Un feu. Immense, il dévorait tout sur son passage, affamé. J’entendai un cri.
Ce n’était que le mien lorsque je me réveillai brutalement, essoufflée. J’étais encore tétanisée par le choc, incapable d’être rationnelle. Une main fraîche se glissa doucement sur mon front et je croisai le regard d’Ashley qui était encore à mes côtés. Je n’avais même pas senti les larmes qui perlaient sur les draps. Il releva doucement les mèches blondes qui s’écoulaient devant mes yeux. Soudain, ses pupilles se dilatèrent, et une sensation agréable finit par m’envahir.

« Dors. »

Fut le seul mot que j’entendis avant de m’endormir à nouveau dans un sommeil paisible.

~

« Ashley ? »

Le grand noble se tourna vers moi, ses orbes d’azur se plongeant dans les miens. Il ne répondit pas, attendant patiemment que je lui fasse part de ma pensée. C’était souvent ainsi entre nous. Il ne s’était jamais montré très démonstratif, que ce soit dans son intérêt pour moi, ou dans l’affectif. Pourtant, il avait été la seule personne qui ne m’avait pas abandonnée depuis que j’étais rentrée dans cet orphelinat.

Je saisis son poignet doucement, et il me regarda silencieusement. Mais il ne fit pas signe de se retirer.

« Où est-ce que nous nous rendons ? Murmurai-je. »

Cela faisait un moment que j’apprenais à vivre la vie étrange des nobles. Je ne voulais pas décevoir celui qui m’avait offert cette nouvelle vie, alors je redoublais d’efforts chaque jour afin de correspondre aux standards de cette société compliquée. Puis il était difficile de comprendre le langage complexe qu’il utilisait tous les jours.

Je le vis relever brièvement la commissure de ses lèvres en détournant son attention vers le paysage qui défilait devant nous, posant son menton dans le creux de sa main.

« Tu n’as pas besoin de le savoir maintenant. »

Concis, ainsi était cet homme. Le reste du trajet se déroula dans le silence.
Lorsque le carrosse se stoppa, il nous laissa tous les deux dans un parc immense à proximité du temple de Lucy. J’ai vu des gravures qui le mentionnaient dans quelques livres, mais je n’avais jamais eu l’occasion de le voir de mes propres yeux. Je tournai ma tête curieuse vers Ashley, c’était la première fois que nous quittions le manoir des O’Callaigh pour profiter d’un moment à deux.
Il ne me regardait pas, et nous étions comme deux idiots, droits comme des piliers au milieu du gazon à attendre que l’un de nous deux se décide à bouger.

Finalement, ce fut Ashley qui m’attira avec lui contre le tronc d’un arbre où il s’assit. Naturellement, je m’assis entre ses deux jambes. Je profitai qu’il m’exprime un peu d’attention pour en tirer parti un maximum. Le temps était doux, et une brise légère qui s’envolait quelques-unes de mes mèches folles. Je crois que la nuit avait été rude pour nous deux, car c’est ainsi que nous nous sommes endormis paisiblement en cette belle matinée.

En me réveillant, j’avais une sensation douloureuse dans la nuque, en sentant le tronc de l’arbre dans mon dos. Je ne me souvenais pas m’être endormie. C’était un sentiment étrange. Ouvrant les yeux, je vis une petite tignasse rousse me chatouiller le bout du nez. Prise d’une envie irrésistible, mes bras entourèrent le corps du petit garçon.
J’eus comme réponse une plainte étouffée.

« Mielle… Tu m’étouffes, se plaignit-il d’une voix fluette. »

J’imaginai sans mal cet air renfrogné sur son visage, mais ça ne le rendait que plus adorable. Je le relâchai toute souriante. Quelque chose me gênait intérieurement sans que je ne puisse poser le doigt dessus. Mais tout naturellement, j’ajoutai.

« Mais si tu perdais ta mauvaise tête aussi ! »

Il se releva distraitement sans me répondre, me libérant de son poids. Je fis de même en époussetant ma robe. À nouveau, je le pris dans mes bras, incapable de résister à la tentation. Je l’entendis soupirer, mais il ne me repoussa pas, restant tout contre moi.

« Alors qu’est-ce que nous faisons aujourd’hui ? »

Et comme à son habitude, il ne me répondit pas, trottinant plus loin vers la grande fontaine qui décorait le parc. Nous n’étions plus très loin du temple, il était peut-être l’occasion de le visiter ensemble. Lorsque je relevai les yeux, il était déjà loin, sans se soucier de savoir si je le suivais. Il fallut que je remonte les pans de ma robe afin d’être capable de le suivre.

« Ashley ! Ashley ! Ahanai-je. Attends-moi ! »

Cet enfant était bien trop vif pour moi.

