Quatre-vingts, c’était d’ailleurs le nombre de bouteilles qui avaient été ouvertes pour cette belle petite soirée. Oh, bien sûr, le monde n’était pas rose comme les éléphants que certains juraient voir sitôt quelques verres descendus, mais la soirée était la belle occasion de boire un bon coup et d’oublier ce maussade lundi qui n’avait cessé d’être interrompu par de belles petites averses.
Et Moris dans cette affaire ? Eh bien il était venu exprès. Une planification faite à l’avance de son itinéraire l’avait fait arrivé le bon jour au bon endroit, et s’il n’était pas non plus reçu comme un invité d’exception, quelques aventures effectuées dans la région et son aspect sympathique avait suffit pour qu’il ne connaisse quelques personnes, et ne se mêle à cette joyeuse ambiance festive !
Sauf que le seigneur des bouteilles vides, surnom trouvé à l’occasion d’une de ses fabuleuses histoires, n’en était pas à son coup d’essai. Certes, il ne pouvait plus allonger autant de grouillots qu’à l’époque de ses plus belles années, mais il avait toujours une sacrée descente et un admirable sens du spectacle ! Et il n’avait pas fallu guère plus de quelques cuvées pour qu’ils ne se relance dans l’un de ses nombreux récits qui trouvait ici bas son auditoire. Une auberge alcoolisée. Son meilleur public probablement !
‘’Je vais vous raconter l’une de mes nombreuses aventures !’’
‘’Encore ? C’est la troisième !’’
‘’Laisse-le parler ! On se marre toujours avec !’’
‘’C’était il y a des années, par une nuit aussi sombre que les desseins qui s’y tramaient… L’aube était encore à des lieues de promener ses premiers rayons. La foule ? Endormie, bercée par les étoiles jusqu’aux heures matinales. Mais ce n’était pas le cas de votre homme ! Vigilant, vaillant, il avait été réveillé par un sordide croassement ! Un coq, pensa-t-il immédiatement, probablement enrouée suite à ses services quotidiens. Mais il était trop tôt, et notre héros trop prudent pour se laisser aller à de simples suppositions.’’
Les grands gestes du vieillard aidaient probablement à conquérir son auditoire, mais entre son verre à la main et ses joues légèrement rougies par l’alcool, sa crédibilité en prenait probablement un coup.
‘’Ni une ni deux, il s’élança dehors, avec comme seule arme une torche et son courage. Et c’est alors qu’il fut confronté… A la bête ! Plusieurs mètres de hauts, des griffes aussi assérées que des rasoirs, plus grandes que des haches ! Le tout, dans une nuée de plumes sombres cachant la cieux. Un chouettours ! Le plus grand spécimen qu’il pouvait voir sur nos terres !’’
‘’Un chouette-ours ?’’
‘’Une sale bête.’’
‘’Cette vision d’horreur aurait suffit à terrifié bien des guerriers, mais notre aventurier était brave ! S’il fuyait, qui protégerait cette auberge perdue dans la forêt des dangers ? Qui viendrait au secours des innocents lorsque les griffes de la bête gratteraient aux vitres ? Un âpre combat l’attendait…’’
Et il se servit une grande gorgée. Une de ses aventures qui trouvait son auditoire… Voilà de quoi était faite sa vie ! D’exploits passés et de gloires éphémères pour qui était suffisamment ivre pour entendre ses récits. Et si la vérité était que la bête était en fait un Rapidodo effrayé, personne n’était là pour contester ses exploits.
Cependant, le timing était toutefois curieux, car cette histoire, racontée par hasard, coïncidait étrangement avec une récente rumeur locale. Une qui affirmait que d’énormes traces de griffes étaient retrouvées chaque nuit, en compagnie de grandes et longues plumes… Curieux n’est-ce-pas ?
Hé ! Hé !
Anh se tourna vers le gamin qui venait de l'accoster : haut comme trois pommes, les cheveux roux et ébouriffés sous sa casquette, des petites taches de rousseur parsemant ses joues. Il devait avoir huit ou neuf ans tout au plus...
Oui qu'y a-t-il ?
L'aventurière s’accroupit pour être à la hauteur du petit garçon
Papa dit que vous devriez rester ce soir, il y a une fête au village et vous pouvez dormir à la maison !
La jeune femme était initialement venue dans ce village pour une banale quête de livraison. Elle devait apporter au père du gamin, l'une de ses commandes de la capitale jusqu'ici en protégeant son contenu qui s'était révélé n'être qu'un stock de miel de cent ans. Un met certes très précieux, mais au point d'embaucher une aventurière pour cela ? Il y avait vraiment des gens qui roulaient sur l'or... mais qu'importe, cela faisait une mission facile pour la demoiselle.
