Silence.

Uniquement peturbé par le bruit lointain d’une page se tournant, ou celui d’une plume gribouillant quelques notes sur un parchemin vieilli par les années. La bibliothèque du Grand Temple, si elle était loin d’être la plus grande du Royaume, était aussi de celles qui regorgeaient des textes religieux parmi les plus rares. Pas forcément des plus intéressants pour le commun des mortels, l’endroit n’était pas le plus fréquenté, même si beaucoup de fidèles venaient parfois s’y rendre. Elle restait bien entretenue, de ses grandes armoires dans un bois massif sombre, emplis d’ouvrages divers et classés avec soin. Bien que légèrement sombre, le soleil réconfortant de cette saison douce gratifiait les lieux de sa lueur et d’une chaleur assez réconfortante, surtout lorsque l’on savait que l’endroit était d’habitude assez mal chauffé. Pour les lecteurs les plus assidus, quelques cristaux de lumière permettaient de ne pas avoir à trop plisser les yeux pour déchiffrer les contenus des différents ouvrages.

La plupart des visiteurs étaient répartis un peu partout, ayant chacun une table entière à eux seuls, alors qu’à l'accueil de l’endroit, à moitié affalée sur son comptoir, se trouvait une sœur de Lucy aux cheveux verts, en train de dévorer un roman qui n’avait rien de religieux. De tout de façon, en cette période de la journée, qui viendrait la déranger? Elle s’était complètement laissée happer par le dernier rebondissement alors que l’héroïne de l’histoire se retrouvait happée contre ce beau brun ténébreux, et que leurs lèvres se rapprochaient, se frôlaient, prêtes à se toucher dans un premier baiser qui sera certainement très loin d’être le dernier et…

Un raclement de gorge.

Sabia sursauta de tout son être, laissant échapper un petit cri alors que son visage virait au rouge. Dans son mouvement brusque, le livre relié fit un léger vol plané derrière son petit bureau de bois. La verte essaya vainement de le rattraper en se penchant, mais ne réussit qu’à faire basculer le tabouret sur lequel elle se tenait avant de se retrouver au sol dans un vacarme indigne d’un tel lieu de sérénité. Le bois de son précédent siège roula doucement sur le sol en pierre finement taillé, avant que Sabia ne se redresse d’un coup derrière le comptoir de l'accueil, tenant son livre derrière son dos, le dissimulant un peu vainement tant ce visiteur avait déjà eu l’occasion de bien le voir.

« B…B…Bienvenue à la Bibliothèque du Temple! Que p… »

Un peu trop stressée, bégayant après ce qu’il venait de se passait, la soeur de Lucy finit par se calmer en voyant qui était ce fameux visiteur. Alors même que, normalement, son attitude devrait être tout à fait l’inverse. Elle laissa échapper un petit soupir de soulagement, baissant brièvement la tête avant de la relever vers la Grande Prêtresse elle-même. Sainte Mahun, ou plutôt…

« Oh mais c’est toi Nephounette! Je t’ai toujours dit de toquer avant d’entrer! C’est pour ce genre de… trucs, que je dis ça! »

Prenant un air faussement outré, la sœur de Lucy jeta un rapide coup d'œil vers l’entrée des lieux, qui ne possédaient pas de porte de tout de façon. Difficile de toquer, donc. Sabia roula innocemment des yeux, cacha un peu mieux son livre derrière son dos de la moins discrète des manières en se tenant faussement droite après avoir réajusté sa posture, et se racla rapidement la gorge.

« Hum… Que… Qu’est-ce-que je peux faire pour toi? »

Elle avait demandé ça innocemment, comme si rien de tout ça ne venait de se passer. Avec un grand sourire bien faux comme elle savait les faire. Ou plutôt comme elle ne savait pas les faire. Mais ça c’était un détail. Surtout que toute cette agitation risquait d’avoir attiré quelques regards et oreilles indiscrètes…

'' Je serais presque fatiguée, tiens ! ''

Son discours nuançait complètement sa mine joviale et son sourire franc. Nephali revenait d'une énième balade, comme ça qu'elle les appelle, à défaut de mieux, à travers villes et villages aux alentours de la capitale. Il était enfin temps de se poser à nouveau, car il faut être dans des conditions optimales pour mieux pouvoir repartir. Habillée de sa simple longue robe blanche et d'un manteau crème et bleu, sans oublier sa singulière couronne. Oh, rien de bien officiel, un pur artifice du peu d'ego qu'elle possède.

