Faut que j’arrête de penser à tout ça. Je vais avoir une tête affreuse lorsque je me serai décidé à toquer et à entrer dans le bureau du nouveau lieutenant Danvil. Je vais vouloir lui présenter mon idée et il m’arrêtera d’un geste de la main en me disant d’aller regagner le terrain d’entraînement. Ma demande est aussi un peu particulière et m’a déjà été refusée à plusieurs reprises. Je veux intégrer la division des Tortugrams. Pourtant, je suis loin d’avoir le gabarit qu’il faut. Quand on pense Tortugrams, on ne peut pas voir autre chose qu’une énorme armoire à glace. Un type assez solide pour être en première ligne et protéger avec son corps les remparts du grand Village. Je suis loin d’être taillé comme ça. Fin, sec, musclé. Alinor m’a dit à plusieurs reprises que j’aurais plutôt ma place chez les Faucons. Mais, un je-ne-sais-quoi me donne envie de m’investir dans la division des Tortugrams. Ce même instinct qui m’a poussé à embrasser la profession de garde et à m’y plonger corps et âme.
Après de longues secondes d’hésitation, je toque trois coups secs, j’attends encore un peu et je tourne la poignée de la porte en bois pour l’ouvrir. C’est comme si je ne contrôlais plus mon propre corps, je me vois pousser le battant, suffisamment pour que je puisse y passer intégralement mais, avant même d’en franchir le seuil, j’ai un autre moment de doute. Je lève les yeux vers le fond de la pièce et je l’aperçois. Il est là. Merde, il a l’air occupé. J’aurais pas dû faire ça. Mais qui ne tente rien n’a rien, non ?
- Je sais, j’ai pas rendez-vous, mais j’ai toqué !
Sérieusement ? J’aurais pas pu trouver pire comme phrase d’accroche. C’est clair et net qu’il va me jeter dehors et refuser de m’écouter. Comme les autres, il va trouver que ma décision n’est pas adéquate ou, pire encore, il pourrait penser que je veux le flouer en lui demandant un tel privilège alors qu’il ne connaît même pas encore bien les troupes ? C’est moi qui commence à voir flou. Intérieurement, j’essaie de me calmer et de me dire que tout va bien se passer.
J’ai quand même sorti le grand jeu pour me présenter à lui. Je porte ma tenue de soldat aux couleurs des Belluaires, propre et repassée, et je me suis soigneusement attaché les cheveux pour l’occasion. J’ai prié tout le long du trajet pour ne pas avoir de mèches rebelles s’échappant de mon bun, surtout avec le vent qu’il y a aujourd’hui. Un rapide coup d'œil à la fenêtre m’indique d’ailleurs qu’il n’y en a plus, ou au moins qu’il s’est atténué. Ah, la météo capricieuse de ce Royaume ne cessera jamais de me prouver qu’elle ne m’apprécie pas. Enfin, tout ça pour dire que, de mon point de vue, je n’ai pas l’air d’un péquenaud qui vient se présenter à son nouveau supérieur la bouche en cœur.
- Soldat Lehnsherr, au rapport lieutenant. Je viens solliciter une entrevue avec vous. En espérant ne pas vous déranger. Lieutenant.
J’ai encore un peu de mal avec l’étiquette de la garde. Et vas-y qu’il faut lever telle main pour saluer, et incliner la tête lorsque je m’adresse à telle personne et ne pas oublier de lever les yeux de trois-quart quand… Ouais, je dis n’importe quoi parce que j’ai totalement oublié ce qu’on a essayé de m’inculquer. Pas ma faute, j’ai le palpitant qui s’emporte tellement que j’ai l’impression qu’il va s’échapper de ma poitrine.
J’ai plus qu’à espérer que le lieutenant Danvil soit suffisamment compréhensif et patient avec moi.
Se relevant difficilement, il se posta devant une des fenêtres ouvrant un peu son bureau au monde extérieur. L'endroit n'était pas étriqué, mais visiblement pas conçu pour se dire ''on va y foutre un mec de deux mètres pour qu'il y fasse sa paperasse''. Note mentale : penser à demander à Java, si on peut péter deux-trois trucs là dedans pour en faire un espace plus sympa pour lui. Encore faut-il qu'il réussisse à dégager du temps ; entre les aller-retour incessants entre le village perché et la capitale, car il y a toujours quelque chose à signer, des objets à récupérer ; répondre à sa famille, chose qu'il n'a pas faites depuis des années, mais faut bien leur dire que ça sert plus à grand chose de chercher à le contacter à la capitale, encore moins à la caserne des gardes royaux ; apprendre les noms des gens et les relier à un visage, ça lui a déjà prit tant de temps à la régulière, jamais réussit l'exploit à la royale ; gérer l’entraînement, heureusement pour lui qu'Emeor lui avait prodigués quelques précieux conseils, comme ''fatigue les assez pour qu'ils n'aient plus la force de venir te faire chier'' ; et le pire de tout, les papiers à remplir.
'' En vrai, je ferais mieux d'm'y remettre. Ca f'ra bien. ''
Premier signe d'anxiété chez Hryfin, il se met à parler seul, et à voix haute, comme s'il était le personnage central d'une pièce de théâtre. Aucune idée de comment ça lui est arrivé à la tête, mais théâtre ; culture ; ministre de la culture ; ministre ; le gratin du pays. Il n'avait pas eu l'occasion de fréquenter de si hautes têtes, quand il n'était que simple garde royal, les nobles se suffisaient à eux même pour tout avouer, mais quitte à devoir faire face à des personnes imbuvables et imbues d'elles-même et de leur rang, autant qu'elles soient haut placées pour justifier leur ego colossal et le fait que les bas de portes doivent être rabotés pour les laisser passer, eux et leurs gigantesques chevilles.
Deuxième signe d'anxiété, les doigts de sa dextre qui pianotent sur le verre de la vitre tout en observant le paysage qui s'offrait à lui. S'il était pas hybride hippogriffe et donc déjà habitué à la hauteur, il pourrait presque avoir le vertige hein. La verticalité, ça fait tellement bizarre quand on est nés dans une partie si plate du pays, et qu'on a également pas mal vécu dans la morosité de la capitale. Après un soupir de résignation, il se rassit à son bureau, son uniforme crissant sous le moindre de ses mouvements ; faut dire que la présentation, c'est important. Bien un truc sur lequel il est d'accord avec les autres gradés.
