Il y a des jours ou la routine devient un train train déroutant.

Et malheureusement, il y a des jours tous les jours.

Alors aujourd'hui ne fait pas exception. La routine constante est là. Ma mutation pour les Prétoriens ? Refusée. Des nouvelles assignations ? Rien de transcendant. Elion veut toujours pas me parler ? Ça serait étonnant depuis hier. Kahlua a encore grandit ? Oui, toujours un peu, mais de toute façon je ne peux en parler avec personne.
Sauf Haku, mon mist esprit qui me suit partout... Le problème c'est que comme je suis la seule à l'entendre, quand je lui parle, je passe juste pour une demeurée.

Ouais, des jours tous les jours je disais.

Cela dit, aujourd'hui c'est un peu particulier. Il parait qu'on a un nouveau qui vient de la garde civil. Qui s'est ? Franchement, qu'est ce que j'en sais. Ce n'est pas comme si je parlais de tout et de rien à mes collègues, et comme je passe de toute façon toute mes soirées à l'auberge où bosse ma seule vraie famille que personne ne doit connaitre, on peut clairement dire que mon niveau de sociabilité est au ras des pâquerettes.

Nouveau jour donc. Nouvelle routine.

Comme à l'accoutumée, je me prépare en silence, évitant consciencieusement mon camarade de chambre et m'habillant dans mon coin. Une fois prête, je rejoins notre garnison dans la salle qui nous est attribuée et m'installe dans un coin, adossée à un mur et cherchant simplement à ce qu'on me laisse tranquille.
Une chose aisée quand les gens commencent à me connaitre. Ils savent bien qu'ils ne tireront pas vraiment plus de deux mots de ma bouche, alors ce n'est pas la peine d'essayer.

Et puis, finalement, la nouvelle recrue entre enfin. Grande, très grande. Plutôt souriant. Et en soit, tout ce que je pourrais décrire de lui n'aiderai pas à comprendre ce que je ressens exactement à cet instant.

Bordel. Hryfin. Ça fait quoi ? Dix ans que je ne l'ai pas vu ? Pourquoi il est là ?!

En plus, la dernière fois qu'il m'a vu... J'étais enceinte de Kahlua. Les Lys m'ont assurée qu'ils avaient couvert l'affaire mais...

Et si jamais il savait quelque chose ?

Ça y est.

C'était aujourd'hui.

Son premier jour en tant que garde royal. Même s'il avait déjà foulé cette caserne, ce n'était qu'à l'occasion de son entretien avec le capitaine Hekmatyar, difficile donc de s'arrêter sociabiliser et tenter ô que vainement de tisser des liens d'amitiés. Les rumeurs ne sont que trop rapide, et plus le microcosme est restreint, plus elle circule vite, moins il s'y retrouve. Imaginez, dans un groupe aussi réduit que les gardes royaux, l'arrivée d'un petit nouveau qui vient de passer neuf ans dans la garde régulière, ça fait du bruit ; comment il en est arrivé là ? Un énième pistonné, dont la famille vient d'être anoblie, et il faut faire bonne figure ? Eh, vous n'auriez qu'à moitié tort, ça fait déjà quelques années que les Danvil sont une famille noble bien réputée.

Non, ça a dû y aller bon train, sur lui ; ''Paraît que c'est un forgeron du Sud'', ''On dit qu'il dépasse les deux mètres !'', ''Neuf ans à la régulière ? Nan mais si il a pas été pris directement après l'académie, c'est qu'il n'en valait pas la peine'', ''Et ça doit toujours être le cas !'', ''Jle connais moins ! C'est Ryf-quelque chose, j'ai fait mes classes avec !''. Le grand ne peut prétendre avoir entendu ces rumeurs de première main, simplement car en plus de tout ça, autant s'ostraciser soi-même et vivre dans sa petite maison tranquille aux abords de la caserne. Rares sont les gardes, même les royaux, hors gradés, à ne pas vivre à la caserne. On les pense plus feignants, mieux dans leur confort, moins aptes à réagir. S'il ne cochait aucune de ces cases, le jugement est bien plus facile que la confrontation et le questionnement.

Sur le chemin, mal à l'aise, sourire de façade en présence d'officiers, ainsi qu'envers les soldats à qui il demandait son chemin ; chaque bataillon, chaque garnison possède sa propre salle dédiée, après tout, même s'ils se mélangent régulièrement, cuirassiers, voltigeurs et sentinelles ont tous des rôles bien précis. Et vu sa carrure, à votre avis, où se retrouve-t-il ? Oui, bien sur, les voltigeurs. Bien sur que non, triple buses ; cuirassier. Tout indiqué, quoique son pouvoir respire aussi la liberté, le vol et la mobilité, il reste un animal massif, dissuasif et fort, à même de tenir une position, en forcer une s'il le faut.

Engoncé dans la nouvelle armure, mal à l'aise, il poussa les lourdes doubles portes de son régiment. Vu les mines patibulaires, il était au bon endroit. Ils ont pas tendance à être tendre, ceux de cette garnison. Ne vous inquiétez pas, Ryf ne l'est pas non plus, laissez lui le temps de vous le montrer, après avoir enchaîné tous ces sourires de façade, ces salutations maladroites et gauches, tantôt des ''Bonjour'' à moitié cassé, le signe de salutations -de la garde civile, après tout, il est à la royale depuis moins de quarante-huit heure, après neuf longues années de service de l'autre côté.

Tous ne sont pas des coincés élitistes, loin de là, parmi les petits groupes, certains l'accueillirent de manière plus que convenable, on sent tout de même que le grand, peu habitué à subir de nouvelles situations, semble parfois danser d'un pied sur l'autre, pas vraiment sur de que faire voire que dire. Le mieux serait un point d'ancrage, quelque chose...

C'est là qu'il la vit.

Cette petite tête, sur laquelle était vissée une imposante crinière rouge. Rude de s'éloigner de toutes ces personnes pour se diriger droit vers Lunarya, personne ne semblait lui tenir rigueur, plus de l'inquiétude. Il est vrai que sur ses dernières années, la fillette avenante et sympathique s'est ternie, pour laisser la place à une personne bien plus travailleuse et renfermée. Quel dommage qu'elle n'ait pas l'air d'être redevenue celle qu'elle était. Il se posta droit devant elle, la forçant à lever les yeux pour pouvoir les caler dans les siens. La seule de l'assemblée qui eut droit à un sourire franc, et au bon salut, tout aussi impliqué qu'il est.

'' Si c'est pas la petite Lunarya ! Ça fait quoi, dix putains d'années que j't'ai pas revue ? J'aurais jamais cru te retrouver chez les royals en tout ça ! Quoique... '' Il se gratta l'arrière de la tête. '' Ça fait sans doutes sens, maintenant qu'on y pense. ''

Jetant un vif regard derrière lui, il s'aperçut qu'en vrai, qu'il vienne lui parler, personne n'en avait rien à carrer. Ils retournent à leurs groupes, leurs petites vies, leurs discussions et rires. Tant que ce n'est pas sur lui...Certains lâchaient toujours des regards inquiets ou interrogatifs vers lui ; qui irait voir la pauvre solitaire lors de son premier jour, plutôt que chercher à tisser des liens avec les nouveaux membres de sa famille ? Autour d'eux, une zone de confort d'un bon rayon s'était crée. Pas plus mal. Il ricana.

'' Toujours une réput' d'enfer, à ce que jressens. '' Il l'observa de la tête au pied, fronça les sourcils. '' C'est que t'as bien grandis, depuis le temps. De mémoire, jtai pas vue, sur la fin des classes...Ah oui, on m'a dit t'étais malade. J'espère que c'est pas genre tu vois un truc grave que tu garderais sur la durée, ça a duré près de huit mois quand même. Jure, t'étais pas enceinte ? ''

Il rit. S'il savait à quel point il a vu juste, pensant trancher dans le vide pour pourtant trouver une victime sur le chemin de la lame de ses paroles. Vraiment, juste une boutade maladroite qui n'a pu être entendue par personne, sauf si les oreilles indiscrètes traînaient, mais elles préféraient toutes les ignorer profondément.

'' Nan jdéconne. Donc du coup, t'es là d'puis long ? Juste après l'académie j'imagine ? ''

Blême. Je deviens complètement blême tandis que l'espace d'un instant, mon sang ne fait qu'un tour et ma tête pense à la vitesse de la lumière.

Il sait ! Impossible ! Il sait... Que... Que dois-je faire ? Le tuer ? Non. Non, non, je peux pas juste lui trancher la gorge la tout de suite. Même si l'idée me traverse l'esprit assez pour que ma main se resserre sur le pommeau de mon épée. Alors quoi ?! Comment ?!

