- Étude Endémique -
3e lune de la saison douce de l'an 1001

Le jeu était toujours une bonne façon de passer le temps; pour chasser les ombres et les sombres pensées également, et apporter un brin de gaieté. Une belle diversion. Ce soir, un jeu bien simple de devinette. Le temps passa, le jeu se termina. Evelyn ne ressentait pas l’envie de revenir sur les mots qu’elle avait lancés à Liory; qu’elle avait largués comme une bombe. Elle avait désiré s’ouvrir un peu à l’homme, elle n’avait pas pensé le faire ainsi. Cependant, son partenaire semblait avoir de la difficulté à passer à autre chose. Il reprit la parole, après le jeu, pour énoncer un mensonge; la tristesse se traçait une place où elle le voulait, quand elle le voulait, dans tous les cœurs, et personne n’en était épargné, aucun couple ni aucun duo.

Elle regarda les derniers bois se consumer dans l’âtre improvisé, pendant que Liory se lavait. Après lui, elle fut bien heureuse de pouvoir nettoyer la saleté accumulée des deux derniers jours. Après avoir enfilée des vêtements propres pour la nuit, elle localisa un endroit où elle pourrait possiblement trouvé le sommeil, à côté du hamac. Elle était en train de pousser quelques roches, lorsque la main de Liory posé sur son épaule l’arrêta. Elle pivota dans sa direction pour voir son sourire et il eut des paroles attentionnées. Elle hocha la tête, reconnaissante, bien que son cœur puisse en supporter beaucoup; elle avait les épaules solides.

- Et si le sol parait trop dur, je suis sur que l'on pourra te ménager une place.

L’idée n’était pas mauvaise; l’idée était en réalité très alléchante. Qu’aurait fait Sofia, à sa place? Elle n’aurait certainement pas refusé de passer une bonne nuit de sommeil; elle aurait peut-être menacé de couper les mains de l’autre, ou pire, s’il osait en profiter pendant la nuit; Evelyn était moins farouche.

- Eh bien… C’est vrai que le hamac a l’air plutôt grand. On pourrait partager?

Certes, Evelyn s’adaptait facilement à son environnement, mais elle n’avait pas envie de s’adapter à la dureté du sol. Tout le monde ici présent étant d’accord, Evelyn se ménagea une petite place sur le hamac, utilisant sa propre couverture pour se garder au chaud.

La nuit fut douce et reposante. La chasseuse allait pouvoir attaquer la nouvelle journée avec une énergie renouvelée. Au petit matin, en reprenant conscience, Evelyn prit connaissance d’une information assez importante : apparemment, elle avait fait un câlin à Liory pendant la nuit. Elle ne savait pas à quel moment durant la nuit elle s’était rapprochée du corps de l’aventurier, mais ils étaient là, leurs corps collés l’un à l’autre, dans un hamac partagé, dans une petite caverne, dans les froides montagnes, de manière totalement involontaire. Elle se détacha avec précaution et tenta de sortir du hamac le plus discrètement possible, désirant faire comme si rien ne s’était passée; et il ne s’était rien passé, en réalité; que représentait un câlin durant une froide nuit?

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-Bien dormis ?, entendit-elle alors qu’elle terminait de se changer. Le câlin nocturne semblait avoir passé inaperçu. C’était une bonne chose. Depuis maintenant presque quatre ans, elle ne partageait son lit qu’avec Sofia; autant dire que son lit était souvent vide. Elle ne cherchait cependant pas la compagnie d’autres personnes, pour remplacer sa compagne. C’était certainement la chaleur du corps de l’homme que son propre corps avait cherché, ou une réponse à la pesante solitude qu’elle ressentait parfois. - À merveille, lui confirma-t-elle avec le sourire; le grand hamac avait, après tout, sauvé sa nuit.

Elle remballa ses choses, ils retournèrent les lieux dans son état d’origine, le plus possible, puis ils mangèrent rapidement un petit déjeuner, et les voilà effectivement partie pour la dernière partie du voyage. Ils parcoururent les derniers kilomètres qui les séparaient de leur objectif sans encombre, sans faire de rencontre surprise, s’arrêtant à quelques reprises pour de courtes pauses. Et alors que le soleil avait atteint son zénith, ils arrivèrent à la grotte. Evelyn tenait son arc dans sa main gauche; elle l’avait ainsi tenu une bonne partie du voyage pour éviter d’être prise au dépourvue, pour éviter les secondes nécessaires pour détacher son arc de son carquois et être prête à décocher une flèche.

Immobile l’un à côté de l’autre, Evelyn jeta un coup d’œil à la carte que tenait son partenaire avant qu’il ne la rangea. Après une balade qu’Evelyn qualifierait de santé, après des séances de camping improvisées dans des cavernes, voilà que les vraies choses commençaient, ce pour quoi on allait véritablement les payer, et non pas pour boire de l’alcool autour d’un bon feu.

