D’un pas léger, elle se dirigea vers le centre du village où un marché animé l’accueillit d’une foule si dense qu'il était difficile d’y faire son chemin. Certains clamaient de la qualité de leurs produits, d’autres exposaient des victuailles sur des tables garnies. Les emplettes furent plus expéditives que la jeune femme ne l’aurait cru, se saisissant principalement de produits secs afin que ceux-ci ne dépérissent pas dans ses affaires le temps de leur voyage.
En peu de temps, la barde était de retour dans le chalet, se délestant de son épaisse cape sur la banquette de l’entrée. Elle grogna cependant la douleur de ses blessures en voie de guérison. La vieille Lyiue avait fait un travail formidable, mais il était évident que les plaies ne guériraient pas aussi aisément qu’ils l’auraient souhaité. Arrivée devant un petit four de pierres surplombé de plaques en fonte. Calcilia remplit la cavité de quelques morceaux de bois, fredonnant un air doux dans son entreprise. Lorsque le métal se fit rougeoyant, elle y cassa des œufs et déposa des lamelles de lard qui chantèrent de crépitements. Laissant le reste des ingrédients dans un petit chaudron, elle se dirigea vers la chambre de son ami. L’impatience d’un tigre en cage, elle était pressée de quitter les lieux pour repartir sur les routes de la montagne. Elle toqua quelques coups, puis se permit d’entrer, pour venir se pencher au-dessus du visage endormi de Sileas.
Elle glissa délicatement ses doigts entre ses mèches dorées pour dégager son faciès, s’armant d’un sourire doux.
« Bonjour bel endormi, souffla-t-elle. Tu préfères des viennoiseries ou de la viande pour le matin ? »
Laissant celui-ci le temps d’émerger, elle retourna dans l’espace de cuisine, ses renards sautillant autour d’elle. Elle souhaitait partir le plus tôt possible afin d’atteindre la colline avant le zénith du soleil. Calcilia déposa les gamelles remplies de morceaux de viande coupés en dés, puis retourna s’affairer aux fourneaux non sans laisser échapper un faible bâillement.
Durant ces quelques jours dans le village, elle n’avait eu de cesse de penser à cet étrange orbe en sa possession, ainsi qu’aux ravisseurs qui s’étaient essayés de le lui dérober. Cette situation confuse avait attisé ses nerfs, alors qu’elle retournait la question dans tous les sens jusqu’à s’agacer elle-même. Lorsque l’aventurier se dévoila à travers l’ombre du couloir, Calcilia déposa une assiette garnie sur la table avant de s’installer face à la sienne. Elle commença à picorer sans appétit, et surtout soucieuse qu’elle s’empressa de dissimuler derrière un sourire aimable.
« Tu as bien dormi ? Bientôt prêt à reprendre la route ? »
Etrangement silencieuse, Calcilia n’avait pas le même entrain habituel, comme si ces derniers jours à ruminer lui avait retiré son masque. Elle baissa son regard pensivement, ses convictions rudement mises à l’épreuve, la barde doutait. La jeune femme avait fini par écouter la conversation inanimée d’une oreille distraite avant de débarrasser son assiette à peine entamée. Elle n’avait pas vraiment la tête à s’embrouiller l’esprit. Elle revint alors s’asseoir à côté de l’aventurier pour reposer son crâne contre son épaule, incapable de faire semblant.
« J’ai peur de ce qui nous attend, intima-t-elle faiblement. J’ai l’impression de m’être empêtrée dans une toile inextricable et en plus de t’avoir embarqué avec moi. »
La scène sanglante encore fraîche dans sa mémoire se rejouait en boucle. C’était un mal nécessaire. Et si la conscience de la barde n’était pas tranquille actuellement, elle savait également que d’autres vies avaient été épargnées en se dressant sur le chemin de ces mercenaires. Calcilia ferma les yeux puis enroula le bras de son partenaire des siens lorsque celui-ci termina son repas. Son besoin permanent d’affection cherchait à combler un manque qu’elle-même était incapable de définir en ce moment. Qu’allait-il en sortir de leur situation ?