Et puis le rire. Ce rire me fait reprendre mon souffle coincé. Haha oui. Tu déconnes... Tu m'en diras tant... Tu déconnes... Je me forces à sourire, mal à l'aise, jetant des regards inquiets et féroce autour de nous. Mais finalement, non, personne à relever la blague. Je peux me détendre ?
Un peu, pas trop. Je reste sur la défensive.

- Juste après l'académie oui. Ou plutôt, juste après ma "maladie"... Mais évitons de tendre le baton pour se faire battre plus que de raison. Et j'ai appris à mes dépends à ne faire confiance à personne.

J'ai été trahie une fois, et ça a suffit à ruiner le reste de ma vie. Alors oui, pas de lien, pas d'ami, pas d'aide, rien. Une attitude bien froide pour un accueil ? Au fond, je m'en veux un peu... Surtout quand je le regarde. Au final, malgré qu'il ai pris plus de vingt centimètres et qu'il m'ait fait la peur de ma vie à l'instant, revoir ce visage me rappelle mon ancienne insouciance. Après tout, nous étions amis au début, nous nous entraidions et nous entrainions ensemble.

- Mais ça ne veut pas dire que je ne surveillerais pas tes arrières. Te connaissant tu t'intégreras vite ici. D'ailleurs, commence par prendre le pli pour le salut : paume vers le cœur. J'accompagne ma parole d'un geste pour illustrer. Plus vite tu intégreras cela et plus vite on oubliera que tu es le "petit" nouveau.

Une fois cela dit, je souris, plus honnêtement cette fois. Mais mon sourire s'efface vite alors que mes yeux retombent vers le sol. Ne faire confiance à personne... Ce n'est pas forcément facile tous les jours. Après tout, l'humain est une créature sociable qui a besoin des autres pour avancer.

"Pourquoi tu ne lui proposerais pas de."

Je bouge rapidement mon bras sur le côté pour gêner la représentation spirituelle de mon mist. Vu pour les autres, on dirait simplement que je chasse une bestiole. La bestiole en moins bien sur, mais qui s'en soucis ? Ils ne l'ont pas vu et moi si, non ?

"Rah ! J'aime pas quand tu fais ça ! Et tu ne peux pas rester seule à jamais Luna !"

Je ne suis pas seule, je t'ai toi abruti de mist.

- Je... Je vais aller voir les assignations. Si tu as besoin... Hésites pas.

A demander aux autres. Ils sauront mieux que moi t'aiguiller, et seront plus heureux de t'aider que moi... Bref, t'inquiète pas pour moi Hryfin, je gère, comme toujours.

Alors sans dire un mot de plus, souriant timidement à la place de terminer ma pensée, je baisse les yeux et initie le mouvement pour aller chercher ce que je suis censée gérer aujourd'hui.

'' Ah oui, donc comme ça tu veux dire ? '' Il ré effectua le même salut, bougeant sa paume au dernier moment pour réussir un salut déjà plus ressemblant à celui qu'elle venait de lui montrer, essayant de bien mimer comme un singe. '' Ouais, ça va vraiment m'mettre un moment hein ! Par contre, c'est bien triste s'que t'as dit...J'apprécie le fond. Jpenses ? ''

Difficile de le comprendre, si on l'a pas un peu côtoyé. Les réponses fusent dans sa tête, sans ordre ni relation particulière. Il voulait juste dire que ne faire confiance à personne, c'est bien triste, encore plus si tout ça est lié à son passé...Il reste de notoriété publique que beaucoup de gardes se traînent des casseroles au cul, n'ont pas tous eut une vie facile, et qu'à part ceux qu'on nomme affectueusement les ''fils de'', affectés à des postes hauts placés grâce à papa-maman les riches individus exécrables, beaucoup sont venus pour éviter de mourir vainement seul dans les froides rues dans la capitale quand l'hiver vient, se sortir de la galère. Plein d'autres solutions existent, ne mentons pas, et la garde est aussi composée d'individus bienveillants venus pour aider ces castes ayant moins de chances que les autres. Il est bien au courant, pour avoir passé presque une décennie dans les rangs serrés de la garde régulière.

Bien sure, la royale ne sera pas différente, hein ?

Elle aide bien tout le peuple, hein ?

Hmhm.

Sans prêter attention aux étranges mouvements de la cuirassière -quoi, y a des mouches dans la salle?-, il ne put s'empêcher de remarquer qu'elle était un des seules représentante féminine du régiment. Ouais, les grosses armures, les grosses armes, ça attire pas ces dames qui préfèrent la chaleur du bastion en étant prétorienne où la liberté de mouvement des voltigeurs. Une certaine fierté et reconnaissance envers Lunarya d'avoir rejoint ce groupe, pour le coup. Tout ça pour qu'elle finisse par vouloir l'abandonner comme un plot, bredouillant une excuse d'assignation. Décontenancé, le grand n'eut pas le temps de baragouiner à son tour qu'en face de Lunarya vint de poster un homme, plutôt grand mais toujours moins que Hryfin. Posant sa main gantelée sur l'épaule de Luna, il l'arrêta dans sa tentative de fuite.

'' Lunarya. Tu tombes bien. Ça raconte que Hryfin et toi vous connaissez déjà ; c'est parfait. Aujourd'hui, tu patrouilles autour de l'entrée du château. T’emmène le nouveau avec toi. '' Il devait bien connaître chacun de ses soldats, puisqu'à peine eut-elle le temps de prendre une mine renfrognée et peinée, qu'il coupa toute possibilité de réponse. '' C'est un ordre, Madame Lys. Bon, Hryfin, je me présente également, c'est vrai qu'on t'a affecté sans plus de cérémonie ! '' Rire franc qui brisa les discussions des autres assemblées, jetant plusieurs regards sur leur petit trio. '' Adjudant Calyx, Emeor Calyx. Tu peux juste m'appeler Adjudant, comme tout le monde. Jte laisse entre des mains... '' Sur la pointe des solerets, il murmura gauchement à l'oreille de l'hippogriffe. '' ...Capables mais froides. '' L'homme charismatique leur fit dos, prêt à s'adresser à tous ses soldats. '' Bien, vous savez tous ce que vous avez à faire ! Exécution ! ''

Dans un brouhaha mêlant rire, voix rauques, cris et bruits de métaux se percutant entre eux et contre le sol finement boisé, le nouveau était perplexe face à cette nouvelle organisation et ces nouvelles rondes, qu'il allait bientôt avoir à connaître par cœur s'il voulait s'intégrer au plus vite. Ça, et le nouveau salut aussi, entre autres. S'il savait comme il peinerait encore comme un nouveau né, dans plusieurs mois ! Bon. Elle avait l'air d'être pas forcément ravie de servir de première fois au nouveau bizut. Mais eh. Si c'était l'ordre du patron ! Voulant faire bonne figure, il resserra bien les lanières permettant aux diverses parties de son armure de tenir, s'assura de la bonne présence de son épée à son flanc, pas un bling bling de sa famille cette fois, mais bel et bien une lame régulière de garde royal. Faut dire que leur équipement, fourni bien sur, comme partout, est plus qualitatif que tout ce qu'il a connu. Planta de nouveau ses yeux dans les prunelles jades de sa comparse, il sourit de nouveau, rayonnement qui effacera peut-être ces ridules du front de la rousse à force de froncer les sourcils.

'' Bon, eh bien, on dirait qu'on va devoir passer la journée ensemble, hein ! J't'en prie, jte suis ! Je suis ton obligé ! ''

Le brun avait bien appuyé sur ce mot, prétendant puéril à un vocabulaire qu'il ne possède pas, briller là où la lumière n'a de toute évidence pas sa place.

Super.

Ma vie est super.

Me tenant l'arête du nez entre le pouce et l'index, je tente d'évacuer ma frustration comme je peux tandis que la voix de mon esprit mist résonne à mes oreilles.

"Ah bah tu vois, Calyx est d'accord avec moi."

Gnagnagna, Calyx est d'accord. Putain mais ils veulent pas me laisser vivre tous là ?! Bon. On se calme, je suppose que tomber avec Hryfin pour son premier jour ce n'est pas non plus la pire chose qui pourrait m'arriver aujourd'hui.
Et l'Adjudant... Il était obligé de rajouter un tel commentaire ?! "Capables mais froides" Non mais de quoi je me mêle !
Calme. Calme. Allez Luna, on se calme, on a dit que c'était pas si pire.

- Obligé ? Non oublie ça. Après tout, c'est l'inverse non ? C'est moi qui suis "obligée" de le former. Bref, si tu es prêt alors on y va.