Mais il s’était soudainement arrêté devant un autre enfant à la chevelure blonde hirsute et au regard carmin. Ashley croisa ses bras devant l’autre enfant, puis tourna son regard vers moi, comme s’il attendait que je lui donne une réponse. Je savais qu’il n’était pas un enfant très sociable avec les autres, il ne savait probablement pas comment initier la conversation avec le petit blond. Surtout que le petit bambin n'était pas beaucoup plus haut que trois pommes.

Je me rapprochai d’Ashley inconsciemment, glissant une main douce dans sa chevelure flamboyante. Il ne réagit pas, mais ne chercha pas non plus à s’éloigner de l’étreinte. Tandis que l’enfant, entouré d’une pluie douce désignait mon adorable petit roux. Celui-ci ne fit pas signe de s’approcher, préférant jauger les personnes qui avait en face de lui. Car en effet, quelque chose n’allait pas, et lui-même semblait l’avoir remarqué lorsque son grand regard bleu se tourna vers moi.

« Je ne comprends pas, souffla-t-il en relevant la tête vers moi. »

À vrai dire, moi non plus, je ne comprenais pas tout alors qu’en suivant l’échange du jeune rouquin qui avait suivi le petit garçon prompt à aller jouer à la moindre occasion. S’il avait fallu donner un nom à leur relation, j’aurais mis ma main à couper que le roux devait être le parent de l’adorable bambin qui avait galopé jusqu’à nous. Je déposai un rapide baiser dans la chevelure indomptée d’Ashley avant de sourire.

« On dirait que vous rencontrez quelques soucis. »

Je ne pouvais pas m’en empêcher, c’était plus fort que moi de vouloir aider les autres. Ashley me reprochait peut-être un peu trop souvent ma gentillesse d’ailleurs. J’allais m’approcher afin de leur proposer mon soutien avant que l’enfant ne vienne s’attacher à ma robe fermement, faisant s’écouler un rideau de pluie qui m’aspergea. J’eus une légère exclamation de surprise qui fit sursauter Ashley. Je vis briller dans son regard une lueur dangereuse et si je ne l’avais pas arrêté, il aurait probablement bousculé le petit garçon plus loin.

« Ashley, dis-je d’une voix ferme. »

Il s’arrêta net avant de baisser la tête, confus, il n’avait sûrement pas l’habitude que je me montre ainsi avec lui et cela me tira un sourire. Puis je levai la tête vers le parent de Faolan – si j’avais bien entendu.

« Ne criez pas, ça ne le fera que plus fuir, ajoutai-je tendrement. »

Repoussant les mèches trempées de devant mes yeux, je saisis le petit garçon dans mes bras avant de le soulever.

« Et toi, tu ne devrais pas inquiéter les adultes ! »

J’appuyai doucement mon doigt sur le bout de son nez avec un petit rire, puis je vins vers l’autre rouquin, sans lâcher l’étreinte que j’avais autour de l’enfant, puis de le tendre vers son enfant. Ça me fit assez étrange de penser ainsi.

« Je pense que vous avez besoin de parler un peu, je me trompe ? »

Ashley, qui était resté en retrait, s’avança fermement, entourant ma taille de ses petits bras. Je haussai mes deux sourcils, je ne le savais pas si possessif. Machinalement, je caressai doucement ses petites mèches orangées.

« Tu vas être mouillé aussi Ashley si tu restes comme ça, soufflai-je doucement. »

Il secoua la tête contre moi vigoureusement, enfouissant davantage dans ma robe, serrant son étreinte plus fermement.

« Trop tard. »

Je m’accroupis face à lui, déposant un baiser sur son front alors qu’il me lança un regard profond de ses grands yeux bleus.

« Je ne souhaite pas que tu tombes malade. »

Il s’éloigna bien à contrecœur, puis je me retournai vers Faolan et son enfant, saisissant les pans de chaque côté de ma robe, avant de faire une révérence.

« Veuillez excuser mes manières, je me présente, je m’appelle Mielle O’Callaigh et voici Ashley mon… »

Je fronçai légèrement mes sourcils, cette phrase ne me parut pas du tout naturelle alors que j’allais le présenter comme étant mon fils. Mais ces mots sonnaient faux. Je lui lançai un regard en biais, et je vis que lui aussi n’était pas vraiment en phase avec cette situation. Je me redressai enfin, terminant ma phrase.

« Mon fils… ? »

Non, cela sonnait faux, mais je n’avais aucune raison de penser le contraire en cet instant. Je sortis aussitôt de mes pensées avant de poser doucement ma main sur ma poitrine.

« Je vous propose que nous nous installions ailleurs afin que la conversation nous soit plus confortable. »

Je vis un peu plus loin le chemin un peu boueux à cause du passage de la pluie en penchant la tête sur le côté afin de voir derrière le rouquin.