'' On reprend. Al-var...De...Bru-me-ri - ''
Des coups. Trois. C'est bon, pas besoin de le prendre pour un sourd ou un guignol, un gros coup ou deux bons coups auraient fait l'affaire. Un coup d’œil rapide sur la feuille, sur le côté, qui lui servait de calendrier et de guide directrice, non, rien de prévu aujourd'hui. Nullement le temps de répondre, d'interpeller la personne derrière la porte qu'elle entra d'elle même. De lui même, en fait, la coupe de cheveux pourrait porter à confusion, mais c'est bel et bien un jeune soldat. Une recrue ? Sans doutes. Qui présente bien, on en parlait plus haut tiens, ça tombe impeccablement ! Au niveau des paroles, par contre...C'est pas trop encore ça. Il laissa ses pense bête couler sur le bureau, avant de présenter la chaise de sa main droite, paume vers le haut.
'' J't'en prie, assieds toi, euh, Lainechère du coup ? S't'un sacré nom à coucher dehors ça. Et jsais de quoi j'parle. ''
Alors que l'entrant prenait place sur la chaise en face de son bureau, il fit mine d'être encore occupé quelques instants, alors que tout ce qu'il faisait, c'est chercher dans d'autres feuilles s'il trouvait ce satané nom ou prénom dans sa base de données écrite, et pour l'instant, la réponse est bien évidemment non, encore aurait-il fallut qu'il ait la bonne orthographe. Autant que faire se peut, il cacha sa déception avant de poser ses coudes sur le bureau, mains jointes, et de le scruter.
'' Et depuis quand le fait de toquer donne l'autorisation comme ça d'aller voir l'lieutenant ? Jamais entendu parler d'tout ça, moi. ''
'' Après, t'as jamais entendu parler d'grand chose hein '', c'est ce qu'il se disait intérieurement. Manquerait plus que ce gamin – n'exagérons pas, il tourne plus dans son âge que celui des petits de l'académie en vérité – commence à lui apprendre comment ça se passe ici, tient.
'' Jte taquine, on m'dérange jamais, s'pour ça que ma porte reste grande ouverte. Par contre, j'pas compris, tu comptes faire un rapport là ? Ou une, euh, ''entrevue'' ? Genre, t'as un truc à m'demander, soldat ? ''
Imaginez, mais juste imaginez, le malaise s'il se trouve que ce Léchèrent – plus ça avançait, plus le nom était déformé dans son esprit – venait à poser des questions complexes auxquelles il ne saurait répondre ? Et que sa seule réponse serait, par dépit, ''Va me faire des tours de terrain en sprint'' ? Tout ce qu'il pouvait faire en attendant, c'était de croiser les bras sur son torse, tout en regardant Nikolaos, les sourcils froncés par l'inquiétude et l'incrédulité.
Je me tiens droit, je pose mes mains sur mes cuisses et j’esquisse un sourire lorsqu’il écorche mon prénom. Il ne sera ni le premier ni le dernier. Déjà petit, rares souvenirs que j’ai de moi, je me souviens que j’avais eu un mal de chien à mémoriser l’ordre des lettres. Qui avait décrété que mettre un h en plein milieu du nom serait pertinent ? Et quel était l’intérêt de doubler les consonnes à la fin ? Mon précepteur s’était arraché les cheveux pour me faire retenir ça et je m’étais pris maintes roustes et punitions pour que ça rentre. À tel point que, même sorti de la tombe, je savais toujours correctement l’orthographier.
- Lehnsherr, lieutenant. L, e, h, n, s, h, e, deux r.
Je me retiens de faire une remarque sur sa porte ouverte, puisqu’elle était fermée. Enfin, ouais, la blague sonne mieux dans ma tête et je juge préférable qu’elle reste là pour le bien de cette conversation. Je ne le connais pas et, au vu de son parcours, on a clairement pas élevé les glooby ensemble. Je me retiens donc de dire quelque chose sur le sujet et je cherche un moyen de trouver comment formuler ma demande.
J’y ai réfléchi, hein, mais se retrouver dans ces conditions c’est bien différent que d’être au fond de son lit en train de fantasmer le déroulé de l’entrevue.
- Je souhaite faire partie des Tortugrams, lieutenant. Je suis Belluaire depuis quelques semaines seulement mais j’ai déjà effectué de nombreux stages de découvertes. Survie en milieu hostile, c’est-à-dire au cœur de la forêt, patrouilles de jour et de nuit sur les hauteurs du village, entraînement au corps-à-corps et au maniement des armes à distance. J’étais précédemment en formation au sein du régiment de la civile, à la Capitale, puisque je ne suis pas passé par le cursus classique de l’Académie. Lieutenant.
J’ai tout débité d’une traite et j’observe, un peu crispé par l’anxiété, la réaction de mon interlocuteur. Je me dis qu’il vaut aussi sûrement mieux que j’anticipe certaines questions. Autant être honnête jusqu’au bout.
- Cette affectation m’a été refusée à plusieurs reprises. Je n’en connais pas tous les détails mais le motif qu’on m’a donné était tout le temps physique. Et mon pouvoir. Parce qu'on ne le connait pas. Votre prédécesseur était aussi moins… Enclin aux négociations. Lieutenant.
Nouveau signe d’anxiété, mes doigts se referment contre mes paumes sur mes cuisses. Je garde le menton bien droit et les yeux rivés sur le lieutenant Danvil.
- Je suis prêt à faire preuve de toute ma motivation pour intégrer votre régiment. Lieutenant.
Peut-être qu’il va vouloir en discuter avec les autres lieutenants et le capitaine avant. Peut-être qu’il va vouloir en parler à Alinor. Y’a tellement de possibilités et je suis là, planté comme un piquet sur une chaise à devoir attendre la sentence. Les prochains mots qui résonneront dans cette pièce détermineront mon avenir au sein du régiment, et peut-être même les corvées supplémentaires que je risque de me prendre si ma demande n’est pas bien reçue.