Et pour le coup, pas besoin de monture pour rejoindre l'emplacement de notre assignation. Après tout en temps que garde royaux, on a l'immense privilège de vivre sur l’île juste à côté de l’île royale ou se situe le palais. Alors il suffit juste de traverser le pont entre les deux îles et les quelques rues, et nous voilà arrivé au lieu de notre mission du jour... A savoir, les grandes portes de l'entrée du palais.
Et ces portes... Je les déteste vraiment. Combien d'heures j'ai passée à attendre que le temps passe en "surveillant" en temps que sentinelle ? Beaucoup, beaucoup trop. Heureusement que je suis devenue Cuirassière... Au moins maintenant je ne suis plus obligée de faire le planton : on a l'immense chance de pouvoir se balader autour... à savoir dans les cinquante mètres à la ronde. Trop génial non ?

C'est dans ces moments là que je me demande vraiment pourquoi il y a des gens comme Hryfin qui délaisse la garde civile pour la garde royale. Pour le prestige ? Parce qu'on est "l'élite" ? Foutaise. On ne fait rien de passionnant si ce n'est protéger les têtes d'un gouvernement monarchique dont je me demande parfois si elles méritent vraiment d'avoir les 200 meilleurs soldats du pays prêt à se sacrifier pour elles.

- Et voilà, on y est. Je te présente Colin et Fynn, les deux sentinelles qui ont hérité de la surveillance des passages aujourd'hui. Il y en a une dizaine d'autres pour les relayer régulièrement histoire qu'ils puissent rester alerte, et pour intervenir rapidement en cas d'intrusion douteuse. Et nous, on va juste devoir patrouiller aux alentours pour être le premier filtre de tentative d'intrusion forcée.

Passionnant non ? Personnellement, je dis tout cela sur un ton morne, presque lassée d'avance. Parce que je le suis, lassée. Lassée de ne pouvoir aider personne si ce n'est protéger une poignée de noble favorisée par le destin.

- J'espère que tu ne t'attendais pas à vivre des aventures épiques en rejoignant nos rangs.

Sinon, le pauvre va être déçu. Enfin, au moins on a de la chance, le soleil est avec nous, amenant avec lui le ciel bleu que je fixe un instant.
Si seulement.

'' Allez, on y va ! ''

Pour au moins une raison qu'il ignorait, Luna ne semblait pas super fan de la présence de Ryf, mais comme il le pensait, elle a assez de plomb dans le crâne pour ne pas contester l'ordre de son supérieur, du moins de face et de vive voix. Guilleret, il la suivait jusqu'à leur prochaine destination, s'extasiant à moitié de chaque artifice architectural du bâtiment dédié aux gardes royaux, du côté île non pas perdue mais réservée qui leur est octroyée, au beau milieu de la capitale, d'où il est aisé d'admirer le palais royal. Alors oui, le quartier est attirant pour une certaine catégorie de personne que même en peinture, il ne les supporte pas, ce qui est dommage, car c'est souvent eux sur les peintures, un entre-soi bien sale bien irrespectueux. L'art n'est pas quelque chose qui le touche profondément de toutes manières.

C'est donc les yeux pleins d'étoiles que Hryfin allait traverser les grandes portes du palais royal, de tête, il n'y avait jamais posé les pieds, ce n'est pas le terrain de jeu de la régulière, bien hors de leur juridiction. Ce n'est pas pour ce prestige, cet honneur de s'appeler garde royal, qu'il a changé d'affectation. En vrai, Hryfin n'a pas une ambition outre mesure, cette ''promotion'', il l'avait gaiement accepté, bien qu'il soupçonne une quelconque machination de sa famille pour que le jeune hippogriffe grimpe les échelons et accède à des positions plus importantes, donc lieutenant, non, plus prestigieux, les royaux. De toutes façons, lui fait son travail et se laisse porter, si au dessus, on pense que ça mérite récompense, il ne sera pas de ceux à s'en plaindre, sans être celui à quémander.

La rouge lui présenta rapidement les deux plantons du jour. Ouais, il sait que beaucoup commencent comme sentinelle, il pourrait y avoir un léger ressentiment à ce que le nouveau arrive en tant que cuirassier. Pas ses cotes, il s'est mangé neuf ans dans la régulière, c'est plus un bizut tout droit sorti de l'académie. Faire ses preuves reste difficile quand on doit rester droit comme un piquet, mais ouais, prix à payer les gars. Il les salua d'un geste de main rapide.

'' Salut les gars ! On compte sur vous, hein ! ''

Sa seule réponse fut un geste de tête. Il glissa à l'attention de Lunarya. '' Pas très causants... ''. Donc, leur mission consistait à traîner comme ça, en armure, armés, aux alentours de la porte, des murs, vérifier les identités des entrants, être sur qu'il n'y aurait pas de soucis ? Cela semblait en effet...Plutôt monotone. Les déclarations de son ancienne amie abondaient dans ce sens, d'une impression latente juste de se faire chier quoi. Les deux marchaient déjà depuis quelques minutes, rien à signaler, leurs solerets cognaient le sol, leurs armures cliquetant au rythme de leurs pas, la Luisante qui coule au loin, cette étrange sensation qu'il ressent sur sa main, purement fantôme, puisque c'est là que se situe son tatouage, lui permettant, si le besoin s'en fait ressentir, d'utiliser son pouvoir au sein de cette mystérieuse bulle anti magie, qui englobe le palais et une partie de ses alentours.

'' J'm'attendais pas à grand chose, à vrai dire, mais plus intéressant quand même ouais. Par Lucy, pitié, dis moi que c'est pas toujours comme ça ? Limite aller voir le capitaine Hekmatyar, qu'il y fasse un truc, jsais pas, une pirouette administrative pour le bien des cuirassiers ? ''

Une certaine candeur qui pouvait autant amuser que frustrer la garde royale, s'il ne s'y prends pas bien. Depuis le moment ou les deux on été affectés ensemble, elle n'était pas des plus bavardes, bien sur, qu'elle lui expliquait les nouvelles ficelles de ce pan encore inconnu du métier par l'hippogriffe, détaillait les missions, les supérieurs, les collègues. Mais toujours avec cette mine...Patibulaire ? Il l'avait connue bien plus expressive. '' Des mains froides ''. Des mots justes et très bien prouvés qui avaient été prononcés tantôt par l'adjudant.

'' Donc, y t'es arrivé quoi ? T'étais bien plus chaleureuse avant hein ! Qui t'as fait des misères ? Que j'aille lui en toucher deux mots ! ''

Oui, alors. C'est un des aspects de Hryfin auquel ses nouveaux collègues -peut-être amis, un jour?- devront s'habituer ; il met les pieds dans le plat. Oh, tu te sens pas bien ? '' Bah pourquoi ? 'fin je sais pas, tu es triste ? Arrête. ''. Il ne sait pas lire une ambiance, et ça se voit, basant son ressenti sur ses propres émotions ou pensées du moment. Envahissant la plupart du temps, touchant par moment, gênant presque tout le temps, ses mots étaient peu souvent bien choisis, mais trahissaient une vraie volonté de bien faire. Et là, bien faire, c'était ouvrir cette coquille que s'était créer Lunarya depuis des années pour démêler le vrai du faux, et si quelques minutes, une infime poignée de seconde, il pouvait la forcer à s'ouvrir et se soulager un peu, ce serait une victoire bien plus grande qu'empêcher Jean-Raoul, colporteur de son état, venir casser les pieds aux grandes têtes du château.

- J'ai eu l'immense honneur de me faire adopter par une famille de noble sans héritier. Alors vas-y, vas leur parler pour moi qu'il puisse te regarder de haut et te prendre pour un fou.

Est-ce parce qu'il semble penser la même chose que moi de ces assignations que j'ai baissé bêtement le mur que je dresse en barricade entre moi et le monde ? L'espace d'un instant, j'ai eu envie de rire de dépit de ma situation, m'ouvrant un peu trop en répondant d'un ton presque léger là où j'aurai simplement du dire quelque chose du genre "J'ai grandis, voilà tout." Mais maintenant, je regrette. Je m'arrête immédiatement, fermant le poing et me maudissant. D'un coup d'œil, je fixe un instant Haku, qui est toujours avec moi malgré la protection du palais grâce au tatouage que tout garde royale reçoit avant son intégration, et qui lui reste neutre. Malheureusement pour lui, nous ressentons les sentiments de l'autre et... Je sens très bien qu'il est content que je perce ces barrières autour de moi... Enfoiré va.

Mais je ne peux pas laisser Hryfin là dessus, il va poser des questions et je serais capable d'y répondre... Sauf qu'il ne faut pas ! Ou pire : il pourrait aller fouiner chez les Lys et là, il risquerait gros.

- Oublie ce que je viens de dire, la situation est ainsi, c'est tout : merdique. Mais pour revenir à ce qui nous intéresse : tout est dans le nom de notre garde : "royale". On est de fait au service de ses majestés. Donc à moins qu'ils trouvent nécessaire de nous envoyer en terrain particuliers, on ne bouge pas du palais... Je dis pas que ça n'arrive jamais, mais ne t'attends pas à ce que ce soit tous les jours.