A peine eut-elle le temps de fouler les marches du temples que déjà de nombreux frères et sœurs se précipitaient à sa rencontre. Les bains de foule, ce n'était clairement pas sa partie préférée, mais cela reste un bonheur, une joie immense, de voir tous ces adeptes venir la saluer ! Si bien qu'elle prenait constamment la peine de leur répondre, même les questions les plus saugrenues, cependant, elle n'était pas en train d'être interrogée par le Chantelune Voyageur pour parler du Culte de Lucy, posée dans un fauteuil, coupe de thé à la main. Donc, elle continuait de marcher, saluant de sa dextre, sourire plaqué aux lèvres, petits rires discrets parfois quand une question, en apparence bête ou évidente, était posée. De la foule, sa chevelure verte ressortait le plus, tombant en cascade sur ses épaules, virevoltant au gré des vents qui s'abattaient actuellement sur le temple.

Alors qu'elle entamait l'ascension des escaliers, peu à peu, les curieux se dispersaient, leur curiosité satisfaite ; oui, elle revenait tout juste ; non, elle n'était pas restée trop longtemps sur les routes ; oui, elle est venue en aide, à son niveau, au peuple ; non, le culte de Lucy n'est pas encore imprégné dans le cœur de tous, mais cela viendra ; oui, elle a croisé plein des petits familiers trop mignons. Un prêtre vint rapidement à sa rencontre, visiblement irrité de voir la grande prêtresse être ainsi assaillie.

'' Sainte Mahun ! Pardonnez les, ils sont juste extrêmement enthousiastes ! Si vous voulez, je peux - ''

'' Oh, non, non, par Lucy, jamais ! Je ne suis nullement dérangée ! Au contraire, vous devriez savoir comme cela m'enchante ! ''

'' Très bien, très bien, je vous reconnais bien là. Quels sont vos plans pour la suite ? Comptez-vous rester longtemps ? ''

'' A peine arrivée que vous rêvez déjà de me revoir partir ? '' Elle rit timidement face à la gêne du prêtre. '' Je vous embête, rien de plus. Je compte bien me poser un peu, dialoguer avec frères et sœur ; prêtres et prêtresses présents. J'aimerais voir quelqu'un, avant tout cela. Et je sais déjà ou la trouver. ''

Ses pas résonnaient dans l'édifice, alors qu'ils la menait naturellement vers la bibliothèque, comme si elle avait toujours vécu ici. C'est une demie vérité, on ne s'investit vraiment des lieux qu'à partir du stade de prêtre ou prêtresse, alors imaginez à son niveau. Cependant, des années qu'elle fréquente le temple, avec ses parents, avec toute sa famille, ou même, totalement seule. Elle sait où tout se trouve, les habitudes de beaucoup de personnes. Même si celle qu'elle va découvrir, plutôt redécouvrir, en est une qu'elle préférerait que la femme abandonne.

C'était comme prévu. Presque trop comme prévu.

Moult personnes, dans la pièce, l'avait déjà reconnue. Mais pas elle, encore trop occupée à lire. Si seulement ce fut des textes édifiants plutôt qu'un énième bouquin de sa romancière préférée. Le pire étant qu'elle doit parfaitement se rappeler de chacun d'entre eux, mais elle persiste. Il fallait bien que jeunesse se fasse ; mais rappelons qu'elle a déjà vingt-cinq ans.

Un léger raclement de gorge, non pour juger ; juste justifier sa présence.

