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    Un monde plein de mystères,
    plein de magie et surtout plein d'aventures...

    Il est peuplé de créatures fantastiques. Certaines d'une beauté incomparable, d'autres aussi hideuses qu'inimaginables, beaucoup sont extrêmement dangereuses alors que quelques unes sont tout simplement adorables. La magie est omniprésente sur ces terres : des animaux pouvant contrôler la météo, des fleurs qui se téléportent, des humains contrôlant les éléments, des objets magiques permettant de flotter dans les airs...

    Dans ce monde, il y a le royaume d'Aryon. Situé à l’extrémité sud du continent, c'est un royaume prospère, coupé du monde. Il est peuplé d'hommes et de femmes possédant tous un gros potentiel magique, chacun vivant leurs propres aventures pour le meilleur comme pour le pire.

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    Red et Bridget se transforment en instructeurs de la Garde de la Forteresse pour une journée, en compagnie d'une véritable instructrice...

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    Dextre et sinistre
    Zahria AhlyshOmbre
    Zahria Ahlysh
    Informations
    Dextre et sinistre
    Sam 1 Jan 2022 - 19:46 #


    Dilemme


    Si je pouvais je vivrais seule, loin des problèmes et des dilemmes, loin de mes chaînes et des gens que j’aime. Seule, je veux être seule.

    Je ferme à clef la porte de mon bureau. J’ai posé un enchantement de serrure sur celle-ci, et caché tous mes documents compromettants dans le coffre avec le même enchantement, au pôle espionnage. Je soupire. Il fait encore nuit. Je me dirige silencieusement vers ma chambre. Mes familiers dorment sur le lit, roulés en boule. Dhim relève la tête en m’entendant, je pose un doigt sur ma bouche et lui fait une caresse pour qu’il se rendorme. Je pose mon cristal de communication et mon collier jumeau lié à Vrenn sur la table de chevet, et je sors. J’évite avec dextérité la marche qui grince dans les escaliers, et sort par la porte du jardin. Ykhar hennit doucement dans son box quand j’entre dans l’écurie. Je remets du grain dans sa mangeoire, et passe ma main entre ses cornes. Je lui dis quelques mots, je lui explique où me retrouver avec les autres. Plus tard. La nuit prochaine, quand elle sera à l’aise.

    Le Lotus Noir, c’est ma destination. Je vais y retrouver la personne qui va m’emmener à mon père. A ma nouvelle vie. Loin de ceux que j’aime, pour les protéger. Au plus près de mes problèmes, pour les affronter. Enchaînée, avec de nouveaux dilemmes à régler. Je voudrais être seule, loin de tout. Mais je ne le peux. L’ultimatum qui m’a été posé n’admet aucune fuite. « Rejoins moi, ou je les tue, un à un. »

    Il y a quelques jours à peine, nous fêtions mon anniversaire dans cette demeure avec laquelle je mets de la distance, au cœur de ce foyer, entourée de tous ces gens que j’adore et qu’aujourd’hui je décide de protéger.

    Je ne peux pas me mentir complètement, l’idée de la liberté qu’offre la Cabale m’a tenté, un instant, et a mis le doute dans mon esprit. La connaissance, le savoir, et une marge de manœuvre bien plus importante que chez les espions. Mais leurs méthodes me révulsent. Extorsion, assassinat, manipulation, torture, expérimentation sur cobayes humains, lavage de cerveaux… Jamais je ne pourrais être des leurs. Pourtant, il le faudra bien. Si je veux protéger ceux que j’aime, si je veux trouver le point faible de l’organisation, une façon de la démanteler de l’intérieur, si je veux qu’ils cessent de faire du mal à mes proches et de mettre en danger la population d’Aryon.

    Alors je marche d’un pas décidé. Vers ma damnation, mon billot, la guillotine qui lentement, va en finir avec ma vie. Car c’est sûr, je l’ai compris. Je ne ressortirai pas de celle-ci indemne. Vivante. Mais si je dois troquer ma vie contre celles de ma tribu et du peuple que je protège depuis toujours, je suis prête.

    ~~~

    Comme je l’imaginais, ce n’est pas simple de me retrouver face à mon père. Parle-d’Or, se fait-il apparemment appeler. Je passe de guide en guide, de planque en planque, toujours plus sombre, toujours plus profond. Je suis même surprise quand enfin, on ouvre une trappe qui donne sur la lumière, et sur des escaliers aux fines dorures. Je monte, enfin. C’est tellement moins symbolique, tout d’un coup. Je soupire. Je ferme les poings, quand on frappe à la porte de ce qui semble être un bureau. Et le voilà, Hershell Nilsen, son œil unique, glacial et perçant, sa posture noble et sa barbe finement taillée. C’est la troisième fois que je le vois, mais je me surprends encore à être assommée par son charisme.

    Il m’invite à m’asseoir en face de lui, et me détaille un long moment, sans rien dire. Je me surprends à faire la comparaison entre Höls et lui. Le commandant a parfois ce genre de moments. Mais là où Höls agit toujours pour le bien de la nation, et qu’il me détaille pour le tirer de moi le meilleur de mes capacités, l’homme que j’ai en face n’agit que pour lui, et cherche chez moi mes plus sombres desseins, mes envies bafouées et mes cauchemars interdits. Quand enfin il prend la parole, je ne peux retenir un petit rictus.

    « Tu as les artéfacts du Maître-Espion avec toi ? »

    Evidemment. Ce n’est pas pour rien, qu’il a attendu que je sois installée à mon poste pour me recruter. Il cherchait un héritier, disait-il. Mais si celui-ci lui ramène de précieuses ressources, dont il a désespérément besoin et envie, c’est sûr qu’il ne va pas cracher dessus. Quel monstre. Je sors le médaillon d’Ovide de sous mes vêtements. Une lueur s’allume dans son œil. J’y vois aussi la faim. Une faim insatiable.

    « Et le Savoir des Anciens ? »

    Je secoue la tête, l’air désolé. La lueur se transforme en flamme, son visage se tord sous l’effet de la colère, l’air se met à vibrer. Il va me tuer. La violence qu’il contient en lui pourrait le faire sur le coup. Mais cela ne dure qu’une seconde, avant qu’il ne redescende, comme si rien ne s’était passé. Il a un léger sourire, hypocrite, sur la commissure des lèvres. Il reporte son attention sur le document qui l’accaparait avant que j’entre, rompant le contact avec moi.