Voilà, revenons sur une discussion bien plus professionnel. Et si je veux vraiment noyer le poisson jusqu'à que ce qu'il soit mort, je vais même aller plus loin.

- Tu n'étais pas bien dans la régulière que tu as voulu intégrer la royale ? Ou c'est par obligation que tu es venu ?

Combien d'entre nous sommes finalement victimes des désirs stupides de nos familles ? Soit brillant, soit ingénieux, soit admirable, honorable même ! Pour la famille, pour la gloire de ce nom qui nous colle à la peau.

Si seulement... Si seulement je pouvais fuir cette vie. Retrouver ma fille et son père, les tirer avec moi loin de tous, loin de ces menteurs, de ces égoïstes et tyrans pour enfin pouvoir vivre une belle vie heureuse et pleine de joie.
Mais tout cela, ce n'est qu'un rêve. Un rêve qui ne se réalisera jamais.

Tout comme je crains de ne jamais réussir à assouvir les ambitions des Lys. Et c'est peut être à cause de cette peur qui me ronge que cette barrière protectrice que je me suis forgée se brise chaque jour un petit peu plus depuis ma mutation chez les cuirassiers.
Depuis que j'ai eu la chance de retrouver ma fille, et où maintenant je peux la voir grandir, un peu...

Mais cette situation est-elle suffisante ? Non. J'en veux plus, toujours plus. Alors ça se craquelle. Mais j'ai peur, alors je reconstruis et reste dans ma forteresse de solitude de peur d'impliquer d'autres gens et de les mettre en danger... A cause de moi.

'' Oh. Je vois. ''

En vrai, non. La plupart des gens ne cracheraient pas sur une cuillère en argent, à défaut d'être né avec dans la bouche, la récupérer dès l'enfance, même adolescence, c'est du pain béni. On ne peut dire qu'il ait grandit dans une famille noble ; après tout, durant toute son enfance, les Danvil avaient été des travailleurs, des artisans, bref, des forgerons, loin de tout cet univers, avec toutefois cette soif féroce de chien enragé, voulant se repaître dans les plus belles gamelles, avec tous les autres mastiffs du genre, gravitant lentement mais sûrement autour de ces hautes sphères, ce, de son point de vue, se traduisit par une dégringolade certaine de la qualité de leur entreprise, même de vie ; il fallait travailler toujours plus dur, atteindre cet objectif aliénant.

Toutefois, il a finit par partir, sortir de leur orbite, plus nullement attiré par leur centre de gravité, eh, il avait hésité à carrément décoller pour la forteresse, au Nord, l'exact opposé de la localisation de sa famille. Le temps passant, académie, premiers pas, il finit par s'attacher à la capitale, s'arracher à tout ça, bien que oui, certains soirs, sa chambre baignée de la lumière de la Lune, il ait du mal à trouver le sommeil, repensant à sa famille, surtout son frère et sa sœur, il sait que même malgré la distance, ils continuent à veiller sur lui et le porter dans leurs cœurs.

L'expérience de Lunarya a l'air d'être toute autre.

Elle ne semble pas réussir à se détacher de tout ça.

Comme réponse, Hryfin se gratta la joue de sa dextre, bien peu pratique, mine de rien, quand on porte des gantelets. Comment il en était arrivé là ? C'est vrai qu'il vient de se manger presque une décennie dans la régulière, pour que son nom soit souvent évoqué dans la liste de ceux pouvant évoluer, sans pour autant que cela en finisse par être le cas. Jamais il n'en prit offense, ce n'est pas dans ses désirs profonds. Donc, autant faire comme d'habitude, et répondre de manière simple et brute à la rouge, qui s'était un moment arrêtée quelques secondes, à se demander pourquoi. Elle avait vu un truc ? Boh, ça lui est vite passé.

'' En vrai ? Aucune idée. 'fin, je vivais tranquillement ma vie, en tant que garde de la régulière, quand on m'a annoncé que j'avais un entretien avec le capitaine Hekmatyar en personne ! C'était inattendu, et on peut pas dire que j'courais après le poste ou une promotion ! Tout s'est enchaîné très vite à partir de là. '' Il soupira. '' Jpeux pas être sur à cont pour cent, mais ça peut r'ssembler à une sorte de complot de la part de ma famille. Oh, jsais pas si t'es au courant, mais depuis le temps, les Danvil sont devenus des nobles. Ouais. C'était attendu, faut dire. Tu parles donc théoriquement a un représentant de la noblesse d'Aryon ! '' Ricanement. Ca le faisait aussi rire que ça le dégoûtait. '' Mais t'inquiètes, je t'autorise à ne pas prendre de pincette avec moi ! T'en es une aussi, de fait. ''

L'hippogriffe cachait tout ça sous une bonne couche d'humour maladroit, pas pour préserver Lunarya, loin de là, encore faudrait-il qu'il réussisse à ressentir la gène et l'énervement de la jeune femme, ce qui est absolument pas le cas. L'empathie n'est pas son fort, l'écoute n'est pas mauvaise, puisqu'il n'ignore jamais son interlocuteur et récupère chaque information que l'on veut bien lui donner. L'ironie dans sa phrase était si palpable qu'y mettre un doigt serait se faire englober le bras entier, voici un point commun entre les deux gardes royaux qu'il n'aurait jamais soupçonné, ce manque d'attrait envers ceux qui constituent l'élite autoproclamée d'Aryon, les citoyens vivent les vies, les aventuriers se baladent aidant le peuple au gré du vent, les gardes vouent leur vie aux terres du pays, pendant que les très hauts se battent à coups de sourire de façades et coups de poignards dans le creux des reins.

'' T'aurais sans doutes pu tomber sur pire. Genre, des criminels de la pire espèce. Y'a pire qu'être une adoptée de nobliaux. T'es pas dans une situation aussi merdique que tu penses, eh, au moins t'as une famille. ''

Lui aussi, en a une. Mais ne rentrons pas plus dans les détails qui fâchent. Réservons ça pour la quille, qui, il l'espère, se fête de la même façon que dans la régulière, à savoir une bonne choppe dans les pires taudis de la ville.

Bien que la description faites du métier n'était pas là pour vendre du rêve, ce n'était pas ce qu'il recherchait, il a pas vraiment demandé à être là, mais maintenant qu'il est présent, il ferait son boulot, comme il l'a toujours fait depuis.

'' J'ai passé des années à me balader dans les rues de la capitale, ne pas voir au delà de la ville, j'ai l'habitude, c'est pas ça qui va m'démotiver. Après ouais jcracherais pas sur la possibilité de sortir un peu hein. Jte mens pas, je pensais bien qu'en tant que garde royaux, on serait amené à bosser sur des dossiers chauds ou des trucs un peu plus balaise que de la simple patrouille. Après, je suis ptet le boulet qu'on a mit a ton pied, la chaperonne du petit nouveau qui commence en bas, à se balader autour du palais. ''

- Boulet non. Je pense que Calyx a juste profité du fait qu'on a fait nos classes ensemble pour que ce soit mon tour de gérer une nouvelle recrue pour me sociabiliser... Ça fait trois ans que je suis chez eux et il désespère de me voir m'intégrer aux autres. Donc s'il y a un boulet ici, je peux t'assurer que ce n'est pas toi.

"Capables mais froides." Ces mots résonnent encore dans mon esprit alors que je regarde un instant ma main droite gantée de plaque. Au fond, je m'en veux d'être comme ça. Je me dis que la vie serait sans doute plus douce si elle était passée auprès de collègues sympa dans la bonne humeur.
Du moins, jusqu'à ce qu'ils me trahissent. Jusqu'à ce que je m'ouvre à eux et qu'ils mettent en danger les gens qui me sont le plus cher parce que j'aurai trop parlé.

Non, ce n'est pas quelque chose que je peux envisager. Il n'y a qu'à voir avec Hryfin. On parle depuis quelques heures à peines et voilà que je lui dis clairement que mon problème vient de ma famille noble. Alors que lui même est noble... Heureusement, il a l'air aussi heureux que moi d'être entré dans cette caste si sélective.

- Et félicitation du coup, pour ton intégration dans le monde des gens qui s'inventent des problèmes pour se rendre plus intéressant que les autres...

Parfois, je me demande si je ne ferai pas mieux de tout arrêter maintenant. De laisser les Lys me torturer à mort, de succomber et laisser derrière moi ce monde qui m'a tant fait mal. Mais dans ces moment là, j'ai Haku qui me rappelle alors ces jours heureux avec Elion, et ma Kahlua qui grandit dans la joie malgré sa pauvreté. Mais au final, à quoi bon ? A quoi bon se souvenir de ces moments qui ne verront plus jamais le jour ? A quoi bon continuer à la voir grandir sans même pouvoir réellement faire partie de sa vie ?
Tout ça à cause de ces chaînes invisibles... De cette épée au dessus de ma tête qui ne cesse de m'effrayer chaque jour de ma vie.

