C’était une patrouille comme une autre avec un détachement de la Garde Forestière. Une unité mixte comprenant des Belluaires et des Grognours du Blizzard. Ca nous permettait de ratisser une grande zone le long de la frontière qu’on partageait avec les deux régiments. C’était la solution la plus simple qu’on avait trouvé pour éviter ce séparatisme qui a duré un certain temps.

Nous étions une dizaine de cavaliers, quatre Belluaires, cinq Grognours et moi en tant qu’officier. Le temps était doux pour cette période estivale, un peu trop même et la pluie a été omniprésente. Ce n’était pas un réel souci pour nous, les gens du Nord mais j’avoue que si la température était plus élevée, ça nous ne ferait pas de mal.

Comme je le disais c’était une patrouille soi-disant de routine. Accompagnée de mes trois familiers comme toujours, ils s'occupent de surveiller la zone devant nous. Lucy était une jeune catosorus bientôt adulte qui servait surtout pour le chargement des affaires dans les milieux difficiles, Loki, un kitsune adulte était un combattant et protégeait Lucy de tous les dangers si nécessaire. Il restait mon Laium, il avait quelques saisons mais c'était notre éclaireur volant. Tous les trois, nous avions une liaison télépathique et tous les trois étaient entraînés pour être des soldats. Ils savaient quoi faire dans chaque situation et si ils ne savaient pas quoi, ils devaient se replier.

C’était Lancelot qui m’interpelle le premier. Un groupe de personnes étaient non loin de nous, pas encore à porter de vue, pour nous simples humains mais nous serons sur eux d’ici quelques minutes. D’après le jeune Laïum, le groupe semblait bizarre et portaient des capuches. Lancelot avait encore du mal avec les explications mais il me dit que les gens se battaient et qu’il fallait faire vite. J’hurle alors à mes subalternes d'accélérer le pas, nous devons faire au plus vite. Avec nos diverses montures, nous arrivons très rapidement sur la zone. Nous n’étions pas discrets mais la scène fut horrible. Un corps d’un enfant était allongé là, sur le sol. Sur le moment, je ne savais si il était en vie.

- Lucy, Loki, pourchassaient les. Deux hommes par familier.  

Chaque familier part dans une direction et deux hommes partent à leur poursuite des fuyards. Je pose aussitôt pieds à terre et court vers l’enfant. Son teint était blafard, ses poignets étaient maculés de sang. La colère montait en moins.

- Mais qui peut bien faire ça Lieutenant ?

Une Belluaire s’était rapprochée du corps. Elle avait quelques notions de médecine mais rien pour le ramener à la vie.

- Il est mort depuis une heure mais pas plus.
- Ils vont me le payer.  

Dis-je en me contenant d’hurler.

- Lieutenant, rien ici. Aucun indice, rien.
- Je suppose qu’ils étaient cinq d’après les traces.
- Vous croyez que c’est encore cette secte ?
- Le truc des Gloots ? Non pas possible, j’étais là lors de l’assaut. Nous avons mis fin à ça.

Malheureusement pour eux, après l’entretien récent avec la Ministre de la Justice et une garde de la commission, Garde Tylwaen, ils auraient refait surface.

- Lieutenant, vous avez des informations ?
- Hélas, oui.

Tous me regardent avec attention. Effectivement, certains étaient déjà présents lors de l’arrestation du groupuscule. Il y avait la jeune Mavrocordato mais elle était prise ailleurs pour cette semaine.

- La commission avait des soupçons. Des preuves de leur renaissance, peut-être que c’était vrai.  

Je ne voulais pas le croire et surtout ça ne correspondait pas à leur manière de faire. Est-ce que le nouveau chef voulait faire pire ? Voulait-il vraiment appeler le fameux Maître ? C’était assez simple en soi. Trouvé l’enfant élu, la meilleure offrande qui pourrait plaire à ce maître, ce gloot. Je n’avais pas encore déterminé la raison de tout cela. Je sais qu’ils ont enlevé tous les enfants qui traînaient dans les rues. D’abord dans les villages de la Grande Forêt puis ensuite dans la Capitale. C’était fait discrètement puis l’appel du pouvoir leur a fait faire des erreurs. C’est comme ça que nous avons remarqué ses disparitions inquiétantes. Jamais des enfants de nobles pour éviter de s’attirer la foudre de certains, non ils étaient intelligents et leur précédent chef était le parfait des manipulateurs. Ils promettaient monts et merveilles à ses familles sans sous. Assurant un avenir à ses enfants. Aucun enfant a été tué dans cette première affaire. Le chef se contentait de présenter les enfants devant une grande statuette, attendant la révélation mais peut-être que le sacrifice était nécessaire ou finalement c’était lui l’élu ?