    « Je comprends. Tu auras bien le temps de le récupérer plus tard.
    - Il est enfermé au pôle espionnage, je n’y ai pas accès.
    - Tu n’es pas le Maître-Espion ?
    - Ce titre ne me donne pas toutes les libertés du monde. Je ne peux sortir le Savoir des Anciens à ma guise. Mais j’en ai retenu les passages qui vont t’intéresser.
    »

    Si je me suis longtemps posé la question, je sais maintenant d’où je tire ma facilité à mentir. L’homme qui est en face de moi, Parle-d’Or, l’appelle-t-on. N’est-ce pas là le titre d’un excellent menteur ? Mais ce n’est pas lui qui m’a appris. Alors il ne sait déceler la vérité dans ce que je dis. Il ne peut que me faire confiance, s’il ne veut pas me perdre, et ma précieuse mémoire avec moi. Dans mon sac sans fond, caché, au milieu des vêtements et de diverses protection, se trouve ce fameux sésame, le carnet des maîtres-espion, le Savoir des Anciens. Protégé par un énième enchantement de serrure. Mais jamais il ne faut qu’il le sache. Je l’ai pris pour le mettre en sécurité, car je sais qu’il va envoyer des hommes au pôle espionnage, et chez moi. Mais il ne doit pas mettre la main dessus. Il griffonne des choses sur son document, comme s’il avait oublié que j’étais là. C’est moi qui prend la parole, cette fois-ci.

    « Maintenant que je suis ici, allez-vous honorer votre parole, Parle-d’Or ? »

    Sa main tressaille, sa plume crache une goutte d’encre. Méticuleusement, il repose la plume dans l’encrier, se saisit de son buvard et tamponne le papier pour absorber la tâche d’encre. Le tout sans jamais lever le regard vers moi.

    « Je laisserai vivre les membres de ta soi-disant tribu. »

    J’acquiesce, et me lève pour prendre congé.

    « J’attends les ordres. »

    ~~~

    Quelques semaines, déjà, qu'il me cache au fond des caves, qu'il ne me laisse pas sortir de jour, sous mon apparence et sans garde rapprochée. Comme si j'étais un trésor à protéger. Il oscille dans les moments où il veut que je retourne à mon poste de maître-espion et que je fasse double-jeu pour lui, pour pouvoir l'informer de tout ce qu'il s'y passe, des mouvements de la garde et de la royauté, au plus près, et les moments où il refuse de me laisser m'éloigner, où il se pose en face de moi et me donne de grandes leçons magistrales sur son héritage, ses accomplissements, le futur de la Cabale et le sien. A vomir. Si je pouvais sortir, j'irai m'acheter des pastilles Nausi'pause, parce que ça commence à être compliqué de le supporter.

    Il me couvre de présents, comme ces brassards magiques. J'ai appris après coup qu'il ne les avait pas spécialement achetés pour moi, mais simplement retrouvé par hasard dans le grenier d'une de ses mansions, en cherchant autre chose. Mais il paraît que c'est le geste qui compte. Moi je me servirai bien de cette arbalète cachée dans le brassard droit pour le trucider, si je pouvais. Il attire ma haine, à un point inimaginable. Je ne me connaissais pas si violente.

    Höls me manque. Cette figure paternelle qui m'a formée, m'a fait confiance, m'a couvée et engueulée quand j'en avais besoin. Il est bien plus un père pour moi que ce géniteur glacial et calculateur qui a attendu le moment opportun pour réapparaître, quand bien même je l'ai cherché pendant des années.
    Mon père me manque. Le vrai, celui qui m'a éduquée, jusqu'à ce que je fugue pour rentrer à l'Académie. Celui qui m'a donné mon nom, qui m'a foutu des coups de pieds quand il le fallait et qui m'a empêché de mal virer au départ, comme Vrenn, même si j'avais tout pour.

    Et ce salopard refuse de me parler de ma mère. Il me parle d'échange équivalent, de dette, il me dit que rien n'est gratuit et que pour en savoir plus sur elle, je dois lui amener des informations de même valeur. Mais il ne me laisse pas sortir sans lui, alors je ne peux pas le fournir. Je ne peux même pas m'assurer qu'il tient sa promesse, qu'il n'a pas touché à un cheveu de ma famille, je suis obligée de lui faire confiance. Faire confiance à ce monstre. Ça me dégoûte.

    ~~~

    Machinalement, je caresse le petit bracelet rouge à mon poignet. Ce présent de Lucy, moqueuse, m'a autant fait courir dans tout le pays et réfléchir à toute vitesse, qu'il m'a rappelé la raison pour laquelle je faisais tout ça. Ces personnes-là, liées à moi, l'espace d'un instant, et toutes les autres. C'est pour eux, que j'ai signé ma fin.

    Je le sais, que je n'ai plus d'avenir après avoir réussi cette mission que je me suis imposée. Que je ne vais plus les revoir, que ce ne sera plus jamais pareil. Que ma place sera dans le grand froid, au-delà de la Frontière, au mieux. Alors pourquoi, pourquoi ça me touche autant, quand il annonce ce qu'il a fait à Calixte, tout fier de lui ? Quand il me dit qu'il m'a libéré de ce poids ?

    Je m'effondre dans le lit qui est le mien pour cette nuit, après avoir détruit tous les éléments de la pièce. Par la fenêtre fracassée se sont enfuis mes familiers, de peur de se prendre un objet volant non identifié sur le crâne dans ma crise. La couverture est fine, à peine un drap, le courant d'air qui arrive du carreau brisé est glacial, et je n'ai plus aucune fourrure animale et aimante contre laquelle me réchauffer et me réconforter. Alors je pleure. Toutes ces larmes qui ont refusé de sortir depuis des lunes, je les laisse s'écouler, en continuant de frapper l'oreiller, de rage.

    Sur mon bras gauche, la cicatrice que j'ai ramené de l'Ile au Scolopendre, et qui n'a jamais complètement guéri, refusant de disparaître malgré les soins de Luz, Xylia et des médecins de la Cabale, me lance, et je crois apercevoir le reflet d'un cristal, mais ce ne sont que mes larmes au bout de mes cils. La rage continue à monter, et j'ai envie d'étrangler Calixte. Comment a-t-il pu, ce lâche ?Comment a-t-il osé abandonner ses sentiments pour moi ?

    Si je me regardais dans un miroir, je saurais que mes yeux viennent de passer dans une couleur assez rare pour eux, un rouge carmin, brillant. Le même que celui de l'oeil de mon père, quand il utilise son pouvoir pour donner ses ordres absolus, ceux contre lesquels même moi, l'anarchiste, je ne peux lutter. Cette nuit, c'est décidé, je vais voir cet enchanteur au marché noir, celui que j'ai rencontré la dernière fois. Je lui avais vaguement parlé de mon projet, mais je n'ai pas eu le courage de passer le cap. D'utiliser une magie aussi noire. Mais quand je vois ce dont sont capables les gens que je pensais les plus proches de moi, après tout, pourquoi pas ?

    Ce soir, la Rumeur naît. Je veux le même pouvoir absolu que mon père. Mes ordres aussi, ne pourront être contredits. Après tout, si je dois lui succéder, autant m'armer.

