- C’est laquelle ? Répondit Lunar à la vieille noble qui lui adressait la parole. Celle tout en rose avec son catogan blond ?
- Mais non, ça c’est le marié. L’autre, celle avec la crinoline, rose aussi par contre…
- Ah oui, maintenant que vous le dites. Bah elle est laide comme une guenon. Ceci dit, je vous demande, mais le marié c’est pareil. On dirait un sanglier sans fourrure.
- Ils vont bien ensemble, je trouve.
- Du coup, oui, même s’ils me donnent envie de lâcher mon petit déjeuner sur le sol.
Assis sur un banc au beau milieu du Palais des Perles, le plus grand agora de la Ville Aquatique, Lunar avait les yeux rivés sur un couple en train de se faire face. La femme portait une immense robe bouffante entièrement rose, damassée de soieries brodées sur son bustier ainsi que son tour de taille. Sa crinoline faisait gonfler sa robe, lui donnant l’air d’une massive meringue rose pâle. Son voile de tulle cascadait en falbalas sur son visage, retombant sur ses manches gigot. Devant elle, son époux était cintré dans une grande redingote saumon à épaulettes dorées. Ses chausses blanches remontaient jusqu’à sa culotte courte et il était perché sur de hauts souliers vernis à talons rouge. Sa perruque blonde était impeccablement poudrée et il portait même une mouche sur sa joue, bien que cette dernière n’eut plus l’air d’une verrue qu’autre chose. L’agora avait été privatisée par les familles des mariés pour offrir aux invités un spectacle digne d'un véritable conte de fée.
- Vous connaissez l’un des mariés ? Reprit l’aristocrate assise à côté.
- Non, mais j’ai vu que y' avait mariage alors je me suis dit que j’allais venir pour bien manger.
- Ah oui, j’ai vu qu’il y aurait un buffet.
- Pardon ? Un buffet ? Vous dites ça pour plaisanter.
- Non non, du tout, il sera ouvert après la première danse du couple.
- Un buffet de mariage, mais sérieusement on se moque de qui ? On est à la Ville Aquatique ou Manilam ?
- C’est vrai que ça fait pingre. Dans un buffet, on ne nous servira jamais de la langue de rossignol, quel dommage et…
Elle s’arrêta net en plein milieu de sa phrase. Lunar, impatient, se tourna vers elle. La noble était une vieille femme poudrée, coiffée d’un grand chapeau d’osier duquel débordait toute une gerbe de plumes d’oie et d’autruche. Elle portait une superbe robe en taffetas de soie émeraude, à manches ballon, contrastée par des trames de velours à motifs floraux. Son visage d’ordinaire sévère n’avait à présent plus aucune expression. Dans le fond de ses yeux, le jeune homme pouvait remarquer une étrange lueur mauve, flamme qui disparut aussitôt. Malgré tout, la noble âgée ne redevint pas cette chouette sévère avec qui il conversait éhontément alors que la valse commençait. Elle étira un large sourire, expression pour le moins étrange sur un visage précédemment si froid.
- Oooh, des colombes ! Quelle beauté, je suis si heureuse de me trouver dans pareil événement ! S’exclama-t-elle soudain d’une voix fluette. C’est un mariage si merveilleux, un vrai… conte de fée…
Lunar fronça les sourcils, quelque chose était définitivement étrange. Il s’en retourna vers le couple. Ces derniers se trouvaient effectivement sous une nuée de colombes qui voletaient çà et là entre les piliers du palais. Des conques immenses laissaient s’échapper des flopées de bulles et paillettes et le couple tournait et tourbillonnaient au son des violons. Si le changement de comportement de l’aristocrate avait paru étrange à l’académicien, ce qu’il trouva sur la piste sonna définitivement le glas pour lui. La mariée lui apparaissait comme une magnifique jeune femme, bougeant de manière aussi gracile qu’une princesse. À son bras, son mari avait l’allure d’un héros, fier et bien plus musclé qu’il ne l’était auparavant. Non, ce n’était pas normal, le monde autour de lui devenait de plus en plus lisse, de plus en plus brillant, de plus en plus… rose. Lui, il ne semblait pas faire partie de ce conte à fin heureuse, pas encore. Il balaya la foule du regard, chacun avait l’air bienheureux, souriant et applaudissant face aux mariés dansants.
