Je me trouve présentement devant le quartier général de la Guilde des Aventuriers, au pôle du Village Perché. Il apparaît comme évident que ce pôle-ci soit le plus rustique de tous ceux que possède la Guilde. Perché sur son arbre au milieu de ce grand labyrinthe sylvestre qu’est le Village Perché, il a l’allure d’une grande chaumière qu’on ne verrait que dans un mièvre roman pour adolescent, ou dans un canard comme un pauvre feuilleton de bas de page. Mon temps au sein de la Guilde m’a été suffisamment instructif pour m’apprendre que les aventuriers gravitant souvent dans son pôle sont, sans doute, parmi les plus lettrés de l’institution. Loin d’être érudits, ils sont capables de lire leur journal et effectuer des additions simples, ce qui est déjà une prouesse digne de héros pour ces imbéciles. Il semblerait que la culture locale du Village Perché ait eu une bonne influence sur ces derniers, je constate ça et là plusieurs jardinières remplies de légumes, de plantes aromatiques et d’autres destinées à l’alchimie. Il semblerait que tout ne soit pas vraiment à jeter si les aventuriers du Village Perché ont décidé de prendre de telles résolutions et cultiver leurs propres plantes.
Si je suis ici, en ces lieux, c’est pour rendre visite à un individu bien plus intéressant que le commun des parvenus évoluant dans ces couloirs. On l’appelait souvent l’Ancêtre, ou le Grand-Père, au sein de la Guilde, mais son vrai nom est Moris Vanda. D’aussi loin que je me rappelle, ce vieil homme a toujours été dans la Guilde. Je précise bien qu’il est vieux, Vanda a pour ainsi dire la soixantaine passée. Il se vante à droite à gauche de moult exploits, mais j’avoue que, de ma longue expérience, cet étalage n’est pas le fruit du hasard. Si je considère ce Vanda comme plus intéressant que le reste du troupeau, c’est pour la simple et bonne raison qu’il peut m’aider dans ma petite entreprise. »
- Aaah !!
Un petit cri d’effroi força Lunar à arrêter sa dictée, la plume enchantée écrivant toute seule sur le porte-document stoppant net sa lancée. Devant le jeune se tenait une jeune femme frêle en uniforme vert. Elle était sortie du bâtiment de bois avec, dans une main, plusieurs parchemins qui tombèrent au sol quand elle vit Lunar et, dans l’autre, une boîte de pâtisseries crémeuses. De grandes lunettes rondes posées sur son visage, la rouquine avait le visage éclairé par un sentiment mêlant à la fois surprise et terreur, figée dans une expression stupéfaite. En voyant la pauvre femme en plein émoi, le scientifique ne put s’empêcher d’esquisser un fin rictus et, tout en prenant une petite bouffée de tabac en inspirant dans son porte-cigarette, il daigna enfin lui adresser la parole :
- Coraline, ils t’ont enfin muté quelque part, ricana Lunar en soufflant une bouffée de fumée blanche. Tu vas enfin pouvoir faire quelque chose de tes dix doigts. Je veux dire, à part feuilleter des romans érotiques derrière ton comptoir en faisant mine de travailler.
- Lu… Lunar ! Finit-elle enfin par répondre d’une voix fluette. Tu… comment tu.. ?
- Comment je le sais ? Tout le monde le sait, les gens font juste semblant de ne rien remarquer. Maintenant, pousse toi donc, j’aimerais passer.
- Tu ne comptes tout même pas… revenir ? Demanda-t-elle, pleine d’appréhension.
- Revenir ? Lui répondit Lunar, plein d’arrogance. Je t’en pris, ne sois pas ridicule, tu me ferais presque de la peine.
Prenant les devants, le jeune homme s’avança de lui-même, la forçant à s’écarter légèrement pour le laisser passer. Avant de passer la porte, Lunar prit néanmoins soin d’écraser sa cigarette dans l’une des pâtisseries de l’hôtesse, trop honteuse qu’on lui ait révélé la connaissance générale de son plaisir coupable pour articuler quoi que ce soit. Laissant disparaître Coraline de son champ de vision, Lunar était à présent au sein du pôle de la Guilde, une forte odeur de noisette et de bois sec lui chatouillant les narines. L’intérieur était tout aussi rustique que la façade. Les comptoirs d’hôtes et hôtesses s’étalaient au fond du hall, devant plusieurs couloirs devant mener au mess et vers d’autres salles administratives. Un petit salon avait été aménagé autour d’un braséro de pierre au sein duquel brillait non pas un feu mais plusieurs boutons d’acastignis dégageant une douce chaleur. Loin d’être bondé, il y avait quelques aventuriers ça et là, assis dans des canapés, vaquant à leurs affaires. L’un d’eux feuilletait le catalogue d’un armurier local, un autre taillait la pointe de ses flèches avec un coutelas en céramique. Un balourd trapu manqua de s’étouffer avec un beignet couvert de sucre quand il vit Lunar s’avancer dans l’entrée.
