[PV @Rebecca Hekmatyar]
Le jardinier releva des yeux inquiets sur elle, arc-bouté sur l’imposant pot d’une plante verte. Le pauvre n’avait fait que suivre les consignes impérieuses d’une secrétaire, présentement occupée à échanger toutes les dernières nouvelles de son quotidien avec une patiente. Luz tâcha de radoucir son ton et laissa filer un court soupir.
Au moins était-elle arrivée à temps pour éviter l’irréparable ! Elle se tourna vers la secrétaire en faute, une grande bavarde superficielle qui avait jugé judicieux de faire poser l’énorme plante en plein milieu de l’entrée des urgences. Ce n’était guère la première fois que ce type de péripéties se produisaient, et si à l’origine Luz ne pensait pas pertinent de la licencier pour ses qualités professionnelles, la question se posait de toute évidence de plus en plus…
Elle désigna du menton les bancs lourds de clientèle qui patientait à l’entrée civile de l’hôpital, et haussa un sourcil en guise d’avertissement. La secrétaire eut la grâce de sursauter comme une gazelle prise en fraude, et coupa immédiatement court à son charabia à propos de chien, du marché ou encore de ses futurs plats à préparer pour se pencher sur le registre des admissions.
Bien entendu, Luz savait d’ores et déjà que cet aspect studieux s’écornerait dans les vingt minutes à venir, si ce n’est dès lors qu’elle tournerait les talons pour s’affairer à d’autres tâches. Or, si l’hôpital n’était pas pris d’assaut à cette heure, il n’en restait pas moins que certaines de ces personnes souffraient et qu’il était inhumain de les faire inutilement attendre à l’entrée… Elle nota donc intérieurement d’en débattre avec les supérieurs hiérarchiques de Madame Linélina, voire même avec Salem si le problème ne se résolvait pas. Il était peut-être temps de lancer de nouveaux recrutements…
Elle adressa à la nouvelle venue un regard interrogatif et soucieux.
Il était rare que les infirmiers de son équipe principale traversent la moitié du bâtiment pour la faire mander d’urgence. La jeune infirmière avait les joues rouges et hésitait visiblement entre l’embarras et le désir de bien faire.
Elle se tritura les mains. A vrai dire, la patiente avait plutôt exigé. Avec moult démonstrations de caractère. Et pour cause… !
troisième lune de la saison douce de l'an 1001.
Comment dire.
La journée avait bien commencé, pourtant. Réussir à faire la grasse matinée et être en forme au réveil, c'était un exploit, à neuf lunes de grossesse. Oui, neuf lunes. Le moment d'accoucher était peut être finalement arriver, mais rien ne voulait bouger à l'intérieur. Le ventre est bien tendu, pourtant, mais aucune fuite, aucune douleur, rien.
Voulait-il sortir, en plus ? C'est compréhensible, la vie extérieure n'est fait que d'enchaînement d'emmerdes, et de seulement quelques moments de bonheurs furtifs. Entre les maladies contagieuses, les manifestations citoyennes, et le banditisme en tout genre, c'est compréhensible. Le ventre protecteur de sa mère est le meilleur endroit sur Aryon.
Mais tout de même, il fallait qu'il sorte. Le garder là, pendant encore ne serait-ce qu'une seconde de plus, était vraiment insupportable pour Rebecca. Pas qu'elle aurait aimé l'avoir dans ses bras (préférant sans nul doute l'abandonner au coin d'une ruelle déserte), mais sa silhouette commençait à en pâtir. Les vergetures, si petites pendant les premières lunes, se faisaient de plus en plus imposantes et nombreuses. Comment allait-elles pouvoir s'afficher en maillot de bain avec quelques choses d'aussi horrible sur son corps ?! En même temps, l'opinion des autres, cela lui passe largement au-dessus de la tête. Mais l'opinion d'un certain capitaine, lui...
Avec cette pensée en tête, il est tout naturellement pour elle le moment d'aller à l'hôpital du Docteur Weiss, qui l'a suivi pendant toute sa période d'abstinence. La route fut longue, mains sous le ventre, à essayer d'éviter toute personne lui rentrant dedans, par inadvertance ou non.