- Dans chaque conte, il y a un méchant, suis-je celui de cette fable…? Réfléchit Lunar à voix haute.
Il n’eut pour réponse qu’une autre réplique de la vieille dame :
- L’amour triomphe toujours du mal. Quel couple merveilleux…!
Lunar soupira avant d’attraper sa canne et se lever, il fallait qu’il trouve la cause de cet étrange changement.
- Nous verrons madame, nous verrons…
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Lunar & Emerald
”Par Lucy, j’ai besoin de me laver les yeux.” Soufflas-tu d’un ton quasiment inaudible alors que tu fixais les jeunes mariés. A la base, tu n’aimais pas juger les gens sur leurs apparences, mais là tu ne pouvais pas t’empêcher de ressentir une vague de dégoût en les regardant se tenir les mains. Qui avait osé créer la robe de la femme ? Et tu ne parlais même pas de la redingote de son jeune époux ! C'était tout bonnement inacceptable. Tu avais envie de hurler et de secouer tous les invités pour qu’ils réalisent l’horreur de la situation... qu’ils comprennent qu’il était désormais urgent de retrouver le criminel à l’origine de ces odieuses créations qui n’auraient jamais dû exister. Tu fermas une seconde les yeux, tu devais te reprendre... ”Calme-toi Emerald, pense aux enfants.” Oui, tu devais tenir bon pour l’Arche de l’espoir. Faire une scène au mariage d’un membre de la famille d’un possible collaborateur et donateur serait contre-productif.
Inspirant doucement, tu rouvris les yeux, te retins de verser une larme à la vue de cette meringue et te tournas vers ton voisin. Celui-ci semblait profondément ému et usait de son mouchoir en soie pour tamponner doucement ses yeux humides. ”C’est si beau...” Déclara-t-il avec une pleine d’émotion en te souriant alors qu’ils échangeaient enfin leur baiser. ”Je suis si fier de mon petit-cousin ! Il s’est trouvé une merveilleuse épouse, elle est vraiment magnifique !” Tu jetas de nouveau un regard vers l’heureux couple avant de revenir vers ton potentiel donateur. ”Oui, ils font un très beau couple !” Approuvas-tu, et ce n’était pas un mensonge, au moins ils avaient l’air heureux... et c’était le plus important, non ? Le petit homme opina vivement du chef avant de poser sa main sur ton avant-bras. ”Je vais aller les féliciter et discuter avec quelques invités, mais ne vous inquiétez pas nous discuterons de votre projet demain !” Et sur ces bons mots il se dandina vers les stars du jour, t’abandonnant à ta solitude.
A quoi bon t’inviter à ce mariage si c’était pour te laisser seul au milieu d’inconnus ? ”Bon... Trouvons de quoi faire passer le temps. ” Tu regardas autours de toi. Devais-tu rejoindre les danseurs sur la piste, aller te poser près du buffet, ou te joindre à d’autres invités ? Tu passas ta main dans ta chevelure avant de laisser échapper un petit soupir. Si seulement ta petite fée avait été là... Vous auriez pu passer un bon moment à vous raconter les derniers potins tout en commentant le mariage. L’idée de l’appeler avec ton cristal de com te démangeait sérieusement et tu finirais par craquer d’un moment à l’autre si tu ne trouvais rien de divertissant. Tu fendis la foule, récupéras une flûte de champagne sur l’un des plateaux avant de te perdre parmi les invités. Tout en sirotant ta coupe, tu laissas traîner des oreilles, espérant tomber sur une conversation intéressante -ou au moins quelqu’un de plus agréable à regarder que les mariés.