- Cristóbal, lança Lunar faisant mine d’être surpris. J’ignorais que tu savais grimper aux arbres. Ils ont utilisé l'ascenseur pour te faire monter ici ?
- Ferme la, Le Fiel ! Grogna immédiatement celui qui taillait ses flèches. T’es plus le bienvenue ici, tire toi.
- Je n’ai jamais été le bienvenue ici. Mais fais tout de même attention à comment tu me parles, je représente l’Académie des Sciences maintenant…
- Qu’est-ce que tu viens foutre ici ? Renchérit l’autre, pas spécialement impressionné.
- Ça ne te regarde pas. Et de toute façon, tu vas pouvoir te réjouir, je ne fais que passer. Je dirais bien que j’ai été content de vous revoir, mais on sait tous pertinemment que c’est faux.
- C’est ça ouais…
Continuant d’avancer, le nez en l’air, Lunar s’avança jusqu’au comptoir où se tenait une hôtesse qu’il n’avait jamais rencontrée. Observant ses traits, le jeune homme devinait qu’elle ne devait pas être là depuis bien longtemps. Battant nerveusement des cils, elle observait Lunar d’un regard penaud puis, réajustant son col, se replaça droite sur sa chaise pour l’accueillir proprement.
- Bonjour monsieur, bienvenue à la Guilde des Aventuriers. Que puis-je faire pour vous ?
- Vous récitez bien votre leçon, vous aurez un bon point, minauda Lunar. Je sais que Moris Vanda est ici, veuillez me conduire jusqu’à lui ou le faire venir. J’ai à m’entretenir avec lui, et rapidement.
Tout en observant la demoiselle recevoir le flot de consignes sans trop savoir quoi faire, Lunar esquissa un fin rictus, celui qui avait tant fait trembler qu’exploser lorsqu’il vaquait auparavant entre ces murs. Le sourire du Fiel…
Et l’image, c’était important.
Bref, assis sur un fauteuil dans une pièce de la guilde des aventuriers, Moris profitait d’un passage éclair ici pour profiter un peu, histoire de voir ce que jeunesse faisait et si certains avaient besoin d’un vieux roublard tel que lui. Certains étaient venu d’ailleurs, plus tôt dans la matinée, afin d’obtenir deux trois conseils de sa part, chose qu’il fit avec grand plaisir ! Mais pour le moment, l’heure était plutôt consacrée à la lecture. Dans ses mains, un livre, rempli de quelques nouvelles parlant d’aventures et de combats. Et il trouvait cela… Assez intéressant.
Après tout, c’était difficile d’aller questionner l’auteur sur la véracité des événements qu’il écrivait, et donc il s’agissait là d’un support avec quelques avantages… Mais aussi des défauts, car il manquait une chose essentielle : l’excitation de la foule ! A quoi bon écrire si ce n’était pour n’avoir aucun retour, aucune assemblée trépignant d’impatience pour avoir la suite ?! Evidemment, une réponse : l’argent. Avoir un sacré pécule devait rendre le malheur un peu moins triste…
Bref, sa pipe continuait de fumer, et lui de profiter de cet instant. Enfin, jusqu’à ce que l’hôtesse du bâtiment ne vienne dans sa salle, visiblement accompagnée. Lorsqu’elle ouvrit la porte, le sexagénaire leva un coup d’œil curieux, avant de redresser un peu plus sa tête, étant donné qu’elle semblait lui amener quelqu’un. Pour quelle autre raison serait-elle venue autrement ainsi ? Mais c’était surtout cette seconde personne qui l’intrigua.
Un jeune homme, sombre, ténébreux… Le portrait typique d’une personne qui, quelques décennies plus tard, lèverait une armée afin de conquérir le monde afin de le rendre parfait. Ou peut-être pas. Moris se faisait encore des histoires, et, se rendant compte du ridicule de ses pensées, eu un léger sourire.