    Quand je ressors du marché noir, quelques heures plus tard, ce petit anneau à la main, ma cicatrice brûlant sous l'effet de la colère, je teste ses pouvoirs sur les premiers passants que je rencontre, provoquant une violente dispute entre un couple qui s'embrassait, incitant un homme à aller narguer la patrouille de gardes que je vois arriver au loin, sûre et certaine qu'il finira en geôle pour le reste de la nuit, et ordonnant à l'un des cerbères de mon père de me laisser passer alors qu'il s'apprêtait à me demander des explications pour ma disparition de tout à l'heure. L'air autour de moi est électrique, quand je retourne dans cette chambre que j'ai retourné, je me saisis de ma tabatière pour fumer une, deux, trois, dix clopes. Ce qui ne fait qu'attiser ma colère, ma rancoeur.

    Par la fenêtre je vois arriver une lumière volante, et je distingue petit à petit les ombres de Delkhar et Dhim, le deuxième porté par les griffes du premier. Ils viennent jusqu'à moi, et viennent déposer un objet ovale sur l'oreiller. Les rayures scintillantes, l'effet translucide, je reconnais cet objet, c'est un oeuf de familier. Dhim m'envoie une vague de confiance, Delkhar m'annonce dans mon esprit qu'il est venu à eux, qu'il est déjà lié à moi. Je ne comprends pas les mots enfantins de mon Drarbuste, mais je m'approche de l'oeuf malgré tout. Je susurre un nom, le premier qui me passe par la tête.

    « Miko ? »

    La coquille se craquelle. Comme je l'ai vu faire pour les deux familiers qui se tiennent à ses côtés. Le Drarbuste étend ses ailes, comme pour protéger le petit dernier de la famille, le Lumios sautille de partout. Et je vois deux grands yeux me fixer, sur le visage adorable d'un bébé Shupon. Qui me calme immédiatement. La colère retombe, mon bras cesse de me lancer. Que m'est-il arrivé ? Ce n'était pas moi, cette femme en rage. Je ne me reconnais pas. La Cabale est en train de me changer. Je dois... je dois me préserver.

    Je veux être seule, loin des problèmes et des dilemmes, loin de mes chaînes et des gens que j'aime.

    Zahria AhlyshOmbre
    Zahria Ahlysh
    Informations
    Re: Dextre et sinistre
    Mar 11 Jan 2022 - 16:54 #


    Non-stop


    Quand Hershell me convoque, je me doute déjà de quoi il va me parler. Tout le monde n'a que ça à la bouche, depuis son arrivée dans le ciel d'Aryon, tout le monde ne parle que de ça, les inquiétudes se lisent dans les regards et entre ceux qui pensent que c'est une punition divine car il va s'écraser sur nos côtes, et ceux qui y voient des promesses de richesse, le Désert Volant a de quoi faire encore couler de l'encre pour des lunes. Mon père connaît mon histoire. Il sait que j'ai participé à l'exploration de la Cité Enfouie, que j'ai redécouvert l'Ile au Scolopendre, que j'ai étudié l'oeuf étrange de la Citadelle des Tréfonds, que j'ai été téléportée par erreur de l'autre côté de la Frontière, où j'ai découvert une ville abandonnée, et que j'en suis revenue, il sait que j'ai été kidnappée par une étoile envoyée par un Roi-Glooby et il connaît les maigres souvenirs que j'ai du Calyce.

    Il sait forcément, que je suis l'un de ses meilleurs éléments, pour partir là-haut. Après tout, même s'il m'exhibe à son bras, et ne me lâche que pour m'envoyer faire des missions pour son compte, il m'a bien inscrite comme Scribe, et non pas comme Parleuse, au sein de la Cabale. Je n'ai jamais eu l'occasion de parler avec Plume-de-Soie, le membre de l'Amarante qui gère mon cercle, mais étant sous la protection de mon père, ce n'est pas si étonnant.

    Alors quand je rentre, et qu'il m'annonce que Plume-de-Soie, justement, sera là pour cette entrevue, je hausse un sourcil intéressé. Est-il prêt à partager son petit trophée avec quelqu'un d'autre ? La porte s'ouvre, et je me retourne pour enfin apercevoir le visage d'un autre membre de l'Amarante, une autre de mes cibles. Et je manque d'étouffer, quand je reconnais Undril. Je crois à une mauvaise plaisanterie. Une potion de changement d'apparence, une illusion. Elle enfile ses propres menottes, me montre son tatouage et je me laisse tomber dans un fauteuil, dépitée.

    Mon géniteur est un salopard. L'homme qui m'a élevée était un honnête poivrot. Mon sergent instructeur, un homme de parole. Höls, un handicapé social brillant. Des figures paternelles, j'en ai eu plusieurs, au cours de ma vie, aucune sans faille. J'ai toujours désiré avoir cet homme à qui me confier, qui me conseillerait, qui me protègerait comme je protégeais les autres.

    Mais la seule figure maternelle que j'ai jamais eu dans ma vie, elle est en face de moi. Et pendant toutes ces années, elle n'a fait que me mentir. Undril, qui m'a accueilli chez les espions, qui m'a formée quand je n'étais encore qu'une gamine, qui m'a pris sous son aile comme j'ai pu le faire plus tard avec Calixte ou Xylia. Elle qui a essuyé mon ardoise, après que j'ai disparu pendant deux ans. Undril, l'honorable membre de la Commission. Elle a toujours été un modèle, un schéma à suivre, une ligne directrice. Elle a essuyé mes larmes, mes colères, a ri avec moi et m'a appris tout ce qu'elle savait. Enfin, c'était ce que je pensais. Il y a de quoi en douter, maintenant.

    Ils se parlent, ils me parlent, je hoche de la tête en silence, mais je n'entends rien. Dans ma tête, des connexions se font. Je sais enfin pourquoi il était si renseigné sur la position du pôle espionnage, sur les artéfacts du Maître-Espion. Je sais enfin pourquoi le Savoir des Anciens ne faisait aucune mention à la Cabale. Dire que j'accusais le Vieux d'avoir supprimé des passages pour les protéger, l'imaginant sous la contrainte, parfois même, complètement adhérent à leurs idéologies. Je sais enfin qui est la taupe, le traître, celui qui nous a vendu, toutes ces fois.

    Je sais enfin, à qui en vouloir pour la mort de Ruth.

    A nouveau, mon bras gauche me lance, je sens ma cicatrice qui chauffe. Elle me regarde, de ces yeux qui sont censés donner tant d'informations, et je la redécouvre comme si je ne l'avais jamais vue.

    J'irai au Désert Volant, oui, pour ma propre curiosité, et pour filtrer les informations qu'ils doivent recevoir. Echange équivalent, a dit mon père. Mes yeux pétillent, j'ai mal au bras.