- Et j'aurai préféré des criminels. C'est juste méchant des criminels ou simplement perdus. Alors que la noblesse... Ils se croient au dessus des lois et ne reculent devant rien pour arriver à leurs fins. Quitte à bafouer la morale et l'éthique...

La haine monte en moi. Si je pouvais... Parfois j'aimerai juste... Pouvoir les étriper. Joshua et Iris Lys, trancher en deux de mes propres mains. Mais cette violence que je ressens me répugne de moi même. Depuis toujours, je voulais défendre les plus faibles des oppressions et des injustices. Et au final, quoi... Je me retrouve à être la marionnette d'un couple de nobliaux pour assouvir leur soif de pouvoir... Sous peine de voir ma fille et son père se faire exécuté après avoir moi même été torturée pendant des jours.

Alors oui, parfois, j'aimerai juste avoir à arrêter de me battre. Et c'est exactement pour ça que je suis là, et que je reste seule.
Pour n'avoir à entrainer personne d'autres que moi dans ma chute. Et ne donner à personne d'autre les clés pour m'y pousser.

Wow, ok, on a tous nos problèmes avec la noblesse, mais de là à souhaiter une vie avec des criminels ? A se demander si elle n'y allait pas un peu trop fort, la petite. Après, il n'a aucune idée de ce qu'elle à vécu, encore une fois, et le moment semble loin d'être propice pour parler de choses si intimes. Oh, il l'aurait fait volontiers, ce serait pas la première fois qu'il passe pour le lourd de service, pour son premier jour, sa première tournée, ça la foutrait mal, s'il se mettait à se faire engueuler par une de ses collègues. Leurs pas résonnaient, tantôt écrasant de l'herbe, parfois claquant sur les pierres au sol.

'' Pour en avoir croisé une bonne chiée, de criminels, jpeux te dire qu'ils sont pas vraiment tous comme ça. Y en a vraiment... '' Il aurait bien craché au sol pour montrer son mépris, comme tout bon campagnard qui se respecte. Avec un heaume, l'idée n'est pas folle. '' Pires que tout. Eh, peut-être même que les nobles hein ! '' Il rit. '' Content en tout cas que tu penses comme moi là dessus, jme sentirais moins seul ! Et pas de félicitations, s't'eu plait. J'ai été complètement débile, sur le coup. J'ai bossé dur, tout ça pour au final, ne pas bénéficier de ce statut ! ''

Il leva son avant-bras droit jusqu'à devant son visage, oui, bien sur, idiot, qu'avec son équipement, il ne verra pas les quelques cicatrices blanches qui lézardent son bras, dues à ces langues de flammes, gerbes d'étincelles, qui venaient lui lécher le bras quand il travaillait encore à la forge, et également à ces manipulations hasardeuses et indélicates aussi bien de métaux encore chauds que de lames bien trop affûtées pour son propre bien. Aucune idée de si ce passé lui manquait tant que ça, charbonner pour des gens dont le seul objectif était, au final, d'atteindre ce sacro-saint statut de noble, pouvoir pavaner, se laisser aller, tomber dans des lauriers qui, bien qu'obtenus à la sueur de leur front, se révèlent être le carcan de leur décadence, se retrouvant dans la qualité bien incertaine de leurs ouvrages. Le navire ne pouvait être quitté à meilleur moment, avant de lui même finir dénaturé et privé de liberté. C'est ces pensées qui lui permettaient de s'endormir, le soir, encore plus de dix ans après sa fuite.

'' C'est quel genre de supérieur, ce Calyx, en tout cas ? Il m'a l'air...Brutalement direct. Mais réfléchis quand même, pas comme moi qui peut gaffer à tout moment. Un bon gars jdirais. Il tient juste à ce que tout l'monde se sente bien, jpenses. Et te voir comme ça dans ton coin...Ça doit le déranger. T'inquiètes, s'il le faut, c'est moi qui te présenterait du monde ! ''

Il ricana encore. La rousse n'a que trop changée, au fil des années. L'hippogriffe qui gardait des souvenirs d'une Lunarya plus joyeuse ne pouvait s'empêcher d'en être attristé, beaucoup plus touché par ses propres souvenirs qu'il se fait d'une personne que de ce que cette dernière peut bien ressentir, dans le moment présent. N'empêche, qu'est ce qui avait pu la changer comme ça ? Elle avait pas quelqu'un, à un moment ? Et même un ami extrêmement proche, inséparables durant leur temps à l'académie ? Non, il ne pouvait plus tenir sa langue, fallait qu'il pose la question.

'' Et niveau vie perso ? Tu t'en sors, toi ? Jsais que pour moi, c'est pas toujours facile, déraciné du Grand Port, j'ai passé beaucoup de nuits, même de journées bien seul...T'avais pas quelqu'un, toi, aux dernières nouvelles qui remontent jdois bien l'dire ? Et même cet ami là...Jsais plus comment y s'appelle, impossible de vous décrocher l'un de l'autre à l'époque ! Qu'est ce qui a bien pu t'arriver ? Pourquoi t'as finie par être si absente ? ''

Blanc gênant. La garde royale semblait imperméable à ses questions, intrusives, directes, impolies, et même tout ce que vous voulez. Face à l'apparent silence de Luna, pensant ne jamais entendre de réponse, il embraya maladroitement sur un autre sujet.

'' Donc, du coup, pourquoi garde royal ? Ca protège le palais, la famille royale, les ministres, les plus hauts nobles, moi, j'ai pas eu trop le choix que d'être là, en vrai, j'm'en fou aussi. Mais toi, ça te fou pas genre, une boule de haine dans la gorge ? De ce que tu m'en dépeins, c'est pas un tableau très sexy la noblesse... Et on se fait si souvent chier ici ? ''

Bon, le deuxième sujet aussi était sensible, mais un peu moins, faut le comprendre, il marche sur des œufs, bien que son inconscient en ait connaissance, les neurones moins, et la coordination cerveau-bouche quand il s'agit de paroles hein...Il mâche peu ses mots. Si seulement la rousse n'était pas aussi tatillonne !

Je me fige, touchée en plein cœur pas ces questions. C'était sûr ! C'était sûr que ça allait arriver à un moment. Et pourtant, j'ai pas réfléchit à ce que je pourrais dire ! Enfin, si, j'y ai toujours réfléchis, j'avais ma réponse toute prête mais, là, le moment venu, elle ne vient pas.

Heureusement, il remarque mon silence et embraye sur autre chose... Malheureusement pour lui, tout est désespérément lié.

Pour autant, un terme qu'il emploie me fait réagir.

- Une boule de haine dans la gorge, tu dis ? Une part de moi voudrait mettre toute cette ville à feu et à sang tellement j'ai la haine contre cette vie...

Puis je prends conscience de ce que je viens de dire, et je souffle longuement. Après ce que je viens de déclarer, je ne peux clairement pas me permettre d'en rester là.

- Mais malgré le peu de liberté qu'on me laisse, ce n'est pas ce que j'ai envie de devenir. J'ai voulu devenir garde pour aider et protéger, pas pour assassiner des enflures... Aussi immoraux soient-ils. Et si je laisse les épreuves que je dois traverser changer totalement la personne que je suis, alors je suppose que j'aurai définitivement tout perdue.

Même si en soit, je ne suis déjà plus très loin de ce simple fait... Pour autant, il me reste encore ma bienveillance. Enfin, je crois.

- Viens, allons patrouiller en dehors du palais.

C'est à peu près la seule liberté que j'ai gagnée à devenir Cuirassier... On peut bouger, et surveiller les alentours de l'endroit désigner. Ce qui veut donc dire pouvoir quitter cette enceinte qui représente un peu trop la noblesse et tout ce que je déteste. Et là tout de suite, j'ai besoin d'air. De m'éloigner un peu de tout ça, même si ce n'est que de quelques mètres.

Alors je presse le pas, laissant l'homme hippogriffe légèrement à la traine derrière moi. Pour autant, ces dernières questions auxquelles je n'ai pas répondu tournent toujours dans ma tête. Devrai-je le laisser sans réponse ? Devrai-je lui mentir comme j'avais prévu de le faire en lui disant que machin m'a planté dans le dos et a failli me tuer ? Un faux mensonge puisque de manière imagée c'est effectivement ce qui s'est passé : en me trahissant il a failli me conduire à la mort. La seule différence c'est qu'il n'était finalement armé que de mots et non d'une lame.

