Esquive à droite, j’évite un seau d’eau qui manque de me tomber sur les pieds et de tremper ma tunique. Peut-être ou peut-être pas parce que mon cri soudain a effrayé la brave citoyenne qui le transportait au travers de la petite rue agitée.
“Mais ça va pas !” crie-t-elle alors que je viens de passer à toute vitesse.
“Désolée, intervention judipolicière !”
J’ai toujours rêvé de dire ça. Ou quelque chose comme ça? Bah, peu importe. De toute façon je n’ai pas le temps de m’excuser proprement, le voleur court toujours et je ne peux pas le laisser gagner du terrain ! Il vient de tourner à une ruelle, croyant que je ne l’ai pas vu au milieu de la foule apeurée par notre course-poursuite.
Frein, dérapage, rotation à gauche, et on reprend la chasse !
Ce satané énergumène croit pouvoir s’enfuir après avoir vilement dérobé le coffre d’or d’un noble marchand sur la place commerciale. Le gredin a peut-être su se soustraire à la vigilance des gardes, mais malheureusement pour lui j’étais sur le qui-vive ! Toujours prête à l’action !
Ah ! Je le vois ! Au bout de la ruelle, qui s’avère être une impasse, le vil chenapan cherche désespérément une échappatoire. Du haut de ses un mètre vingt à tout casser, le jeune garçon de huit ou dix ans n’a certainement pas assez d’impulsion dans les jambes pour atteindre une des fenêtres. Peut-être en s’aidant d’une caisse, mais il n’en aura pas le temps !
“CECILIA-PUNCH !” m’écris-je, respectant la tradition des héros qui crient le nom de leurs attaques. Sisi, je l’ai lu dans les livres ! Ou c’est les mages et leurs sorts?...
...Bah, peu importe.
Car...Paf ! Mon poing élancé arrive en plein milieu de son visage, direct dans son nez, et le voleur à la sauvette s’écroule par terre. Vaincu. Ma toute première victoire depuis mon inscription à la Guilde !
Je vais surement toucher une grosse prime pour ça ! Après tout j’ai vaincu toute seule un dangereux criminel, ça mérite un bonus ! Et les De Wales seront contents !
Un dernier regard est lancé à la sale ordure qui est encore sonnée par terre, son sac dérobé à la main. Est-ce que j’oublie pas un truc? Hum… nan, je dois croire ça à cause du stress de la première quête. La primoquetophobie.
Bon...bah mission accomplie. Plus qu’à rentrer toucher ma prime !
Arrivant enfin au village, muni de mes sacs sanguinolents – la viande était grossièrement empaquetée – j’hésitai un instant devant les stands de marchands. L’idée même d’initier la conversation, faisait naître un étau douloureux dans ma poitrine. Mais je ne pouvais pas rester éternellement planté comme un piquet au milieu de la place.
Lorsqu’enfin, je finis par trouver le courage d’amorcer la vente, un hurlement retentit. Il attira l’attention des marchands, et la mienne par la même occasion. Certains étaient bousculés dans une course-poursuite folle. Un grabuge sans nom éclata dans le village, tandis qu’une scène pour le moins comique se déroulait sous nos yeux. Un malfrat d’un jeune âge semait le chaos de sa course effrénée, pourchassé d’une tempête blonde dont la voix ne manquait pas. Des cris indignés s’élevaient d’entre les villageois, perturbés de leur quotidien immuable. Balançant mes sacs de viandes au boucher, je me mis moi-même à la poursuite des deux énergumènes à travers le dédale des ruelles. Je ne voulais pas prendre le risque que certains soient blessés, au risque de perdre quelques cristaux. On ne savait jamais ce que pouvait cacher un humain acculé.
Plutôt pleine d’entrain, cette jeune demoiselle était assez amusante. J’atteignis sa hauteur en quelques enjambées alors que l’enfant semblait vouloir s’échapper, plus terrifié de l’état de fureur de la blondinette que pour sauver son butin précieusement dérobé. Le gamin sembla décoller du sol tandis que le poing de la jeune femme atteignit sa cible, le faisant s’écraser quelques mètres plus loin, sonné. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle frappe un enfant, encore moins avec une telle violence. Père m’avait souvent dit que j’étais à la fois trop naïf et trop gentil, mais comment pouvait-on rester les bras croisés lorsqu’une telle correction était infligée à un gosse. Le réprimander aurait sûrement été suffisant, et beaucoup moins cruel.
Sans un mot, je dépassai la jeune femme pour venir aux côtés de l’enfant encore sonné, j’espérais que son nez n’était pas cassé, et qu’il ne garderait aucune séquelle de cette rencontre. Je le soulevai en le prenant dans mes bras afin de trouver un médecin dans les environs afin de vérifier son état. Je m'attelai avec douceur pour ne pas aggraver une possible blessure. J’en oubliai presque mon horreur de la civilisation pour me pencher vers la demoiselle.
« Il va falloir revoir vos principes si vous voulez jouer aux héroïnes, lançai-je froidement. »
Si maintenant les nouvelles recrues des aventuriers se mettaient à battre les enfants, il y avait peu de chances que notre travail soit reconnu. Il était toujours difficile de savoir ce qui pouvait se tramer dans la tête des gens, mais d’en arriver à de tels extrêmes, c’est que quelque chose n’allait pas. J’entendis l’enfant gémir doucement alors qu’il regagnait conscience, lorsque nos regards se croisèrent, je vis les larmes monter dans son regard juvénile. Il était certain qu’il voulait s’échapper de mon étreinte, et je n’étais pas spécialement doué avec les enfants, c’était un coup à ce qu’il se mette à hurler si j’essayais de le rassurer.
« Tu as mal ? »
Je lui offris un léger sourire, essayant d’imiter sans grand succès ceux que j’avais l’habitude de donner lors des mondanités. Visiblement surpris par ma douceur, il cessa de gesticuler comme un beau diable, puis hocha doucement son crâne. Je sentis ses doigts se resserrer autour du tissu de ma tunique, comme s'il semblait s'attacher à un réconfort. Je portai ensuite mon attention vers l’aventurière en soupirant longuement.
« Venez avec moi, on va vérifier qu’il n’a rien de cassé, et tirer cette affaire au clair. »