Le terrain.

Un aspect bien trop oublié de la Commission en général qui se contentait de rapports parfois modifiés un peu avantageusement par certains gardes et leurs supérieurs. Finalement, le décalage qui était né entre deux parties pourtant symbiotiques de la garde faisait bien plus de mal à l’organisation de celle-ci que ce qu’on aurait pu penser.

Alors, certes, il ne s’agissait là que d’inspections de routine, la chose, certainement, la plus chiante que l’on pourrait attendre de gardes, si ce n’était peut-être les patrouilles dans les quartiers les plus calmes de la ville. Pourtant, Amaryllis cherchait à analyser et améliorer chaque petit aspect qui pouvait rendre la garde plus efficace. Et même le contrôle des honnêtes taverniers rentrait en ligne de compte.

Enfin, honnête tavernier, un peu un oxymore selon Amaryllis. Toujours un peu de traffic d’informations ou d’autres petits accords sous la table dans ce genre d’endroits en général. Même les plus respectables des tavernes pouvaient supporter ce genre de petits rassemblements. Mais ils étaient invisibles pour la garde. Néanmoins, on pouvait toujours voir si tout était en règle au niveau des consommables.

C’est pourquoi l’ancienne mercenaire s’était rendue avec une petite troupe de garde à l’Aventurier Téméraire au moment de l’ouverture de l’endroit. Officiellement, elle n’était qu’examinatrice, et, clairement, les gardes ne semblaient pas des plus joyeux que l’on vienne mettre le nez dans leur travail. Particulièrement le sergent. Un des pires de la capitale, selon les rapports, en plus. Un choix qu’elle n’avait pas fait au hasard. Histoire de lui rappeler sa place, et les méthodes officielles de la garde.

« Ouais, b’jour, on vient inspecter… Contrôler qu’tout est en ordre. Ça vous dérange pas trop j’espère? »

Pas très investi, un peu énervé, patibulaire… Le genre d’agent de la paix qu’on adorait voir débarquer chez soi au petit matin pour aller fourrer son nez dans ses affaires. Aboyant quelques ordres à ses hommes pour faire le tour de l’endroit, il s’approcha du tenancier.

« Vais envoyer quelques hommes jeter un oeil dans la réserve, ‘feront attention, c’est par là? C’est par là... »

N’attendant même pas de réponse, un coup d’oeil confirma son hypothèse et deux gardes entrèrent dans l’arrière-boutique sans se faire prier. Bien évidemment, la présence d’Amaryllis les canalisait un peu. Peut-être que ces types se seraient servis dans la réserve du tavernier sans état d’âme. Peut-être pas. Avec la rousse qui était là, le brun n’avait pas à craindre pour son stock.

Parlant d’Amaryllis, passé un petit coup d'œil à la décoration de l’Aventurier Téméraire, son regard s’était figé sur le brun, bien plus analytique que ses compères, avant qu’elle ne s’installe au bar. Elle semblait effectivement ne pas faire partie de la chose, comme une observatrice externe, avec un petit calepin et sa scribouilleuse prêts à l’emploi.

« Monsieur Haragin? Bonjour à vous. Je suis Amaryllis Tylwaen. Consultante pour le Royaume. »

Une introduction qui devait sûrement soulever plus de questions qu’autre chose. Elle était plutôt détendue, de son côté. Sûrement la personne la plus détendue de toute la pièce, car aussi la plus puissante en ce moment. Même si avoir de la puissance sur une taverne de la place commerçante était plutôt restreint, et un peu triste.

Elle profita du fait que le Sergent était parti fouiller avec ses hommes plutôt que d’interroger le tenancier pour, justement, aller lui poser quelques questions tout à fait innocentes.

« Je suppose que ce n’est pas la première fois que vous avez droit à ce genre d’inspections surprises. Surtout vu la nature des alcools que vous proposez à vos clients. »

Bien renseignée, elle avait pris le temps de lire le dossier de l’endroit sur la route, et savait donc de quoi elle parlait et des diverses déclarations légales que cela pouvait impliquer. Mais pour le moment, les alcools qu’ils vendaient, bien que fortement originaux, étaient aussi tout à fait légaux. Cela ne voulait pas dire qu’il n’avait pas quelques cuvées spéciales sous le bras, des cuvées un peu moins… officielles.