- Faites moi une civière, on doit l’amener le plus rapidement possible à la Capitale.  

Je sais qu’un homme pouvait nous aider, il travaillait pour l’Astre de l’Aube. Une organisation fiable à la Capitale, du moins je le crois mais le légiste saura quoi faire, je sais qu’il peut découvrir les circonstances de la mort d’une personne. Je n’ai jamais compris comment avec une autopsie, on pouvait savoir ce qu’il a mangé trois jours avant mais cette médecine était mon seul recours. Je ne veux pas qu’un autre enfant soit en danger.

- Lieutenant, ils se sont volatilisés…

Je tourne la tête vers le premier groupe qui est revenu avec Lucy. Celle-ci avait les oreilles baissées, triste d’avoir échoué.

- Peut-être que l'autre groupe aura une chance.  

La civière était presque prête. Je profite que Lucy soit présente pour ajuster son harnais. L’avantage des catosorus, c’est qu’il n’était pas très haut, parfait pour traîner une civière.

- Fixez bien le corps, nous partons dès que possible.  

J’envoi un message télépathique à Loki pour lui signaler la suite du plan. Il m’annonce en retour que la chasse semble perdue. Tout le monde regagne sa monture et nous marchons plein Sud-Est. Nous avons pour une journée de cheval et nous devons prendre toutes les précautions pour le corps.

- Allons-y.

Nous ne pouvons pas aller plus vite mais si on ne s’arrête pas, on sera aux portes de la capitale demain matin. On aurait pu arriver plus tôt sans la civière mais nous ne pouvons pas précipiter les choses. La route se fait en silence et Loki avec les gardes finissent par nous retrouver, bredouille. Nous n’avons aucune piste et cela m’enrage encore plus.

- Qu’un détachement parte devant pour prévenir notre arrivée et chercher ce légiste.
- Oui, Lieutenant.

Deux Belluaires partent à vive allure. Ils connaissaient le terrain et j’avais toute confiance en eux. J’attrape ma besace et me restaure un peu.

- Lancelot, reste près de l’enfant s’il te plait. Fais le nécessaire.

Il comprit sa mission et s’occupa de conserver le corps à la bonne température grâce à son souffle. La nuit commence à faire son apparition, le sommeil nous guette mais nous avons tous l’image de l’enfant. Personne ne veut faillir et nous restons éveiller pour la bonne cause. Nous devons rendre justice à cet enfant, quelque soit le prix. On fit quelques pauses techniques mais jamais très longues. C’était surtout pour nos bêtes avant de reprendre le chemin. Quand les portes de la Capitale étaient à vue, un détachement était déjà là. Les deux gardes de la veille étaient là ainsi que trois autres. Ils venaient nous porter secours et surtout ouvrir la voie pour rejoindre l’Astre de l’Aube.

- Madame, votre arrivée est attendue. Nous avons expliqué la situation
- Merci.

Je jette un regard en arrière, sur la civière. Un drap recouvrait le corps mais tout le monde pouvait voir la petite silhouette. Les gardes de la Capitale faisaient en sorte de cacher le chargement mais on sentait le regard apeuré de certains. Une jeune femme arriva en pleurs.

- Lieutenant Alnilnam, ne me dites pas que c’est Sam !

Il y a encore deux saisons, j’officiais à la Capitale. De nombreuses personnes m’avaient croisé dans ses rues lors de mes patrouilles mais surtout, nous étions dans le quartier où vivait ma mère.

- Ne vous inquiétez pas Madame Cica, ce n’est pas lui.  