« Vous n’êtes pas venus seuls si je ne m’abuse ? Allons rejoindre le reste de votre troupe. »

Ashley fit signe de s’approcher de Faolan, venant plonger son regard d’azur dans le sien, avant de tendre sa main droite vers lui puis de lui frotter gentiment le sommet du crâne. Gardant toujours cet air trop sérieux sur le visage.

« Si tu n’embêtes pas Mielle, je veux bien jouer avec toi, ajouta-t-il. »

Je fondis intérieurement, il était bien trop adorable.

Je le regardai s’emmêler dans son discours, et je ne pus m’empêcher de laisser échapper un léger rire, le couvrant du côté de ma main. C’était assez touchant de le voir se perdre ainsi. Glissant une main autour des épaules d’Ashley, je le poussai doucement vers l’avant afin qu’il nous accompagne dans la direction qu’il leur indiquait.
Sa réflexion me tira quelques questionnements en effet maintenant qu’il avait abordé le sujet. Mais je préférai ignorer ce sentiment de malaise qui grandissait au fond de moi, avant d’étirer un léger sourire en direction du rouquin.

« Détendez-vous, rien ne presse. Allons rejoindre votre sœur, le rassurai-je avec douceur. Nous aurons tout le temps de nous poser les questions lorsque vous serez plus à l’aise. Oui oui, nous sommes venus seuls, nous pouvons rejoindre votre sœur dès maintenant. »

Durant ce temps, Ashley avait saisi la main de son nouvel ami, il semblait l’observer avec attention, sans trop savoir sur quel pied danser. Finalement, il attrapa sa main, se détachant de la conversation comme si elle ne l’intéressait pas. Mais je le savais attentif à ce que nous racontions. Ashley l’attira avec lui jusqu’à son fils.

« Je reste jouer avec toi, mais va voir… Le monsieur. »

Il se tourna subitement vers moi, le regard troublé, et suivant le fil de ses pensées, je compris aussitôt ce qui le bloquait. Je vins le rejoindre en posant brièvement ma main sur ma poitrine.

« Pourrions-nous connaître votre nom, afin que vous ne restiez pas un inconnu ? »

J’offris ensuite à Faolan un sourire bienveillant, en passant une main douce dans sa chevelure hirsute.

« Allons rejoindre… Rune, fis-je après une légère pause, il me semblait que c’était le nom qu’il avait évoqué plus tôt. Comme ça, vous pourrez jouer tous les trois. »

Prenant le chemin inverse que celui qu’ils avaient pris, nous avions pu rejoindre très rapidement l’enfant qui attendait, entourée de quelques familiers. Je m’installais dans l’herbe, passant doucement ma main sous ma robe afin qu’elle ne se froisse pas.

« Enchantée, tu dois être Rune, je m’appelle Mielle, et voici Ashley. »

Il inclina la tête poliment, son visage restant figé dans un marbre que j’avais du mal à comprendre. Aussitôt, il vient se mettre à mes côtés comme pour me protéger de son corps chétif. Le temps que tout le monde s’installe confortablement, je me permis enfin une minute de réflexion. Si on suivait le raisonnement du rouquin, nous serions également sous l’emprise d’un sort. Cela paraissait à la fois surréaliste, et totalement plausible. Ma mémoire était assez embrumée, mais ma relation avec Ashley était tout à fait naturelle. Cela voulait également dire que chacun avait un retour des événements complètement aléatoire. Pour quelle raison, nous n’étions pas conscients nous-mêmes d’avoir subi ces changements.

Aussitôt, je me retournai vers le rouquin.

« Je dois vous avouer que je suis un peu perplexe. Je ne sais pas trop où me situer dans cette histoire. C’est assez singulier. »

Voyant qu’il n’y avait rien à craindre, je remarquai qu’Ashley s’était rapproché à nouveau de Faolan, lui proposant de venir jouer avec lui. Il avait un peu ce rôle de grand-frère responsable, et c’était plutôt amusant à voir. Ayant une totale confiance en lui, je le laissai faire. Je reportai alors mon attention sur mon vis-à-vis.

« Je n’ai pas vu beaucoup de monde, et les rares personnes que j’ai croisé n’ont pas eu l’air d’agir étrangement, commençai-je. »

Les suspicions qu’il avait évoquées me paraissaient tout à fait plausible, même si difficile à avaler. Mais dans l’hypothèse où c’était le cas, il valait mieux mettre sur la table tous les scénarios possibles.

« Mais dans notre cas, nous avons un point commun, nous sommes accompagnés par un membre de notre famille. »

Il serait étonnant qu’une personne malveillante s’attaque à nous. Il n’y avait aucune raison de s’en prendre à nous.