Faut avoir foi en l’âme des cartes, disent les joueurs. Je ne suis pas joueur, mais j’ai posé toutes mes cartes sur la table.
Allez, je croise les doigts. Tous les types de la Garde Royale ressemblent sûrement pas aux mecs arrogants que j’ai croisé lors de ma formation à la Capitale et qui aspiraient tous à le devenir. Les vrais gardes royaux valent sûrement mieux que ça.
Quelles seraient ses raisons de refuser ?
Eh bien, il était déjà en train d'essayer d'apprendre à retenir les noms et visages de ses soldats, plutôt grand pour son âge apparent, assez singulier, ce visage ne lui disparaîtrait pas de si tôt de la mémoire, mais ce nom, il galère avec un truc aussi simple que Brumerive, ce n'est pas avec...Son regard se porta distraitement sur la feuille où il avait rapidement écrit le nom de la recrue pendant qu'elle l'épelait...Lehnsherr -ouais, Lainechère, c'est bien ce qu'il disait- que son état mental va s'améliorer. Enfin, il était du genre décontracté, et ne tarderais sans doutes pas à l'appeler par son prénom aussitôt celui ci apprit, le lieutenant est déjà en train de le tutoyer, on est plus à ça près.
Ensuite...Une formation, hein ? Comme une très rare poignée d'entre eux, la volonté de l'uniforme n'est arrivée que trop tard. Une option qu'il aurait lui même pu considérer s'il n'avait pas eu l'audace, encore jeune, de se rendre à la capitale pour rentrer dans l'académie. Preuve de volonté indéniable, et des gens jeunes, motivés et dynamiques, c'est précisément ce que tout bon régiment recherche. L'ancien garde royal se moquait éperdument des avis de ses prédécesseurs, et même de ce qu'une personne dit connaître ou savoir faire, les menteurs manipulateurs sont légion dans le pays, y faut toujours tester au préalable avant quoi que ce soit.
'' Jsuis toujours plus que ravi de rencontrer quelqu'un qu'est prêt à r'joindre les Tortugrams ! T'aurais pas pu tomber au meilleur endroit. 'fin ouais, j'imagine que ça, tu l'savais déjà. Tous tes trucs là, pas qu'ça m'intéresse pas, mais c'est pas s'qui te définit. Jpeux comprendre qu'y'en aient qui s'posent des questions, t'as un parcours qu'est pas commun, et pis tu sais, l'pouvoir, y peut très bien pas t'être utile en combat mais à aut' chose hein. S'pas dis qu'ça t'empêche de bien te battre ! Et pour ça, y'a pas trente-six solutions. ''
Il avait du temps. Du moins, assez pour se dire que prioriser l'éventuelle incorporation d'un nouveau soldat était à l'ordre du jour. Il y avait quelque chose dans son regard qui lui plaisait, malgré le stress et l'appréhension du jeune homme. Ouvrant un tiroir, il en sortit une paire de gantelets dont il s'équipa avec aisance, malgré le peu de temps depuis lequel il possède l'objet. Ça pouvait paraître...Bizarre, comme attitude. A deux doigts de faire penser au pauvre Lehnsherr qu'il allait se faire tabasser à mains nues -ça reste une possibilité, vu ce qu'il va se passer. Normalement, il n'aurait pas besoin de ça pour un simple test, mais sait-on jamais que son pouvoir se réveille et qu'il se transforme en truc infâme genre un chouettours. Lentement, le lieutenant quitta son siège et s'empara des clés de son bureau.
'' Ok, tu msuis, on va voir tout ça ! Jsuis pas moins enclin aux négociations, mais jsuis complètement pour un test ! ''
Le grand dût patienter qu'un jeune homme à moitié dérouté se décide à faire la même que lui, pour repasser la porte du bureau en sens inverse, l'hippogriffe avec lui. Imaginez, il l'aurait fait sortir et l'aurait planté comme ça, dans le couloir, seul ? Quel horrible moyen que de dire ''non'' à quelqu'un. Sans parler plus que ça, outre les salutations habituelles aux personnes croisées, les deux hommes arrivèrent bien assez tôt à l'aire d’entraînement de la garde du village perché. De ça, de là, hommes et femmes effectuaient passes d'armes et autres activités, comme du tir à l'arc ou de la course, indifféremment de leur régiment ou leur grade. Encore un truc plus appréciable qu'à la garde royale, où ils avaient tendance à s'exercer qu'entre membres inter-régiments. Ça aurait été sympa, de temps à autre, de se mesurer aux prétoriens, qui sont si imbus d'eux même, ou aux voltigeurs, qui pensent qu'une simple armure légère peut arrêter l'estoc d'un espadon. Une fois un coin tranquille trouvé, Ryf se tourna vers le nouveau.
'' Ok, jte laisse aller prendre une arme. Celle avec laquelle t'es l'plus à l'aise ! Jveux voir ta posture, comment tu t'débrouilles avant d'faire un choix ! Voit ça comme...Euh...Une deuxième formation ? Eh, tant qu't'y es, ramène moi une lance ! ''
Fallait pas se déplacer non plus, il est lieutenant quand même, faut bien qu'il se fasse servir un minimum. Emeor en usait, en abusait ; on devait rapporter son armure, son arme, tout. Là, il demandait pas grand chose, si ? Plus qu'à voir comment allait se débrouiller le jeunot. Sans doutes echangeraient-ils aussi quelques coups après, histoire de. Il avait l'odieuse impression que certaines personnes sur le terrain regardait Lehnsherr bizarrement. Sans doutes son imagination.
J’essaie de faire abstraction des regards qu’on pose sur l’étrange duo que nous formons. J’imagine que, puisque je suis moi-même au courant, tout le monde sait déjà à quoi ressemble notre nouveau lieutenant des Tortugrams. Je vois bien quelques bras se lever, têtes se courber et buste se redresser sur notre passage. Je sais bien que ce n’est pas pour moi. Lorsque nos pieds foulent enfin le sable du terrain et qu’on a trouvé un coin un peu plus tranquille, je me tourne vers mon supérieur pour savoir s’il a quelque chose en particulier derrière la tête. À priori, juste un échange de coups. Rien de bien méchant. Compliqué ? Faudra voir si le lieutenant se met à dix ou à cinquante pourcent de ses capacités. Je suis sûr que rien que dans le premier cas de figure je risque de me faire laminer. Il a quand même protégé la famille royale et les murs du palais. C’est pas rien.