« Mais je viens plutôt vous parler de la Garde en général. Même si mes confrères sont parfois un peu rudes, que pensez-vous de ce genre de contrôles? Ils se passent bien en général? La zone des alentours est bien protégée selon vous? »

Quelques questions très générales, une sorte d’enquête de satisfaction dans le pire moment qui soit. Peut-être un moyen d’orienter un peu les réponses du tenancier, mais aussi un moyen de lui indiquer que s’il voulait se plaindre de la garde avec un minimum de discrétion, il pouvait lui en parler. Le brun avait d’ailleurs un peu de temps pour répondre, avant que l’un des gardes ne fasse une remarque fort intriguante.

« Sergent! Y a une bouteille suspecte! Pas de sceau officiel, et le contenu est bizarre. »

Amaryllis haussa un sourcil. Ça pourrait très bien être un de ses alcools maison et une bouteille de récupération. Comme ça pourrait être tout à fait autre chose aussi. Son regard violet restait rivé sur le brun, histoire de voir sa réaction. Quelque chose que le sergent aurait dû faire, pas elle, mais elle n’était pas tant étonnée que ça de la tournure des événements.

Les gardes ont visiblement plus la pression que le tavernier. Faut dire qu’ils avaient une inspectrice à leurs trousses, et ils sont donc très concentrés à faire leur travail vite, et bien. Même si pour le bien, on pouvait considérer que ce n’était pas trop ça. Plusieurs fois, ils interrompirent le tavernier en parlant entre eux et en s’organisant pour faire un tour dans l’endroit. D’un côté, leur organisation était professionnelle. D’un autre, ils ne l’étaient pas trop tant le brun semblait avoir un truc à dire.

Il ne semblait pas particulièrement paniqué en tout cas, et c’était tout à fait à son honneur. Au lieu de nier les faits en déclarant ne rien en savoir et de jouer au plus con, il avait la bonne présence d’esprit de reconnaître la chose. Et même une excuse toute prête même si Amaryllis ne savait pas vraiment ce que ladite excuse valait avant d’avoir pu l’inspecter. De tout de façon, était-ce seulement son travail?

« Vous avez l’air droit dans vos bottes en tout cas. Mais selon ce qu’ils ont trouvé vous conviendrez qu’une telle trouvaille nécessitera peut-être de faire un peu plus que de simplement régler une “erreur”. »

Était-ce seulement une erreur ou bien connaissait-il parfaitement bien sa défense? C’était toujours une éventualité et il allait certainement falloir creuser le document dont il parlait, ainsi que rassembler tous les éléments nécessaires pour remonter la piste de cette caisse jusqu’à son lieu de production. Se penchant un peu sur le côté, elle regarda rapidement les gardes déblatérer, sans trop y voir grand chose. Mais elle avait l’impression de voir le Sergent feuilleter son petit document répertoriant la plupart des types de contrebandes et autres produits illégaux. Histoire de s’assurer qu’il s’agissait bien de la chose. Au moins il faisait ça bien.

« Dans tous les cas, j’ai bien peur que vos clients vont devoir patienter. Bien entendu plus ou moins longtemps selon les résultats de l’enquête... »

Une petite menace subtile, ce n’était pas certain que la taverne puisse rouvrir dans les prochains jours. Selon la direction que tout cela prenait. Dans tous les cas, les premières heures de service étaient certainement compromises pour le brave tavernier. Il ne fallut pas attendre bien longtemps pour que le dit sergent suivi de deux de ses hommes portant la caisse ne ressortent de la réserve.

« On a trouvé une caisse d’Ecto dans la réserve. M’sieur, va falloir nous suivre au poste sans faire de grabuge. »

Évidemment, pour lui, c’était certainement mission accomplie et un boulot bien fait. Ce n’était pas faux que selon la procédure, le fait d’amener le suspect et les pièces à conviction au poste était la façon usuelle de faire. Et puis de laisser le suspect se défendre ensuite face à des interrogateurs un peu plus formés à ça. Et que ce n’était pas vraiment un boulot de garde.

