Il semblait si brillant. Cet oiseau spectral me regardait comme s’il avait été de ces hommes philosophiques et sages qui dominaient les courants de pensées avant-gardistes qui s’élèvent tels des échos dans la cité. De toute évidence, il n’en était rien. Ce n’était qu’un animal. Certes plutôt irrégulier considérant son aptitude à la parole plutôt anormale pour un oiseau, quelle qu’en soit l’espèce. Sa verve était bien trop profonde et développée pour la capacité dite régulière d’une cervelle d’oiseau. L’inquiétude ne me lâchait pas. J’ignore pourquoi, je me questionnais sur l’identité réelle de cette bête qui s’était introduite dans mon bureau par effraction. Sa sagesse me tiraillait. Si je n’avais réelle empathie pour l’être en général, la présentation et la détresse de celui-ci semblait m’affecter. J’aurais aimé le prendre dans mes bras puis le caresser, mais sa tristesse me laissait perplexe. On m’avait toujours dit que les animaux n’avaient ni émotion ni âme. Qu’avait celui-ci de spécial ? Je ne pouvais m’expliquer ma soudaine compassion qui jamais, auparavant, n’avait entravé quelque dimension qui soit de ma vie. Il faut dire qu’en Aryon, l’impossible était souvent synonyme de possibilité, ne fusse-t-elle que fortuite. La magie avait ça de beau. Rentre accessible les fantaisies les plus folles de l’humain. Si j’avais rêvé, plus jeune, à parler avec un animal, jamais je n’aurais imaginé que cet événement, qualifiable de miracle, se serait ainsi produit. Empreint de nostalgie, de chagrin, de compassion, de larmes. J’aurais eu beau y penser encore et encore, me refaire une scène différente chaque fois, toujours elle aurait été teintée de joie, d’humour, de candeur et de ce petit côté enchanteur que l’on ose imaginer seulement lorsqu’on est ivres. Merci Cacatoès. S’il restait ne serait-ce qu’une once de mon âme d’enfants, elle venait de mourir devant ta douleur. J’imagine qu’une ministre devait être complètement adulte pour être pleinement opérationnel. Quelle tristesse. Quelle vie morne. Une vie teintée d’un gris fade et ennuyant. Un gris loin de celui de ma chevelure que le perroquet venait de complimenter.
Cet oiseau, ou ce qui cachait derrière lui, son mystère semblait bien brave. Défiant une ministre dans ses sommations. Qui était-il ? Bien sûr, je connaissais cet adage diffamateur. Le silence est d’or. J’étais d’or. Je suis ministre. J’étais en droit d’exiger un être aussi poilu, ou plumé, soit-il de me décliner son identité. Pourtant avec toute la verve et la politesse dont un moineau pouvait faire preuve, il avait détourné ma question. Il refusait de répondre. Il avait néanmoins semé une graine. Je m’étais toujours considérée plutôt brillante, mais là, à ce moment précis, mon amour propre grandissait encore. Je me trouvais indéniablement intelligente, et belle, évidemment. Pourquoi, certains se demanderont ? Cette chose souhaitait fuir la haine de la caserne. Assistais-je à l’un de ces pouvoirs de transposition de l’âme ? Cette bête ailée était-elle la manifestation de l’un de mes gardes ? Pourquoi s’était-il introduit dans mon bureau ? Si j’avais pu présumer l’identité sociale de mon non-invité, mil questions faisaient néanmoins surface dans ma tête. Pourquoi moi plutôt que le commandant Joestar ? Mille-et-une. Que regardait-il là-dehors ? Mille-et-deux. De quelle haine parlait-il ? Était-il victime d’intimidation ? Mille-et-quatre. Ma tête bourdonnait de questions qui sans cesse se multipliaient. Curieuse et prise d’une certaine spontanéité. J’approchai des carreaux de la luxueuse vitrine de mon bureau. Là, tout en bas, j’assistais à une bien triste scène. Un jeune homme blond, crucifié décorait la cour. Où étaient donc les officiers ? Telle manifestation d’intimidation ou de moquerie ne devait pas exister dans la Garde. On m’avait, moi-même, souvent fait le sermon lorsque j’étais plus jeune. Loi. Ordre. Discipline. Loi. Ordre. Discipline. Encore et toujours. Les officiers nous mitraillaient de ces mots et ce n’est pas quelque chose que j’eus voulu chanter à mon entrée en fonction. Loi, ordre et discipline se devaient d’être maintenues. Je serrai les poings devant la triste scène. Si mon cerveau avait une main pour écrire sur la ma liste de choses à faire, il venait tout juste de prendre en note d’une plume fort adroite de prendre en charge les écarts de conduite de ces gardes fort peu courtois. Je ne sais pas si c’est ce que cet oiseau voulait que je voie, mais malgré toute ma superficialité, je pouvais difficilement accepter tel blasphème au blason de la famille royale. Si je n’eus été ministre, j’aurais probablement balayé du revers de la main cet événement. Je ne l’aurais probablement jamais considéré, hélas, j’étais à la tête d’une organisation encore plus grande que moi, bien que ce sommet fût difficilement à dépasser.