Enfin arrivée à l'adresse souhaitée, la jeune femme ne fut pas étonnée de voir une queue de plusieurs dizaine de personne devoir le comptoir des admissions. Mais elle n'avait pas le temps (franchement pas l'envie, plutôt) d'attendre patiemment son tour.
- Allez, dégagez, femme enceinte jusqu'aux coudes.
- Pour une fois que ton truc te sers. Tu voudrais pas le garder encore quelques temps ?
Cela était d'un ennui mortelle pendant la découverte du désert volant, alors non, elle allait se débarrasser fissa de ce truc pour retrouver silhouette, déhanché et liberté.
- Faîtes la queue, madame ! S'exclame une dame d'un certain âge, mari au bras.
- Oui, j'aimerai bien me la faire, la queue, mais j'ai un accouchement de prévus avant.
- Que c'était fin...
La réceptionniste regarde l'aventurière doubler tout le monde, mais n'a pas eu le temps de protester avant que celle-ci ne prenne de nouveau la parole.
- Admission. Accouchement. Le docteur Weiss sera la seule personne que j'autorise à mes côtés.
- Madame Luz n'est pas présente pour le moment et...
- Et bien tu la fait venir rapidement.
- Mais je...
- Je quoi ? Tu veux que j'aille la chercher moi-même ? Donc on bouge ses petites fesses du siège, et on va chercher la demoiselle en vitesse.
La jeune femme s'exécuta sur le champ, comprenant que parler avec l'aventurière serait moins instructif que parler avec une porte, ou un meuble.
- Essaye de courir plus vite ! Histoire que le gosse ai pas 30 piges quand tu reviendras !
- Est-ce donc une manière de parler à quelqu'un, madame ? S'interroge la grand-mère, une nouvelle fois.
- Je lui dirais merci, si ça permet de plus vous entendre.
Un petit hoquet de surprise sortie de sa bouche, et elle dû se tenir à son mari pour ne pas vaciller. En attendant l'arrivée du docteur, Rebecca décide de faire les cents pas.
Mauvaise idée. Très mauvaise.
L'aventurière sentit qu'un liquide chaud coulait doucement sur l'intérieur de ses cuisses, pour finir en flaque sur le sol impeccable de l'accueil. Une douleur intense se fait ressentir dans le bas de son ventre, déchirant tous ces organes à son passage.
Qui aurait pu croire qu'on pouvait se sentir bien, et que la seconde suivante, le monde s'écroule sous vos yeux ?
Sa pauvre infirmière qui se retrouvait visiblement prise entre le marteau et l’enclume eut un bref mouvement de recul. De quoi adoucir un tantinet Luz qui lui fit signe de lui montrer le chemin sans attendre.
Quant aux autres patients qui attendaient dans le hall, il serait plus aisé de cacher leurs cadavres quelque part et de prétendre qu’ils n’étaient jamais parvenus jusqu’à l’hôpital… Elle retourna un sourire rassurant à la pauvre Magalie qui trottinait devant elle sans parvenir à masquer le pli d’inquiétude qui avait pris racine entre ses sourcils. Fort heureusement, lorsqu’elles débouchèrent brutalement à l’accueil, Luz put constater que sa chère amie n’avait guère commencé à sévir. Bon, certes, un panel de visages contrariés, offusqués, choqués et horrifiés s’affichaient présentement dans la salle d’attente, mais cela ne devait pas avoir de lien direct avec la furie grimaçante qui s’agitait au milieu de la pièce, non… ?
Bravant courageusement le danger, Luz se glissa fluidement aux côtés de l’Aventurière pour la soutenir dans ses bras et la diriger spontanément vers l’aile affectée aux naissances.
Pour le désagrément, ne précisa-t-elle pas à haute voix. A la place, elle recentra son attention sur son amie « agonisante », n’osant songer à la douleur abominable qu’elle devait présentement ressentir dans ses entrailles.
Elles pénétrèrent dans une chambre libre d’ores et déjà aménagée et l’aida à s’installer sur le lit. A l’extérieur, le personnel soignant s’agitait dans les couloirs avec moult consignes transmises à haute voix. Indifférente à ce remue-ménage, Luz sortit son tempus et s’installa d’une fesse aux côtés de Rebecca.