« Attendez, attendez… Est-ce-que vous êtes sûrs d’avoir déjà bien tout récupéré? D’autres potentiels produits? Des documents? La scène n’a pas été complètement examinée, et, tant qu’on est ici, il faut interroger le suspect pour en apprendre plus et ramener le plus d’indices possibles pour nos collègues. »

Et, tant pis si elle avait encore coupé le pauvre tavernier. Après tout, c’était des discussions de gardes. Même si elle était là pour examiner le travail des gardes elle était aussi là pour réfléchir et potentiellement expérimenter avec de nouvelles méthodes. Et c’était peut-être bien l’opportunité pour Amaryllis de montrer son utilité. Parce-qu’elle s’attendait un peu de la réponse du sergent.

« C’t’a dire que… J’connais pas toutes les subtilités de ce genre de trucs, c’est plutôt un truc des gardes spécialisés dans le domaine des stupéfiants. »
« Je me chargerai de l’interrogatoire préliminaire. Continuez à fouiller l’endroit sans rien casser, et si vous trouvez quelque chose d’étrange ou un potentiel compartiment secret, venez me trouver avant d’essayer d’en forcer l’ouverture. Vous deux, gardez la porte au cas où le suspect tenterait de s’échapper. »

Après tout, autant faire ça bien, non? Et ne laisser aucune place au hasard. Même si le but n’était pas forcément de mettre le tavernier derrière les barreaux, la priorité était de remonter la piste et le réseau qui lui avait fourni la caisse, pour idéalement remonter jusqu’au producteur. Et s’il coopérait en ce sens, il pourrait s’en tirer sans mal. Cela n’empêcherait pas la rousse de tenter de lui mettre un peu plus la pression.

« Monsieur Haragin, allons nous installer à une table un peu plus loin, laisser mes braves compagnons jeter un œil au comptoir également. Si vous avez d’autres choses à dire ou d’autres aveux à faire avant que nous ne tombions sur autre chose, c’est le moment. Et si vous avez des documents ou autres preuves à fournir, c’est le moment de me les fournir aussi. Gardez vos justifications pour ce qui va suivre, j'aurais quelques questions à vous poser. »

Elle lui fit en même temps signe de venir s’installer à une table normalement prévue pour les clients. Mais la situation sera bien plus confortable s’ils étaient assis au même niveau, et cela le ferait sortir de sa situation de tavernier, de maître de l’endroit derrière le comptoir, et le passerait dans une situation psychologiquement un peu plus gênante. Récupérant son carnet et sa scribouilleuse, deux objets plus qu’utiles dans ce genre de situation pour noter leurs échanges...

Une fois installés, l’interrogatoire pourrait alors commencer.

Amaryllis ne voyait pas particulièrement de raison de refuser la demande de Devon. Elle se contenta d’acquiescer et de le laisser chercher les éléments d’un petit signe de la main. Évidemment, escorté et surveillé pour vérifier qu’il ne détruise pas de preuves. Même si ce n’était pas impossible qu’un mécanisme magique permette de se débarrasser ainsi de documents compromettants. Mais si les documents étaient compromettants, pourquoi les garder de base? Il y en avait bien qui réussissaient à échapper à la justice avec une organisation sans pareilles et des méthodes bien rodées.

Et à vrai dire, Amaryllis s’en fichait pas mal de savoir si Devon était coupable ou non. Ce qui lui importait était de rendre un rapport bien fait, complet, et qui soulignait l’efficacité de son travail et de ses méthodes. Alors, certes, elle pouvait être bien plus agressive dans ses demandes, mais elle n’y voyait que peu d’intérêt alors que le brun semblait tout à fait disposé à coopérer.

S’installant à une table, elle laissa un peu plus son regard se balader dans la taverne. Sobre, pas de décorations abracadabrantesques. Quelques bouteilles traînaient derrière le comptoir, des classiques, comme le vin de lucol rouge, ou du vin de vigne à bulle. Certainement aussi d’autres créations personnelles de Devon, au milieu des alcools plus basiques. Bières ou liqueurs diverses.

Par une fenêtre proche, elle pouvait voir quelques branches d’un saule à l’extérieur. Même si l’intérieur avait l’air de manquer un peu de végétation, pas même un ficus ou un bonsaï. Mais les plantes ne servaient sûrement pas à servir à l’ambiance générale de l’endroit, certainement volontairement très simple.