Elle pousse un soupir de soulagement mais d’autres mères nous regardaient, anxieuses. Est-ce que c’était leur enfant ? Je pouvais comprendre leur peine et je vois enfin le bâtiment tant recherché. J’avais vu sa construction mais jamais j’étais rentrée dedans. Il pourrait faire concurrence au Palais mais je n’avais pas le goût à l’architecture, non je devais voir cet homme au plus vite. Une fois aux portes de l’hopital, on descends tous de cheval, on détache la civière et quatre gardes s’en emparent pour la porter à l’endroit adéquat. Un autre s’occupe de nos montures. Je me tourne vers mes familiers.

- Allez au bastion de l’Ile Rocheuse.  

C’était mon ancienne caserne et je savais qu’ils trouveraient la route.

- Lancelot, suis-les, tu ne crains rien.

Pour mon Laïum, c’était différent mais Lucy et Loki vont s’en occuper.

- Allons-y.

D’un signe de tête, on entre dans le bâtiment. On nous dirige entre les divers couloirs et autres passages quand on arrive enfin à la morgue. Rien que ce nom me fait trembler et je n’avais pas envie de mettre le pied dans cette pièce. Les souvenirs de la mort d’Elina me reviennent, est-ce que cet enfant avait de la famille ? Il fallait retrouver ses proches, que quelqu’un le pleure et qu’il ne soit pas un simple inconnu…
On finit par entrer dans la grande pièce, j’espère que mes hommes avaient expliqué la situation au légiste…

Restez forte, voici le mot d’ordre que je me répète sans cesse dans ma tête depuis que je suis entrée dans la morgue. Je n’aimais pas cet endroit, ce n’était pas ma place alors que l’homme en face de moi déambulait de façon tellement évidente. C’étaient ses quartiers, son environnement de travail. La mort… Comment pouvait-il exercer ce métier ? Jour après jour, voir le corps de personnes dans un état plus ou moins correct puis voir un enfant sur cette table. Il avait des gestes méticuleux, respectueux même. Il semblait être sûr de lui, il ne défaillait pas, du moins, ne laissait rien paraître, il faisait son travail. Est-ce qu’il ressentait de la peine ? Moi, je serrai le pommeau de mon arme. Ma main en devient blanche tellement je sers fort. Non, ce n’était pas normal que cet enfant soit mort. Accidentellement ou non. Même la maladie ne devrait pas pas exister pour eux mais si les conclusions du directeur prouvent la maltraitance et pire encore la mort, je retournerai toute cette forêt pour les retrouver !

Alors machinalement, je finis par dire à l’homme.

- Non, je reste… Je le dois…  

Car oui, je le devais. Pour lui, pour savoir son sort, ses derniers instants et avoir des indices. Qui était ce garçon. Je ne pouvais pas dire l’âge exact mais certainement une dizaine d’années. Brun et je n’avais pas vu la couleur de ses cheveux. Il n’était pas grassouillet, loin de là. Ses mains étaient abîmées, il n’avait rien d’un enfant de bonne famille, oh non, il travaillait peut-être un peu dans les champs pour aider. Il n'était certainement pas de la capitale mais des environs, dans la grande forêt. On pourrait demander aux Belluaires de poser des avis de recherches dans chaque village et hameau du coin. Mais ça prendrait du temps, beaucoup de temps, mais si il le fallait, on le ferait. Je demanderai au Lieutenant Anggun qu’elle dépêche, elle aussi, une équipe.

- Nous avons trouvé des hommes proches de l’enfant que nous sommes arrivés. Ils ont fui lâchement par je ne sais quel miracle. Est-ce que c’étaient les coupables ? Il est difficile de juger trop vite mais je suis sur une affaire d’enlèvement d’enfants depuis deux saisons. Leur mode opératoire semble avoir changé. Je ne veux pas croire qu’ils tuent leurs proies maintenant, ils se contentaient de les enlever auparavant.  

Du moins, nous n’avions aucune preuve qu’ils faisaient plus antérieurement.

- Ils ont fui donc ils avaient quelque chose à se reprocher mais ils avaient le visage couvert, des capes. Il n’avait pas de traces de sang importantes, le mal a été fait ailleurs.  