Elle lui offrit un semi sourire mutin, en partie excitée par la perspective d’accompagner son amie dans cette aventure spectaculaire malgré l’irréalité de la situation.
Ah, si Luz avait su qu’elle aurait eu tout loisir un jour de contempler l’Aventurière dans son plus simple appareil, jamais n’aurait-elle pensé à pareille éventualité ! Qu’il était loin, le temps de leurs âneries dans ces fameux bains chauffants du Village Perché… Rebecca n’en était que plus précieuse à ses yeux et elle ne laisserait rien entraver cette future naissance.
troisième lune de la saison douce de l'an 1001.
- Luz !
Voulant la rejoindre, la douleur de son ventre l'empêcha de faire le moindre pas. Ses deux mains cramponnées dessus, elle essaye de tout faire pour que sa douleur ne soit pas perceptible sur son visage.
- Le temps à cette fameuse Magalie d'aller te chercher.
Magalie détourne le regard avant de partir pour exécuter les ordres du docteur. Attrapant l'épaule de Luz, l'aventurière essaye de la suivre jusqu'à une chambre déjà préparée, et se vautra sur le lit. Dans cette position, la douleur paraît moins puissante, mais il ne sera tarder pour qu'elle revienne.
- Attends...tu ne peux pas le faire sortir tout de suite ? Je vais devoir supporter ça encore combien de temps ?
Alors qu'elle essayait de terminer correctement sa phrase, une nouvelle contraction arriva, et l'aventurière n'a pas eu le temps de se préparer à la douleur. Dans un petit cris, tout son corps de contracta. Les ombres des différents meubles de la chambre commençait à vibrer, comme si son pouvoir devenait incontrôlable.
Quand la douleur fut parti, son souffle saccadée ne lui permettait pas de faire une phrase correctement. Mais ce qu'il faut retenir, ces sa demande de plus de lumière.
- Cela permettra de ne pas voir un Fenrir dans ton hôpital.
Une créature de niveau élevé en plein coeur de la Capitale, cela ne ferait pas une bonne image pour l'Astre de l'Aube.
- Il faut faire prévenir le père... ?
- Il n'est même pas au courant que je suis enceinte. Manquerait plus qu'il se pointe comme une fleur, tiens.
Le capitaine, ici ? Cela fait depuis plus de neuf lunes que je ne l'ai pas vu, même pas croisé au hasard dans les rues de la capitale. Qu'est-ce qu'il devient ? Son travail l'intéresse toujours autant ? A-t-il....a-t-il trouvé quelqu'un ?
- Quelqu'un à tuer...
- Quelqu'un à trouver et à tuer.
- J'aime quand tu parles comme ça, petite fleur.
- Faut que je me déshabille, ou est-ce que tu me ferais l'honneur de le faire ?
Rebecca se rappelle alors de leur aventure dans les bains publics, et de toutes les ouvertures qu'elle a laissé passer. Bon, ce n'est pas forcément le bon moment de faire quelque chose, mais laisser des portes ouvertes est plus préférables que devoir les enfoncer.
Luz fit un subtile écart de côté, le regard braqué sur le coin de meuble le plus proche de ses pieds. Cette ombre venait-elle juste de… De vibrer ? Luz aurait juré voir la forme d’un tentacule ramper vers elle l’espace d’un court, écœurant instant. Un tantinet plus blême qu’auparavant, elle revint lentement poser son regard sur Rebecca, et acquiesça sans hésitation à sa demande de lumière. Elle enjamba gracieusement la quasi-totalité du dallage jusqu’à la porte, passa sa tête dans le couloir et apostropha l’une de ses collègues en passe de prendre sa pause :
L’autre lui retourna un regard incrédule, l’air de se demander si sa patronne n’était pas tout simplement tombée sur la tête.
Cela devrait bien suffire comme explication ! Luz n’avait aucune envie de découvrir les limites du pouvoir de Rebecca, et encore moins de revoir le serpent d’ombre qu’elle avait autrefois jeté sur leur agresseur au Village Perché. Elle voulut fermer la porte, avisa le filet de lumière supplémentaire qui perçait grâce au couloir et se contenta finalement de la rabattre au trois quart pour leur accorder une once d’intimité.