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Evelyn prit un court instant pour examiner l’entrée de la grotte, l’usure de la pierre, les traces laissées au sol. La conclusion était simple : cette grotte-là était très fréquentée. Assurément, elle faisait partie de l’élite des grottes – la grotte par excellence pour les mauvaises rencontres. La chasseuse tourna la tête vers son partenaire et lui dit avec un léger sourire pour amoindrir ses paroles : - Une grotte au fin fond des montagnes, qu’est-ce qui pourrait mal se passer? Evelyn fouilla ensuite dans son sac à dos. Elle en sortit sa seconde paire de lunettes de jour, qu’elle donna à Liory. Avoir de l’équipement en double s’avérait très utile; la chasseuse n’aurait pas cru que ce fut le cas, ayant l’habitude de travailler seule; mais nouvelle vie, nouvelles habitudes. Elle était bien contente d’avoir gagné cette seconde paire dans une taverne, à un concours débile.

Sans s’attarder davantage à l’entrée de la grotte, les deux aventuriers entrèrent dans l’inconnu. Evelyn glissa ses lunettes de jour, les faisant passer de sur sa tête à devant ses yeux. Une vingtaine de pas plus loin, elle s’immobilisa brièvement en constatant que le sol était jonché de squelettes d’animaux. C’était très décoratif et pas du tout inquiétant; ça ne donnait pas du tout l’impression d’être entré dans l’antre de la bête. D’un signe de la main, Evelyn conseilla à Liory de faire attention où il mettait les pieds, et suivit son propre conseil.

À un croisement, deux chemins s’offrirent aux nouveaux aventuriers. Gauche ou droite. Pile ou face. …Enfin, non. Evelyn n’allait pas laisser le hasard prendre une telle décision à sa place. À gauche, une petite brise leur apporta une odeur de mort. Très agréable. Il y avait également de l’activité. À droite, le néant. Et d’ailleurs, cela semblait être le meilleur chemin à prendre pour rencontrer des Tissenuits. Et qui ne serait pas emballé à cette merveilleuse idée? D’un mouvement de la tête, elle indiqua le tunnel de droite à Liory. Voyant que ce dernier acquiesçait à son choix, Evelyn prit les devants, passant devant l’homme. Elle ouvrit la marche sans se précipiter, faisant attention à son environnement.

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En silence, le duo suivit le chemin qui s’offrait à eux et s’enfonça toujours plus loin dans les entrailles de la caverne. Parfois, le silence pouvait être aussi inquiétant que le bruit, mais cela n’impressionna pas Evelyn; une caverne perdue dans les montagnes, à quoi d’autre pouvait-on s’attendre à titre d’ambiance? Evelyn tenait son arc de sa main gauche, se croyant prête à réagir si une mauvaise surprise devait surgir devant eux. Soudainement, il y eut du bruit à l’avant, indéterminé; aventuriers, brigands, spéléologues, bestioles, autres. Le duo se retrouva finalement dans une grande salle. Evelyn s’avança puis s’immobilisa. Un sentier séparait une étendue d’eau et deux personnes se dressaient devant eux. Evelyn tourna brièvement la  tête à sa gauche pour jeter un regard à Liory, un air suspicieux inscrit sur son joli visage.

- Nous n’avons pas faim, dit Evelyn alors qu’en réalité elle se sentait drôlement affamée.  – Mais si vous avez de l’alcool -- Elle secoua la tête à ses propres paroles; partager de l’alcool avec qui, quoi? Quelle idée saugrenue! D'ailleurs, il lui restait encore un thermos plein de vin. Les deux personnes étaient certes belles, très attirantes même Evelyn n’allait pas dire le contraire, mais dans l'esprit de la chasseuse personne n’arrivait à la cheville de sa tendre moitié. Evelyn fit un pas devant Liory, pour servir d’obstacle entre lui et les inconnus. – Nous avons nos propres réserves de nourriture. De toute façon, ce n’est pas l’endroit idéal pour pique-niquer. Nous désirons seulement continuer notre route. Elle était naturellement méfiante avec les inconnus. …Surtout ceux qui désiraient lui offrir de la nourriture.

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Les deux inconnus avaient le nom et la position de quelques créatures qui pouvaient possiblement les intéresser. C’était vraiment une agréable nouvelle, car en plus d’être incroyablement attirants, ils s’avéraient également utiles. Il fallait évidemment qu’Evelyn se rapproche pour regarder cette fameuse carte; qu’elle se rapproche pour mieux faire connaissance. Evelyn s’avança, un pas après l’autre. Elle avait oublié de se présenter à eux, cela lui semblait soudainement un grave oublie. Elle allait remédier à cela, juste après avoir passé sa main dans leurs chev-- Une flèche se planta devant elle, fracassant la roche, arrêtant net la chasseuse.

- Ev !

Le cœur d’Evelyn battait la chamade; la surprise, la colère et peut-être aussi la compréhension lointaine que quelque chose clochait. Forcée par son ami, offrant une faible résistance, Evelyn recula.

- Ce n'est pas logique, vous n'êtes pas censés être là !