Quand nous sommes arrivés, ses poignets ont été ouverts, tout semble croire à un sacrifice mais je pouvais me tromper.

-  Est-ce qu’il était conscient quand c’est arrivé ?

Car c’était une mort horrible, sentir sa vie nous quitter. C’était totalement affreux et inhumain.

- Je suis désolée de vous poser trop de questions… C’est juste que… ça fait toujours quelque chose de voir ça. Je suis Garde depuis des années mais on ne s’habitue jamais à la mort. Lucy nous aime, elle est clémente et si des hommes ont commis de pareilles cruautés, je ne pense pas que Lucy puisse tolérer cela. C’est pour ça que je suis là, punir ses gens pour Lucy, que leurs crimes ne restent jamais impunis...

Elle m’a choisi, je le sais. Je me rappellerai de cette nuit, dans mon sommeil. Elle m’a dit de rejoindre les forces armées, elle avait besoin de mon aide. Je veux accomplir cette mission car Lucy est bonne. Lucy est aimante et je le dois. On peut me prendre pour une folle mais c’est dans ce genre de cas que je ressens mon lien avec la divinité. Un signe qu’elle m’a mis sur cette route pour que je résous cette affaire.

- Mais je vais rester silencieuse. Continuez s’il vous plaît, essayons de trouver des réponses à toutes nos questions.  

Si je ne peux pas savoir de quoi il est mort, je devais savoir qu’il était. Une piste, une direction, des parents le pleure et je veux permettre à ses parents de faire leur deuil...

Je reste de marbre face à ses conclusions mais cela reste difficile. Les paroles du légiste sont réconfortantes dans certains cas, comme les paroles de Frère Paul. Tout n’était pas blanc ou noir, il y avait des nuances de gris. La clémence de la déesse Lucy était sans faille, on pouvait toujours trouver l’absolution dans notre vie si on s’efforce à aller vers la lumière. Mais ses hommes, ceux qui ont fait du mal à cet enfant, n’auront pas cette chance, ils ne la méritent tout bonnement pas.

- J’aurai voulu que cette horreur n’hésite pas mais on ne connaît pas la perfidie de l’homme. Nous avons chacun un devoir à faire. Vous, lui permettre que son âme rejoigne Lucy et moi, de punir ses agresseurs.

Je suis la main de Lucy, la main de la justice, voici ma mission. Comme noté ses pistes pour retrouver sa famille. Une semaine, une charrette. Je voyais déjà les villages possibles. Je vais demander à la Garde Forestière de faire un tour et chercher les enfants disparus. Quand nous aurons trouvé ce village, nous aurons un parcours et peut-être nous trouverons leur repaire. Mais cette forêt était remplie de bonnes cachettes, tout comme dans les Montagnes, on pouvait s’y terrer sans croiser un seul homme si on le souhaitait.

- On l’a donc ligoté… j’avais une piste sur les ravisseurs mais il ne faisait pas de mal aux enfants avant. Un changement bien radical car pour eux, l’enfant est l’élu. Ils ne devaient pas abîmer la précieuse marchandise.

Peut-être que ces deux affaires n’ont rien à voir, peut-être qu’ils prennent l’apparence de la secte du Gloot Sacré pour brouiller les pistes. Mais pourquoi vouloir des enfants surtout aussi mal nourri ? Un réseau de proxénétisme ? Attendons les résultats de son estomac pour savoir si il y a eu des drogues d’ingérer.

- Je vais me contenter d’aller par là-bas.  

Je pointais le fond de la salle, là où les relents ne se feront pas sentir. Voir le légiste faire un état des lieux du cadavre, ça passait mais l’ouvrir, non, c’était de trop. Je ne voulais pas que ses images restent pour les prochaines nuits, autant assumer et me tourner.

- Appelez-moi si besoin.  

Je n’étais pas très loin, je pouvais entendre les coups de ciseaux, le scalpel, les odeurs qui arrivaient jusqu’à moi. Je me mets la main devant le nez, essaye de garder mon calme, en inspirant par la bouche et me concentrer sur mon expiration. Une vieille méthode pour calmer les crises. Tout le monde pense que nous, les officiers, nous n’étions pas infaillibles, mais pas du tout. Nous n’étions pas des surhommes, on faisait juste avec.