Elle l’aida par la suite à enfiler la blouse caractéristique des patients tout en tâchant d’intellectualiser la réponse précédente de Rebecca. Le père n’était donc guère au courant du paquet qui s’apprêtait à lui être délivré. Elle avait dit « le », néanmoins, ce qui signifiait qu’elle l’avait identifié. De qui s’agissait-il… ? Mourant à demi de curiosité et tout à la fois peu désireuse de se faire dévorer par des ombres malignes, Luz jugea que ce ne serait finalement pas une si mauvaise tactique que de distraire la jeune femme durant son auscultation. Et quelle meilleure distraction que de l’entrainer dans une discussion délicate ?
Pourvu que Reb ne s’énerve pas soudainement et ne décide pas de lui trancher la tête entre ses cuisses. Voilà qui constituerait une mort peu élégante à afficher sur sa tombe. Etait-ce Nora ou Arthorias ? Lequel des deux voulait-elle tenir à distance ? Aimait-elle encore son ex-mari ? A l’époque du Village Perché, il était indéniable qu’une affection certaine perdurait… Mais qu’en était-il aujourd’hui ? Et Nora ? Luz n’avait pas vu l’Aventurier depuis longtemps à présent, la vie conduisant régulièrement à perdre contact avec une multitude de personnes.
Elle se redressa et rabattit la couverture sur les jambes de sa patiente. Il serait bientôt temps d’aller chercher un mélange d'herbes apaisant, spécialité alchimique de l’Astre pour étouffer grandement la douleur lors de l’accouchement même. Dans le couloir, elle pouvait déjà entendre les pas de l’équipe qui leur était attribuée, armée des lampes requises. Et de la pelle.
troisième lune de la saison douce de l'an 1001.
- Parler avec des formules de phrases qui n'ont aucun sens, ouais, il est fort ton contact. Il m'a fallu pas mal de temps avant de comprendre de qui elle parlait.
Mais bon, depuis ce moment, Rebecca s'est qui est le père. Mais est-ce vraiment un soulagement ? Mieux n'aurait-il pas fallu rester dans l'ignorance la plus totale, au lieu de souffrir en silence ?
- Pourquoi en silence ? Dis lui tout, à ton blondinet hyper musclé. Il reviendra fissa, moi, je te le dis.
- Soulagée est un bien grand mot. Et entre nous, je ne suis pas sûr que le capitaine soit prêt à assumer ses responsabilités.
L'aventurière vient de donner le nom du père, le célèbre capitaine de la garde royale, Arthorias Hekmatyar.
- Toi qui est souvent à la capitale, saurais-tu des choses sur lui ?
La question pourrait paraître bizarre, surtout pour une femme qui éprouve toujours autant de sentiments à l'égard de son ex-conjoint. La doctoresse n'a pas eu le temps de répondre, qu'une dizaine de personne entra dans la chambre, tous muni de lampe, et un d'une pelle. Rebecca, malgré la particularité de la situation, ne pu s'empêcher
- Une pelle ? Sérieusement ? Si c'est pour m'assommer, je riposterai.
C'est alors qu'une contraction se fait de nouveau ressentir. Puis une autre, et encore une, en intervalle régulier. Est-ce le signe que l'accouchement aller pouvoir commencer ? Laissant Luz gérer la situation, Rebecca se concentre exclusivement sur le fait de contrôler son pouvoir du mieux qu'elle le pouvait. Des filaments d'ombre naissaient sur ses avant-bras, s'emmêlant avec délicatesse sur les bras du docteur.
- Je souffle, je souffle ! Et il s'appellera douleur ou remord!
De biens beaux prénoms pour un être qui n'est là que pour rappeler à sa mère sa tristesse et son passé. Ne voulant penser qu'à une seule chose à la fois, l'aventurière se focus sur les poussées, les contractions et les paroles du docteur. A chaque fois qu'on lui demande, elle pousse, et les ombres autours d'eux se font de plus en plus menaçantes. En faisant attention à la noirceur de la pièce, on pourrait apercevoir des têtes d'animaux en tout genre, beaucoup d'entre elle se créant et se modifiant à la vitesse des contractions et des cris de la détentrice du pouvoir.