    « Une entrevue avec Undril, à mon retour, seule à seule.
    - Quoi ?
    - En échange de ma coopération, je veux une entrevue avec elle. Sans toi.
    - Zahria, tu sais bien que je peux te faire obéir sans même...
    - C'est d'accord.
    - Plume-de-Soie, vous ne pouvez accepter sans ma collaboration.
    - Zahria est une Scribe, il était grand temps qu'elle ait un entretien avec l'Amarante en charge de son Cercle. Et puis, nous savons tous les deux parfaitement que quoi que nous nous disions, vous finirez forcément par l'apprendre, Parle-d'Or. Vous avez plus d'oreilles et d'espions que Zahria et moi combinées.
    - Très bien.
    »

    C'est la première fois que je vois quelqu'un rabattre le caquet de mon insouffrable géniteur. Et ça fait du bien, je dois avouer. Je me surprends même à sourire, Undril me surprend et cligne un oeil à mon égard. Je joue le jeu. Ça semble presque naturel. Mais mon coeur se ferme, à nouveau, et je me prépare à une nouvelle étape douloureuse qui va m'emmener vers ma fin.

    ~~~

    « Tu as sacrément morflé là-bas, Zahria. Ta blessure te fait encore mal ?
    - Non.
    - C'est pas beau de mentir. Je t'ai vu grimacer en t'asseyant sur le fauteuil.
    - Ça va aller.
    - Je suppose que ton père a mis de bons soigneurs sur ton cas.
    - Ce serait dommage de perdre mes précieuses ressources, dans son plan ça ne marche pas très bien.
    - Comment il a pris ta décision de n'en faire qu'à ta tête là-haut ?
    - Je lui ai pas vraiment laissé le choix...
    - Ah oui, il est furieux à ce point-là...
    - Voilà.
    - J'ai lu ton rapport, malgré tout, enfin tes rapports, l'officiel que tu as confié à la garde, et l'officieux. J'ai lu ceux des gens avec qui tu étais partie, aussi, et ceux des gens que vous avez rencontré en chemin. Il y a des incohérences.
    - Comme quoi ?
    - Les premiers parlent d'une aventurière nommée Shaloy, aucune mention d'elle chez les seconds, mais un homme appelé Luciole fait son apparition.
    - J'ai dû improviser à un moment donné, le Médaillon ne me donnait pas suffisamment de temps.
    - Donc tes anciens camarades t'ont vue.
    - Oui.
    - Pourquoi ils ne l'ont pas mis dans le rapport ?
    - J'ai utilisé la Rumeur.
    - Tu leur as donné l'ordre de ne pas en parler ?
    - Oui.
    - Je ne savais pas que ta bague était quasiment aussi puissante que le pouvoir de ton père.
    - J'ai trouvé un bon enchanteur.
    - ...
    - ...
    - Pourquoi tu voulais une entrevue avec moi ? Tu veux des explications ? Tu as des questions ?
    - Je devine déjà la majorité des réponses à mes questions.
    - Elles te déçoivent ?
    - Je ne sais pas encore quoi en penser.
    - Qu'est-ce que tu attends de moi, alors ?
    - Tu es à la tête de la branche qui s'occupe de l'espionnage pour la Cabale, n'est-ce pas ? Mais aussi les chercheurs ?
    - C'est ça. Ça semblait plutôt logique, pour une ancienne maître-espion.
    - Pourquoi tu n'as pas ramené les artéfacts du maître-espion à la Cabale ?
    - Pour la même raison que tu fais croire à ton père que tu n'as pas le Savoir des Anciens avec toi.
    - ...
    - Je dois faire double-jeu et ma loyauté est partagée, bien que les bordures soient assez claires dans ma tête. Bien plus que dans la tienne. Mais j'ai l'impression que ce n'est pas la question que tu voulais me poser.
    - Tu as entendu parler de mon expédition à l'île du Scolopendre ?
    - Evidemment. Je fais partie de la Commission et de l'Amarante, Zahria.
    - J'ai cette cicatrice qui refuse de disparaître, depuis... enfin, tu vois, tu as lu les rapports. Elle brille parfois comme si quelques cristaux y étaient toujours incrustés, et elle est douloureuse quand je m'énerve contre ce que je devrais considérer être des alliés. Les médecins de la garde n'ont rien trouvé d'anormal, ils ont dit que ça passerait, mais...
    - Je vais trouver quelqu'un pour étudier ça.
    - Merci.
    - C'est tout ce que tu voulais ?
    - Pour l'instant.
    - Tiens. Tu n'as pas bu ton thé.
    »

    J'éteins ma cigarette, et prend la tasse qu'elle me tend, ainsi que le petit papier glissé discrètement dans la paume de ma main. Les murs ont des oreilles, et elle ne veut pas que mon père apprenne qu'elle vient de me donner le moyen de la contacter en direct, sans passer par lui. Je sirote une gorgée de thé brûlant, puis je repose ma tasse et prend congé.

    ~~~

    Les lunes suivantes sont chargées pour moi. Entre mes entrevues secrètes avec Undril, que je n'arrive toujours pas à cerner et à pardonner, la découverte d'une liste de noms de bâtards tenue par mon père, dont je n'arrive à extraire que celui de Nikolaos Lehnsherr, la recherche frénétique de ce frère que je finis par retrouver dans le corps d'une autre, les rencontres diverses avec une Diane assoiffée de vengeance - envers moi, même si elle ne le sait pas -, avec une Queen encore plus assoiffée de vengeance qui tente le tout pour le tout en entrant dans la Cabale pour retrouver l'assassin de ses parents, et celle avec Fledric qui s'avère être depuis le départ envoyé par mon père, je ne vois pas le temps passer et mon Shupon grandir.

    Mon père ayant appris que je détiens le Savoir des Anciens me met la pression pour que je retourne à mon poste de maître-espion, en élaborant des plans divers pour expliquer mon absence de ces derniers temps. Et à tout ça, Vrenn continue de me chercher. Peut-être a-t-il compris que la piste de miettes de pain que je lui laisse est calculée, mais je commence à être à court d'idées, et il a failli me mettre la main dessus plusieurs fois.

    Plus que jamais, je sombre dans la solitude, et ma tabatière se vide aussi vite que les bourses d'un noble corrompu à l'Insomnie. C'est quand je commence à picoler sec, que je comprends qu'il faut que je me reprenne en main. Pour aller au bout de ma mission et en finir avec la Cabale afin qu'elle ne puisse plus nuire à qui que ce soit.

    La saison chaude commence alors que je suis au plus mal, mes retrouvailles avec Jin, Calixte et Xylia depuis longtemps oubliées, la présence d'un nouveau frère à chérir et protéger pas suffisante pour me donner une motivation. Et c'est là qu'un autre membre de ma tribu vient tout chambouler. Naëry. Quelle ironie, qu'Undril ait mis Calia Dewig sur la recherche des propriétés magiques de la cicatrice laissée par le squelette de cristal de l'île au Scolopendre. J'aurais dû me douter, que son frère continuait à la chercher, après tout, il est aussi têtu que moi.