Elle réfléchit quelques instant à la proposition du gamin. Elle n'avait rien de prévu avant le lendemain... Elle avait rendez-vous avec un autre client assez tôt le matin à la capitale mais si elle partait de bonne heure, elle devrait pouvoir y être à temps. Encore une fois, elle surestimé sa capacité à se réveiller le matin, d'autant plus avec la future gueule de bois qu'elle allait si joyeusement retrouver...
Hm... bon, je devrais pouvoir rester
Ouiii !
Tout content, le gamin lui sauta au cou et ensuite la pris par la main pour aller, avec enthousiasme lui montrer sa chambre.
* * *
Le soir arriva, après avoir joué aux rapidodo sur plateau toute la journée avec le gamin, il était enfin allé se coucher et le calme était revenu dans la maison...
Cyril est en train de dormir il est encore tôt je suppose que vous n'allez pas vous coucher de suite ? Vous devriez aller a la taverne du village c'est bien plus animé. Merci en tout cas de vous être occupé de ce petit garnement, depuis que sa mère est partie il a toujours besoin d'attention...
Pas d'soucis ! Je l'aime bien donc ça va !
Anh fit un grand sourire au père qui l'avait si chaleureusement accueilli ce soir
Mais oui, je pense que je vais aller y faire un tour, c'est par où ?
L'homme au trait rouquin comme sa progéniture, se mit à rire doucement
Sortez et suivez les bruits, vous ne pourrez pas la louper
Suivant les instructions, Anh passe le pas de la porte et effectivement, elle entendait les rires et les chants de la taverne quelques rues plus loin...
* * *
Une odeur de bois humide, d'alcool et de patates chaudes. Des rires rauques, des choppes de bière qui s'entrechoquent. Voilà l'ambiance taverne qu'elle appréciait tant ! Elle ne connaissait personne mais c'est sans aucune gène qu'elle s'incrusta dans un petit groupe de joyeux lurons, paya sa tournée pour se faire accepter -ce qu'elle réussi sans mal avec cette offrande alcoolisée- et s'installa pour écouter les histoires d'un vieil aventurier avec les yeux d'excitations d'une enfant.
Prise dans l'histoire, elle répéta en échos :
Une chouettours !?
La jeune femme, de sa toute nouvelle carrière d'aventurier, n'avait pas pas encore rencontrée pareille créature et ne pouvait-donc que se l'imaginer : un ours avec une tête de chouette ? L'image était assez amusante. Peut être un ours recouvert de plus ? Ou encore avec un bec et des ailes ? Ou une chouette avec une tête d'ours ? A quoi cela pouvait-il ressembler ? Etait-il amusant à affronter ? Déjà à sa deuxième pinte, la jeune femme avait la jambe qui tapait le sol plein d'entrain attendant avec impatience la suite de l'histoire.
Et ensuite et ensuite ?
Et sa fable déchainait les passions. Plus loin dans la salle, entre deux verres, certains se disputaient pour savoir ce qu’était la bête qu’il avait mentionné. Tant mieux, cela faisait travailler l’imaginaire, et probablement finiraient-ils par amplifier d’eux-mêmes les termes de Moris, qui passa astucieusement quelques doigts le long de sa moustache grisonnante, quant bien même cette dernière se retrouvaient parsemées de gouttelettes d’alcool. Un mal pour un bien, étant donné que certaines rumeurs donnaient à la bière des propriétés fortifiantes pour le poil !
Mais l’assemblée était impatiente, et il fallait qu’il poursuive son récit ! Certains trépignaient d’impatience, d’autres en étaient même à s’inventer la suite ! Une jeune femme aux cheveux bleutés buvait ses paroles comme l’on descendait des verres ! Un moment de gloire éphémère dont le vieillard raffolait évidemment.
‘’Patience, j’y viens !’’
Il se gaussa d’un rire, puis d’une nouvelle gorgée de son verre. Il devait installer le suspens, créer la tension, laisser les spectateur s’inquiéter… Au fond, tous savaient le fin mot de l’histoire, vu qu’il était là pour raconter cette aventure, mais ils se laissaient prendre au jeu, et peut-être qu’un inattendu revirement de situation viendrait corser quelque-peu ce récit…
‘’La bête hideuse le défia de ses yeux de lune ! Deux boules jaunes, acérées, plantées dans le regard de l’aventurier avant qu’elle ne pousse un grand cri, dont le simple écho aurait pu glacer le sang de n’importe quel soldat ! Mais les enjeux étaient trop grands pour qu’il ne se laisse aller à la terreur, et malgré l’obscurité, domaine de la bête, il se mit en position, les poings serrés, prêt à affronter cette créature sur son terrain.’’