À quelques pas de là, y’a un porte-armes - mais seulement d'entraînement, il ne s'agirait pas de nous tuer alors qu’on fait que des exercices. Mon choix se porte automatiquement sur une courte lame et un petit bouclier rond. Je prends le tout, sans oublier la lance que m’a demandée le lieutenant, et je retourne le voir.
- Votre lance, lieutenant, je la lui tends et j’attends qu’il la récupère avant de reculer de quelques pas.
Je me place face à lui, le buste bien droit et je réfléchis à tout ce que j’ai appris depuis que je suis là. Une deuxième formation ? Je me demande ce que ça va donner. J’ai encore le trac. Ça monte et ça me tord les boyaux mais je dois rien montrer. Il manquerait plus que je me loupe. Ça va pas arriver, hein ? Je vais réussir à m’en sortir ? Je vais le savoir bien assez vite.
Je me positionne comme on me l’a appris à l’école. Je fais gaffe à ma posture, j’essaie de rester bien droit et de garder mes épaules légèrement en arrière pendant que je riposte au premier coup qu’il me donne. Je crois que je me débrouille bien. Faut dire que je suis extrêmement concentré, à tel point que je ne sens ni le pli qui s’est formé entre mes sourcils ni les gouttes de sueur qui dévalent lentement le long de mes tempes. Le vent joue en ma faveur et garde mes cheveux en arrière. Même si je les attache correctement, j’ai déjà appris à mes dépens qu’une mèche qui se barre dans les yeux est synonyme de mort sur le champ de bataille.
- Aaaaaah, râlais-je en abattant une énième fois mon épée contre l’arme du lieutenant.
C’est une barrique. Rien ne semble être capable de le faire bouger. Je crois même pas avoir vu quoique ce soit de négatif passer sur son visage. Il est là, serein, à me rendre mes coups et je commence même à me demander s'il n'est pas terriblement amusé par la situation.
Je ferais tout aussi bien d’arrêter de me poser des questions, parce que je me mets à plus suffisamment me concentrer sur mes gestes et j’ai la lame du lieutenant qui vient m’entailler l’épaule. Je lâche un petit hoquet de surprise et je réagis instinctivement. Pas besoin de réfléchir, je change radicalement ma posture et j’attrape la garde de mon épée différemment pour la tenir à la manière d’une dague. Je sais pas trop comment je me débrouille, mais je réussis à donner un coup suffisamment puissant pour dégager la lame du lieutenant.
- Et merde ! que je lâche en essayant de reprendre une position plus conventionnelle et acceptable.
Je me suis déjà fait reprendre à plusieurs reprises. J’ai même pas remarqué que j’ai lâché mon bouclier et qu’il est sur le sol maintenant. Je l’ai sûrement dégagé pour me donner une plus grande marge de manœuvre. Je me penche pour le récupérer, jetant un rapide coup d'œil vers le lieutenant pour jauger son expression.
C'est vraiment trop drôle.
L'avantage de se battre contre un soldat, quand ça fait des années qu'on en est un soi même, c'est qu'on sait tout de la manière dont les coups seront portés, quelles ouvertures il voudra utiliser, à quel moment il est le plus adéquat de frapper. Et le jeune Lehnsherr faisait toutes ces erreurs. Oh, non, il s'appliquait énormément, bien que Ryf ait parfois à le rappeler à l'ordre sur telle ou telle posture, frappant délibérément les jambes de la hampe de sa lance pour le recadrer. Ce n'est pas tant l'exercice physique qu'il jaugeait, plutôt concentré sur le caractère et la volonté. Sur ces points, il ne semblait pas y avoir de soucis ; même si le nouveau lieutenant paraît facilement les assauts, pouvait faire mouche à tout instant, la recrue n'en était pas en reste, c'est purement l'expérience et la différence de taille et de poids entre les deux hommes qui faisaient le plus de différence.
La lance est une arme versatile, la plus simple d'utilisation, tout en ayant une grande courbe de progression. En d'autres contrées, on la dirait ''easy to learn, hard to master''. En face, Nikolaos s'était saisit d'un équipement plus régulier, épée, bouclier, de quoi tout voir venir, être offensif sans oublier que ne pas se prendre de coups, c'est une assez bonne idée. Avec une arme perçante faisant partie de celles ayant le plus d'allonge, il est normal d'imaginer que c'est en estoc qu'il frapperait, c'est pourtant bien un adroit moulinet qui atteignit l'épaule du garde. Quelques secondes, Hryfin en resta circonspect, il n'avait pas non plus l'intention de mutiler les hommes du village perché, encore moins avec un matériel d’entraînement. Se restreindre n'est pas dans ses habitudes, pourtant, un peu de tact n'aurait pas fait de mal à ce moment. Sans hésiter, il aurait retiré lui même son arme, mais...
Il venait de se passer quoi, là?
Repousser la lame de Ryf n'a rien d'extraordinaire, certain y arrivent. De cette manière cependant ? Pendant un bref instant, l'éclair qui suffit à Niko pour s'extraire, respirer et prendre un peu de distance...Ce n'était pas une technique de garde. Ça ressemblait plus à...Une sorte de bandit. Les mecs qui tiennent leurs petites arbalètes à 90 degrés, avant de décocher, pour ''faire cool'', avant de planter le carreau cinq mètres plus loin que la cible souhaitée. Une poigne toute autre, comme si c'était bien plus petit qu'une épée, une poigne telle que normalement, avec une arme plus lourde, le poignet flanche, est la force diminuée. Pas pour lui. Bizarre.