Le fait que celle-ci ne soit pas totalement sous le contrôle narquois de la barde, rendait celle-ci d’une fébrilité déconcertante. Fragilisée par ces derniers jours signait le début de son déclin, la laissant enfin se reposer sur une épaule rustre mais juste.
« Merci Sileas… »
Un remerciement qui s’étendait au-delà de sa simple présence, comme si une brèche s’était ouverte pour laisser pénétrer cette drôle d’amitié qui s’était formée entre les deux combattants. Cependant, avant que celui-ci ne puisse lui répondre, Calcilia s’échappa comme une brise insaisissable.
Les affaires rassemblées, la barde avait faussé compagnie à son ami le temps que celui-ci termine de se préparer pour joindre les quelques enfants présents dans la cour de leur refuge. Le vent porta alors les premières notes de sa lyre, un spectacle promis qu’elle n’avait pu effectuer. Elle conta d’un chant tendre les épopées passées des derniers héros qui avaient foulé le royaume. Acclamée d’un faible public, elle ouvrit la marche à l’arrivée de son ami, alors qu’elle remercia chaleureusement la bienveillance de ceux qui les avaient reçus, couverts et soignés. C’était sur ces dernières paroles qu’ils repartirent sur les routes gelées sans savoir ce qui allait les attendre au bout du chemin.
-"De la viande... Surtout qu'on doit reprendre la route... Laisse moi cinq minutes, j'arrive..."
Et effectivement, il lui faut un peu de temps pour sortir entièrement du royaume des songes, entamant une rapide toilette pour ensuite s'habiller. Aujourd'hui est le grand jour, son paquetage est déjà prêt. A vrai dire, le blond a hâte de repartir et de découvrir la suite des aventures. Non pas qu'il est enjoué par ce qu'ils ont vécus et ce qu'ils risquent de vivre, mais justement car il veut découvrir le fin mot de cette histoire et y mettre un terme. Retrouvant sa comparse, il grogne de nouveau, toujours peu éveillé. Il faut dire que quand il ne se sent pas en danger, il prend le temps d'émerger normalement et pas sauter du lit en un instant.
-"Je suis pas à plaindre et toi ? Et bien sur, j'ai envie d'en finir avec ça. Je sais pas ce qui nous attend, mais plus vite on lui passe dessus, mieux je me sentirais."
Le repas se passe dans une étrange ambiance, la bleutée ne disant presque rien, ce qui contraste fortement avec ses habitudes. Même son appétit est plus que léger, arrachant un mouvement du sourcil de la part du borgne. Fort heureusement il n'aura pas à poser de front ses questions vu que cette dernière vient de lui même le rejoindre, comme si elle cherchait sa chaleur pour se rassurer. Glissant son bras autour des épaules de la demoiselle, il vient la serrer un peu plus contre son épaule et son torse en poussant un léger soupir, rivant sa pupille d'acier sur le regard de son amie.
-"Moi aussi je crains ce que l'on va découvrir. Mais si ce n'est pas nous, c'en sera d'autres. Au moins, on sait de quoi ils sont capables, je ne me sens pas de rendre cela à des gardes ou des aventuriers qui n'ont aucune idée du bourbier dans lequel ils vont se retrouver. Et encore une fois, c'est moi qui ai fais le choix de t'aider. Et on s'en sortira, on s'en sort toujours."
Définitivement, Calcilia semble avoir besoin de soutien et de support. Elle lui parait soudainement fatiguée, presque affaiblie. Quelque chose semble avoir percé cette carapace narquoise et sarcastique qu'elle tisse toujours autour de son être pour se protéger, et il allait l'attraper pour l'installer sur ses genoux et l'enserrer, essayant d'être rassurant, quand cette dernière fuit. Fuit-elle cette étreinte ou ses propres émotions qui débordent en cet instant? Facile de connaître la réponse, et c'est avec un soupir qu'il vient lui même se préparer, prenant un peu plus de temps que cette brise insaisissable de bout de femme, ayant après tout une armure complète à enfiler.