Mais quand va finalement finir se massacre ? Combien de mort, à la fin ? La stratégie aurait été à revoir, mais le temps lui avait manqué. Rebecca ne pouvait, maintenant, simplement que réagir à la situation, chose qu'elle déteste par dessus tout.
Même en serrant les poings le plus fort qu'elle le pouvait, son pouvoir ne s'arrêtait pas. Dans le dernier cris de souffrance, nu glooby d'ombre arriva sur son épaule, rapidement rejoint par un Jagras sur le bord du lit. Mais comparé aux créatures d'ombre que l'aventurière peut créer d'habitude, ceux-ci ne bouge pas, comme s'ils s'agissait simplement de statue.
Dans ces conditions, combien de créatures pourraient apparaître en même temps ? Un Fenrir allait-il vraiment finir par apparaître ?
Oh, Luz aurait apprécié de pouvoir prendre le temps d’intellectualiser la nouvelle information qui lui était fournie. Réfléchir aux conséquences de cette paternité, se rappeler du Capitaine Hekmatyar et tâcher d’imaginer quelle serait sa réaction en apprenant que son ex compagne venait de mettre au monde son premier héritier. Après tout, elle ne l’avait plus vu depuis cet entrevu lointain au terme de la saison chaude de l’an 1000, et l’heure n’avait pas réellement été à la fête… Luz ressortait tout juste d’un séjour derrière les barreaux ainsi que d’un combat particulièrement compliqué. Ces diverses réflexions lui étaient néanmoins épargnées par le formidable chaos qui venait de prendre racine dans la pièce en trois souffles de temps. Les infirmières courraient en tous sens, esquivant de-ci de-là l’ombrageuse présence de filaments magiques, trébuchant même par instant lorsqu’une ombre inquisitrice s’enroulait trop autour de leurs chevilles. Pour sa part, Luz attrapa la pelle d’une main experte, fit pivoter le manche entre ses doigts et cisailla d’un coup sec de la lame les ombres qui s’empêtraient dans ses pieds.
Ce n’était pas la première fois qu’un pouvoir faisait des siennes lors de cette opération particulièrement difficile pour le corps maternel. La situation restait malgré tout rare et pouvait se révéler fort impressionnante selon les capacités magiques concernées. En l’occurrence, les murs paraissaient se couvrir d’une mélasse noire spongieuse qui s’effilochait comme sous le joug de pulsations erratiques, presque vivantes. Cela, sans évoquer les créatures qui prenaient carrément formes aux pieds de Rebecca, aussi mortes nées qu’un troupeau de morts-vivants dont certains membres s’effondraient parfois sur eux-mêmes dans une succion angoissante. Ces pauvres infirmières n’allaient pas dormir d’un sommeil réparateur cette nuit… Malheureusement, Luz n’avait d’autre choix que de les secouer pour les contraindre à s’extraire de leur contemplation morbide. Elles avaient un nourrisson à extraire et peu de temps à consacrer à un pouvoir devenu fou !
Derrière elle, Luz entendit le bruit caractéristique d’un « bong » tandis qu’une de ses collègues achevait d’éloigner d’elle l’une des créatures ombreuses d’un coup de pelle. Luz préféra ne pas chercher à identifier le panel zoologique qui s’étendait à la périphérie de son regard, préférant largement se consacrer à ce qu’elle faisait de mieux : sortir ce foutu bébé du ventre de Rebecca.
Enfin, l’enfant se retrouva pleinement entre ses mains, relativement malmené par une sortie compliquée mais en pleine forme physique.
Un immense sourire gagna les lèvres de Luz qui s’affairait à nettoyer l’enfant, attendrie malgré elle par ce bout de chair tout juste né. Il était après tout une part égale de Rebecca et d’Arthorias, deux personnes qu’elle aimait et appréciait !
troisième lune de la saison douce de l'an 1001.
- Mais je souffle, Bon Diou ! JE SOUFFLE ! J'ai l'impression de ressembler à une pierre de vent tellement je brasse de l'air !