Le pire est qu'il semble s'en plaindre. Merde de quoi ? T'as pas fait mieux depuis ces quelques passes que ce coup d'éclat, gamin ! Et ça, Ryf ne risquait pas de le laisser passer. Le conventionnel, c'est bien, l'utile, c'est mieux. Se battre, c'est se battre, t'aurais bien l'air con si tu te fais planter car t'as voulu respecter ce que t'as appris. ''Ouais, j'ai perdu, mais t'as vu comment mon dos il était droit et mes jambes bien ancrées ?!''. Voulant montrer qu'il ne repartait pas immédiatement pour donner des coups, il fit virevolter sa lance, si bien que c'est dorénavant le talon de l'arme qui pointait vers l'avant, puis il s'approcha de l'aspirant.
'' Non, non, non. Y'as pas de merde qui tienne. C'était quoi ça ? '' Le pauvre pensait qu'il se faisait engueuler, ça se voyait à son visage, mais il en était tout autre. Il ne bougeait pas, ce qui allait lui faciliter la tâche. Quelques mètres d'en face de lui, il lui frappa délicatement sur le bras qui tient le bouclier du bout non-léthal de sa lance. '' Tu me lâches ça. '' Ensuite, en quelques secondes, il fit le tour de la recrue par l'arrière, appuyant du pied à l'arrière de ses genoux, qu'il se fléchisse un peu plus. '' Tu t'mets comme ça. '' Là où l'ancien garde royal savait ce qu'il faisait, le petit, lui, semblait perdu ; il demandait de faire exactement l'inverse de tout ce qu'il venait de recadrer quelques secondes plus tôt. Arrivé au niveau de son bras qui tenait la lame, il le prit sans ménagement et le remit grossièrement dans la même posture qui réussit à le défaire. '' Et ça, tu l'tiens comme ça. Tu bouges pas. ''
Lentement, l'hippogriffe se replanta à sa position initiale, et passa de longues secondes à examiner de la tête aux pieds celui qui lui faisait face, alors qu'autour d'eux, certains entraînements finissaient ou étaient interrompus, du peu de temps depuis lequel qu'il est là, c'est exceptionnel de voir le lieutenant s'intéresser autant à un seul soldat. Certes, il passe du temps avec son effectif, pour tisser des liens, c'est normal. Avec Nikolaos, il paraissait trop...Impliqué. Si bien qu'il finit par secouer négativement la tête, en se rendant vers le râtelier.
'' Non, non, non, ça va pas. Il manque...Ça. Et peut-être...Ça. ''
Des armes, il en prit deux ; il dut hésiter un bon moment. Le poignard aurait été bien, mais trop petit, trop fin. Une dirk, c'est cool, mais on fait que planter avec. Du coup, c'est deux scramasaxe qu'il prit, pas trop longs, pas trop lourds, et peuvent être tranchants des deux côtés, bien que ces modèles ne l'étaient pas. Retour vers Nikolaos, il lui tendit les deux armes.
'' Tiens. J'sais pas si t'es à l'aise qu'avec une. Si ça passe avec les deux, ptit conseil ; prends les deux. ''
De retour en position de combat, il suffit d'un accord tacite, non verbal, entre les deux pour recommencer les passes d'arme. C'était tout de suite différent. Se battre avec un garde était à des années lumières de se battre contre un criminel. Il devenait de plus en plus adroit, frappait précisément d'une main, sans hésiter à parer ou dévier de la seconde. En montant un peu son niveau, aucune des attaques, aussi sournoise soit-elle, ne passait la garde du grand, pour autant, les siennes ne passaient pas non plus, académiques ou non. Quand ce fut trop -ou assez- pour l'instant, c'est d'une manière totalement imprévisible que l'avant-bras du fils Danvil vint chercher le torse du jeune Lehnsherr pour le repousse et le mettre cul contre sol, les deux haletants. Le peu d'hommes qui s’entraînaient encore à ce moment étaient en pause momentanée pour observer le déroulement.
'' Merde, t'as appris où à te battre comme ça ? J'étais clairement pas prêt ! Eh, y'a ptet un lien avec ton pouvoir, qui sait ? '' Faiblement accroupi, sa main gantée libre était dirigée vers Niko. '' Debout. Une dernière fois ; que jsois sur de c'que j'ai vu ! ''
Ce qu'il a déjà vu, c'est un gamin prometteur qui serait loin de faire tâche dans son bataillon.
Il a été surpris de mon réflexe. Positivement, surpris.
En général, les instructeurs m’engueulent, j’ai même parfois le droit à un taquet sur l’arrière du crâne, et ils me demandent de refaire « comme on m’a appris » et pas comme j’ai envie de le faire. Une recrue, ça doit avoir de la rigueur et de la discipline. C’est ce qu’on me répète sans arrêt depuis que je suis sorti de terre. Pourtant, aujourd’hui, y’a un supérieur qui vient d’ouvrir grand les yeux en me voyant faire ça et qui, loin de me réprimander, à accepter de voir le potentiel de mes réflexes et, mieux encore, de le jauger. C’est lui qui devrait être instructeur, il est bien plus pédagogue que tous ceux que j’ai pu avoir ces dernières lunes. Un peu plus et je serais presque en train de tomber amoureux de ce type. Lorsque notre combat se termine, je suis dans la poussière mais ce n’est certainement pas ce qui va me faire abandonner. Je saisis la main gantée du lieutenant et je me relève, bondissant presque sur mes deux jambes. Épuisé par nos nombreux échanges et pourtant encore plein de vigueur. Je me demande si j’ai pas l’air d’un de ces chiens un peu fous. Mais c’est que j’ai encore beaucoup à apprendre et, surtout, je sens que je prends de plus en plus d’aisance. On enchaîne donc aussitôt sur le suivant. J’essaie de tirer parti de ce que je viens d’apprendre mais encore plus de ce qu’on me laisse la possibilité de réaliser. Je plonge et je roule pour éviter un coup du lieutenant et, plutôt que de me redresser, j’essaie de viser le bas de son corps avec mes nouveaux joujoux. Évidemment, il finit par le voir arriver et il l’esquive, mais ça me laisse le temps suffisant pour me relever et que la joute puisse reprendre de plus belle.