Et ça, c'est une Mahun ? C'est...Etrange de voir les différences de comportement de trois sœurs, pourtant toutes trois très bien élevées, de la même manière et avec les mêmes valeurs. Bon, peut-être pas de la même manière...Les aînées ont eu beaucoup plus de chance. Nephali s’inquiéta vivement de voir sa cadette tomber ainsi, elle haleta un coup, main devant la bouche. A peine le temps de commencer à faire le tour du comptoir que l'autre verte s'était relevée, fin prête à l'accueillir. Toujours aussi...Familière. Elle n'avait jamais rien eu contre le surnom qui lui avait été affublé, mais en public, c'est toujours un peu délicat. Nephali n'est pas du style à en prendre ombrage toutefois.

'' Je frapperais contre l'encadrement la prochaine fois, si ça peut éviter que tu réagisses comme ça ! Ça va ? Tu ne t'es pas faites mal ? ''

Les gens ici étaient à la fois habitués à voir la grande prêtresse et, aussi, tristement, à voir sa petite sœur se mettre dans des situations que la verte qualifierait d'ubuesque. Sursauter ainsi à en tomber, bien trop pour miss parfaite.

'' Je reviens tout juste de la capitale, c'était édifiant ! De passage, je me suis dis que - '' Elle avait commencé à faire le tour du bureau. '' – venir passer le bonjour à ma chère petite sœur est une chose dont je ne peux me passer ! ''

Normalement, ce qu'elle aurait aimé faire, c'est se rapprocher de Sabia et la prendre soigneusement dans ses bras. Mais tout le corps de la bibliothécaire pivotait alors que Nephali s'approchait. Les efforts pour cacher ses lectures étaient là, elle lui devait bien ça. Sabia se faisait pourtant souvent attraper. La même histoire, les mêmes erreurs, encore et encore. La grande prêtresse soupira, gardant cependant ce même visage joyeux et plein de vie.

'' Combien de fois devrais-je te répéter de ne pas t’adonner à de telles lectures, ma sœur ? '' Quand elle l'appelle comme ça, on n'a plus aucune idée de comment le prendre ; sens familial ou religieux ? '' Loin de moi l'idée de me permettre de te juger, chacun voit sa distraction assouvie de sa propre manière. Il y a pourtant tant d'écrits beaucoup plus intéressants ici... ''

'' Que je connais déjà sur le bout des doigts ''. Nephali voyait déjà la réponse arriver. Et elle l'aurait bien cherché. Elle ne changera jamais Sabia, mais en même temps, pour toute l'amour de la populace envers Lucy, elle ne la changerait pas.

Sa grande sœur avait toujours un côté fascinant, des mots justes et une confiance en elle-même que Sabia n’avait jamais vraiment eu. Elle ne pouvait pas nier qu’elle l’enviait un petit peu, même si elle avait tout de même le grand défaut de se tuer à la tâche pour le Culte dont elle était la première des servantes. Parfois, elle se demandait même si Nephali ne trahissait pas qui elle était vraiment, même si elle avait toujours eu ce genre de caractère là. Douce, altruiste, inquiète, parfois se voulant aussi un peu pédagogue…

Sabia continuait de pivoter pour cacher son ouvrage dans son dos, avec un grand sourire complètement faux sur les lèvres. Passer lui dire bonjour? C’était vrai qu’elle était toujours occupée et aux quatre coins du Royaume, et quand elle était au Temple c’était parfois au tour de Sabia de s’être retrouvée à la Grande Bibliothèque du Village Perché ou n’importe quelle autre lieu de culte pour une raison quelconque. Elles se voyaient moins dernièrement, c’était certain…

« Mais non, ça va parfaitement bien! J’ai euh… L’habitude? »

Pas sûr que ça ne rassure réellement la Grande Prêtresse. mais autant passer rapidement à autre chose.

« Écrits que je connais déjà sur le bout des doigts. Moi qui pensais que tu venais à la base pour enfin me demander conseil sur les lectures les plus croustillantes de tout le Royaume… Mais non. »

Un peu de déception, parce-que, évidemment, elle lisait aussi beaucoup d’autres livres traitant de sujets assez variés. Rien que dernièrement, elle avait lu un traité sur les familiers d’Aryon. Et d’ailleurs, en parlant de ça…

« Tu n’as jamais pensé à adopter un petit familier sinon? Comme… Un Vermilis, à tout hasard? Vu que tu n’as toujours pas de relation sérieuse, je veux dire… Ça peut aider. »

Surtout parce-que la superstition collective dit que cet animal donne de la chance en amour. Alors s’il fallait se raccrocher à des superstitions pour ça, Sabia n’était pas contre tant la situation était désespérée. Il fallait dire qu’avec des meilleures lectures de sa part, peut-être que cela éveillerait enfin un intérêt en elle. Parce-que sinon, elle ne s’en sortirait jamais si elle ne pouvait pas prendre du temps pour elle.