- Alors Messire Svenn ?

Est-ce que cet enfant avait souffert ? C’était la seule chose que je voulais savoir. Ma colère était certainement bien visible et cette information, l’attisera ou non.

- Je ne sais pas si vous avez des artefacts magiques dans votre hôpital. Ceux qui permettent de savoir si de la magie a été faite sur l’enfant. Des runes ou autres enchantements. Cela me guiderait beaucoup, si je dois suivre une piste de bourreau d’enfants, des enchanteurs fous ou autres.

Certains objets magiques existent mais ils étaient rares. Peut-être que l’Astre de l’Aube en possédait, je tentais ma chance…

-  

La réflexion du légiste m’interpelle. Et si il avait raison ? Ce changement opératoire est peut-être le signe d’un mauvais présage. Des expériences ? Ils ne reculeront plus sur leur soif de pouvoir ou tout simplement, l’intégrité de l’enfant n’est plus leur priorité. C’était le signe d’une cascade de violence à venir s' ils continuaient à suivre ce dangereux chemin. Une boule au ventre se forme peu à peu, j’avais un mauvais pressentiment et j’ai l’impression que je manque cruellement de temps. Comment je vais pouvoir ratisser la moitié du Royaume pour trouver les coupables. Ca fait des lunes qu’on cherche ses fidèles et maintenant qu’ils savent que nous les poursuivons, ils vont faire attention à leurs moindres gestes.

L’homme était désolé d’avoir émis cette hypothèse mais malgré tout, il retourne à son travail me donnant son Médaill’ond’air. L’attention me touche et, bien entendu, ma fierté de soldat est remise en jeu.  Dans les premiers temps, je ne fis rien mais quand les minutes défilent, je finis par enfiler le collier pour abréger les souffrances de mon nez et mon estomac. Comment peut- on vivre ce genre de choses quotidiennement ? Les gens pourraient dire la même chose sur mon travail. Beaucoup pensent que je tue des gens tous les jours ou que j’affronte les gens avec mon épée. Il était rare que je l’utilise. Nous étions surtout une force de dissuasion et notre présence peut calmer de nombreux conflits. Au Blizzard, nous avons surtout un devoir de secours chez les Grognours. Aidant les imprudents dans les montagnes. Elle était dangereuse et un néophyte pourrait finir au fond d’un ravin s' il n’avait pas pris la peine de lire une carte.

Je m’efforce à penser à autre chose, tournant en rond, réfléchissant à la meilleure façon de faire avec différentes escouades. Quatre, cinq équipes ? Est-ce que je peux demander au Capitaine de me donner plus d’hommes pour renforcer la Garde Forestière ? Je devrais aussi voir avec le Lieutenant Anggun aussi. Les faits se passent sur le territoire des Belluaires et en limite de nos vallées. Non l’affaire est plus compliquée que ça, c’est sûr… Non, attendons les conclusions de l’homme et je finis par me tourner. Une main passe aussitôt devant ma bouche pour réfréner ce haut du cœur soudain. La vue était impensable mais ça n’a rien à voir a de pauvres malheureux dévorer par des bêtes, c’était qu’un enfant. Je regarde alors le phénomène, cette brume bleue… Ai-je rêvé ? Le corps semble comme avant, une magie de réparation ? Bien pratique pour un homme de son statut. De toute façon, je préfère le voir ainsi, au moins Lucy l’accueillera dignement dans ses bras.

Enfin je cligne un peu des yeux, essayant de comprendre son raisonnement. Les pilules de Weissium. Un sujet courant de contrebande ou autres trafics. Tout ce qui est réglementé par la Couronne se retrouve dans un marché parallèle. Rien ne m’étonnait dans l’esprit perfide des hommes surtout sur ce genre de produit.

- Donc, nous étions proche de leur base je suppose. Si ça remonte moins d’une heure avant sa mort, ils ont dû tenter leur expérience à un point de ralliement ou autre sanctuaire. Tenter ce genre de choses lors d’un convoi n’est pas envisageable.  

La piste se resserre donc ma zone a fouillé est plus restreinte. C’était une bonne nouvelle en soit.