Souffler, pousser, pousser, souffler. Rebecca se serait-elle transformer en pantin, pendant son séjour à l'hôpital ? Enfin bon, quoiqu'elle peut en dire, l'aventurière exécute les ordres de la doctoresse, non sans lui jeter des regards noirs de temps en temps. Des ordres, elle ne s'était pas séparé d'un capitaine royal pour en recevoir de nouveau.
Écoutant tout de même ces conseils, Rebecca pousse au moment qui lui semble le mieux. Et quoi de mieux que pendant une contraction ? Souffrance pour souffrance, mieux vaut les combiner, non ? Alors quand elle sent de nouveau son ventre la tordre de douleur, ses poings se serrent sur les draps du lit, et un cri bestial s'échappe de ses lèvres. Les ombres deviennent en un éclair plus nombreuses, certaines lampes même n'arrivent plus à percer l'obscurité naissante.
Et puis quand, à bout de souffle, la pression redescend, la lumière arrive de nouveau à percer la nuit.
- Ouais, non, tu sais quoi ? Laisse le où il est...
La force lui manquait, mais pas le temps de réfléchir plus longtemps qu'une nouvelle contraction arrive. Deux, puis trois autres, et un cri se fait entendre. Pas celui de l'aventurière. Celui-ci était beaucoup plus aiguë, et semblait pus douloureux
Rebecca pouvait enfin respirer normalement. Les contractions moins présentes, c'est tout son corps qui est entrain de revivre. Les ombres dans la chambre disparaissent petit à petit, laissant de nouveau percé la lumière du jour à travers les fenêtres.
Quand elle voit finalement la tête de son fils, lavé et enveloppé dans une couverture par les bon soin du docteur Weiss, un air de dégoût apparaît sur son visage.
- C'est quoi ce truc ? C'est moche et ça n'arrête pas de brailler. Fais un échange, Luz, remet le et tires-en un autre.
Mais au fond d'elle, une petite flamme naissait. De l'amour, de l'affection ? L'esprit maternelle, sans doute. Mais la flammèche n'était encore qu'à l'état de braise, et cela se ressentait.
- Tu as toujours la pelle, non ? Essaye de lui refaire le visage, peut-être qu'il sera un peu moins moche. Et trouves lui un truc à lui mettre dans la bouche, par pitié.
Parce qu'oui, quoiqu'on puisse dire, les nouveaux nés ne sont pas mignons. Ils ont la peau fripé, n'arrêtent pas de crier sans fin jusqu'à exploser les tympans de quiconque se trouvent trop proche.
A bout de force, Rebecca pose sa tête violement sur l'oreiller.
- Faut lui trouver un nom, maintenant, c'est ça ?
Chose qui semble compliqué, son talent ne couvre pas ce domaine-ci.
- Maléfique ? Vengeance ? Douleur ? Ou Machin, j'aime bien.
- Bah vas-y, te gênes pas, files mon nom à ce mioche !
Luz pourrait peut-être être de meilleurs conseils. Mais si elle propose des "Ambroise", "Apollon" ou des "Gabriel", elle ferait mieux de garder sa pelle à porter de main.
Luz ne put s’empêcher de rire à gorge déployée. La dernière infirmière à quitter la pièce leur retourna un drôle de regard de travers, n’ayant pas manqué d’entendre la réaction hostile de Rebecca face à son enfant. L’accueil d’une mère était néanmoins imprévisible et loin d’être aussi évident que les autres voulaient bien nous le raconter… Luz n’aimait pas les enfants, ces êtres à demi formés contenant davantage de défauts que de qualités et qu’il fallait constamment surveiller pour leur épargner de se tuer tout seul contre un coin de meuble. En revanche… Elle savait qu’il était possible d’apprendre à aimer quelqu’un. De le découvrir, d’apprécier son tempérament, le temps passé à ses côtés. Peut-être cette magie opérerait-elle pour Rebecca et son enfant s’ils s’accordaient cette chance. Il était aussi possible que l’amour maternel ne vienne jamais, et si l’agressivité était foutrement dommage, une neutralité bienveillante suffirait. Reb avait sans doute les moyens de s’attribuer les services d’une nourrice si elle ne souhaitait pas sacrifier sa carrière et son temps pour sa progéniture. Tâchant d’essuyer une larme d’hilarité d’un bout de doigt, Luz s’approcha un peu plus du lit de sa patiente et s’astreignit à chasser son amusement croissant pour fournir quelques explications de base à l’Aventurière :
Ce n’était pas tout à fait vrai, des options plus animales existaient en termes de lait, mais pour un nourrisson à peine né il n’y avait pas de meilleures alternatives que de se nourrir auprès de l’un de ses semblables. Ces options animales s’avéraient par ailleurs souvent dangereuses. Sans attendre l’avis de Rebecca, Luz déposa le jeune garçon entre ses bras, prenant garde à lui indiquer comment le tenir correctement. Pourvu qu’elle ne le bazarde pas aussitôt à travers la pièce… Au moins la pelle était-elle partie avec la dernière infirmière, privant Reb d’une arme non négligeable pour achever sa progéniture.