Le suspect ne tarda pas à refaire son apparition dans le regard de la rousse, bien escorté par deux gardes alors que les autres ne se privaient pas pour continuer de fouiller. Heureusement sans particulièrement de bris de verre, pour l’instant…

Amaryllis prit le temps de consulter les documents, un air neutre sur le visage, complètement insensible à sa petite tentative de l’amadouer. Père de famille ou pas, elle n’en avait pas grand chose à faire. Ce n’était même pas une annonce si positive que ça pour la veuve qu’elle était. Autant dire que ce n’était pas cette excuse qui l’aiderait à s’en sortir en liberté. Il y avait même l’éventualité qu’il avait effectué cet achat pour justement gagner un peu plus d’argent pour justement offrir une meilleure vie à son gamin. Une noble cause, pour des actes qui n’avaient rien de noble.

Après quelques petites minutes d’examination dans un silence pesant, la rousse prit le temps de mettre en place sa scribouilleuse et le papier nécessaire pour commencer l’interrogatoire officiel.

« Veuillez décliner votre identité et votre profession. »

Le temps de le laisser répondre, avec bien sûr la conscience que tout ceci était maintenant écrit noir sur blanc sur une feuille, et serait visible par la Garde.

« Vous êtes accusé d’achat d’Ecto, et potentiellement de recel de celui-ci. Et vous avez apparemment fait l’acquisition d’une caisse d’Ecto “par erreur” ce matin. C’est bien ça? Pouvez-vous m’en dire plus sur cette commande? Date de demande initiale, à qui, et par quelle méthode de livraison? Tout ce qui vous a amené à obtenir cette caisse. »

Après tout, le brun semblait être en bout de chaîne, et avant de supposer ou non que cela était une erreur, le plus important pour Amaryllis était de voir par quels mécanismes il s’était procuré ce produit hautement illégal. Avec l’espoir de pouvoir éventuellement remonter jusqu’au producteur. Et la méthode dont il se l’était procuré pouvait en dire beaucoup. Alors, certes, il avait déjà répondu partiellement à cette question, mais, le rapport n’était pas prêt à s’écrire à ce moment.

Après, ces déclarations allaient certainement influer sur un potentiel interrogatoire suivant. Restait à voir ce qu’il allait répondre officiellement à tout ça dans un premier temps.

Ce qui était certain c’était qu’il avait du culot, et un certain sang froid. Peut-être même un peu trop? Il était difficile à juger, semblant persuadé d’être lavable de tout soupçon. Après tout, il était certes suspect dans cette affaire, mais aussi accusé de détention d’un produit hautement illégal. Une caisse entière, en fait. Ce qui n’était pas rien, surtout que ce n’était pas particulièrement anodin dans une taverne. A vrai dire, la situation semblait presque trop parfaitement contre lui, la coïncidence était trop grande.

« Aucune preuve de recèle en effet, mais sa possession est avérée, et cela est déjà un délit en soi. Ce genre d’achat, de plus, laissent rarement des petits papiers derrière eux… Ce serait juste faciliter notre travail, sinon. »

Une preuve d’achat, était, effectivement, parfaitement impossible à trouver. Néanmoins, Amaryllis faisait au moins l’effort d’essayer de déterminer si cet achat avait bien été volontaire ou non. Après tout, il n’avait pas commandé de la bière de base, mais une caisse bien particulière, à un très bon prix. Maintenant, était-ce un “code” entre dealers pour se retrouver avec de l’Ecto et que les comptes soient parfaits et que l’on ne puisse pas être attaqué ensuite? Cette théorie restait parfaitement viable.

« Donc vous avez déjà eu affaire avec l’alchimiste Enshanter, et la compagnie de transport Delfast à plusieurs reprises, c’est bien ça? Quels étaient les achats réalisés à ces moment-là, à l’époque? Pour la commande actuelle, quelle méthode pour la commande : un courrier, une visite en personne, l’envoi d’un subalterne, autre chose? »

Évidemment, beaucoup de questions. Même si elle ne le disait pas de vive voix, elle essayait tout de même de lui en faire dire le plus possible sur ce qui l’avait amené dans cette situation. Non pas qu’elle essayait d’empêcher sa condamnation mais aussi parce-que démanteler le producteur était bien plus important que le consommateur, même si c’était potentiellement un receleur. Et à vrai dire, ce n’était pas une hypothèse trop tirée par les cheveux que de dire que Merle Enshanter était parfaitement capable de produire de l’Ecto. Maintenant, avait-il réalisé une boulette, ou Devon était-il en train de vendre son associé?

