« T’as vraiment pas de chance, le vioc. Tout le monde finira par te trahir un jour ! »
Il sursauta.
Mistigri, qui s’était reposé pile sur le plexus d’Arban, l’avait involontairement asphyxié dans son sommeil. Il bondit de peur au sursaut de son être humain de compagnie et détala dans un miaulement plaintif jusqu’à regagner sa cachette où il était hors d’atteinte même du Commandant. Le vieil homme retrouvait peu à peu ses esprits, arrachés à d’autres songes désagréables dont les traces demeuraient encore sur ses rétines fatiguées.
Il soupira longuement et se massa les tempes. Le soleil était à son zénith. Il n’avait que trop peu dormi à avoir passé une partie de la nuit à discuter avec Plume sur sa terrasse. Alors qu’il se remit d’aplomb, buvant un thé fumant accompagné de deux pommes, il se remémora les derniers évènements : la capture précoce de Klarion, son relâchement imminent et son aide à l’arrestation de l’Assassin de la Couronne.
« Pourvu que le gamin fasse profil bas… dit-il à haute voix. Si ça se trouve il est aussi turbulent que ce con de Mistigri. Pas vrai Mistigri ? »
Pas de réponse. Malheureusement pour lui, ses chats, à qui il exhibait peut-être un peu trop d’affection, n’avaient pas un sens de l’humour suffisant pour réagir aux fausses invectives d’Arban.
« Mistigri, je plaisante. T’es pas con. C’est juste que t’as pas été gâté par la nature. »
Un silence.
« Mistigri ? »
Mais aucune réponse ne vint.
« En fait, il se fout de ma gueule… Kitty Blinders ? »
À l’ouïe du mot magique, ses deux chats émergèrent de leur cachette, sages comme deux images, toisant Arban dans l’attente de pouvoir se remplir la panse.
« Ah. Là, on parle la même langue… Cons de chats… »
Le vieil homme se redressa pour attraper le gros sac sur une étagère et verser des portions raisonnables pour ses félins qui ne se firent pas prier et vérifia leur eau également.
« Bon, vous connaissez la chanson, Mistigri t’arrêtes de faire chier Marquisette, et Marquisette t’ouvres pas aux voleurs de chats. Je sors. »
Mais aucune réponse des deux félidés affamés. Arban en profita pour quitter les lieux sans demander son reste, son rêve de la veille encore frais dans son esprit.
Ma plus grande peur est d’être trahi.
Toujours dans son accoutrement de roturier un peu rustre, le poil mal rasé et les cheveux légèrement en bataille, il avait vraiment l’air de quelqu’un de peu recommandable, ce qui lui valu un contrôle facial alors qu’il foulait le pavé en plein jour.
« Ahlan Börs… Connais pas. Et vous faites quoi dans la vie ?
— Magicien de table.
— Mais je vous reconnais, je vous ai déjà reconnu quelque part… Je suis sûr que je vous reconnais.
— Désolé, monsieur le Garde, mais c’est moi qui vous reconnais. Je vous ai vu le premier, vous, vous m’avez vu le deuxième. Vu ? »
Le garde haussa un sourcil.
« Bon… Eh bien… On a qu’à dire que je vous ai vu le deuxième alors, voilà.
— Perdu ! de répondre Arban. C’est aussi moi qui vous ai vu le deuxième.
— Oh mais dis donc, vous êtes super fort, monsieur le Magicien !
– Je ne suis pas super fort, je suis mieux que ça, même, je suis surpuissant. »
Sur ces mots, Arban, pleinement dans son rôle d’individu lambda, un poil sympathique, fit un signe de la main au duo de gardes avant de s’éloigner.
« Bon, ben lui, il m’a pris la tête, de souffler le garde à son collègue. »
Mais s’il y avait un individu qui avait également semblé très sympathique au Commandant, s’en rappelait-il, il s’agissait ni plus ni moins que de Whiskeyjack Callahan, conseiller de la Guilde de son état. Il s’en était rappelé alors qu’il était passé par hasard devant le Quartier Général de l’organisation notoire. La façade payait plus de mine que celle de la caserne, des fois le mercenariat devait être plus lucratif que l’armée.
Il ne se fit pas prier pour pénétrer dans le hall, où des bonnes gens divers et variés allaient et venaient, ou se racontaient les derniers potins. On dévisagea quelques instants Arban, avec un air de « jamais vu ce type », et puis on vaqua de nouveau à ses petites occupations.
Le vieil homme se dirigea, d’une démarche militaire presque traitre, vers la personne à la réception pour lui adresser sa requête, simple comme bonjour.
« Bonjour. Monsieur Callaghan est-il présent aujourd’hui ? Auquel cas dites-lui que c’est de la part de son copain Arban qui souhaite lui présenter ses respects. »
Il forca un sourire courtois. Il n’avait vraiment pas envie d’attirer l’attention sur lui, surtout dans un accoutrement pareil, et s’il y avait quelqu’un qui pouvait l’aiguiller sur deux trois choses à faire, c’était sans doute cet homme affable à la moustache soignée et au regard rieur.
Pourvu qu’il daignât le recevoir.
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