Du coin de l’œil, je vis l’oiseau faire volteface. Je ne pus brimer un léger sursaut qui s’échappa de mes lèvres rosées. Cet animal à bec… c’était le fils du capitaine Belir, celui pour lequel j’avais dû prononcer l’exécution. Mon cœur se serra. Comme si j’eus une crampe quelconque. J’avais devant moi l’héritage d’un homme lié à l’un des souvenirs les plus douloureux que j’eus pu posséder. Si j’avais été plus humaine. J’aurais sûrement pleuré, mais mon visage demeurait inchangé. Aussi sérieux et inexpressif que je pouvais le présenter. Cette histoire, à l’époque, m’avait beaucoup affectée et jamais je n’aurais cru nécessaire de devoir me la remémorer. Surtout pas pour sa progéniture. Ma gorge s’imprégnait tranquillement de mon ressenti intérieur, je la sentais s’obstruer bien que je n’eusse rien avalé. Cet instant que je n’aurais jamais pu imaginer, même dans mes pires cauchemars se pointaient devant moi et j’avais envie de fuir. Nul n’était en position de me forcer à rester et pourtant, je sentais que je devais le faire. Par respect pour cet oiseau que j’avais rendu orphelin. Je l’avais poussé hors du nid avant même qu’il ne soit prêt, détruisant ce qui aurait pu lui permettre une meilleure transition. Au lieu de ça, je suis avais offert une pomme empoisonnée : le harcèlement constant pour des actes qu’il n’avait pas commis. Des actes qu’on lui associerait simplement parce qu’il était porteur du sang de cet ancien capitaine. Je poussai un petit soupir, étouffé par mon émotion intérieure. Je restais de marbre à l’extérieur, mais en dedans, je me battais pour ne pas craquer. J’étais certes fière de mon être, heureuse de qui je suis, je m’étais toujours trouvé fort chanceuse, mais d’ainsi être confrontées au fruit de mes moments les moins nobles me rappelait, à mon grand désarroi, que je n’étais pas parfaite. « Vous savez, petit oiseau, ici en Aryon, le sang a une certaine importance. Je ne pourrais vous dire pourquoi, mais c’est souvent ce dernier qui décide de la vocation que nous aurons. Je suis née noble, comme notre reine, il était dit dès les premières minutes de ma vie, avant même que je n’eus pleurer que je mourrais noble. Regardez sur quelle chaise je suis assisse aujourd’hui. Les gamètes qui nous ont créé établissent le canevas entier de notre vie. Si elles ne peuvent pas tout prévoir, elles nous disent néanmoins dans quel cadre tout se déroulera. Vous me voyez désolée pour l’héritage malheureux de votre père. La naissance est souvent notaire de l’héritage de la réputation de nos parents, ce bien malgré eux. Hélas, les actions pour lesquelles il a été inculpé sont des malédictions qui suivront sa descendance ad vitam aeternam, ou du moins jusqu’à ce que l’histoire accepte de l’oublier et qu’il ne reste plus âme qui vive ayant un souvenir avec lui. La mortalité et le temps ont cet atout magnifique qui, tôt ou tard, efface le passé pour laisser place à l’avenir et au présent. L’histoire de votre père est encore tellement récente, tous se souviennent du capitaine Belir, l’un des rares condamnés à mort d’Aryon. Avouons, également, que son grade et son importance diplomatique n’aident pas à oublier les erreurs qui ont été commises en ces temps. » Je poussai un nouveau soupir. Me voilà que je me proclamais parole de sagesse et philosophe à mon tour. J’avais assez rarement démontré autant de compassion à l’Endroit d’une situation. Culpabilisais-je à ce point de cette condamnation prononcée il y avait déjà plusieurs cycles lunaires ? Mille-et-cinq. Je passai une main dans mes cheveux comme si j’eus voulu me taper la tête. Il fallait que j’arrête de compter le nombre de questions qui me hantaient.