- Je vais voir la brigade qui surveille ce marché pour ces pilules. Ils sont discrets mais peut-être qu'on pourra remonter une autre piste. Si une grosse quantité a été stockée, peut-être que cet enfant ne sera pas le dernier malheureusement...  

Mais je voulais savoir si la magie avait officié sur cet enfant. Le trafic d’enfants était une chose mais si des enchanteurs étaient dans le coup, nous devions prendre plus de précautions. Le regard grave du médecin requiert mon attention. Est-ce que j’ai dis quelque chose de mal ? Est-ce contre nature de faire ce type d’analyse sur le corps d’un défunt ? Peut-être que c’est profané le repos du mort ou un affront à Lucy. Je pense qu’elle comprendrait si c’est pour retrouver ses assassins, je le fais pour la justice et non par vengeance. L’homme resta dans son silence, happé par ce livre. Peut-être que ce grimoire a la solution. On pouvait réellement trouver de tout dans ces bouquins, on a qu’à voir le nombre de livres qu’il peut exister !

Mais le silence s’arrêtera par cette demande étrange. Mes yeux s’ouvrent en grand, d’abord par surprise. Il pouvait avoir des réponses, mais c’était génial mais pourquoi ce mystère ? Mon esprit reprend aussitôt le dessus. Si il me demande le silence, c’est que c’était une vieille magie, une magie interdite aussi. Je préférais faire mon couplet d’honnête soldat malgré tout.

- Vous savez, je fais partie de la Garde Monsieur. Si ce que vous faites est illégal, il va m’être difficile de fermer les yeux. Lucy n’est pas la seule juge dans cette histoire. Tout le monde pense faire le bien mais nous n’avons pas tous le même jugement...  

Je m’avance d’un pas vers lui.

- Mais si je peux avoir des réponses pour aider cet enfant, je voudrais les connaître, c’est certain. Si vous avez peur que je divulgue votre pouvoir, car il semble que c’est une magie qui vous appartient non ?  

Peut-être est-ce tout simplement le livre.

- Si vous ne souhaitez pas être harcelé par votre don et que votre… moyen n’est pas illégal ou dangereux pour l’enfant alors j’accepte. Rien ne passera l’enceinte de ce mur. Si c’est quelque chose que je ne devrais pas savoir, alors cette discussion n’a jamais eu lieu. Vous voulez me rendre service et je vous remercie pour votre courage, je ne voudrais pas vous mettre dans l’embarras. Que Lucy en soit témoin.  

Je lui laissais le choix et si nécessaire, je pouvais aller dans la salle d'à côté s' il ne souhaitait pas voir sa magie en action. Chacun veut garder ses secrets, je pouvais le comprendre.

- Je vous laisse le choix Monsieur Svenn. Quelque soit votre choix, vous m’avez beaucoup aidé mais aussi l’enfant.  

J’affiche un timide sourire. J’avais quelques pistes pour mon enquête et c’était déjà un grand pas...

Alors il peut lire les souvenirs des morts, son pouvoir… c’était un fardeau. Je conçois qu'il ne souhaite pas ébruiter son don. Il pourrait aider des personnes aux bonnes intentions mais le monde n’était pas aussi beau. Beaucoup cherchent le pouvoir, les informations croustillantes. Que devrais-je faire de cette information. Il pourrait m’aider dans tellement d’enquêtes mais si il ne s’est pas pas proposé à la Garde, c’est qu’il avait des raisons. Il voit déjà toutes les atrocités sur sa table de légiste alors revivre la scène ? Ça lui coûtait certainement plus que ça, tout le monde le sait que notre don demande toujours quelque chose en échange. Notre âme, notre vitalité, notre force, est-ce qu’il a aussi un tribu important à chaque utilisation ? Ce n’était pas le moment de parler de ça mais je regarde ce Frère. Il appartenait au même culte que moi, il était un pratiquant, un fidèle. Est-ce Lucy qui m’a mise sur sa route, est-ce qu’il pouvait m’aider dans d’autres affaires ou autre chose ? Il faudrait que je me penche sur la question mais l’homme cherche mon soutien et surtout ma confiance.  J’essaye de la rassurer, affichant une expression plus qu’amicale et essayant de faire tomber le masque d’officier de la Garde. Mais avoir l’uniforme, l’armure, les armes… ça n’aidait pas.