« Sinon je lis aussi pleins de choses utiles! J’ai dû lire les 300 pages du traité de médecine du Père Milenzar sur tes conseils, et c’était vraiment horrible comme lecture… Tant les schémas étranges que tout ce texte barbant là, pfouah… »

Et ça, elle ne pourrait évidemment jamais l’oublier. Même si parfois il y a des choses dont elle aurait préféré ne pas se rappeler. La vie était parfois cruelle. Mais avant qu’elle ne se fasse traiter d’oisive, elle leva un doigt vers le plafond, avant de fouiller sous son petit bureau.

« Ah oui, on a reçu une copie des Archives de Saint Wrod, avec les illustrations du Père Noz de l’an 954 réalisées de façon posthume. Tu m’avais dis que c’était quelque chose qui t’intéressait, non? »

Ou comment déguiser une lecture professionnelle en un moyen de s’émerveiller devant les petits animaux mignons en dessin dedans. Même si l’ouvrage était, bien évidemment, passionnant même sans cela. Sabia pouvait déjà le réciter par cœur de tout de façon, comme beaucoup d’autres livres. Relevant d’ailleurs la tête après avoir posé le livre sur le comptoir, elle remarqua d’ailleurs que la Grande Prêtresse n’était pas venue seule, et qu’un prêtre l’avait accompagné, restant en retrait hors de la bibliothèque, pour une raison assez évidente, sauf pour Sabia…

« Oh, Père Stig! Vous êtes venu pour récupérer les ouvrages que vous avez commandé? Il en manque un mais je peux déjà vous en donner trois! »
« Euh… Non, je… Enfin… »
« Mais si mais si, vous seriez bête de ne pas les récupérer maintenant que vous êtes là! Il faudra juste les retourner d’ici une lune. »

Disparaissant sous le comptoir une nouvelle fois, Sabia en ressorti une petite pile de trois livres reliés. L’un, en cuir sombre assez ancien, semblait être un traité religieux, l’autre, une pile de feuilles rapidement liées, semblaient être des archives d’une des Eglises de la Capitale… Et le troisième, lui, bien en évidence sur le haut de la pile, semblait être un recueil illustré de demoiselles en petite tenue. Bien en vue de la Grande Prêtresse.

« Et voilà! Le traité sur l’herboristerie devrait arriver d’ici deux jours. Vous pourrez repasser à ce moment-là, et bonne lecture! »

Sabia ne se formalisa pas du prêtre qui avait l’air un peu penaud pour venir récupérer ses bouquins, et reporta d’ailleurs son attention vers sa grande soeur.

« Ah oui d’ailleurs, pour parler, j’ai un peu de thé au jasmin qui vient directement des jardins du Temple. »

Le temps de placer sa main sur la théière qui était ici, et de s’immobiliser un court instant. C’était vrai qu’elle était là depuis quelques heures maintenant et le thé, qu’elle avait oublié - ou plutôt avait été trop captivée pour s'en rappeler, ce n'était pas comme si elle pouvait l'oublier - était maintenant complètement froid. Enfin, non, juste tiède. Sinon, ça aurait au moins eu le mérite de pouvoir être du thé glacé. Mais non, même pas.