Mais il arrive néanmoins au bout de ses préparatifs, sortant une fois le sac solidement harnaché sur le dos. L'impétueuse blasée est occupée à finir sa représentation, et une fois les salutations terminées ils reprennent leur route. Les routes glacées sont calmes, uniquement perturbées par les rares marchands faisant du commerce hivernal, principalement de plantes, peaux, viandes et tonneaux. Les ressources les plus précieuses en ces périodes de grand froid qui tente de venir les mordre sous leur tenue. Sileas finit par s'enrouler entièrement dans sa cape, et malgré le calme ambiant une certaine tension émane de lui. Son regard est affuté, et régulièrement il se retourne pour surveiller les arrières et les alentours. Personne ne les a attaqués dans le village, mais trois jours, cela donne bien assez de temps pour laisser revenir à la Forteresse la nouvelle de la mort du premier groupe, et l'envoi d'un second pour observer la situation. Et maintenant qu'ils sont hors de la zone protégée par la garde, tout est possible.
Heureusement, rien ne semble se passer alors que le temps défile. Et avec lui, le silence. Quelque chose dont Sileas n'est pas habitué. Et tout autant qu'il l'apprécie, il s'inquiète aussi pour cette demoiselle à ses cotés qui n'est clairement pas dans son état naturel. Et tandis que ses jambières laissent d'épaisses tranchées dans la neige, l'homme finit par secouer la tête et pousser un long soupir las et blasé, portant une main à sa plaie qui a bien cicatrisée. Elle est encore fragile, mais tant qu'il ne force pas trop, tout devrait bien se passer.
-"Je ne sais pas dans quoi nous avons mis les pieds, et toi non plus je pense à vrai dire. Mais je te promet qu'on en verra le bout. On a déjà affronté pire que des bandits payés par on ne sait quelle personne dans on ne sait quel but. Une fois à ce fameux village, on aura surement les réponses que l'on cherche."
Définitivement, il n'est pas doué pour rassurer les gens ou essayer de leur remonter le moral, ou même leur changer les idées. Mais il essaye. Tant de mettre ses propres inquiétudes sur le coté que de soutenir cette barde qui ne semble pas dans son état normal. Oh, il bénira ce calme et se maudira quand elle aura retrouvé son air insupportable habituel, il est sur. Mais a choisir, il préfère presque cela à la voir si renfermée sur elle même.
La barde se laissa emporter par le souffla glacial de la montagne alors qu’ils rejoignaient un plateau vierge quelques mètres plus bas. Elle y jeta alors un regard éteint, sans vraiment savoir ce qui l’avait plongée dans cet état de stase. C’était comme si les mots de son comparse de ne l’atteignaient plus, et que ses remords avaient pris le dessus. Pourquoi fallait-il que des vies soient mises en jeu pour les caprices de certains ? Le souvenir des flammes raviva une douleur qu’elle avait éteinte alors que les mandibules encore meurtrières traversaient son esprit. L’entassement des cadavres, des enfants… Calcilia poussa un profond soupir pour fuir les images d’horreur qui marquaient son esprit.
« Dépêchons-nous, finit-elle par dire. Rien ne nous assure qu’ils ne s’attaqueront pas au village pour avoir un moyen de pression. »
La lueur éteinte de son regard s’était soudainement enflammée d’une rage sourde. Les âmes des défunts semblaient danser devant ses orbes violines. La barde était bien déterminée à mettre fin à cet acte, quoiqu’il en coûte. Ignorant la morsure du froid qui dévorait la peau de son visage, elle continua même à travers le vent qui s’éleva entre leurs mèches givrées, cristallisant le bout des cheveux comme des perles luisantes.
La voûte céleste qui les avait accueillis d’un bleu éclatant ce matin se couvrait d’un nuage sombre. Des rafales de vent soulevèrent la fine pellicule de neige qui était encore assez légère pour venir les fouetter. Une tempête s’annonçait, prête à ravager tout ce qui se trouvait sur son chemin. Calcilia voulut tout de même continuer sa route, ignorant le froid, ignorant la douleur, ignorant jusqu’à elle-même avec le seul but d’atteindre ce village. Cette enfant qui attendait avec impatience qu’on lui rendre ce qui lui avait été dérobé.