- Je ne dirais rien, mon Frère.  

Je signe après cette promesse, prouvant ma sincérité. Il était bien rare que je le fasse en public mais je me dis qu’il comprendrait. Je le promets face à Lucy, je le laisserai tranquille. Lui, son livre, ses affaires. Notre Déesse sait ce qu’elle fait, elle n’aurait jamais donné ce genre de don à quelqu’un qui ne le mérite pas. C’était ma conviction. Je laissais donc faire. Il prends la main de l’enfant délicatement, se concentre et se fige en jouant avec les souvenirs. Les minutes défilent et j’ai peur. Alors quand il utilise son pouvoir, il devient vulnérable, il m’a fait totalement confiance et je le remercie intérieurement.

Son juron me fait sursauter dès que ses yeux se posent sur moi. Je suppose que je ne vais avoir aucune bonne nouvelle et je vais devoir prendre sur moi. Je m’efforce de rester calme et prends un calepin pour noter les informations. Oscar Helgal, Dragir, proche de la Capitale, Elios Malterre, la technique pour attraper les enfants puis la fin… Il a vécu l’enfer. Lucy, si tu m’entends, sauve son âme…

- Je dois savoir, je dois rendre justice. C’est un sacrifice inévitable.  

Oui, j’ai peur de ce que je vais ressentir mais je le dois. Pour Oscar, pour les autres enfants. Si je me concentre sur le village, la position du soleil, je connaîtrais une direction. Je dois déterminer dans quel quart je dois chercher. Ça m’évitera de fouiller toute la périphérie, puis estimer la distance. J’ai une bonne orientation et une bonne notion pour déterminer mon environnement. Si on voit les flèches, nous sommes à moins 7 lieues, ma liste diminue grandement et ça me rassure.

- Je vais voir si je peux trouver autre chose.  

Je pose fébrilement la main sur le livre et je me sens emportée par les évènements. Je vois avec le regard d’un enfant. J’étais plus petite, tout me semble plus grand et je vois les flèches, le soleil face à moi. Il semble bien haut, nous sommes donc vers l’ouest comme je vois cette école. Les ardoises sont de la couleur de la carrière de Banise, je ne pouvais les rater, cela me confirme ma zone. Je continue l’exploration, la forge, l’écriteau puis le garde avec l’insigne des Belluaires. Il traîne souvent par là, peut-être en permission ou patrouille de routine. L’enfant semblait bien l’aimer puis il voit ce chien, il court. Puis après les actions s’enchaînent, je ressens la peur, un point apparaît dans mon estomac, ma gorge se serre. Je suis dans la prison, je vois ses silhouettes, j’entends les prières puis l’enfant qui hurle, qu’il essaye mais il est au bout de ses forces. Il pleure, j’ai l’impression de sentir mes larmes sur mes joues. Comment Aord peut revivre ça, comment ? On se déplace, on bouge, les chariots, le bruit des roues dans le sable. On doit prendre une route secondaire, les axes principaux sont carrossables avec une grave fine.  Je tremble de froid et j’ai l’impression de reconnaître où nous étions. J’ouvre les yeux directement, je ne voulais pas revivre sa mort.

Je m’appuie aussitôt sur la chaise la plus proche, m’assoit et reprend mes esprits. Je n’ai jamais vu la mort de si près, je ne me suis jamais sentie aussi faible… C’était bonnement horrible. Le médecin me regarde et je comprends alors…Je n’ai pas besoin de lui expliquer ce que je ressens, il doit certainement le savoir alors je passe à l’autre sujet.

- J’ai eu quelques indices supplémentaires, je pense quadriller une zone de recherche. Je vais faire appeler le Belluaire, il pourra peut-être m’expliquer la situation. Mais maintenant, je dois retrouver les enfants de ce petit et leur annoncer.  

Je vais devoir passer à la Caserne Centrale pour récupérer les dossiers des enfants disparus. S' ils utilisent un appât, je vais retirer tous les dossiers de suspicion de fugue.