Déjà que cette hypothèse avait 90% de chance de se réaliser d’elle-même au regard du comportement actuel de Rebecca… Un bras passé sous sa poitrine, l’autre tapotant pensivement son menton, Luz avait froncé les sourcils sous une réflexion profonde. Des noms, il y en avait des centaines. Des noms susceptibles de plaire à Reb, c’était déjà plus réduit. Mais… Il y avait bien un prénom qui pourrait convenir. Comme porté par les ailes de Lucy, Luz sentit qu’elle se devait de lui soumettre cette proposition :
Parce qu'au milieu des ténèbres, une lumière brille. Cette lumière n'était-elle pas comparable aux lueurs douces et apaisantes du Nord... ?
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- Tu me demandes de faire quoi, là ?
Mais pas le temps de poursuivre sa revendication que le truc se trouvait déjà dans les bras de sa mère. Suivant précisément les conseils de la doctoresse, Rebecca faisait tout pour ne pas le blesser involontairement. Pardon ? Pas le blesser ? Mais qui est donc cette femme qui l'a remplacé aussi rapidement ?
Mais quand un pincement se fait sentir, la Rebecca d'origine revient au triple galop.
- Mais qu'est-ce qu'il fout, ce gamin, là ? Sérieusement s'il continue comme ça, il va finir par traîner au sol, hein !
Et elle faisait exprès de ne pas dire ce qu'il allait finir par terre, pour que Luz comprenne bien la dangerosité de la situation. Mais qu'importe les insinuations, le petit ne bougera pas. Même, il ose la regarder de ces grands yeux vairons, qui lui rappelle tristement son côté paternel. Même les quelques cheveux qu'il pouvait déjà avoir étant d'un blond clair, et pas son blanc immaculé.
- Au milieu de la lumière, les ténèbres règnent... finit-elle par dire, en remuant son index gauche comme si quelque chose manqué.
Étrangement, le prénom North lui rappelle quelque chose. Mais ces souvenirs sont vagues, donc impossible de vraiment savoir si c'est réelle ou encore le fruit de son imagination post- cité enfouie.
- Oui, c'est peut-être mieux que Machin...
L'aventurière se sent triste. Ce bambin lui rappelle douloureusement son passé, et tout ce qu'elle a brisé. Oui, maintenant elle le sait, tout est de sa faute. Arthorias voulait simplement être présent dans sa vie et l'aider à surmonter cette situation. Mais au lieu de cela, elle l'a laissé de côté, se refermant de nouveau sur elle-même comme une moule pourrie. Si elle revient maintenant, que ce passera-t-il ? Cela faisait depuis combien de temps qu'elle ne l'avait pas vu ? Chacun fait sa vie de son côté, peut-être qu'elle n'a plus sa place, maintenant...
Une petite larme roule sur sa joue droite, mais impossible de la faire disparaître, ses mains étant occupée à maintenir North dans une position confortable pour qu'il puisse tranquillement manger.
- Qu'est-ce qu'il faut, maintenant ? J'ai une pièce vide chez moi, il peut dormir par terre en attendant que j'achète un lit ?
Luz fit de parfaits yeux ronds en guise de réponse à la dernière tirade de Rebecca.