…Il n’avait pas tort. D’un autre côté, Liory et Evelyn était bien là, eux. La chasseuse cessa de résister à son ami, son attention captée par la barrière qui se forma, puis par les mots suivants, et elle tourna la tête vers lui, plongea ses yeux dans ceux de l’homme lorsqu’il dit :

- Quelque chose ne tourne pas rond, mais alors pas du tout, comment peuvent-ils connaitre des créatures dont nous même n'avons pas la moindre idée de leur nature ?

…Il n’avait pas tort. En même temps, les deux inconnus avaient parlé de créatures de façon générale, et pas nécessairement les créatures que les deux aventuriers chassaient. Mais il y  avait effectivement quelque chose d’anormal, ici.

- Nous désirons seulement continuer notre route, dit la chasseuse en s’adressant aux inconnus, se répétant manifestement, sans oser quitter son ami des yeux.

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La voix des inconnus s’éleva. Ils avaient des voix que la chasseuse jugeait douces, harmonieuses et agréables. Quand ils prenaient la parole, c’était comme une douce mélodie à ses oreilles. Lorsqu’elle les entendit se déplacer, Evelyn regarda dans leur direction. Un coup d’œil rapide, puis elle replongea aussitôt les yeux dans ceux de son partenaire de quête; espérant se noyer dans les yeux bleus pour se soustraire à l’attrait des inconnus. La chasseuse et le noble pouvaient donc continuer leur route, mais pour cela il fallait passer entre les deux personnes attrayantes. Et peut-être… Peut-être, oui… Tant qu’à passer à côté, si près… Peut-être leur faire un câlin d’aurevoir?

Entre la pensée d’aller rejoindre les deux individus dans le but de leur conté fleurette et la pensée de se jeter dans l’eau pour se rafraîchir les idées, se glissa une autre pensée, un nom, une image: une autre quête dans les montagnes, une potion de réalité, cadeau de sa compagne. Elle s’accrocha à cette idée avant qu’elle ne s’évapore et, d’une main un peu tremblotante, elle récupéra une fiole d’une des poches latérales de son sac à dos, l’ouvrit, la porta à ses lèvres et bu le liquide.

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Apparemment, l’offre des inconnus tenait toujours. L’offre multiple de nourriture, d’indication sur une carte …et possiblement d’un massage. Enfin, cette dernière idée insensée refusait de quitter la tête d’Evelyn. Heureusement, la potion de réalité lui permit de jeter un regard neuf sur les deux superbes créatures, et cette révélation lui glaça le sang. C’était Evelyn et Liory, le repas de la journée et, s’ils ne faisaient pas attention, c’était ici que leur route allait s’arrêter.

Westwood serra son arc à s’en faire blanchir les jointures. Elle murmura à l’attention de son partenaire, un seul mot, lourd de sens : - Lamia. Et ce seul mot suffisait. Nul besoin de monologue, nul besoin de discussion sur le sujet. De regards appuyés, ils se comprirent, en arrivèrent à la même conclusion; ils avaient un effet de surprise; ils avaient des arcs, c’était le moment de les utiliser.

La chasseuse leur fit face et répondit à leur question simplement : - Nous avons changé d’avis, oui. Changé d’avis sur le fait de seulement continuer leur route; par contre, ils pouvaient garder leur fausse hospitalité.

D'un mouvement elle encocha une flèche et leva son arc, flèche qu’elle libéra sur le lamia de gauche, suivit aussitôt après d’une seconde flèche, effectuant des mouvements qu’elle avait répété plus d’un millier de fois, avec sa précision et sa rapidité habituelle; la première flèche visant la tête, la deuxième visant le cœur.

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Les deux créatures s’enfuirent au lieu de les attaquer, ce qui était assez étrange, mais peut-être préféraient-elles des proies dociles et consentantes, qu’elles n’étaient pas habituées d’avoir de la résistance. Après ce moment haut en émotion, où heureusement personne n’avait été blessé, vint le temps de prendre une décision.

- On remonte par là, ou on continue par là, dit la chasseuse en pointant successivement le chemin d’où ils venaient et le chemin que venait de prendre les lamias. En soi, tous les chemins de cette caverne étaient risqués, ils le savaient avant d’y entrer. Allaient-ils rebrousser chemin à la première difficulté? Certainement pas; aussi bien retourner à la Guilde et leur redonner leurs badges d’aventurier dans ce cas.

Après une brève consultation, le duo Westwood-Eastwood prit la direction qu’avaient précédemment prise les lamias, suivant le chemin qui serpentait entre les deux étendues d'eau. - Restons sur nos gardes, lui dit-elle bien que ce n’était pas nécessaire, car Liory savait aussi bien qu’elle le danger inhérent au fait de se déplacer dans les profondeurs d’une caverne, dans les montagnes.

Elle positionna une flèche sur son arc, sans tendre la corde, pour être prête à tirer rapidement si besoin était. Avec prudence, elle progressa, avança en tête, servant en quelque sorte de bouclier à Liory si un danger devait venir de devant.