« Vous avez l’air assez bien informé sur ce qu’est l’Ecto, aussi. Tout le monde ne peut pas en dire autant, puisque ce n’est pas marqué sur la bouteille, contrairement aux alcools légaux. »

Bien que pour un tavernier, ce n’était pas vraiment étonnant qu’il se rende compte que sa commande n’était pas la bonne. C’était juste un moyen un peu bas d’essayer de le pousser dans ses retranchements. Ou du moins de rajouter un petit peu plus de stress dans la balance délicate qu’était un interrogatoire.

« Et donc, suite à la réception par erreur de cet Ecto, que comptiez-vous en faire? Pourquoi l’avoir gardé dans la réserve et ne pas l’avoir livré aux autorités immédiatement après sa réception? »

Quitte à décaler l’ouverture de la taverne de quelques minutes, ou heures. C’était toujours moins pire que de se faire prendre la main dans le sac, après tout. Livrer un gros paquet de drogue aux gardes n’était pas illégal - à moins qu’il ne s’agisse de corruption. Mais ça c’était encore une autre histoire.

Bien entendu, le Destin semblait en ce jour jouer contre le pauvre tavernier. Et même si l’escouade de gardes était assez expéditive, son but n’avait pas forcément été de mettre Devon derrière des barreaux, mais plutôt de l’amener à quelqu’un capable de réaliser un interrogatoire professionnel. Après tout Amaryllis elle-même n’était pas une experte en la matière, mais il y avait tout de même beaucoup de choses à en apprendre en interrogeant sur place : ça permettait de fouiller plus efficacement les lieux en même temps, et potentiellement de trouver plus de preuves. Et ça permettait aussi de se faire une meilleure idée du profil du suspect.

Amaryllis n’allait pas non plus lui jeter la pierre. Recevoir ce genre de commandes était sûrement déconcertant alors agir en toute logique n’était jamais une évidence. Il avait en effet essayé de prévenir les gardes qui ne l’ont pas écouté au début - elle pouvait concéder ce point. Mais qu’il soit pris en train de sortir de son établissement avec la caisse et vienne la livrer de lui-même aux gardes aurait été bien plus un signe de bonne foi. Même s’il avait déjà fait preuve de bonne foi. Elle n’allait pas dire le contraire.

Gardant son regard améthyste vers le brun, elle garda le silence quelques secondes après sa tirade, le temps de remettre tous les éléments en place. Amaryllis ne comptait pas rebondir sur ses questions ou ses remarques, après tout ce n’était pas elle ni les gardes qui étaient interrogés ici. Enshanter, Delfast, lui, l’Ecto… Cette saloperie étant plus un produit alchimique, ses soupçons portaient plus sur Enshanter lui-même. S’était-il loupé dans la préparation de sa commande? Delfast avaient-ils échangé une caisse par inadvertance? Ou bien le brun avait vécu la situation assez de fois pour être capable de ne laisser rien paraître de sa culpabilité? Clairement s’il mentait, ce ne devait pas être la première fois que ça arrivait, parce-qu’il avait l’air assez honnête aux yeux de la guerrière.

« Il y a pourtant des situations urgentes qui nécessitent parfois de fermer son établissement temporairement. Enfin, en tant que père vous devriez comprendre qu’il existe des choses plus importantes qu’une journée de chiffre d'affaires. »

Comme évidemment celle de ne pas se retrouver derrière des barreaux pour une erreur stupide qui n’était même pas de son fait. Mais là encore, Amaryllis n’était pas là pour s'apitoyer sur son sort mais pour faire son travail. Même si la rousse ne pourrait pas forcément le laisser reprendre son activité de façon tout à fait classique immédiatement.

« Sinon, avez-vous des troubles avec le voisinage? Certains malfrats? Des gardes? »

Une petite question qui ne payait pas de mine, sans rapport potentiel avec le reste, mais qui pouvait peut-être souligner une raison à l’une de ces personnes de monter un tel coup fourré. Même si cela impliquait aussi que ces personnes sachent parfaitement quand et où l’inspection surprise de la garde allait se tenir. Une prouesse qui ne pouvait être que la preuve de la présence d’une taupe à la garde, et une potentielle implication gravissime.