Elle se mordit la lèvre inférieure et passa une main malhabile dans sa tignasse avec l’espoir de retrouver contenance. Même délivrer des bébés n’était pas exactement sa spécialité ! Certes, elle connaissait les bases, essentielles qu’elles étaient lorsque l’on avait longuement vécu à travers l’ensemble du continent y compris dans des campagnes profondes où les jeunes mères n’avaient pas d’autres aides… Mais de là à être en mesure de donner des conseils fermes sur les conditions à respecter pour maintenir ce demi truc en vie… ? Il y avait un monde !
Elle avait glissé un bras sous sa poitrine, l’autre tapotant à présent pensivement son menton. Elle défroissa ensuite ses sourcils, désireuse de ne pas conduire pour autant North à une mort certaine.
Ses prunelles firent la navette entre la bouille du nouveau-né et celle de sa mère. Elle ne put retenir le sourire attendri qui la gagna en cet instant, ébranlée par ce moment de vie rarissime aux côtés d’une proche amie.
Elle grimaça théâtralement, et reprit vite son sérieux.
Pour la suite. Pour tout. Pour Arthorias et North. Une douce inquiétude avait gagné son regard, imaginant sans mal le tumulte qui devait s’agiter sous la boîte crânienne de l’Aventurière, symbolisé par cette larme qu'elle était incapable d'interpréter.
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North, tel est maintenant son nom, s'endort paisiblement dans les bras de sa mère. Comment un être aussi petit et fragile peut faire autant confiance à quelqu'un qu'il vient juste de rencontrer ? Cela, Rebecca ne le saura jamais, mais un sentiment commence à poindre en elle. L'instinct maternelle ? Non, pas juste en lui ayant donné à manger, il ne faut pas non plus abuser. Mais quelque chose s'en rapprochant, peut-être. Le sentiment que, malgré toutes les choses qu'elle avait ou pourrait dire, l'aventurière protégerait cet enfant, la chair de sa chair, le sang de son sang, et toutes les autres choses bidons que les vieux aiment dire.
- Comment ça tu pars et moi je reste ? Niveau heure supp t'es pas bien haut, hein.
Comment Luz pouvait ne serait-ce que penser à les laisser, North et Rebecca, tous les deux, seuls ? Sans personne pour les surveiller ? Personne pour éviter les bêtises ? LEs cris ? Les larmes ? Les meurtres ???
Mais rien ne pourrait faire changer d'avis la doctoresse, et déjà était-elle parti chercher un obstétricien. Une, plutôt, mais qu'importe le sexe, c'était non.
- Bonjour madame Hekmatyar, je suis le docteur Hall. C'est moi qui vais vous expliquer tout ce que vous devez savoir sur votre nouveau bébé. Appelez-moi Anne.
- Anne Ha... non, même pas en rêve j'vous appelle. Et rendez moi le docteur Weiss !
- Ce n'est plus le domaine du docteur Weiss, malheureusement. Allez, donnez moi le bébé, je vais vous montrer comment le changer.
- M-Mais bon diou, enlevez vos sales pattes de là !!
Vous vous dîtes "mais c'est quand qu'elle utilise sa magie pour la trucider cette madame ?", et bien malheureusement, l'accouchement fut plus épuisant que prévus, et Rebecca n'a plus une once de puissance magique en elle. Plusieurs jours, voir plusieurs semaines vont devoir s'écouler avant qu'elle ne retrouve ne serait-ce que la moitié de ces forces. Heureusement que son bracelet en peau de cheval de lune fonctionne toujours un peu.
- Ca va aller, madame Hekmatyar. Aller, on me le donne.
- Je vous brûlerai le crâne, l'exploserai sous ma chaussure et donnerai le reste de votre misérable carcasse aux porcs du village si vous osez ne serait-ce que regarder mon fils.
- Oui, si vous le voulez madame. Allez allez, qu'on change vite ce petit ange.
- Mais vous m'écoutez quand je vous parle ? Je vous étriperai et en ferai une corde pour vous pendre. Je vendrai vos morceaux au marché noir !
- Ah ! J'ai enfin le petit bout. Montrons à maman comment te changer, d'accord ?
- Luz ! LUZ ! Par pitié reviens ! REVIENS !!
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