Sourde aux appels de son partenaire, ce n’est que lorsque sa joue pulsa que la barde revint à elle. La jeune femme apporta sa main à sa joue hébétée en lançant un regard d’incompréhension en direction de Sileas qui avait encore la main en l’air. Calcilia cligna des yeux à plusieurs reprises avant de constater que leurs corps étaient recouverts de neige.
Si elle avait été dans son état habituel, elle aurait très certainement fait un caprice en exigeant des explications. Seulement, cette fois-ci, seules des larmes chaudes roulèrent sur ses joues, gelant instantanément. Si perturbée par les événements qui les précédaient, la barde s’oubliait. Elle se laissa alors traîner sans un mot vers une cavité à l’abri du vent. Presque amorphe, la barde observa l’aventurier allumer un feu, le vent sifflant contre les parois de leur abri de fortune. Aussitôt, elle sentit ses deux boules de poils se hisser sur ses genoux. La jeune femme plongea son visage dans le pelage neigeux de son renard sans s’échapper de son mutisme. Puis finalement, elle tourna la tête vers l’aventurier, les joues gonflées.
« Tu m’as frappée, bougonna-t-elle. J’aurais jamais cru ça possible… Va falloir que je fasse attention maintenant. Tu me menaces tout le temps, mais tu n’étais jamais passé à l’action. »
Elle glissa ses mains gantées sous ses cuisses, sans lâcher Sileas du regard. Quelque part, elle savait qu’elle lui devait des explications, mais d’un autre côté, elle ne souhaitait pas s’éteindre davantage. Finalement, Calcilia détourna les yeux sur les braises dansantes de leur feu, apportant un peu de chaleur à leurs corps gelés. Elle ne s’était même pas aperçue que des engelures avaient commencé à s’attaquer à sa peau. La barde se décolla du mur pour se déplacer à même le sol jusqu’à Sileas, puis déposa son crâne contre son épaule.
« J’ai mal, reprit-elle. C’est ta faute. »
Finalement, elle laissa échapper un faible rire en fermant les yeux, emmitouflée dans sa cape. Parfois, elle se demandait ce qui se passait derrière la bille d’acier de l’aventurier. Ce qu’il dissimulait. Il avait beau dire qu’il ne la comprenait pas, mais elle non plus ne savait pas ce qui se passait dans son crâne. Car la barde avait beau lui faire vivre un enfer au quotidien, il était le premier à lui tendre la main. À pénétrer dans ses problèmes comme un bélier enragé.
Calcilia retira ses gants pour les rapprocher de la source de chaleur, retrouvant la mobilité de ses doigts.
« Pourquoi tu tiens tant à m’accompagner dans cette histoire ? On ne sait même pas quels problèmes nous attendent. Je n’arrive même pas à savoir pourquoi tu m’apprécies après tout ce que je t’ai fait. »
Sans reproche, ni jugement, la barde posait ces questions avec une réelle curiosité. Elle ne le regarda pas non plus, hypnotisée par les éclats du feu, mais surtout parce que c’était plus facile ainsi. La jeune femme n’avait pas besoin de le confronter, ni de craindre ce qu’elle lirait dans son iris.
Et finalement, à contrecœur, l'aventurier ne voit qu'une solution physique pour l'émerger de son propre esprit. La claque frappe, la barde s'éveille. Le blond ne dit absolument rien, presque choqué lui même d'avoir ainsi dû frapper son amie pour son propre bien avant de rapidement rejoindre une ouverture vers la terre, une petite grotte qu'ils peuvent exploiter. L'installation est rapide, et le feu crépite à la même vitesse pour repousser le froid et faire fondre la neige. La chaleur monte difficilement et il n'hésite pas à alimenter richement le feu pour qu'il flambe et laisse son aura ardente les enlacer et chasser le froid de leurs os, finissant par tourner le regard vers Calcilia qui reprend enfin la parole.
-"Je n'en avais pas envie, mais tu ne m'en as pas laissé le choix. Tu refusais de m'écouter ou de m'entendre, et vois ton état. Quelques minutes de plus, et nous aurions risqué l'hypothermie sévère."