- Vous avez déjà fait beaucoup et je ne peux vous en demander plus. On doit le laisser partir et prier pour son départ. Lucy nous a mis sur une route commune pour résoudre ce mystère. Je le ferai et je traduirai ses assassins en justice. Voilà ce qu’il mérite.  

Il mériterait plus que ça mais ce n’est pas à moi de faire tomber l’épée contre leur perfidie. Ils seront jugés et condamnés.

- J’aurai peut-être une question à vous poser. Dois-je la vérité à ses parents ?  Savoir que son enfant est parti dans d’atroces souffrances ou simplement rien leur dire. Lucy prône la vérité mais est-ce bon dans ce cas ? Je ne sais que faire mais je ne veux pas ajouter une double peine, ils méritent de pleurer leur enfant mais pas cette atrocité.  

Peut-être qu'il n’avait pas de réponse mais je cherchais un conseil… d’ami ?

Les images tournent en boucle dans mon esprit et j’essaye de penser à autre chose, me focaliser sur quelque chose de rassurant, quelque chose qui me retient de plonger. Cette seule chose était Aord, le directeur de la morgue. Je trouvais la situation ironique mais le réconfort de la main sur mon bras était le bienvenu. Je reviens sur terre et formule mes doutes. Que dire aux parents, la vérité, un mensonge par omission ? Certaines vérités étaient dures à entendre mais il avait raison. Je n’avais pas à choisir à leur place. Ils pouvaient faire le deuil de leur façon…

- Je comprends...  

Oui je le comprenais mais je ne voulais pas être la personne qui va annoncer la mort de leur enfant ainsi que tout le mal qu'il a pu subir. Annoncer le décès aux proches de la victime n’était jamais une chose facile et cela m’imputait en tant qu’officier de cette affaire. Une chose que je voudrais bien me soustraire mais je n’avais définitivement pas le choix.

Puis il avait raison, la seule chose que je pouvais faire, c’était mettre aux fers les coupables. Ma détermination envahit de nouveau mon corps et un léger regain d’énergie apparaît. Voilà pourquoi Lucy m’a envoyé ici, j’étais son bras armé. Mon poing se resserre et je fixe mon vis à vis. Le frère était en dernière ligne, il n’était pas au front comme moi mais il aidait à sa façon. Permettre le salut d’une âme et que celle-ci puisse rejoindre notre Déesse. C’était tout aussi important.

- Je vous le promets, à vous, à Oscar.  

Mon regard se jette sur la dépouille de l’enfant. Un voile de tristesse balaye mon visage.

-  Je vous promets que je vais trouver les coupables. Pour lui… et pour moi.

La main sur le cœur, je prononce ce serment. Car il faut être honnête, je ne le fais pas simplement pour lui mais je dois apaiser mon âme après ce que j’ai vu. Mes prochaines nuits seront difficiles et je trouverais la paix quand j’aurai fait le nécessaire.

- Vous savez, on arrivait à résoudre des enquêtes sans votre aide. Après ce que j’ai vu, utiliser votre don… je ne pourrai pas vous demander de le faire sauf si je suis dans une impasse. Vous ne pouvez pas subir tout ça sciemment en sachant ce qu’il vous coûte de le faire. Donc merci de votre aide mon frère. Merci.

Peut-être une première esquisse de sourire après ses révélations.

- Merci pour tout, je resterai discrète comme je vous l’avais promis. Je serai vous trouver si nécessaire. Vous êtes un homme bon, tout comme votre père. Je ne le connais pas personnellement, il n’est pas dans mon bataillon mais les retours que j’ai, ne sont que positifs.  

Je ferai un petit saut à son campement un jour si j’ai l’occasion. Je me déplace vers l’enfant, ma main sur son avant-bras. Je fis une prière silencieuse et me recueille quelques instants. Repose en paix, Oscar, je me charge du reste. Ma main quitte son corps froid et j’attrape mes dernières affaires. Un coup d'œil vers le livre magique. J’espère qu’il prendra toutes les précautions pour que ce grimoire ne tombe pas dans de mauvaises mains.

- Docteur Svenn, je pars annoncer la nouvelles aux parents. Prenez soin de vous.  

Je finis par quitter la salle, un poids sur le cœur.