    Mais mon masque s'effrite un peu, quand je suis obligée de choisir entre ma loyauté bien réelle envers ma tribu, et ma loyauté bien plus artificielle envers la Cabale. Car il m'est hors de question de laisser Naëry dans ce pétrin. Je sais évidemment que je perds la confiance de mon père, à cet instant. Mais le temps est compté, le mien, et le sien. Si j'étais au courant pour le mien, je ne me rendais pas à quel point c'était vrai pour lui.

    ~~~

    On est au plus haut de la saison chaude quand Vrenn parvient à me piéger. La chaleur étouffante, ma lassitude, sa ténacité, mon envie d'en finir, le tout vient se mêler, mais je ne minimise pas sa victoire. Le plan est merveilleusement pensé, et quand sa dague vient faire perler une goutte de sang sous ma gorge après un combat acharné, je ne suis même pas étonnée. Il a gagné cette fois, et je me risquerai peut-être à une petite réplique cinglante pour lui faire comprendre que c'est toujours les gentils qui gagnent, alors que nous sommes dans la situation inverse à celle de son arrestation.

    Je tends les mains pour qu'il y passe les menottes qui vont me mener à la fin de cette affaire, prête à tout balancer à Höls pour qu'il s'occupe de finir ma mission avant de m'envoyer au fin fond de la gorge d'un Fenrir, quand un unique oeil rouge s'illumine dans la ruelle et lui ordonne d'arrêter de bouger. Vrenn se fige dans son action, et je sens qu'il lutte, talisman d'indépendance à profit contre le pouvoir de mon père. Hershell Nilsen s'avance de quelques pas pour sortir de l'ombre.

    « Je savais que ce serait lui qui causerait ta perte, Zahria. Tu l'aimes encore. »

    Ce n'est même pas une question, et je n'ai même pas besoin d'y répondre. Alors que je me dégage de l'étreinte de Vrenn, toujours immobile, je plonge mon regard bleuté dans le sien. Bien sûr, que je l'aime encore. Je ne pense pas que je cesserai jamais de l'aimer. Après tout, ne l'ai-je pas toujours aimé, même si j'avais oublié ? J'ai toujours été un peu obsessionnelle. Et Vrenn a été la plus grande de mes obsessions, ça ne s'oublie pas facilement.

    Je détourne le regard quand je vois un éclat étincelant dans la nuit. Mon père vient de sortir sa dague. Je fais un pas vers lui, prête à implorer pour la vie du Sbire. Mais le sourire carnassier de mon géniteur me fait comprendre avant même que oeil ne devienne rouge.

    « Tue le. »

    Ce n'est pas la première fois que je subis un ordre de mon père, et je reçois le même coup de poing douloureux sur le sternum qu'à chaque fois. Mais cette fois-ci, c'est mon coeur tout entier qui est touché, et pendant quelques secondes, je suis incapable de respirer. Je me saisis de la dague et me retourne vers Vrenn. A mon bras gauche, la cicatrice de l'île du Scolopendre s'enflamme. Un cristal semble y briller, tandis que la douleur lancinante du talisman d'indépendance à mon oreille ne semble être qu'un chatouillis agréable. Et je comprends enfin la nature de la malédiction.

    Alors que je lève la dague, visant le coeur de Vrenn, tout mon esprit est concentré sur la douleur de mon bras. Le feu s'embrase, et se saisit de tout mon corps alors que j'ai l'impression d'être sur un bûcher ardent. Et tout à coup, ça s'arrête. Immobile, dague en l'air, la douleur disparaît. Et mon esprit est libéré de l'ordre de mon père. Un talisman d'indépendance. Bien plus puissant. Voilà ce que j'ai dans le bras. Je m'en rends compte une demie-seconde avant mon père. Le temps nécessaire pour me retourner et planter la dague dans sa jugulaire, pour l'empêcher de me donner un nouvel ordre.

    Zahria AhlyshOmbre
    Zahria Ahlysh
    Informations
    Re: Dextre et sinistre
    Sam 15 Jan 2022 - 12:43 #


    Chaleur


    Je reste pantoise alors qu'il s'effondre en face de moi, le sang jaillissant par gerbes de la plaie et de sa bouche. Son œil rougeoie une dernière fois avant de s'éteindre, et je sens Vrenn se rapprocher de moi, signe qu'il est bien libéré de son enchantement. Je me tourne vers lui et le regarde sans rien dire. Je ne sais plus trop où j'en suis.

    « Qu'est-ce qu'on fait ? Je dois avoir une ou deux planques dans le coin pour le faire disparaître, si tu veux.
    - On ? Mais tu es pas sous les ordres de Höls ?
    - Les tiens aussi, aux dernières nouvelles. J'ai suivi tes miettes de pains jusqu'ici, me doutais bien que tu trafiquais un truc.
    - Vrenn, je...
    - Merci.
    - De quoi ?
    - Je crois que tu viens d'sauver ma vie, là, non ?
    - Ah, euh, de rien.
    - 'Fin j'veux dire, c'est pas la première fois, hein, et pis tu m'en d'vais quelques unes aussi. Mais bon ça fait toujours un peu plaisir, tu vois quoi.
    - Ouais je...
    »

    Mes genoux flanchent un instant, et il me rattrape.

    « T'es blessée.
    - Tu m'en as foutu plein la gueule, faut dire.
    - T'es pas en reste.
    - Contente que tu m'aies pas Focus, comme t'as fait avec Jin.
    - T'es au courant de ça, toi ?
    - Faut dire que vous avez laissé quelques traces... J'me suis pris un rayon un peu similaire au désert volant, j'avais pas envie de retenter.
    - T'étais au désert ?
    - Ouais, avec Xylia, Jin et...
    - Hum, hum. Je vous dérange ?
    »

    On se retourne de concert, alors que je m'appuie sur Vrenn pour ne pas tomber, et mon père toujours en train de saigner à nos pieds, vers les silhouettes menaçantes de trois individus armés. Des pions d'Hershell.

    « Parle-D'Or, ça va ?
    - Il risque pas de vous répondre...
    - Elle l'a buté, je crois.
    - Tu veux que je m'en occupe, Ombre ?
    - Ouais, j'veux bien. Tu me les dégages d'ici, tu leur fais oublier. Et va te faire rafistoler par Luz après.
    - Nan mais je suis censé te ramener chez Höls en fait.
    - Je vais y aller moi-même. Mais je dois régler un truc avant. Si jamais je réapparais pas... La clé est là où tu sais.
    - Ça roule. On se retrouve en enfer.
    »

    Je me détache de lui, puis lui envoie un baiser volant pour confirmer, alors qu'il se concentre sur son altercation à venir avec les trois coupe-jarrets. Me saisissant de la lumière d'un cristal illuminant la rue un peu plus loin, je me renforce, autant pour oublier mes blessures que pour que le poids du cadavre de mon géniteur ne me gêne pas quand je le soulève et l'embarque, Vrenn couvrant ma retraite. Il fait chaud, j'ai mal. Mais j'avance.