C’est alors qu’il se produit l’une des sensations les plus étranges que j’ai pu expérimenter jusqu’à présent. Je commence à ne plus vraiment décider où je vais frapper et comment je vais placer mains, pieds, tête. Non, tout se fait instinctivement mais c’est un instinct que je n’ai pas l’impression de posséder. J’ai le sentiment que ça ne m’appartient pas vraiment, je ne sais pas d’où je sors ça. C’est pas normal. Pas avec autant d’aisance. J’ai le malheur d’essayer de fouiner un peu dans les abysses de mon esprit, d’essayer de chercher, chercher quoi ? Je ne trouve rien. Mon corps et ma tête ne se répondent plus. J’ai mal, beaucoup trop mal.
Je lâche mes armes et je tombe à genoux sur le sol. Je viens encore de mordre la poussière mais je ne m’en rends pas compte. Une douleur cuisante me comprime la tête, me donnant la sensation qu’elle va exploser et que quelqu’un est en train d’appuyer pile là où ça fait mal. Je crois que j’ai crié. Je crois que je crie encore. Mais ça fait mal, si mal. Les yeux clos, j’ancre mes doigts sur le sommet de mon crâne, comme si appuyer plus fort allait calmer la douleur. Rien n’y fait. Je n’arrive même pas à savoir où est le lieutenant, ni même ce qu’il fait. Il n’y a que la douleur.
Puis, elle s’apaise. Doucement, sûrement, elle quitte mon corps et le seul résidu auquel j’ai le droit se trouve derrière mon œil. Ça pulse et je ne peux pas affronter la lumière du jour alors je le ferme. À moitié aveugle, je lève la tête pour tomber nez-à-nez sur le regard inquiet du lieutenant. Je ne sais pas exactement ce que veut dire son expression, mais je crois qu’il a quand même l’air soulagé de voir que je n’ai pas explosé devant lui.
Je crois avoir lu quelque part qu’il y a certains pouvoirs qui se déclenchent à des moments forts. C’était un moment fort ? C’était mon pouvoir ? Je ne sens rien de changé en moi, et je n’ai pas l’impression d’avoir fait quelque chose de spécial. Mais j’ai pas vraiment l’occasion d’observer plus en détail le terrain d’entraînement. Peut-être que j’ai des cornes qui ont poussé ? C’est pour ça que j’ai eu aussi mal. Je tâtonne ma tête mais non, rien. Puis je retrouve l’usage de la parole.
- Mes excuses lieutenant… J’sais pas ce qui s’est passé… Aïe…
Rien à faire, je suis obligé de plaquer la paume de ma main contre mon œil. Je crois que je fais une migraine, manquait plus que ça. Avant que je puisse ajouter quoi que ce soit, je vois un nuage de poussière qui se soulève derrière le lieutenant et une voix puissante et grave nous interpelle. Pas besoin de mes yeux pour deviner qu’il s’agit du sergent Alinor. J’ai passé une grande partie de ma formation ici avec lui.
- Eumh, lieutenant Danvil, mes respects. Je vois que vous avez croisé le chemin du soldat Lehnsherr. J’ose espérer qu’il ne vous a pas causé trop de problèmes. Relève-toi, soldat.
J’ai pas non plus besoin de mes yeux pour voir qu’il m’adresse un regard noir et furieux. Il se peut que ce soit lui que j’ai mentionné, un peu plus tôt lorsqu’on était dans le bureau du lieutenant. C’est à lui que j’ai fait le vœu de rejoindre les Tortugrams et c’est principalement par lui que la réponse négative m’a toujours été rendue. Je crois que, pour lui, je suis pas assez discipliné. Faut dire que j’ai déjà gaffé pas mal de fois en sa présence.
- Je vois même que vous avez pu échanger quelques passes… J’espère qu’il a fait preuve de plus de rigueur et de discipline qu’il a pu en avoir avec moi.
Je me suis relevé, entre-temps, la main toujours plaquée contre l'œil. Je sais ce qu’il veut dire par « plus de rigueur et de discipline ». Il parle des réflexes que le lieutenant m’a clairement laissé exprimer.
- Lehnsherr, je te prierai de retourner à tes corvées.
- Elles sont finies, sergent. C’est pour ça que…
- … Que t’es allé déranger le lieutenant qui avait déjà fort à faire ?
Le pire, c’est que je crois bien que Lyf m’a déjà expliqué que c’est pas un aussi mauvais bougre que ça et que c’est même un excellent soldat. Peut-être qu’il m’a dans le viseur ? J’en sais rien. Je me vois juste jeter, de mon œil valide, un regard vers le lieutenant. Comme s’il allait me sauver. J’sais pas, je place peut-être trop d’espoir en lui.
'' Euhm, non, je voulais non plus vous importuner, je sais que le soldat Lehnsherr avait déjà évoqué son souhait de rejoindre le corps des Tortugrams. Je voulais juste l'empêcher de continuer de forcer avec vous, que vous sachiez à quoi vous attendre avec lui. ''
'' Du coup, Aliénor - ''
'' Alinor. '' Corrigea le sergent.
'' Menffou. '' Asséna le lieutenant.
'' Ah. '' Rétorqua le sergent.
'' Du coup, sergent, c'est toi qui t'occupais d'l'entraînement de Lainechère ? ''
'' Ça se prononce Lehn - '' Il abandonna bien vite, après tout, à quoi ça sert ? Le lieutenant Danvil est têtu comme une mule, a la mémoire d'une palourde, et la courtoisie d'un coin de meuble. '' Eh bien, oui, entre autres, parmi plusieurs autres recrues, comme d'habitude. Pourquoi ? ''
Pourquoi?!
Oh, on en sait rien, peut-être car pour le coup, ton travail est mal fait ? Vu les regards que la situation attire, mieux valait ne pas envenimer le tout, même s'il est le supérieur d'Alinor, rabaisser ainsi un supérieur devant ses troupes, ce n'était pas le plus intelligent, le plus sensible, le plus logique. Tristement pour le formateur, Hryfin n'était ni intelligent, ni sensible, ni logique. Ces trois adjectifs lui collent à la peau seulement en combat, où il révèle tout son potentiel. Et il y repense encore, à ces quelques secondes, pendant leur dernière passe. Où Nikolaos tentait ce qu'on pourrait appeler des coups bas. Des déplacements erratiques, des attaques paraissant aussi aléatoires que précises, pourtant, toutes calculées. Un animal enragé, tout en pulsions, tout en instincts. D'aucun dirait qu'il n'était même plus le même homme.