Et c'est finalement juste au moment où je franchis la grande porte qu'Haku ose émettre un simple "Luna..." dont le ton veut tout dire tant il me l'a déjà trop dit. Alors, je m'arrête et fais soudainement volte face vers Hryfin, plantant mes yeux dans les siens.

- Il m'a trahie. Je peux pas te dire ce qu'il m'a fait, mais par sa faute, j'ai du briser le cœur de celui que j'aime. Tout ça a cause de lui, et de ma "famille" noble. Et je suis entrée dans la garde royale à cause d'eux aussi, sans quoi ils auraient détruit tout ce que j'aime. C'est un gros résumé mais je peux pas t'en dire plus, et je ne le veux pas non plus.

Je me retourne alors, fuyant son regard, me sentant soudainement bien trop vulnérable.

- Je suis désolée Hryfin. Ils ont tué celle que j'étais alors je préfère que tu te fasses une raison et que tu l'oublies. Et ne t'inquiète pas, tu t'ennuieras surement moins que moi quand tu auras de vrais compagnons avec toi. Et je me chargerais de dire à Calyx qu'il n'a pas besoin de se soucier de moi de la sorte et qu'il y a d'autre moyen de m'aider que de me forcer à m'intégrer aux Cuirassiers.

Mon regard se perd dans celui de l'esprit de mon mist. Je le sens déçu de ma dernière tirade, cela fait quelques temps maintenant qu'il voudrait que je m'ouvre plus, que je m'intègre tout comme le voudrait Calyx, mais la peur me bouffe. Et puis, quelle intérêt alors qu'il faut que je sois mutée chez les Prétoriens ? Si je dois tenter de m'intégrer quelque part, ce devrait-être avec eux et non dans une compagnie de passage...

Même si bon, jusque là, ma demande d'intégration à l'élite de la garde royale à toujours fait un floppe... Parce que je n'y mets pas vraiment du miens ? Parce que je redoute ce que les Lys vont me demander une fois en possession des secrets du royaume ? Possible...

Qui sait quelle sera la prochaine étape de ma chute...

Patrouiller en dehors du palais était une bien meilleure idée, pas dans le sens ou c'est l'endroit où le danger rôdait et où les risques d'infractions étaient démultipliés, mais car cela ferait beaucoup de bien à la rousse. Visiblement, Hryfin n'avait que frôlé du bout des doigts les problèmes qui la tourmentait, et en toute honnêteté, l'idée de mettre la main dans cet engrenage de haine et y voir son bras se faire emporter ne l'enchante guère. La dualité entre la douceur et noblesse de protéger les gens corps et âme et d'un autre côté, avoir envie de brûler la ville...Il s'en est potentiellement fallut de peu pour que Lunarya passe du bon côté de la force, au lieu de sombrer dans le côté obscur et finir comme une énième criminelle qu'il aurait pu arrêter lui même au détour d'une ruelle sombre pour vol ou coups et blessures. Ironique, qu'elle annonce ne pas laisser les épreuves la changer, alors qu'elle a littéralement dit avoir changée.

Non, pas juste changée, ''tuée''. Pas au sens propre, même un nigaud comme lui arrivait à capter la nuance, plus par expérience qu'intelligence acquise. Dire qu'il s'attendait à retrouver son amie dans le même état qu'à l'époque est présomptueux, l'hippogriffe est un des seuls à ne pas avoir vraiment changé à vrai dire, aussi bien physiquement que moralement ou mentalement. Un peu plus grand et carré, c'est un fait. Plus sérieux et appliqué, aussi. Les idées restent les mêmes, et son vécu ne lui apporta aucune cicatrice, qu'elle se voit sur son corps ou non, car les blessures émotionnelles, celles à l'âme, sont les plus fragilisantes.

Et Lucy semble savoir à quel point celles de Lunarya avaient l'air profonde.

Toujours plus petite que lui. Toujours athlétique. Les mêmes yeux verts, et toujours, et bien, si rouge. Et étrangement toujours aussi énergique, puisqu'il dut redoubler d'efforts pour la rattraper, une fois partie comme une flèche une fois les lourdes portes de la demeure de la famille royale dépassées ! Tout ça pour apprendre toutes ces choses sur elle...Donc, elle avait été trahie ? Marrant, elle trahie par son ami, Ryf traître à sa famille. Largement de quoi s'entendre, sur ce terrain !

'' Donc toi aussi t'es là à cause de ta famille. Pour ta famille ? Jsais pas, jsuis toujours aussi lent tu sais. J'aimerais...Vraiment pas être à ta place. Eh, t'as pas envie de parler ? Pas de soucis, jsuis pas de ceux qui vont te secouer pour avoir toutes les infos. Tu sais par contre que jsuis de ceux chez qui tu peux débarquer quand tu veux pour te décharger. Aucun jugement, juste un bon verre et une paire d'oreilles ! ''

Il aurait beau proposer, le grand savait pertinemment qu'elle n'accepterait jamais cette invitation indirecte et déguisée. Raison pour laquelle il se propose ? Sûrement pas, il pense ce qu'il dit, si un jour, elle tape à sa porte, pour une quelconque raison, sa seule réaction serait de l'ouvrir en grand et de l'accueillir. Sa curiosité n'en avait même pas été piquée, puisque sur ces sujets là, il n'en possède aucune. Il lance des sujets comme un pêcheur lance sa ligne, car il se dit que ce serait le bon moment, le bon endroit, à envie de se poser et tâtonner le poisson, sans s'attendre à ce qu'aujourd'hui, ça morde.

'' J'apprendrais juste à mieux connaître la nouvelle Lunarya alors ! De toutes façons, me connaissant, le temps de prendre mes marques avec tout le monde, je vais rester un peu sur le côté et observer, toi par contre jte connais, et jte lâcherais pas d'une semelle ! '' Il rit, son grave rendu métallique par les rebonds de sa voix contre son casque. '' Si Calyx se soucie de toi, c'est que tout le monde doit s'entendre au moins un minimum pour la cohésion ! Jte le dis, à la régulière, y a un bon nombre de connards, bêtes à bouffer du foin, plus que moi ! Tout ce qu'ils pigent, c'est la hiérarchie de la force. Et encaisser les pintes. T'imagine pas le nombre de mecs que j'ai du forcer à me respecter ! D'ailleurs, faudra qu'on aille se boire un verre, un de ces quatre ! ''

Complètement inconscient de l'attrait ''Une des pires proposition de rendez-vous jamais vue'' de ses propos, l'hippogriffe ne tentera pas de retomber sur ses pattes, puisque pour lui, il n'y a aucun soucis pour ça, tellement il est détaché de toutes ces notions de rancards ou drague, espérons que la garde royale se rappelle du manque d'intérêt direct du Danvil quant à tout cela. Tout ce qu'il désire, c'est partager un bon moment avec une vieille amie, hors de ces armures, hors de ces protocoles, rien de mieux que cette petite taverne où nombre de ses anciens collègues se réunissent habituellement, bien connue pour accueillir nombreux combats de bar, lancés, effectués et dirigés par moult gardes et aventuriers souhaitant en découdre.

'' Donc, du coup, t'as une chambre à la caserne toi ? Et ton coloc arrive à te supporter ? Jte vois plus dans ta petite maison tranquille, à dire vrai. Ma famille m'a trouvé une petit habitation, pas trop loin de la caserne. Y a plein de gosses, abandonnés à leur sort pour la plupart, les pauvres. Jparles mal de ma famille, parfois, mais franchement, ils me mette plutôt bien, jvais pas mentir ! ''

Ouais. Le beurre, l'argent du beurre, et la crémière avec, après avoir passé son temps récent à cracher dessus. Le seul truc qui différenciait des avis pourtant convergents entre Ryf et Luna par rapport à la noblesse ; elle les déteste, tous, sa nouvelle famille incluse. Alors que le grand...Hm. Il en profitait à contrecœur.

- Mon coloc ? Pour l'instant je n'en ai plus.

Et la vérité c'est que je les fais tous fuir. Pour tout dire, j'en ai eu déjà neuf, de coloc, dans la chambre 205. Et je suis presque sûre qu'il y a maintenant une légende qui raconte que cette chambre est maudite, ou un truc du genre. Sauf qu'en vérité je suis la seule à blâmer dans cette histoire... Je rentre tard, je ne parle pas, je suis assez maladroite pour ne pas être discrète... Bref, dire que je les fais fuir est un euphémisme...
Donc est-ce qu'ils arrivent à me supporter ? Clairement, non.

Et comme ma famille ne souhaite pas dépenser un centime inutilement, je n'ai pas eu le droit au traitement de faveurs d'avoir ma propre demeure. Dans tous les cas, pour quoi faire ? Au moins à la caserne je n'ai pas à m'occuper des petites choses de la vie comme faire à manger ou faire le ménage dans un million de pièces différente.