    ~~~

    J'entends le galop lointain d'un cheval, alors je viens recouvrir le monticule de terre d'une dernière pelletée. L'aube se lève au loin, et la Luisante brille sous les premiers rayons du soleil alors qu'Undril démonte pour arriver vers moi en courant. J'essuie la sueur sur mon front et plante la pelle dans le sol pour l'accueillir.

    « Tu as eu mon message, visiblement.
    - C'est... lui ?
    - Sa tombe, ouais.
    - Zahria, je vais pas pouvoir couvrir ça...
    - Pas besoin de le faire. Ecoute moi bien attentivement, Undril. Mon père a rompu son contrat avec moi en voulant s'en prendre à quelqu'un de ma famille, alors que c'est précisément pour cela que je l'ai rejoint dans un premier temps. J'ai passé quasiment une année à récolter des informations sur la Cabale, de quoi faire tomber l'organisation complète. J'ai révélé le nom du Moissonneur de l'Amarante à quelqu'un qui souhaitait s'en venger. J'ai consigné le contenu de toutes nos entrevues, les localisations de toutes les planques de la Cabale. Je m'introduisais régulièrement dans le pôle espionnage pour mettre ça dans mon coffre à enchantement de serrure. Höls essaye de le faire ouvrir depuis le début, il a mis des enchanteurs sur le coup, mais il leur manquait la clé pour arriver à défaire l'enchantement. Je viens d'en révéler à un espion la position. Avec ou sans moi, vous êtes finis.
    - Qu'est-ce que tu veux ?
    - Passer un marché avec toi.
    - Quel genre ?
    - Le genre qui te sauve.
    - Pourquoi ?
    - Parce que je te le dois. Ce sera le dernier acte de loyauté envers celle que j'ai considéré comme une mère pendant si longtemps.
    - Qu'est-ce que tu veux ?
    - Vous faites profil bas. Vous ne mettez plus en danger les citoyens, ni ma famille, ni la Royauté. Je vous laisse gérer vos petites affaires dans l'ombre tant qu'il n'y a aucun débordement.
    - Höls n'acceptera jamais.
    - Il sait pertinemment que couper la tête de l'hydre ne fera qu'en faire apparaître trois autres. Il n'y a pas les ressources et le personnel pour tous vous arrêter d'un coup.
    - Pourquoi je devrais le craindre alors ?
    - Tu fais partie de la Commission, et tu me poses cette question ? Tu le sais bien mieux que toi. Tu sais que s'il agit, c'en est fini de la Cabale sous sa forme actuelle. Je t'offre une opportunité de sauver les meubles.
    - En nous ligotant les mains et les pieds.
    - Au moins je ne le fais pas juste avant de vous pousser de l'autre côté de la frontière.
    - Et comment tu vas faire pour assurer ma sécurité et celle des miens, quand tu le seras, toi, de l'autre côté de la frontière ?
    - Je vais passer un marché avec Höls aussi.
    - Tu aimes bien ça, hein ?
    - C'est toi qui m'a appris à négocier plutôt que de toujours foncer tête baissée.
    - Je ne pensais pas que ça se retournerait contre moi.
    - Et moi donc. Alors, tu en dis quoi ?
    - J'accepte. Et puisque tu vis certainement tes dernières heures, je vais te faire un cadeau... maternel. En guise d'adieu. Histoire que tu ne meurs pas ignorante.
    - Hein ?
    - Ta mère est le capitaine Emshaï Ariban, une pirate de l'Archipel. Et ton fils n'est pas mort-né. Il court dans les rues de la Capitale, tous les jours.
    »

    Je me fige. Les informations refusent de monter à mon cerveau. Un rayon de soleil vient m'aveugler, alors qu'Undril salue une dernière fois mon géniteur que je viens de finir d'enterrer. Je n'ai jamais parlé à personne de ma grossesse. Undril m'a reprise après les deux ans que j'ai passé loin des espions, sans me poser de questions, à l'époque. Elle savait que j'étais partie par amour, mais je ne lui ai pas donné de détails. Elle m'a punie en me mettant aux formations, ce qui s'est avéré être la meilleure façon de me réintroduire dans la famille. Grâce à elle j'ai pu former Calixte, et créer avec lui ce lien si spécial. Je l'ai pris sous mon aile car il me rappelait cet enfant que j'avais perdu. Que je pensais avoir perdu. Et si je savais par mon père que ma mère était des îles, je comprends enfin comment j'ai fait pour ne jamais la retrouver. Les pirates ne sont pas recensés, encore moins là-bas, et ils changent de nom pour ne pas mettre leurs familles dans l'embarras.

    Quand je reprends mon souffle et m'apprête à demander plus d'explications à Undril, le soleil est haut, et elle a disparu depuis longtemps. Je suis allongée au sol. J'ai dû m'effondrer, épuisée et blessée, et je vois Miko, qui a bien grandi depuis son éclosion, lécher mes plaies.

    « Qu'est-ce que tu fais là, toi ? »

    Il m'envoie une vague d'inquiétude, puis sautille autour de moi, essayant de grimper sur le monticule de terre que constitue la tombe de mon père. Il volète ensuite jusqu'à ma tête, où il vient se poser.

    « Allez, mon grand. Il est temps. »

    ~~~

    Il fait terriblement chaud. Les nuits sont courtes, mais j'ai l'impression qu'il fait toujours sombre, ici. Sans la petite fenêtre en haut de la cellule, je ne me rendrai certainement pas compte du temps qui passe. Ça, et les visites. J'en ai pas eu beaucoup. Je sais qu'ils ont dû les réduire au maximum. C'est pas pour rien non plus que je suis seule dans mon aile de la prison, sans aucun autre détenu avec qui papoter. Mais il y en a évidemment un qui arrive à passer la surveillance des matons à l'entrée, et qui se fait suffisamment bien oublier pour se faufiler. Ses visites ne sont pas régulières, alors c'est toujours une bonne surprise, quand il vient caler une cigarette sur le bout de mes lèvres. Je lui raconte quelques anecdotes, les moments où j'ai pensé à lui ou comme lui pour m'en sortir ces dernières lunes. Lui il me parle un peu de ses entrevues avec Höls, il me donne des nouvelles de Jack, de Luz, des espions. Il reste évasif, il a raison.

    Ses visites me font presque oublier la fournaise dans laquelle je suis. Mais dès qu'il repart, je sens à nouveau la sueur coller mes habits contre moi et mes muscles lourds. Je me recouche sur la banquette, et les mains menottées, je peux même pas essuyer la gouttelette qui perle sur mon front, je suis obligée d'écraser ma tête contre le mur pour la faire disparaître. Et je reste comme ça, en position foetale, pendant des heures. Il fait terriblement chaud, mais j'en profite au maximum. Car bientôt, car ils auront expédié mon procès, je ne connaîtrai plus que le froid du gosier du Fenrir.