Un soupir échappe ses lèvres alors qu'il voit puis sent la demoiselle s'installer contre lui. Ses mains s'occupent de lentement retirer le blindage de son armure et le ranger, retirant cette couche glacée de sa peau et savourant un peu mieux la chaleur du feu sur son corps alors qu'il se redresse juste assez pour récupérer sa cape et les enrouler tous les deux autour, et essayer de faire remonter cette température corporelle bien trop basse. La question de la bleutée lui arrache un nouveau soupir alors que son bras s'enserre autour de ses épaules pour la blottir contre lui tandis qu'il ferme son dernier œil. Quelques secondes passent ainsi, avant qu'il ne se décide à reprendre la parole.
-"Je tiens à t'accompagner car j'ai peur que seule, ce soit ta dernière représentation. Même à deux, nous ne pouvons pas dire que nous en avons menés large. Seule ? Tu aurais surement été retrouvée morte dans quelques mois quand la neige et la glace aurait fondue sur ta carcasse égorgée. Et je t'apprécie, je m'en serais donc voulu de ne pas t'avoir aidée quand je le pouvais."
Chacun évite le regard de l'autre tout en cherchant sa présence, en une étrange symphonie concordante. Finalement, l'acier de la pupille s'ouvre de nouveau au monde, et le borgne glisse son regard sur sa comparse, sur la tempête qui commence désormais à souffler en extérieur. Il va falloir faire quelque chose pour cela, car même le feu commence à avoir du mal de tenir ce conflit, sur-alimenté en oxygène par les bourrasques qui s'engouffrent parfois et arrachent tant de cette précieuse chaleur. La cavité n'est pas assez profonde pour plus s'enfoncer, et ils devront faire avec ce qu'ils ont pour tenir.
-"Et je n'ai pas non plus la réponse au pourquoi je t'apprécie. Tu comptes pour moi, tout simplement. Tu es mon amie et j'ai ton bien être à cœur. Je pourrais aussi te retourner la même question, pourquoi m'apprécies-tu réellement, sans le masque permanent et les taquineries ? Tu essayes de me fuir et de m'échapper dès que tu le peux, et pourtant tu sembles toujours heureuse de me revoir."
Quitte à parler de sujets qui fâchent, autant aborder le comportement paradoxal que la demoiselle a parfois à son égard. Avoir ainsi fuit en pleine nuit pour désormais autant s'accrocher à lui. Leur amitié semble sincère, mais emplie d'étrangetés voir d'incompréhensions. Non pas que cela dérange Sileas, mais si il peut mettre le doigt sur certaines de ses interrogations il ne va pas se priver. Finalement, il se redresse lentement pour se libérer de l'étreinte de la jeune femme, sans lui récupérer sa cape pour qu'elle se réchauffe, avant de se rapprocher de la bordure de la crevasse avec son sac. Fouillant dedans, il sort des piolets et des cordes, venant rudimentairement les enfoncer dans la roche pour fournir un support. Il tire ensuite des cordes entre les différentes sections pour finalement installer dans ce quadrillage rustique et improvisé des fourrures. Ces dernières s'agitent sous les bourrasques mais restent en place. Parfait pour l'aventurier, qui voit désormais la quantité d'air froid rentrer dans leur abri drastiquement diminuer. Oh, il en reste bien toujours, mais plus de quoi risquer de voir le feu se faire souffler, et surtout leurs os de geler. Revenant s'installer à coté de la barde, l'aventurier fouille pour récupérer de quoi grignoter, tendant une portion à cette dernière.
-"La tempête risque de durer quelques heures, profitons-en pour prendre un peu de repos. On rattrapera ce qu'on pourra demain à rythme double. Mais la, mis à part attendre, je ne vois pas ce que nous pouvons faire."
Et cette constatation enrage légèrement l'aventurier qui aurait aimé avancer plus. Qui sait ce qui les attends, tant devant que derrière après tout...
La barde refusa l’encas, l’appétit coupé depuis quelques jours déjà. Mais un léger sourire flottait sur ses lèvres maintenant qu’elle repensait aux paroles de Sileas qui était un bien beau résumé de leur relation.