- Et je ne bois pas.

Pas que je n'aime pas... Mais la dernière fois que j'ai bu j'ai failli tué quelqu'un et je n'en ai gardé aucun souvenir. Pourtant, ce qu'était qu'un verre... Depuis, j'ai choisi d'arrêter totalement. Après tout, je n'ai bu que trois fois dans ma vie et si deux fois ça a tourné au drame, la troisième m'a donnée Kahlua. Et même si je l'aime de tout mon cœur, je ne peux m'empêcher de me dire parfois que si elle était arrivé un peu plus tard, j'aurai peut être pu la garder près de moi... Avec son père.

- Mais merci quand même pour l'invitation... J'y penserai.

Un jour, peut être. Même si j'en doute.

Je souffle alors un instant sous le regard triste d'Haku. Comme d'habitude, je mets une nouvelle fois des barrières autour de moi, me protégeant de toute intrusion au même titre que je protège ce palais.

"Pendant combien de temps encore va-t-on continuer ainsi ?"

Le temps qu'il faudra. Pour toujours si nécessaire. De toute façon, ce n'est pas comme si on avait d'autres choix, non ?

- Et tu seras bien obligé de me lâcher un jour Hryfin, ma famille à d'autre projet pour moi que de me voir faire carrière chez les Cuirassiers. Et comme tu t'en doutes, je n'ai pas mon mot à dire dans ces décisions.

Quand je repense à ses mots, je l'envie un peu. J'envie sa simplicité, sa spontanéité. Moi, je passe mon temps à tout calculer, à tout faire pour être toujours la meilleure, la plus efficace, la plus remarquable. Mais malgré tous mes efforts, ça ne marche pas. Je voudrai juste atteindre cette perfection qu'on attend de moi. Sauf que j'en suis physiquement et moralement incapable. Si seulement... Si seulement je pouvais avoir une autre vie, avec d'autres problèmes que je serai en mesure de résoudre !

Mais au lieu de ça je suis là. Et même si vu de l'extérieur ma vie ne semble pas si terrible, je me sens mourir chaque jour un peu plus.

Si seulement j'étais plus forte. Et libre.
Surtout libre.

'' Ah ? Tu comptes passer quoi ? Lieutenante ? Major même avec un peu de chance ? ''

Il restait une autre option, mais il n'y pensait pas, car c'est un poste qui ne correspondrait pas au caractère de Lunarya. Les prétoriens. Ces mecs -et femmes hein, sexismo no- qui font partie de cette caste très fermée. Oh, que des à priori qu'il a, le grand se permettra de juger qu'une fois qu'il aura eut l'occasion de converser avec des membres de cette unité, ou à défaut, constater les dégâts par lui même. Oui, ils ont en effet cette réputation d'être de redoutables combattants, une élite parmi l'élite, petit groupuscule trié sur le volet pour effectuer la meilleure des tâches de planqués, garder les archives et les endroits les plus sensibles du bastion de la garde royale. Un immense ramassis d'occasions manquées et une mauvaise gestion des moyens alloués à ces personnes, si on veut son avis. Après, qui est-il pour juger après tout ? Seulement, on dit que ce n'est pas qu'à la sueur de son front qu'on y accède. Dévotion, connaissances théoriques et une certaine instruction sont requis pour prétendre faire parti de ce corps. Eh, Hryfin en a déjà un sur trois ; qui serait encore aussi dévoué après presque une décennie à patauger dans la fange de la capitale ? Pour ce qui est des deux autres...On est sur des choses qu'il n'est pas près de maîtriser, autant oublier de suite. Rien ne l'empêche d'un jour monter les autres grades...S'il est assez remarquable. Ryf n'est de ceux qui mendient une promotion.

'' J'espère bien que c'est pas les prétoriens que tu vises. Jsais pas, j'en ai pas vraiment entendu qu'du bien de ceux là. 'sont balèzes hein, sans doutes, mais s'pas ceux qu'on voit le plus souvent sur le terrain quoi. Trop bien pour se salir, ou juste obéissant à des ordres que jcomprends pas. Bon ouais ok, jviens de débarquer. Ça m'empêche pas d'avoir une opinion. Pas encore tranchée, elle est quand même là. ''

L'invitation de l'hippogriffe passa presque inaperçue sous cette couche de rejet envers sa famille dont la rouge fait preuve. Ne pas boire ? Par Lucy, comment fait-elle pour tenir ? Attention, l'alcool c'est tabou, on en viendra tous à bout, force est de reconnaître qu'il y a un certain réconfort à se réfugier dans cette euphorie temporaire, entouré de collègues tentant vainement de balayer d'un revers de main -et de pinte- les soucis quotidiens qui se sont accumulés, après des jours voire pour les plus endurants, des semaines de dur service. Être confronté à la détresse des uns, la délinquance des autres, n'est pas toujours chose facile, et si ce n'est pas dans le fond d'un verre qu'on trouve la réponse à ses questions, ce n'est pas la liqueur qui chassera vos démons, la quiétude passagère qu'elle apporte est parfois des plus bienvenue.

'' Eh bien, j'espère que tu bois quand même, faudrait pas te déssecher ! '' Un humour au moins aussi lourd que lui, il arrive à se faire rire tout seul. '' Blague à part, écoute, tu sais où me trouver maintenant, on est d'la même unité en plus pour l'instant. Je vois pas comment tu fais pour pas t'enfiler ne serais-ce qu'une bière. Jdis pas qu'il faut boire, c'est pas ton cas, franchement c'est plutôt cool. Le truc c'est que d'habitude, qu'ce soit dans la garde ou ailleurs, les meilleures histoires commencent pas par ''Alors la dernière fois on buvait des shots de lait'' quoi. ''

Combien de fois il a entendu les histoires des anciennes aventures des plus anciens, des prouesses des jeunes, les soirées d'intégration dans les régiments, les bizutages lors de l'arrivée à l'académie...Tout ça ne se passait pas sans son lot de tonneaux, ses litres de boisson. De la à dire qu'ils en sont obsédés, il n'y a qu'un pas que l'ensemble du royaume n'hésiterait pas à franchir à l'unisson, main dans la main en riant, oubliant que quand ''Un bandit a volé ma bourse'' ou ''un délinquant à détruit mon échoppe'', ce sont bien ces bouc-émissaire du royaume qui répondent présents. Désolé de pas avoir le temps de chercher ta poule, Bébért, laisse ça aux pires aventuriers du royaume. Mine de rien, le temps passait, et il savait qu'après sa courte introduction à la ronde basique de la garde royale, il aurait le droit à un énième test physique. Après tout, il est pistonné, bon, Arthorias aurait eut son mot à dire et aurait pu juste dire ''non'' au lieu de l'accepter, mais c'est tout comme. Et vu le chemin parcourut, elle était bientôt terminée, chacun devrait repartir pour son nouveau planning des prochaines heures, d'autres prendront leur place, et ainsi va de leurs affectations. Au moins, le temps de promenade est agréable, à défaut d'être aliénant.

'' J'espère vraiment qu'on va pas me mettre contre un golgoth, une espèce de brutasse pour me tester...C'est si lourd que ça, leurs tests la ? T'as bien du en passer, non ? Jle passe d'ici même pas quelques heures tsais... ''

- Ça je ne sais pas, mais si tu as peur de ne pas être à la hauteur, on peut tester maintenant si tu veux.

Je lui lance un petit regard en coin tout en ayant posé une main sur le pommeau de mon épée. Et surement pour la première fois de la journée, il peut alors entrapercevoir la Lunarya qu'il a connue autrefois. L'entrainement a toujours été quelque chose d'important et d'assez plaisant pour moi, même si je n'ai pas toujours été la meilleure. Mais c'est quelque chose qui me permet de me vider bêtement la tête, d'oublier tous mes soucis l'espaces de quelques heures pour ne me focaliser que sur les mouvements, les miens comme ceux de ou des autres. Et réfléchir à la meilleure approche de manière presque instantanée.

Alors si certains décompressent de leurs soucis dans l'accord, moi qui ne supporte pas la moindre goutte de ces breuvages, je n'ai trouvé que cette manière d'évacuer stress et frustration. Tant est si bien que si je suis connue pour quelque chose dans la garde royale, c'est bien pour n'avoir jamais refuser un entrainement.

- Mais sinon, je te l'ai dis, ce n'est pas mon ambition mais celle de ma famille. Et celle ci n'a jamais pris en compte mon opinion.

Alors oui, c'est bien les prétoriens.

- Et oui, je bois du thé, de l'eau et parfois même du jus ou du sirop. Et je peux t'assurer que quand tu te réveilles avec un trou de mémoire après avoir bu trois gorgée de l'alcool le plus faible et que tout le monde te dévisage le lendemain parce que tu as fait des choses un peu trop violente, et bien tu n'as plus envie d'essayer. C'est pour ça qu'à défaut, je compense en entrainement. Donc vraiment, si tu crains ce qui t'attends pour le reste de la journée, je peux t'en offrir un avant goût.