    ~~~

    Quand on me fait entrer dans la pièce où doit se tenir l'entrevue, je suis d'abord surprise par la petite taille de l'endroit. Je m'attendais à une salle de procès comme celle de Vrenn, avec pas mal de public. Le deuxième point qui me saute à la gueule, c'est le confort de l'endroit. Fauteuils rembourrés, petit cristal d'air pour rafraichir la pièce, il y a même des boissons fraîches et quelques encas sur un petit présentoir. Je comprends bien vite à quoi tout cela est dû, quand je vois la tignasse noire de la reine qui regarde par la fenêtre. Sa seule présence est suffisante à expliquer tout ce qui me surprenait. On m'assoit sur une chaise rêche en bois, qui semble avoir été clairement choisie pour me mettre mal à l'aise, et qui n'appartenait pas à ce décor.

    Je reconnais sur la table la petite fiole de potion de vérité à la couleur si caractéristique. Höls s'assoit en face de moi et fait tourner le médaillon d'Ovide entre ses doigts. Son regard m'évite et, lassée, je ne cherche pas spécialement à le capter. Le visage de la reine est fermé, mais pas dur, quand elle se retourne enfin vers moi. Je sens immédiatement sa présence dans mon esprit, et je ne cherche pas à lutter. Je ne pourrais pas, de toutes façons.

    Nous discutons, longtemps. La potion de vérité reste sur la table, la reine sachant pertinemment qu'à aucun moment je ne leur mens. Je leur raconte le début. La première rencontre avec mon père, son invitation puis son insistante, et enfin la menace. Je leur parle des premières lunes, de mes cachettes, de mes sorties incognito, des missions qu'il m'a donné, des premières rencontres. Quand on en arrive à la rencontre avec Undril, je bute, et Höls débouchonne la fiole de la potion de vérité. J'acquiesce, et me la laisse administrer sans lutter. Et je finis de tout déballer.

    Je ne sais même pas combien de temps ça dure. Une éternité, sans doute. Le soleil commence à décliner quand je m'arrête de parler, et en pleine saison chaude, ça annonce que la soirée est déjà bien entamée. Höls et la reine se regardent. Ils m'ignorent. Je crois presque à une conversation télépathique, pendant un moment, mais quand ils prennent la parole en même temps, ça me met le doute.

    « ... on ne peut pas l'envoyer en exil...
    - ... on ne peut pas la mettre à la retraite...
    »

    Eux-mêmes ne se sont pas entendus, et moi je pense avoir mal compris, dans le brouhaha de leurs voix entremêlés. Pourtant ils répètent, chacun leur tour, et je suis sonnée.

    « Je... hein ? Je ne vous comprends pas très bien, là.
    - On pourrait très bien la mettre à la retraite forcée, je pense. Comme ils ont fait avec moi. Quelque part où on pourra continuer à la consulter, au besoin, si tout ceci ressort.
    - Non, Commandant, si elle ne reste pas en poste, elle ne pourra pas les tenir à carreau. On aura besoin de ses connaissances plus que ponctuellement, il faut qu'elle reste pour assurer qu'ils n'agissent plus contre nous. Il n'y a que sa présence qui peut garantir cela. Et vous savez tout aussi bien que moi que nous ne pourrons jamais tous les arrêter d'un coup, et qu'il vaut mieux les contrôler que de tenter, en vain, d'arrêter leurs activités pour qu'ils reprennent sans notre surveillance. Seule la présence de Zahria au poste de maître-espion peut garantir que nous puissions, progressivement, faire cesser leurs activités illégales. La faire disparaître ou tenter une grosse attaque contre eux demain ne fera que les rendre encore plus suspicieux et vindicatifs.
    - Attendez, attendez. Vous avez pas besoin de moi pour ça. Je vous ai tout dit. J'ai tout mis dans le Savoir des Anciens. Dans mes documents dans le coffre-fort du pôle espionnage. Quelqu'un de moins mouillé que moi, de plus impliqué, pourra reprendre le dossier et gérer...
    - Maître, taisez-vous.
    - Ne m'appelez pas Maître ! Je ne suis plus le Maître-Espion ! J'ai un tatouage à vie sur la cheville, représentant un crâne et un livre, et tout aussi invisible soit son enchantement, je ne pourrais jamais l'effacer !
    - Ombre...
    - Zahria ! Je suis Zahria Ahlysh, et je suis coupable ! Foutez Feuille sur le fauteuil du Maître-Espion une bonne fois pour toutes et jetez mes miches de l'autre côté de la Frontière !
    - Calmez-vous, Zahria.
    - Votre Majesté, avec tout le respect que je vous dois, je ne peux pas vous laisser faire cette connerie. Je ne mérite pas de nouvelle chance.
    - Il me semble que nous avons mieux entendu votre discours que vous ne l'avez fait, Zahria. Mon père disait toujours : "La potion de vérité, elle ne sert pas à savoir ce qu'ils ont fait. Elle sert à ce qu'ils le comprennent eux-mêmes." Pourtant Zahria, vous semblez bien humble sur votre réussite.
    - J'ai. Tué. Un. Homme.
    - Ce n'est pas le premier, et certainement pas le dernier. Et vous avez protégé un espion en le faisant. Je ne dis pas que vous allez vous en sortir sans aucune sanction, Zahria. C'est hors de question. Les crimes que vous avez commis sont nombreux. Je suis sûre que le Commandant trouvera de la paperasse et des tâches ingrates à vous faire faire jusqu'à ce que vous ayez purgé votre peine, même si cela doit prendre toute une vie.
    - Elle a raison. Nous avons besoin de vous, opérationnelle. Mettre un coup dans la fourmilière n'était pas suffisant, Zahria, même si cela doit vous prendre toute une vie, vous devrez démanteler l'organisation, petit à petit. Et là, vous êtes en position de force face à eux, pour la première fois. On ne peut pas se débarrasser de vous maintenant. Je sais que ce n'est pas ce que vous aviez prévu, vous pensiez vous sacrifier, mais malheureusement, vous avez encore du travail. Et pour longtemps.
    »

    Je n'arrive pas à savoir s'il y a chez eux une part de sympathie ou de pitié qui tient à me garder en place. Ils sont pourtant extrêmement sérieux et semblent bien prendre conscience de leurs paroles, et de leurs actes. Höls se lève, et me passe le médaillon d'Ovide autour du cou.

    « Ceci vous revient, Maître. »

    Je reste interdite, un long moment. Allys se lève, va chercher une feuille, une plume et un encrier, et commence à écrire une lettre, ou un rapport, de sa belle écriture cursive.