« C’est vrai, fit-elle remarquer. J’aime beaucoup ton expression exaspérée quand tu me vois arriver, c’en est hilarant. »
Elle fit une légère pause alors qu’un voile presque imperceptible se glissa dans son regard. Calcilia redessina les coutures de sa botte du bout de ses doigts. Puis elle ferma les yeux en se laissant aller à ses pensées.
« Mais en effet, je t’aime beaucoup, acheva-t-elle. Difficile de le nier. Les raisons ? Je n’en ai pas vraiment, je trouve que ça colle bien entre nous. »
Cherchant alors plus de chaleur, Calcilia se blottit contre lui malgré la cape. Elle appréciait le profil de l’aventurier qui cachait cette profonde gentillesse à son égard derrière ce regard sévère et ses soupirs agacés. Ces pensées firent légèrement rire la jeune femme, puis elle leva les yeux vers lui pour venir décrire la ligne de sa mâchoire.
« Puis tu es plutôt bel homme, ça te fait gagner quelques points en plus. »
La barde enfouit sa main dans le pelage d’Eira qui s’était assoupie contre sa cuisse. Non pas qu’elle méprisait le physique des gens moins avantagés, mais elle devait avouer que l’aventurier était agréable à regarder.
La tempête semblait s’éterniser alors que les deux amis se laissaient aller à des confessions maladroites. Entre la franchise brutale de Sileas, et le masque de Calcilia, il était devenu difficile pour eux de se comprendre parfaitement, mais c’était aussi cette synergie qui rendait cette amitié aussi authentique qu’originale. Ils se taquinaient inlassablement comme deux enfants. Finalement, après un silence, la barde enfouit son visage entre ses doigts en poussant un soupir fatigué. Des flashs de cette journée lui revenaient sans cesse, alors que ses mains tremblaient légèrement.
« Je déteste lever mon épée… Je ne suis pas faite pour ça… Confia la jeune femme d’une voix chancelante. Je sais que c’était nécessaire, mais en même temps, je ne peux pas m’empêcher de le regretter… D’autant plus que je sais que ce n’est pas fini… »
Et ce qui l’inquiétait davantage, c’est qu’elle s’habituait à cette sensation. Celle de la chair qui était fendue sous sa lame, et de ce rideau écarlate qui s’en suivait. Comme si au final, elle n’avait plus d’émotions lorsqu’il fallait porter le coup fatal. Comme si elle oubliait que derrière chaque regard se dissimulait une vie, des enfants, des amants. Pourtant, de son devoir, elle continuait à faire siffler son tranchant pour sa vie. Prisonnière de ses tourments, voilà quel était le châtiment que lui avait réservé Lucy pour le mal qu’elle avait semé.
Mais telle avait été son éducation dans les bois. Celle de la survie pour que personne ne puisse l’atteindre.
« Cette petite qui me regardait avec des étoiles dans les yeux… Si seulement elle savait quelles horreurs j’ai pu commettre juste pour lui ramener ce truc… J’ai si honte… Je voulais leur faire vivre des aventures, qu’ils puissent rêver à travers mes chants… Mais tout n’est que mensonge. »
La barde ne méritait pas cette lyre qui pendait si fièrement à sa hanche. Elle n’était preuve que de la façade, et des mensonges de sa vie. Ce cocon givré autour d’eux avait créé un sentiment d’intimité où Calcilia s’était laissée aller à des confessions qu’elle s’était toujours interdites d’avoir. Mais la fatigue accablait ses épaules, et aujourd’hui, elle avait besoin de réconfort. Ses épaules n’étaient pas toujours assez larges, pas assez solides pour supporter cette charge trop lourde qu’elle s’était confiée.
Pourtant, elle ne versa même pas une larme, seule une émotion forte se percevait à travers sa voix tremblante.
-"Je savais bien que tu étais intéressée que par mon physique. Tu as le profil parfait de la groupie de taverne qui cherche à attirer l'attention. Ah non, c'est vrai que c'est toi la barde qui fait tourner toutes les têtes sur son passage."