Cependant… La jeune femme semblait être intimidée par la présence de cette personne. En tout cas, elle affichait un malaise constant, laissant deviner qu’elle n’avait qu’une seule envie : déguerpir le plus rapidement possible. Peut-être que son idée de futur seigneur du mal n’était pas si éronnée en fin de compte ! Enfin, toujours était-il que l’on venait ici pour lui.
‘’Hum ?’’
‘’Cette personne souhaite vous parler.’’
Une rigidité professionnelle qui ne cachait pas ses angoisses. Intéressant…
‘’Eh bien, qu’elle parle voyons !’’ Fit le vieil homme en se redressant, posant son livre sur l’accoudoir tout en s’avançant : ‘’Vous me connaissez peut-être déjà, mais allons… Moris Vanda, aventurier depuis plus de quatre décennies, pour vous servir ! Que me voulez ?’’
Inspectant l’aventurier Vanda, Lunar sortit son porte-documents de sous sa cape ainsi qu’une longue plume d’un vert acide, aussi longue que celle d’un faisan, qui ne passait pas inaperçue. Curieusement, il la porta à sa bouche comme s’il la trempait dans un encrier et la lâcha sur sa feuille où, par enchantement, elle restait toute seule en suspension, flottant au-dessus du papier, prête à écrire tout ce qu’il lui dicterait. Il inspira comme s’il allait se mettre à parler mais remarqua au dernier moment que l’hôtesse Clœlia était toujours là. Zyeutant un coin vide de la pièce, pensive, elle rongeait nerveusement l’ongle d’un de ses pouces en tapotant le sol du talon. Lunar s’éclaircit la gorge pour la forcer à reprendre ses esprits. L’hôtesse sursauta et tomba sur le regard de rapace du scientifique qui l’incita à retourner à son poste. Une fois la demoiselle partie, il s’en retourna vers Vanda.
« Entrée n°6 - Lunar Le Fay depuis le Village Perché, 14h38, dossier Quartz Rose … »
Dès qu’il commença à dicter, la plume verte s’anima d’elle même et inscrivit tout sur le papier en gigotant.
«… J’ai enfin été conduit face à Moris Vanda après une trop longue attente dans le hall de la Guilde. Leur lenteur et incompétence tant administrative que protocolaire sera dûment notifiée. Passons maintenant à notre sujet.
La soixantaine passée de Moris Vanda se reflète on ne peut mieux sur son visage. Les rides se creusent de manière significative, surtout autour des yeux et du front. Ses cheveux grisonnants adoptent des tons plus laiteux, encore une marque d’âge avancé, et sont tout aussi durs que ses sourcils et sa moustache, taillée d’une mode dépassée d’au moins quarante ans. C’est d’ailleurs la durée depuis laquelle le sujet travaille au sein de la Guilde en tant qu’agent de terrain. »
Lunar cessant de dicter, la plume s’arrêta net, continuant de flotter par magie au-dessus du papier, prête à reprendre du service si besoin. Fixant Moris de ses yeux instigateurs, le scientifique se mit à sourire malicieusement tout en continuant de le regarder, tel un chat toisant son entourage.
- Un aventurier aussi âgé que vous, je suis surpris que vous ne sachiez pas qui je suis. Tout le monde sait qui est Lunar « Le Fiel » entre ces murs. Mais vous ? Attendez un instant, ce point est intéressant… Hm, hm…
La plume se releva en un battement de cils.
« L’aventurier Moris Vanda, malgré quarante années de loyaux services au sein de l’institution, n’a jamais entendu parler de moi, ceci malgré l’impressionnante réputation que j’ai pu m’y forger. La vieillesse serait-elle la cause d’une telle omission ? »
- Ne faites pas attention à la plume. Je travaille pour l’Académie des Sciences, continua Lunar sans même prendre la peine de s’annoncer. Je planche actuellement sur un projet de recherches… personnelles impliquant la Guilde des Aventuriers, cette institution si chère au royaume comme à mon cœur. Et j’ai immédiatement songé à vous pour le bien de mon entreprise.
Attrapant un fauteuil, Lunar s’assit face à Moris et croisa les jambes, continuant de le regarder sans changer son expression.
- Racontez-moi, cela fait quarante ans que vous servez la Guilde. Vous n’avez reçu aucune promotion, la retraite approche à grands pas, vous n’êtes pas un Saphir, vous n’êtes pas devenu examinateur, ni conseiller, des postes bien plus confortables et sécurisés… Pourquoi restez-vous à votre poste exactement ? Qu’attendez-vous de la Guilde et, surtout, qu'attend-t-elle de vous ?
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