Je fis demi-tour à mon tour. Comme si j’étais soudainement éprise d’une grande confiance à l’endroit de cet animal toujours aussi mystérieux. S’il avait trahi son identité, j’avais toujours du mal à comprendre par quel trou il était parvenu à se faufiler jusqu’ici. Ne voulait-il réellement que se plaindre de sa situation sociale dans la garde ? Voulait-il que je somme ces jeunes militaires dans la cour de cesser d’embêter ce pauvre blondinet ? J’ignorais ce qu’il avait fait. J’ignorais jusqu’à son nom. Si je n’acceptais pas l’intimidation, je ne pouvais m’empêcher d’avoir cette réflexion immature et puérile que ce jeune homme devait avoir mériter ce traitement. C’était froid comme réflexion, mais l’on m’avait appris, il y a longtemps que rien n’arrivait jamais pour rien. Une raison se cachait toujours derrière les agissements des uns et des autres. Bonne ou mauvaise, cela ne regardait que la personne concernée, mais un motif hantait toujours l’Homme. Ambition, vengeance, besoin, amusement… nul ne pouvait nommer toutes les sources de motivation.
Je marchai tranquillement vers la porte, cherchant çà et là une brèche dans la maçonnerie de mon bureau. Rien. Aucune trace d’effraction ou de serres d’oiseau. Je retournai m’asseoir à ma place, faisant dos à l’animal. Tentant de montrer que la surprise était passée et que j’étais de nouveau en possession du moindre de mes moyens. Je tapai sur mon bureau pour inviter mon invité assez peu ordinaire à me rejoindre. Lui désignant du revers de la main un petit coin près de mon encrier. Je rehaussai les épaules puis montai le menton. « Si j’accepte de vous offrir hospitalité, il faudra néanmoins que vous m’expliquiez comment vous êtes entré ici alors que nulle part je ne parviens à détecter un signe d’effraction ou d’ouverture permettant de vous laisser passer. Quel est votre secret jeune oiseau ? J’ai assez de mal à concevoir mon impossibilité à comprendre un phénomène. J’ai cru comprendre que vous étiez garde à travers vos volubiles paroles, je vous somme donc, à titre de commandante provisoire de la Garde et de ministre des Armes de me révéler votre secret. » Je me doutais bien de la réponse. Je voulais être certaine. Plus tôt, ma main avait traversé ses serres. Cet oiseau bénéficiait d’une sorte d’intangibilité que je ne saurais expliquer, néanmoins, à titre de femme politique, je dois avouer que j’aurais tôt fait de faire bonne usage d’une telle capacité et si cet homme cherchait, de quelque manière qui soit, à acheter la paix et à racheter les crimes de son père, or il accepterait, sans aucun doute. Il demeurait néanmoins une suite de mots qui ne m’avait pas échappé, mais desquels j’avais fait fi. « … accusé et condamné… à tort. » Cet homme sous-entendait-il que le tribunal eut pu commettre une erreur si grande que nous aurions pu condamner à mort un homme par erreur ? Quid de ces potions de vérité ? Quid des pouvoirs forçant la vérité à sortir dans ce genre d’instances ? Y avait-il corruption au sein de mon tribunal en lequel j’avais une grande confiance ? Mille-et-six. Mille-et-sept. Mille-et-huit. Mille-et-neuf. Mille-et-dix. Cette rencontre non planifiée saurait peut-être s’annoncer plus intéressante que je n’aurais pu l’imaginer dans mes rêves les farfelus. Jeune Belir, que me cachez-vous donc ? Mille-et-onze.
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