Des mouvements qui surprenaient l'ancien garde royal, qui finissait inlassablement par les éviter, le plus souvent d'assez peu. A tout moment, il s'attendait à ce que la jeune recrue s'empare d'une poignée de sable, de poussière, de n'importe quoi pour lui envoyer au visage, pas de règles, pas d'honneur, pas de retenue. Le gars sort d'un passif de bandit ? De cambrioleur ? De mercenaire ? Son style ; son vrai style, pas celui imposé par des instructeurs et autres gradés qui respectent si bien les ordres et les consignes qu'on peut voir le bout du balai qu'ils ont dans le fondement quand ils ouvrent la bouche ; était parmi les moins académique qui lui ait été donné de voir. Et des chacals des rues, il en a vu pas mal. C'était une chorégraphie toute décousue, mais qui avait son propre sens, qu'il maniait bien mieux que le ''torse comme ça, jambes raides comme ça, lance, et euh vas y attaque hein par Lucy t'es un naturel et ça ira pour toi''. Il extrapole, les professeurs ne sont pas tous comme ça, mais leur majorité oui, donc ça suffit à en être dégoûté.
'' Car t'as fait d'la merde. Quand on forme les ptits jeunes là, c'est toujours des ptits branques qui arriveraient à s'blesser avec un couteau à beurre. S'normal qu'on les forme à être de bon toutous, et bien tout respecter de s'te chiante de procédure. Par contre. '' Il pointa du doigt en direction de Niko. '' Quand on tombe sur un ptit comme ça, qui sait déjà s'battre, à quoi bon ? Qu'il apprenne quelqu'chose, s'il connaît déjà aut'chose ? S'complétement idiot. ''
'' Je trouve juste que c'est des mauvaises habitudes qu'il faut corriger. ''
'' Bah tu trouve mal. Jsais que t'as pas tout vu, mais moi, m'a impressionné, l'gamin. Et jvois pas pourquoi il a jamais trouvé sa place chez les Tortugrams. ''
'' On connaît même pas son pouvoir ! ''
'' Menffou. ''
'' Et puis, il a pas la carrure pour faire partie de cette division. Chez vous, c'est..Les grands solides, bien dissuasifs, bien sédentaires. ''
'' Ouaaaais, justement. '' Il se gratta le menton. '' Jvais ptet voir pour faire changer ça. On avait ce genre de régiment, à la garde roayle, et on pas dire qu'il ait super marché. C'était même un gros échec. Ouais. Faudra j'en parle à Java et aux autres. Et ça permettrait aux ptits gars plus frêles comme Lainechère de nous rejoindre. ''
'' Comme vous préférez, lieutenant. ''
Le sergent soupira. En dépit de comment le nouveau lieutenant des Tortugrams présentait la chose, dans le fond, il savait qu'il avait raison sur le fonctionnement de cette division. Et que pour ce qui est de l'entraînement, on changera pas l'avis de l'hippogriffe. Il se contenta de siffler, rassembler les recrues, et leur faire faire quelques entraînements, quelques passes d'arme. Ryf ne voulait pas que Nikolaos se sente concerné par cette convocation, si bien qu'il se mit entre les groupes qui se formaient et la recrue.
'' Donc, ça va, toi ? Jsais pas c'est quoi cette scène qu'tu m'a faites t'alleur, mais j'ai sérieusement flippé ! J'ai cru qu't'allais genre, juste me claquer sous les doigts. Ça aurait crée une de ces paperasses que j't'en aurais voulu ! '' A deux reprises, la lourde main vint frapper l'épaule de Niko, qui cillait un peu. '' J'en ai bien vu assez pour moi ! Tsais, j'ai presque envie de t'refuser, car ce serait même pas à toi d'venir, mais à moi de te d'mander ! Surtout après le nombre de fois ou t'as été r'calé en fait. ''
Ce n'est pas car il ne veut pas de Nikolaos dans ses rangs qu'il ne l'accepte qu'à demi mots, bien au contraire, pour lui, ce qu'il vient de dire, c'est suffisant. Mais faut garder à l'esprit que c'est un nouveau, qui doit encore découvrir plein de chose, dont on ne connaît pas encore le plein potentiel, et qui – mais bordel il a quoi là au juste ?
'' Y s'passe quoi avec ton œil là en fait ? Jtai blessé sans faire exprès ? ''
Toujours est-il qu’on se retrouve une nouvelle fois seuls, enfin « seuls » est un bien grand mot parce qu’on est quand même sur le terrain d’entraînement et que ça gazouille de monde un peu partout. Y’a des allées et venues dans tous les sens et on entend surtout le fracas des épées d’entraînement les unes contre les autres ou les vociférations d’un instructeur qui n’est pas satisfait de sa bleusaille. Je me retiens de pousser une exclamation de joie lorsque le chef dit à demi-mots que je suis accepté chez lui, surtout qu’il m’a fait un sacré compliment. Je retire la main qui cachait la moitié de ma face, tout en secouant la tête. Ma bouche se contorsionne bizarrement tandis que je retiens une exclamation de douleur. J’aurais pas dû faire ça. Entre ça et la lourde main du lieutenant qui s’abat à plusieurs reprises sur mon épaule, je suis servi. J’esquisse quand même un sourire, ponctué d’un éclat de rire franc quand il me parle de paperasse.
- C’est rien, lieutenant ! Un petit mal de crâne, ça devrait passer. Je sais qu’ils ont des décoctions efficaces pour ça à l’infirmerie. Si vous le permettez, je vais m’y rendre, lieutenant. Puis, vous devez avoir pas mal d’autres choses à faire, lieutenant. Je ne voudrais pas vous retarder davantage. Lieutenant.