Moris ne se contentait pas simplement de paroles et d’intonations. Les grands gestes qu’il effectuait à tour de bras étaient là pour captiver au plus l’attention, quitte à être ridicule ou trop en faire. Mais dans une soirée comme celle-ci, de simples tours comme ceux-ci suffisaient à être le centre de l’attention, et à moins qu’une bagarre n’éclate, il ne risquait pas d’être dérangé, même si, au fond de la salle, le ton montait pour savoir ce qu’était la fameuse bête.
‘’L’affrontement fut âpre, chacun des coups de la créature fendait l’air avec une cruauté et une barbarie sans nom ! Elle était là pour combattre, elle était là pour du sang ! Une bête d’une ignominie intraitable… Un farouche adversaire qui ne tombait pas au tapis, malgré les coups portés qui s’enchainaient. Il essaya pourtant de lui tordre le cou, mais la créature était mue d’une souplesse surnaturelle.
L’affrontement ne prit fin que lorsque l’aube amena ses premiers rayons. La bête était blessée, et savait pertinemment que la situation tournerait en sa défaveur. Ses instincts prirent alors le dessus, et par sa lâcheté, pu s’en tirer. L’aventurier était alors trop blessé pour poursuivre la chasse, mais qu’importe, il avait réussi : L’auberge était sauve et le monstre forcé à la retraite. Une victoire qui ne lui rapporta pas le moindre sou, mais qui à ses yeux était inestimable.’’
Terminant son verre d’une grande traite, le vieillard posa fièrement face à son assemblée, se préparant à conclure cette courte épopée :
‘’Ainsi conclu, mes amis, cette rencontre nocturne face à la bête de rage et de plumes ! Elle tourna talon, mais probablement que dans l’ombre, ses instincts belliqueux n’attendent que la parfaite occasion que de poser de nouveau ses griffes sur celui qui l’a mit en échec.’’
Du drame, du suspens. Tout était bien qui finissait bien ! Il ignora les quelques visages troublées que l’assemblée pouvait offrir, avant de s’asseoir à la place la plus proche, posant son verre et son derrière dans le même intervalle de temps, tout en affichant un franc sourire au petit groupe dans lequel il s’invitait :
‘’Vous n’êtes pas d’ici vous, je me trompe ?’’
Anh Lyüren a écrit:Plumes et gueule de boisAvec Moris Vanda
Anh aimait beaucoup les histoires ! Qui n'aiment pas ça ? D’autant plus lorsqu’il s’agissait de récits épiques d’aventurier… Elle même dans le métier, elle rêvait de vivre une histoire comme celles racontées aux enfants pour les faire rêver d’aventures.
Accoudée sur la table d’à côté devant sa chope de bière, elle faisait partie de l’assemblée pendues aux lèvres du vieil homme -même si il n’était pas encore un vieillard, il était un papi du haut des vingt-cinq ans de la demoiselle. Est-ce dû à son grand âge ? Mais il savait conter les histoires, s’arrêtant au bon moment, faisant durer le suspense, sa gestuelle illustrant les scènes racontées et captivant son audience. Anh écoutait chacune de ses paroles avec des étoiles dans les yeux, comme retombée en enfance.
Elle retint son souffle jusqu’à la dernière tirade et lorsque l’homme eut fini, un grand sourire s'afficha sur le visage de l’aventurière.
WHOA! Quelle épopée ! Splendide ! Je veux aussi vivre des aventures pareilles ! Et quelle créature ! Rode-t-elle encore par ici croyez vous ? Je veux l’affronter !
La jeune femme trépignait sur place, sa choppe à la main, elle bu la dernière gorgé et la frappa violemment sur la table.
HA!
Les joues rougies par l’alcool et d’excellente humeur, elle s’empressa de venir s’assoir aux côtés du conteur :
Où se trouve la bête ! Allons y maintenant ! Vous savez, je n’en ai pas l’air mais je me défend aussi ! La prochaine fois, je veux être l’objet de ce récit ! Qu’on conte mes aventures dans tout Aryon !
Dans l’état dans laquelle elle se trouvait et l’excitation augmentant plus rapidement encore les effets de l’alcool, elle ne serait certainement pas capable de terrasser un simple rat. Mais la bière lui donnait l’impression de pouvoir affronter le monde et après un récit aussi épique que celui-ci, elle se sentait pousser des ailes !
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