    « Que va-t-on faire d'Undril Valpierre ?
    - La question serait plutôt, qu'allez-vous faire d'elle, Maître ?
    - Elle est le point d'ancrage de votre prochain plan, Ombre. Qui devra être lent, patient et progressif. Et pour lequel, cette fois-ci, vous nous consulterez avant d'agir. Vous n'êtes plus une enfant, et nous ne sommes pas vos parents. Vos actions ont des conséquences, et ne croyez pas que nous essuyons l'ardoise. Vous devrez faire vos preuves. Et mener votre mission à bien. Correctement, cette fois-ci.
    - Au moins, elle n'a pas assassiné la moitié des gens qu'elle espionnait pour arriver à stopper leur action, elle.
    - Oui, bon, ça va. On ne va pas revenir là-dessus. Moi aussi, je me suis acquitté de ma dette.
    - Et vous continuez de le faire, Commandant...
    »

    ~~~

    La discussion a duré toute la nuit. Il y avait tant de choses à régler, à aborder, à revoir. Chacun notre tour, nous avons somnolé un moment. Ils avaient fini par me libérer des menottes, et j'ai pu m'installer sur l'un des fauteuils. C'était surréaliste. Il y a tellement de choses que je ne comprends pas encore, tellement de choses que je dois apprendre. Comme le fait de ne pas foncer tête baissée, ou l'importance de mon rôle et de ma position. Quand je consigne, le lendemain après une sieste, l'étendue de cette entrevue dans le Savoir des Anciens m'ayant été rendu, je touche du bout des doigts le poids de ma responsabilité, que je commence enfin à comprendre. Je croyais savoir. Mais je suis bien loin du compte.

    Avant de me laisser rentrer chez moi, Höls me raccompagne au pôle espionnage. Quand nous bifurquons dans une allée peu fréquentée, un beau jeune homme imberbe apparaît face à nous, nous coupant le chemin.

    « Salut, Arban. Tu me présentes ton amie ? »

    Il me faut quelques secondes avant de reconnaître l'écoterroriste aperçu sur les avis de recherche dans tout le pays. Je me tourne vers Höls, qui n'a pas l'air spécialement surpris. Tout au plus, fatigué.

    « C'est pas le moment, Klarion.
    - Vous m'expliquez, Commandant ?
    - Klarion, Zahria, Zahria, Klarion. Ignorez-le, Zahria, je vous en prie. Juste pour cette fois.
    - Pourquoi on ne l'arrête pas ?
    - C'est compliqué, je vous expliquerai. La prochaine fois que vous le rencontrez, faites ce que vous devez, mais je suis trop épuisé là tout de suite.
    »

    Je suis interloquée, mais Höls balaye de la main tous nos questionnements, et on se regarde avec Brando, comme deux enfants curieux, frustrés par le manque de réponse de leur père. On échange un infime sourire, et il disparait aussi vite qu'il était apparu. Höls soupire, et nous reprenons notre marche sans en reparler.

    J'ai du mal à reconnaître mon bureau au pôle espionnage. Tout est rangé, les dossiers triés, pas une miette ou une tâche de café, le cendrier a disparu ainsi que l'odeur de tabac près de la fenêtre. Je me tourne vers le Commandant avec un sourire mi-figue, mi-raisin.

    « Vous êtes sûr que vous ne voulez pas garder Feuille en Maître-Espion ?
    - J'aurais bien voulu, mais il ne veut pas du poste.
    »

    Je souffle du nez dans un petit rire, alors je viens jeter un coup d'oeil aux documents sur le bureau. Deux objets disposés sur un coin de la table attirent mon regard. Mon cristal de communication et le collier jumeau partagé avec Vrenn. Sa façon de m'accueillir. Je les range, avant d'ouvrir pour Höls le coffre-fort qu'il a tant et tant essayé de pénétrer, grâce à la clef cachée dans un cryptex dans le terrarium des Gloobies, Wendy le gardant précieusement avec elle.

    Il en sort le contenu, avant de me tendre un parchemin avec une rune.

    « Je l'ai fait faire pour vous. Je me suis dit qu'elle irait bien sur la porte. Je vous laisse la poser, pendant que je consulte vos notes. »

    Je me saisis du parchemin, avant de venir l'étendre sur la porte du bureau. La rune s'illumine, et le parchemin s'effrite alors qu'elle s'incruste dans la porte, venant y former un visage, qui bâille, avant de prendre la parole avec une voix féminine, stricte. Et passablement énervée.

    « Une porte ! Vous m'avez foutue dans une porte ! Je ne bougerai jamais d'ici, je ne verrai jamais de paysage ! »

    Höls lève un oeil vers la porte, blasé.

    « Quel est votre nom, mademoiselle ?
    - Evangeline.
    - On peut vous appeler Line ?
    - Ai-je le choix ? Tout comme je n'ai pas le choix que d'être coincée à jamais dans cet endroit...
    - Line, vous êtes la nouvelle secrétaire du Maître-Espion, pour les siècles à venir. Un rôle de la plus haute importance, dont vous vous acquitterez, je l'espère, avec sérieux. Sinon, le bois de votre porte me semble bien brûler.
    - Je ne l'aime pas, lui. Il commence par des menaces, ça va pas bien se passer entre nous.
    - Line ?
    - Et vous, vous êtes qui ?
    - Le maître-espion en question.
    - Je ne sais pas ce que ça implique, mais vous avez intérêt à bien me traiter. Ne frappez pas trop fort, ne me claquez pas violemment quand vous êtes furieuse, et surtout ! On ne chatouille pas la poignée. C'est sensible.
    - On va bien s'entendre, toutes les deux.
    »

    L'âme artificielle se renfrogne et disparaît de l'autre côté de la pièce, on l'entend bougonner. Je me dirige vers l'échiquier, où les pièces de tous les espions sont en place. Sauf celle de Calixte. Je soupire. Je dois respecter son choix, même s'il m'en coûte. Je ferme les yeux un instant. Puis je me saisis d'un pion, sur le bord de l'échiquier. Celui représentant Fledric. J'ai bien compris où Höls voulait en venir, avec ce cadeau. Il me désigne ma prochaine cible. Je capte son regard sur moi, qu'il détourne immédiatement pour revenir à sa lecture. Lenteur, patience, progression. Ce sont les mots de la reine. Maintenant, il faut juste que je reste en vie suffisamment longtemps pour qu'elle soit fière de moi.

    ~~~

    Quand je passe la porte de la Volière, Luz semble m'attendre, au bout du couloir, dans le salon, deux tasses entre les mains. Je pose mes affaires dans l'entrée, tandis qu'elle laisse son plateau sur la petite table du salon, et je fais les quelques pas qui nous séparent avant de la prendre dans mes bras.

    « Je suis rentrée.
    - Bienvenue à la maison.
    »

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    Re: Dextre et sinistre
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