Cette petite taquinerie s'évapore toutefois bien rapidement alors que Calcilia aborde des sujets autrement plus difficiles et complexes que ceux précédents. Elle commence à trembler, et finalement le blond l'attrape pour la déposer sur ses genoux, sa tête sur son épaule, l'enserrant de sa cape pour qu'elle se réchauffe. Elle est totalement épuisée mentalement, et ça s'en ressent à son état physique. Ses mots résonnent, et même l'aventurier a besoin de quelques secondes pour trouver les mots qu'il souhaite mettre sur ses pensées, berçant doucement la demoiselle dans son étreinte durant ce temps, avant de poser son regard d'acier sur celui violine de sa partenaire d'aventure.
-"Presque personne n'est fait pour prendre la vie d'autrui, Calcilia. Même si on finit par s'y habituer, par être moins traumatisé quand l'on prends la vie de quelqu'un, ça fait toujours quelque chose. Je n'ai aucun remord à tuer un humain si c'est nécessaire, certains ne valant pas mieux que les monstres que la Guilde traque quotidiennement, et pourtant je ne m'y suis jamais totalement fait, et chaque vie que je prends me pèse. De façon différente, mais c'est toujours présent. Tu n'es pas seule dans cette situation et avec ces questionnements, je peux te l'assurer."
Un soupir échappe les lèvres du borgne alors qu'il continue ainsi de s'occuper de la demoiselle qui refuse de manger. Elle a besoin d'être rassurée, peut être réconfortée avant de reprendre la route, et finalement cette tempête que l'aventurier maudissait était peut être l'élément dont ils avaient besoin pour pouvoir continuer de manière plus sereine. Proche du craquage comme la barde semble proche, il leur faut réellement cette conversation à cœur ouverts avant de pouvoir continuer, car tous deux savent très bien que la suite s'annonce pire encore. Sileas reste calme, neutre, essayant ainsi d'aider son amie, même si une certaine inquiétude est lisible au fond de sa pupille de givre tandis qu'il reprend.
-"Tout n'est pas que mensonges dans ce que tu contes, Calcilia. Tu enjolives la réalité, tu mets en exergue les plus beaux évènements et faits d'armes pour réchauffer les cœurs et faire battre les esprits de rêves que ces enfants souhaiteront réaliser un jour. Bien sur, la réalité n'est pas aussi belle que les contes, mais eux ne sont pas encore prêts à l'affronter. Ton travail est important, insupportable barde. Tu fais naître en eux de futures passions en leur présentant les meilleurs cotés, tout en les préservant de la froide et crue réalité qu'ils auront à affronter un jour. Je comprends que tu puisses t'en vouloir de ne pas les préparer assez à ce qui les attends à l'avenir et d'enjoliver une froide réalité... Mais penses-tu vraiment qu'ils pourraient encaisser à leur âge la vraie expression de nos aventures ? Que pour écrire quelques vers qui feront briller les étoiles, ce sont des litres de sang qui auront du être versés et des yeux qui ont été clos pour leur dernière fois ?"
En dehors de cette petite bulle de chaleur dans le temps, le vent continue de souffler, même si ses intonations changent. Peut être le signe d'une accalmie à venir, ou alors le calme avant la vraie tempête. Ils ne pourront le savoir qu'en attendant, et ce temps est mis à bon escient par Sileas -du moins il l'espère-, tandis qu'une de ses mains finit par glisser dans la chevelure bleutée de la demoiselle pour lentement la caresser, essayant de légèrement adoucir sa voix pour terminer son raisonnement.
-"Et ces "atrocités" que tu penses avoir commis... Penses-tu vraiment que ceux que nous avons arrêtés n'auraient pas fait bien pire dans leur quête d'on ne sait quoi ? Oui, nous avons commis des actes graves, mais peut être qu'en se faisant, nous en avons aussi évités bien plus. Si c'est ta main qui a arraché la vie, ce ne sont pas tes choix qui t'ont mis dans cette position. Après tout, si ils n'avaient pas tentés de nous tuer, jamais cela ne serait arrivé."
Est-ce que cela arrivera réellement à réconforter la barde, ou au moins l'aider à mettre un peu de perspective sur ses actes ? Sileas n'en a aucune idée, mais il ne peut que l'espérer.
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