Et cette fois, je dégaine très clairement ma lame et laisse les rayons du soleil se refléter dessus quelques instants.

- Même si je t'avoue ne pas être la plus forte de notre unité, je pense tout de même être suffisamment expérimenté pour qu'on puisse un peu vérifier tes capacités et ceux même si je préfère me battre à la hallebarde qu'à l'épée et bouclier.

Du coin de l'œil, alors que nous nous sommes arrêtés d'avancé, je peux voir Haku qui balance la tête d'un air légèrement désespéré. Même si nous sommes la même âme, il n'a jamais vraiment apprécier ce plaisir que je peux prendre à me battre. Mais au fond, je sens très bien une certaine pointe de jalousie dans ses sentiments qu'il ressent. Car lui ne peut pas interagir avec le monde, et même lorsqu'il tente de partager ces moments avec moi, ce n'est pas la même sensation que les chocs provoqué par deux armes qui se rencontre...

Ou de deux corps qui s'entrecogne et me rappelle malgré moi les plus belles années de ma vie passée avec Elion...

'' Oooh ? Tu es vraiment sûre de cette proposition ? ''

Presque à croire qu'elle aurait oublié les bruits de couloir concernant les aptitudes au combat du noble Danvil ; et oui, ce ne sont pas que des rumeurs, loin d'être invaincu en duels, ayant toujours du mal face aux adversaires agiles de petite tailles, ces opposants ne sont pas légion au sein de la garde, encore moins de la royale de ce qu'il a vu ; l'hippogriffe truste le haut du classement des duellistes. Il faut bien compenser toutes ses tares par quelque chose de bien, et s'il sait bien faire un truc, c'est se battre. Le grand accepta indirectement l'invitation à l'exercice, en tirant également sa lame dans ce bruit si caractéristique du métal de l'arme frottant contre l'acier de la chappe du fourreau. Pour dire vrai, il était dans un état d'esprit similaire à celui de la cuirrassière, puisque les deux sont bien plus friands des armes dont l'allonge dépasse le petit mètre moyen d'une épée.

'' Voyons, t'rabaisse pas comme ça. Jsuis sur t'en a mis plus d'un au tapis. Dommage que ta belle série s'arrête avec moi ! ''

Heureusement, par Lucy, que les deux étaient tout de même assez prudents pour être sûrs de se trouver dans un lieu relativement isolé, où si quelques passants pouvaient éventuellement les voir, aucun d'entre eux ne serait assez, disons, au courant des habitudes de la garde, encore moins de la royale, pour s'inquiéter d'une passe d'arme entre deux boites de conserve, même près du palais, mais n'importe quel soldat, du plus haut gradé jusqu'au plus bas des clampins, comprendrait que quelque chose ne tournerait pas rond. Donc, résumons. Lunarya, déjà bien établie dans la garde royale, propose un exercice à un petit arriviste tout droit venu de la régulière, encore presque en probation, qui risquerait de tout perdre par simple ego épicé d'une pointe de débilité ?

Hryfin ne recule devant aucun combat.

'' Je te préviens, c'est pas une petite fille de nobliaux qui va me faire peur et être digne de s't'espèce d'examen d'entrée ! M'enfin, ça fera un petit avant goût pas de refus ! ''

L'espèce de menteur, il peut très bien avoir du mal à comprendre les codes sociaux, comment communiquer avec les gens ou faire preuve de cette empathie qui l'aurait sorti de bien des situations, pourtant la provocation, ça le connaît, et c'est clairement ce qu'il cherche, à ce qu'elle sorte de ses gonds et commette une erreur. M'enfin, ce sera pas le cas lors de son test, mais ça ne coûte rien de pimenter un peu le tout.

'' C'est pas du thé ou du jus qui va te permettre de te relever de- Ouais non jvais arrêter avant que ça devienne gênant. Bien. Allons y ? ''

Les deux cuirassiers commencèrent à tourner, chacun d'un côté, s'évaluant, se jaugeant.

'' Je suis aussi beaucoup plus à l'aise avec une lance, du coup, ce sera d'autant plus intéressant pour nous deux ! ''

Sans attente, c'est bel et bien l'homme qui s'élança en premier, fidèle à sa réputation, juste une énorme attaque de tranche, de haut en bas, après s'être jeté sur sa partenaire, cette dernière qui, comme prévu, l'esquiva à son grand aise ; quand un mec de plus de deux mètres taillé comme lui vous attaque ainsi, le premier refléxe n'est pas de se dire ''Orf je vais encaisser tranquillement'' ou même ''Ca peut se parer ça, non ?''. Sécurité avant tout, éviter cette lame qui fendit l'air ; et il y comptait bien, pour interrompre ce mouvement en cours pour partir sur une taille horizontale, totalement dépendante de l'orientation du mouvement d'évasion de son adversaire ; c'est un peu sa spéciale qui bien sur, comme toujours, avait connecté sur la rouge, dans un tintement de métal. Touche à l'armure ? Non, car la bougresse avait paré. Oui, bien plus simple d'arrêter cette frappe, puisque moins soumise au momentum de sa course, de l'épée qui s'abat. Elle se retrouvait néanmoins coincée dans un duel de force face au grand qu'elle était quasi sûre de perdre. La garde avait toujours énormément d'options pour s'en sortir, encore fallait-il trouver la meilleure.

Dans tout bon combat, il y a des codes particuliers à respecter.

Et le tout premier que j'ai appris et qu'on apprend pas forcément à l'académie, c'est qu'une victoire est une victoire, point. A partir de là, tous les codes moraux et autres qu'on nous apprend passe à la trappe. Aussi, quand Hryfin fait ses petites tentatives de déstabilisation, je trouve cela presque mignon. A défaut de m'énerver, cela à le mérite de me faire sourire. Je suppose qu'il faut savoir chauffer son adversaire à la régulière pour être sûr qu'il y mette vraiment du sien durant l'entrainement ?

Pour ma part, je n'aime pas perdre. Cela me rappelle systématiquement que je ne suis toujours pas à la hauteur pour les Prétoriens, et que j'ai encore du chemin à parcourir.

Alors chaque combat doit mener à une victoire. J'ai dit "doit" mais bien évidemment, c'est loin d'être le cas. Pour autant, je me donne toujours à fond. Et ce n'est pas l'accueil du petit nouveau qui va me faire me retenir.

Et vu sa taille et sa corpulence, il me parait évident qu'en duel de force pur je ne ferai pas le poids. Alors il ne me faut qu'une fraction de seconde pour réagir et incliner ma lame de manière à faire glisser la sienne de biais tandis que je me baisse et qu'un de mes pieds décolle du sol pour aller s'enfoncer derrière son genou et le balayer violemment. J'avais espoir que cela le mettrait au sol mais le géant tient bon et n'est que succinctement déséquilibré, me laissant juste le temps de me relever et d'enchainer moi même l'assaut en visant sur le côté, l'obligeant à se tourner pour pouvoir parer l'attaque au dernier moment tandis que dans le même temps, mon pied vient chercher son sternum pour lui couper le souffle et prendre de nouveau de la distance afin de revenir à l'assaut.

Les passes d'armes s'enchainent ainsi durant quelques minutes. Un coup j'arrive à prendre l'avantage, et le coup d'après c'est lui qui reprend le dessus. Plusieurs fois je me retrouve dans des situations précaires ou seul le dépassement de soi me pousse encore et toujours à lutter.

Jusqu'au dénouement, un mouvement risquer de ma part, une pierre qui roule... Et c'est moi qui perd l'équilibre. Et bien évidemment, il prend l'avantage et fini par me tendre la main pour m'aider à me relever. J'accepte en souriant, assez épuisée par l'effort et renfermant profondément en moi la tristesse de ce nouvel échec.

- J'espère qu'avec ça, tu es rassuré. D'ailleurs, on devrait vraiment y aller avant de se faire engueuler.

Il manquerait plus qu'on se mette en retard pour son premier jour au sein de la brigade... En plus alors qu'il était avec moi, Calyx pourrait penser qu'il a enfin trouver quelqu'un qui arrive à me dérider et le pauvre Ryf sera obligé de me supporter bien trop souvent... Non, vraiment, je préférerai pouvoir conserver ma tranquillité et mon étiquette de soldat asociale.

Même si au fond, c'était plutôt agréable de pouvoir parler un peu avec une vieille connaissance... Et puis, qui sait, peut être que Hryfin se révélera être quelqu'un de confiance, lui ?

Mais suis-je vraiment prête à prendre ce risque ? En tout cas, pas aujourd'hui.