”Elle est vraiment jolie comme un cœur et sa robe est sublime !” S’exclama une jeune femme non loin de toi en tapant dans ses mains. ”On dirait qu’ils sortent tout droit d’un conte de fée !” Déclara une autre en opinant du chef, avant d’ajouter :”J’espère vraiment recevoir son bouquet de roses tout à l’heure !” Tu t’arrêtas une seconde, jetant un nouveau regard à la mariée, puis aux demoiselles, puis encore aux deux amoureux en train de valser. Etaient-elles aveugles ? Sous l’effet d’une quelconque drogue ? Tu les jaugeas du regard, quand tu notas qu’elles étaient loin d’être les seules à complimenter et à s’émerveiller sur le mariage comme si c’était l’évènement du siècle. ”C’est une blague...” Tu allais commencer à t’inquiéter à les voir sourire bêtement quand tu le vis à tour. Le couple se métamorphosa devant toi et pendant une seconde tu eus même l’impression qu’ils virevoltaient dans les airs. ”Qu’est ce que...” Surpris par la transformation, tu reculas et ton pied buttas contre un obstacle qui se révéla être une vieille lady qui étaient en train de se lever, t’obligeant ainsi à quitter des yeux les mariés. ”Mince, je vous prie de m’excuser, j’ai été surpris par ... Tu allais parler du couple quand tu remarquas qu’ils ressemblaient de nouveau à l’incarnation du mauvais goût qu’ils étaient depuis le début. ”... Je crois que je deviens fou.” Soufflas-tu en fixant la piste de danse, ignorant au passage les plaintes de la vieille noble.
- Tournez-vous, regardez moi, ordonna l’académicien à un homme en redingote lorgnant sur un plateau de crustacés thermidor.
L’homme se tourna pour donner à Lunar un grand sourire chaleureux, tout le contraire de ce qu’une personne en pleine possession de sa tête aurait fait après pareil appel. Le scientifique plissa le regard pour discerner des lueurs mauves dans les yeux de celui qu’il auscultait, les mêmes éclats qu’il avait vu dans ceux de la vieille aristocrate avec qui il discutait quelques minutes plus tôt. Quelque chose semait le trouble dans cette réception, il en avait le cœur net. Un sortilège de manipulation suffisamment puissant pour forcer les invités à, un par un, voir ce qui les entourait comme bien plus exalté et romantique qu’il ne l’était véritablement. L’être capable de jeter pareil maléfice sur une aussi grande assemblée devait avoir une certaine adresse. Se cachait-il parmi les invités ? Et, surtout, pourquoi s’adonner à de pareilles exactions ? Se tournant vers la piste de danse, Lunar balaya les valseurs de ses yeux d’aigle. Les mariés tournoyaient au milieu des autres, tous synchronisés comme des automates à effectuer les mêmes mouvements au même moment. Le Fiel releva alors ses pupilles vers les illuminations au-dessus de leurs caboches. Des voiles d’aurores boréales ondulaient sous de fausses colombes illusoires et des pétales de rose pleuvaient en émanant de faux arc-en-ciel. Au niveau du plafond, les orbes d’illuminations brillaient comme une constellation d’étoiles, diffusant leur magnifique spectacle.
- Hé mais…
Soudain, au milieu des orbes, une petite boule de lumière se mit à bouger, d’abord à droite, puis à gauche. À chaque fois, elle laissait tomber une petite pluie de poussière pourpre. Il ne fallut pas bien longtemps à Lunar pour deviner ce qui se tramait dans cette fête de mariage.
- Une fée, soupira-t-il, déjà excédé de devoir faire face à une telle créature. C’est pas possible, pourquoi c’est pas juste une gamine qui fait des farces ?
Désabusé, Lunar fit un ample moulinet de poignet et sa canne vint décapiter le cygne de glace dont la tête partit aux pieds du traiteur qui poussa un couinement plus aigüe qu’un jappement de labrador avant d’écraser sa pochette dans sa main. Cette dernière explosa et répandit toute la crème à la menthe sur la viande d’agneau. Reposant sa canne au sol sans porter la moindre attention à ce qu’il venait de faire, Lunar tapota sur l’épaule d’un homme passant près de lui, le teint bronzé et une moustache gominée, il s’adressa à lui en ces termes :
- Vous tombez bien, lui fit-il sans même le regarder. J’aurais bien besoin d’un remontant.
Pivotant son visage vers lui, il soupira à nouveau en voyant sa tenue, bien différente de celle de l’équipe de grooms.
- Oh… j’ai cru que vous étiez un serveur, vous en aviez la figure, et la démarche. Tant pis, vous ferez l’affaire. Apportez moi un verre, et procurez-vous un escabeau, de préférence assez grand pour aller jusqu’au plafond.
Sur ces mots, il quitta le buffet pour aller fondre au milieu de la troupe de danseurs.
- Dépêchez-vous, et tout sauf un spritz.
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