J’ai pratiquement tout débité d’une traite, en m’interdisant de montrer une seconde fois que j’ai mal. Je réalise, encore une fois mais plus lentement, que je vais intégrer les rangs des Tortugrams.
- Faudra que vous me parliez de cette réforme du régiment, lieutenant. Enfin, quand vous aurez le temps, bien sûr ! Sans vouloir vous manquer de respect. Et si vous avez besoin d’vous faire visiter le Village…
Je gratte l’arrière de mon crâne, pensif.
- Bé je suis malheureusement pas le plus à même de vous aider pour ça. Mais vous trouverez sûrement quelqu’un pour mieux vous renseigner ! Je découvre encore beaucoup de choses sur c’t’endroit.
Principalement grâce à Lyf, qui m’a déjà montré « the place to be » quand on a terminé son service et qu’on a envie et besoin de se détendre grâce à un bon remontant. Quant aux us et coutumes des locaux, je ne les connais pas encore très bien. J’ai surtout saisi qu’ils étaient très proches de la nature et qu’ils adoraient l’Arbre Sacré presqu’autant que la Déesse. Mais je me garde bien d’y aller de mes petites réflexions sur le sujet. Je commence moi-même à être assez intéressé par ce sujet mystique. Après tout, je suis sorti de terre après avoir été déclaré mort pendant plus d’un an.
Je pense que le moment est venu de libérer le lieutenant. Je vais vraiment me rendre à l’infirmerie et le laisser retourner vaquer à ses occupations desquelles je l’ai malencontreusement sorti quand il était dans son bureau.
- Merci pour la découverte, les dagues là. J’ai vraiment aimé les utiliser et combattre avec. J’espère que je vous ferais honneur en étant sous vos ordres, lieutenant. Merci de votre confiance.
Puis, je sais pas, y’a une certaine forme de légèreté qui s’est installée. Je me sens beaucoup plus à mon aise lorsque je lui parle, comparé à tout à l’heure où j’étais prêt à me pisser dessus simplement parce que j’allais toquer à sa porte.
- Et puis, si vous voulez vous faire une bonne bouffe un d’ces jours, appelez-moi lieutenant ! Ça s’rait un plaisir. Vous pourriez m’raconter vos anecdotes de la Capitale. Sauf votre respect, lieutenant.
Puis je partirai, seulement quand il m’aura donné congé bien évidemment, pour aller voir Orianna à l’infirmerie. J’ai vraiment besoin de quelque chose de fort pour faire passer les douleurs. Comprendre d’où elles viennent ? Peut-être simplement un gros coup de stress, rien qui me donne envie de m’alarmer. De toute façon, j’en ai pas envie, pas après une aussi bonne nouvelle.
Quelle putain de belle journée.
Bon, après, c'était une proposition dans le vent. Même lui y semble pas trop connaître le coin.
Pas un soucis, il se débrouillera.
Nan, en vrai, il a déjà demandé à Lyf, mais ça, faut pas le dire.
'' Allez jvais te laisser filer, j'veux t'voir en pleine forme la prochaine fois ! Jte présenterais officiellement au prochain entraînement des Tortugrams ! ''
Après, c'est pas comme si il y avait légion, le planning fait que beaucoup sont en train de faire des rondes quelques part dans la ville, sur des heures qui chevauchent les nouveaux horaires d’entraînement. Un autre truc sur lequel il va devoir se penche tiens, vu le nombre de truc comme ça, le grand va finir avec un mal de dos des enfers. A la limite, y a Aurel hein...Pas le plus présent, ni le plus affûté du tiroir -et ça vient de Hryfin, pour dire-, mais y'a peu de chances que ces deux là finissent par bien s'entendre. De toutes façons, c'est pas ce que l'ancien garde royal attends de ses soldats.
'' Tu s'ras mis au courant des informations en même temps que tout l'monde, j'suppose. Après faut d'jà que j'ai l'temps de l'rédiger. Puis d'voir Java. Puis qu'elle ait l'temps pour moi. M'enfin. S'bien si les armes te correspondent, jsuis content d'avoir eut l'flair pour ça ! ''
Où est passé le Hryfin qui a dit qu'il allait laisser Nikolaos filer en fait?
'' Par contre, ptit gars... '' L'hippogriffe sourit malicieusement. '' Commence pas à trop prendre tes aises hein, n'a pas fait l'tour de garde ensemble. On verra pour la bouffe, mais ouais, si t'es prêt à entendre à quel point à la capitale, on s'fait chier et comme la garde royale bah elle l'était pas du tout en fait, ce s'ra avec plaisir ! '' Il se laissa partir dans un rire sonore. '' Allez, circule. Va t'soigner. ''
Debout et immobile comme une de ces statues qu'il passait son temps à surveiller il y a encore de ça quelques mois, il observa le jeune Lehnsherr sortir du terrain d'entraînement, le gratifiant d'un dernier signe de la main. Bon, et maintenant ? Que lui restait-il à faire ? Avec cette visite imprévue, ce coup d'adrénaline à le voir se battre ainsi...Fallait passer ses nerfs avant tout, rien qu'imaginer qu'il va devoir se remettre à la paperasse et qu'il venait de s'en rajouter, voulant prendre le petit Nikolaos sous son aile, ça lui donne de l'urticaire. S'il pouvait faire un truc là, tout suite, qui lui permettrait de lâcher du lest.
…
Oh.
C'est en sifflotant que le brun se dirigeait dorénavant vers l'instructeur croisé tantôt, alors qu'autour de lui, les passes reprenaient tranquillement. Nul doutes que ce bulldog aurait apprécié rester tranquille dans son coin à faire ses exercices. Mais Hryfin ne l'entendait pas de cette oreille. Voilà pourquoi les lieutenants et autre adjudants récupèrent des gamins qui savent à peine oser lever la main pour demander s'ils peuvent aller pisser ; arrivent pas à aligner un pied devant l'autre quand il s'agit de se batte, genre, pour de vrai. Avec la discrétion d'un Genbu et la subtilité d'un sanglier des montagnes, il se planta à côté de lui et laissa lourdement tomber sa main sur son épaule.
'' Jcrois faut qu'on cause pratique, tous les deux. ''