« Il est fort probable que lorsque nous allons quitter le domaine, nous revenions à notre condition initiale. Si c’est dû au sort de quelqu’un, la portée de son pouvoir ne doit pas être infinie. Sinon, c’est uniquement le temple qui a cet effet sur nous. Dans tous les cas, ça ne peut pas être un enchantement permanent. »

Du moins, je l’espérais.

Je me levai doucement avant de venir déposer mes mains sur les épaules du rouquin pour tenter de l’apaiser. Il semblait réellement perturbé par cette situation inédite. Mais il n’était pas seul et c’est ce qu’il fallait qu’il comprenne. Alors qu’il continuait de déblatérer à toute vitesse pour faire taire son angoisse, je finis par attraper ses joues dans la coupe de mes mains, forçant son regard à croiser le mien.

« Respirez ! Finis-je par ordonner d’un ton ferme. Et calmez-vous. »

Lorsqu’enfin son regard croisa le mien, j’étirai un léger sourire rassurant.

« Tout va bien, vous n’êtes pas seul. Nous allons trouver une solution, je pense juste que nous avons été frappés par le don de quelqu’un, ou par une blague de Lucy, qu’en sais-je ? Je suis persuadée que tout reviendra comme avant. Alors asseyez-vous et essayez de profiter du beau temps. »

Je l’attirai avec moi sans geste brusque pour ne pas le faire repartir dans une crise de panique, puis en appuyant doucement sur ses épaules, je l’invitai à s’asseoir sur le sol. Puis j’attirai l’attention des enfants qui continuaient à jouer sans se soucier du monde qui les entourait.

« Nous sommes sur un lieu saint, si un idiot a l’idée de le profaner, il serait rapidement appréhendé par la garde. Nous ne risquons rien, affirmai-je. »

Pour qu’Ashley soit aussi détendu, il n’y avait vraiment rien à craindre, j’en mettrais ma main à couper.

« Nous allons profiter également de cette journée pour faire plus ample connaissance, d’accord ? »

Je lui lançai un regard pour lui affirmer qu’il pouvait se reposer sur moi et laisser ses craintes s’envoler. Les servants de la maison O’Callaigh ne devaient pas être loin non plus, s’ils avaient détecté le moindre danger, nous ne serions certainement plus dans l’herbe à profiter du soleil.

« Nous avons aussi quelques en-cas, c’est l’occasion de partager ! »

Je déposai le panier de pique-nique devant moi, ainsi, nous avons pu profiter un d’un repas convivial. Mon regard se posant régulièrement sur le rouquin pour le surveiller et qu’il ne reparte pas dans une crise d’angoisse.

« Un enfant est très sensible aux changements d’humeur des adultes, et ça a tendance à les stresser. Essayez de vous détendre un peu. Je vous propose une balade, comme ça, nous pourrons nous éloigner du site. »

Je me levai aussitôt, les aidant à ranger un peu tout, je poussai Ashley à faire de même pour qu’il ne se repose pas toujours sur les autres. Ce qui lui tira une grimace de mécontentement, mais il obtempéra pour ne pas faire d’histoire. Fière de lui, j’ébouriffai gentiment le sommet de son crâne.

« Bien ! Allons faire notre tour ! »

Ashley avait pris Faolan dans ses bras, il s’était rapidement pris d’affection pour lui, ce qui était assez amusant à voir en sachant qu’il agissait habituellement froidement en compagnie des autres enfants. Je croisai mes doigts devant moi pour étirer mes bras, la tête toujours embrumée par les récents événements. Il était vrai que tout me semblait à la fois si vrai, et si faux en même temps. Comme si quelque chose manquait, le fil conducteur de mes souvenirs. Pourtant, tout me semblait si naturel en étant aux côtés d’Ashley.

J’inspirai faiblement sans voir que nous étions en train de nous éloigner du domaine. Et peu de temps après, je vis complètement hébétée, Ashley tenant dans ses bras un homme à la chevelure blonde. La surprise le fit le lâcher aussitôt. La brume s’était levée, et j’y voyais enfin clair.

Lançant un regard un peu troublé vers Ashley. Je ne savais pas ce qu’il avait en tête, mais j’avais enfin la sensation d’être redevenue moi-même. Je sentis une main chaude se poser dans ma chevelure, avant de voir l’enfant autrefois adulte. Accourant à ses côtés, je viens l’attraper dans mes bras, pour ne pas qu’il retombe sur le sol. Mon regard croisa celui de mon père qui hocha doucement le crâne.

« J’ai l’impression que nous avons subi un malheureux incident. »

Il se pencha pour proposer une main et aider le cuisinier à se relever.

« Je m’excuse de la brutalité de mon geste, j’ai été légèrement surpris. Mais cela semble derrière nous.»

Timidement, je m’approchai de Faolan, tenant toujours le bambin dans mes bras, tirant doucement son haut pour avoir son attention.