« Savez-vous si Enshanter se livre à du trafic ou du recel sinon? Ou s’il se trouve dans de quelconques affaires louches? »

De ce qu’il lui avait dit, ce n’avait pas l’air d’être le cas. En tout cas elle espérait qu’il comprenne que s’il avait effectivement des informations à donner sur ce point ce ne serait certainement pas retenu contre lui. S’il aidait à faire tomber le producteur, il était certain de s’en tirer quasiment sans mal. Même coupable. Alors si en plus il était innocent… Il n’avait rien à craindre de ce point de vue là.

« Dans tous les cas, je pense que vous irez faire un petit tour au poste, mais ce rapport devrait accélérer et simplifier les choses. Je suppose que l’établissement peut rester ouvert pour l’instant, si quelqu’un est là pour le tenir à votre place… »

Ce qui n’était pas garanti vu que c’était lui qui créait les alcools. Alors, oui, de l’eau, ce n’était pas génial à servir à ses clients. Maintenant, il restait à espérer qu’il se retrouve entre les mains de gens consciencieux. Mais de ce qu’Amaryllis avait pu voir, les enquêteurs faisaient, en général, du bon travail, tant au niveau de la recherche que du respect des témoins et gens interrogés. Ce qui n’était pas vraiment le travail des gardes de patrouille comme ceux qui avaient été plus brusques avant cela. De tout de façon, elle n’avait à priori plus vraiment de questions à poser à Devon passées celles-ci, à moins que ses réponses ne soulèvent de nouvelles questions.

Il n’y avait pas grand-chose de plus qu’elle pouvait faire. Elle avait tenté d’explorer toutes les pistes possibles, mais elle devait avouer que les preuves ou même les informations en général manquaient. Devon ne semblait pas particulièrement coupable dans cette affaire, mais ce n’était pas son rôle de le juger. Tout en laissant la scribouilleuse continuer d’écrire le rapport à sa place, elle essayait déjà de voir comment formaliser un procédé d’inspection et d’enquête plus efficace. Ou du moins qui semblerait plus efficace pour les commandants et les gens avec de l’influence. Peu importait si les gardes devaient bosser deux ou trois fois plus qu’avant. Tant que la méthode avait des résultats à la hauteur de ses efforts.

Elle n’avait pas grand chose à rajouter de tout de façon. Alors autant conclure son interrogatoire ici. En tout cas elle voyait bien sa façon de faire. De tout de façon s’il s’associait à des criminels il n’en parlerait jamais ici. A moins de lui balancer une preuve flagrante directement à la figure. Ou d’être pris sur le fait. Les tavernes étaient effectivement parfois un nid à crapules. Non pas que cela ne dérange Amaryllis plus que ça quand elle s’y rendait. Il y avait de bien belles affaires à y faire.

« On a rien trouvé de plus de louche M’dame. »

Le Sergent avait semble-t-il terminé de retourner les lieux de fond en comble, en espérant qu’il n’avait pas mis trop de désordre dans tout ça, mais à priori ils avaient eu la décence de tout remettre où ils l’avaient trouvé. Quoi qu’il en était, l’absence d’éléments en plus voulait aussi dire qu’elle n’avait plus grand chose à lui demander.

« Très bien monsieur Haragin. Je vais transmettre le rapport au poste et un inspecteur devrait vous voir rapidement après. Je vous laisse entre les mains du Sergent qui vous guidera jusqu’au poste. J’ai encore des choses à faire. A une prochaine fois peut-être. »

Notamment un rapport personnel et une première formalisation des idées et méthodes qui lui étaient venues lors de cette petite entrevue. Et puis elle avait mieux à faire que d’escorter un tavernier jusqu’au poste. Alors elle considérait que les autres gardes pouvaient très bien s’en charger. Elle prit rapidement le temps de donner ses consignes à la petite troupe, laissant Devon refermer les lieux, temporairement à priori. Et Amaryllis ne tarda pas à bifurquer de chemin vers les bureaux de la Commission, laissant les gardes et le tavernier à leurs affaires.