seul, probablement, à en juger par ses sourcils froncés inclinés.
Il présenta ses mains en avant afin de la rassurer avant de répondre à la question silencieuse.
Monsieur Jaïkan est sauf, votre collègue s'occupe de le faire soigner dans une autre salle de ce lieu. Je venais simplement vous informer des événements... commença-t-il avant d'attendre de pouvoir continuer.
Il s'employa donc à raconter tout ce qu'il s'était passé : l'enquête, l'interrogatoire, la poursuite à l'aide des pouvoirs de chacun, la résolution et les différents combats. Dès que la noble le voulait, il écourtait, dès qu'elle voulait des détails, il s'exécutait. Chimère le secondait dans sa tâche et le rassurait. En effet, il n'avait jamais été en présence, seul, d'un quelconque membre de la noblesse dans l'exercice de ses fonctions tel que ce jour. Il avait appris l'étiquette et faisait au mieux pour la respecter. Il ne s'inquiétait pas nécessairement de la différence de statut, mais comme à son habitude, il n'était à l'aise que rarement en présence de personnes qu'il ne connaissait pas. Il resta donc parfaitement objectif et sérieux le temps de raconter, car cela faisait parti de son rôle, et il restait avant tout professionnel.
Mais il n'attendait qu'une chose : pouvoir repartir et laisser cette expérience derrière lui, la digérer. Avant d'en réaliser d'autres, plus tard. Il prit le temps de s'excuser pour le temps de cette mission, se promettant intérieurement de faire plus rapide et efficace les prochaines fois.
Après tout, un aventurier se devait de s'améliorer pour être toujours plus efficace, et ce n'était là que sa première mission commandée par la noblesse.
Penchée sur son bureau d’appoint, Luz massait son cuir chevelu de deux doigts pensifs, tic machinal dont elle ne s’apercevait même plus. A ses côtés, le gérant du comptoir local présentait de semblables plis songeurs sur le visage, une nuée de documents dans les mains et quelques taches d’encre sur le rebord de sa manche.
« Vous êtes sûr ? Le budget final ne fait pas sens, nous nous sommes forcément trompés quelque part ailleurs… Peut-être le récent rachat de l’armoire en bas ? »
Ah qu’elle détestait la comptabilité ! Ce n’était pas pour rien qu’elle s’était empressée d’engager Salem dès que le projet de l’Astre avait pris forme dans son esprit. Elle ne pouvait toutefois pas demander à la jeune femme de traverser la moitié du continent pour venir lui prêter main forte au sein d’un comptoir tiers ! Trop accaparée par l’alerte de Chrystielle, Luz n’avait pas un seul instant anticipé le formidable guet-apens dans lequel elle avait sombré… Les membres de l’Astre de Forteresse l’avaient rapidement embrigadé dans une série d’innombrables vérifications à réaliser, sans parler des décisions en attente et des conflits à trancher. Il était vrai que la Capitale était loin et qu’il n’était pas toujours aisé d’attendre plusieurs retours de courriers, mais Luz n’avait en parallèle pas spécifiquement prévu de passer sa journée à plancher sur une foultitude d’administratifs. Quand bien même l’occupation la maintenait éloignée de toute inquiétude à l’égard du duo qu’elle avait envoyé enquêter.
Un instant interdite, Luz échangea un court regard avec son collaborateur. Celui-ci eut une moue entendue et, compréhensif, ramassa immédiatement les nombreux documents éparpillés pour se diriger vers la porte.
« Indemnes. Enfin… Je crois pour Madame Keyser. »
Encore et toujours son maudit pouvoir ! Heureusement, Luz n’eut pas à attendre très longtemps le son caractéristique d’un nouvel invité devant sa porte, et c’est presque aussitôt que sa voix s’éleva pour l’inviter à entrer. Elle fut soulagée de constater que la dégaine de l’aventurier n’avait pas drastiquement changé, signe qu’il n’avait pas été trop malmené. Outre une politesse parfaitement exécutée, rien sur son visage n’indiquait non plus de drame particulier – bien au contraire, put elle constater en écoutant son récit des derniers événements.
Elle soupira, passa une main sur une épaule douloureuse d’être restée aussi longtemps penchée sur son bureau.
Elle s’était levée, à présent, pressée de trouver Chrystielle dans ses couloirs pour vérifier de ses propres yeux que la jeune femme était toujours en un seul morceau. Elle n’oublia néanmoins pas de confier à Ramar son paiement dû, ravie d’avoir pu bénéficier des services exceptionnels d’un enquêteur de la guilde.
Elle se fendit d’un sourire, très vite chassé par la perspective de la montagne de travail qui l’attendait encore. Hé bien, une vie sauvée, une enquête résolue, et un comptabilité bientôt conclue !
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