« Petite correction. Du thé tiède au jasmin... »

Elle aurait donné tous les cristaux du royaume à Lucy pour ne pas avoir à voir ça. Et pourtant. S'il est difficile de reconnaître si Nephali est de nature aussi sereine et joyeuse ou si elle se force pour l'exercice de ses fonctions -elle l'était déjà avant, donc non, rien de forcé, mais ça, seul les gens les plus proches d'elle le savent-, il l'est tout autant de réussir à discerner si Sabia fait une énième gaffe ou si elle est malicieuse de son propre chef. Par Lucy, faites que ce soit actuellement de l'étourderie qui ait fait que sa grande sœur ait eu à poser les yeux sur cet ouvrage ; ce torchon. Jamais elle n'irait dénigrer les lectures des uns ou des autres -sauf avec Sabia, car c'est si tentant-, et n'est pas mal à l'aise avec son corps ; celui des autres ; la sexualité ; tout ça. Dommage que le recueil un peu olé-olé cache les autres, qui eux sont pour le coup bien plus légitimes. C'est penaud et un peu honteux que Stig partit récupérer ses livres, repartant bien vite se cacher derrière les jupons de la verte. Qu'un homme du Culte s'adonne à de telle lectures...Ça ne doit pas être bien nouveau. Dans le fond, tant qu'elle ne les surprend pas en lecture active devant, elle n'est pas dérangée ; elle n'irait pas les réprimander, ils font ce qu'ils veulent, juste...Pas aux yeux des autres ? S'il vous plaît ? Elle se bat durement pour que le Culte soit pris au sérieux par tous ceux qui lui ont d'ores et déjà tourné le dos, ce serait bien que son combat ne soit pas ruiné par cela...

Volte face rapide, pour se retrouver à regarder son accompagnateur, droit dans les yeux.

'' Eh bien, je crois que vous pouvez disposer, Père Stig ? Plus besoin de m'accompagner, sauf si vous pensez que j'aurais mieux à faire que de passer enfin cinq minutes de mon temps avec ma sœur ? ''

'' Oh, bien sur que non, Sainte Mahun ! Je- Je vais vous laisser, b-bonne journée ! Que Lucy soit avec vous ! ''

Sur ce, il disparut encore plus vite qu'un capyblabla qui serait chassé par un coeurl. Maintenant, il n'y avait plus qu'elle et sa sœur. Enfin, et tous les autres fidèles, frères, sœurs, présents dans la bibliothèque, qui zieutaient parfois discrètement et rapidement dans leur direction. D'un pas toujours aussi sûr et tranquille, elle finit par réduire le dernier écart qui restait entre elle et sa benjamine.

'' Le thé tiède m'ira très bien. '' Nephali du se pencher en avant pour pouvoir prendre sa petite sœur dans ses bras ; après tout, elle a presque dix centimètres de plus qu'elle. '' Tu m'as manquée. '' Elle finit par relâcher son étreinte après quelques secondes, puis prit place sur une chaise qui était non loin. Comme à son habitude, elle prévoyait les potentielles bourdes de Sabia, et prit l'initiative de servir elle même le thé. '' Je m'en occupe, aucune de nous ne voudrait voir ces livres et documents tâchés, n'est-ce-pas ? '' Clin d’œil complice. Jamais elle n'en voudrait à sa sœur d'être ce qu'elle est. '' J'aimerais juste que tu me dises tout ce que j'ai bien pu rater pendant que j'étais absente. ''

Faisant glisser une tasse vers l'autre verte, Nephali commença elle de son côté à le siroter. La Grande Prêtresse a l'habitude de boire du thé, de toutes couleurs, de tous horizons, mais il faut avouer que celui d'ici est celui qu'elle a le moins l'habitude de goûter, elle en était folle durant son enfance, mais depuis qu'elle parcourt les routes, les occasions de s'arrêter ici sont moindres, et celles l'autorisant à se poser un moment encore plus. Là, elle en avait besoin. Plus que d'une ''relation sérieuse'', comme Sabia l'avait si bien dit. A quand remonte sa dernière relation... ? Oh, si longtemps. De toutes façons, qui accepterait une femme pour qui les relations ne sont que secondaires ; dévouée à elle même, le Culte et Lucy ?

'' Je prendrais bien cette copie pendant quelques temps, oui. Au moins jusqu'à repartir. Je devrais me rendre vers la Forteresse, incessamment sous peu. Ça occupera mes nuits ici. '' Trouver un peu de sommeil serait bien, cependant, il est légitime de douter que ce serait possible. '' En tout cas, ton thé est délicieux ! ''

Tous les mots qu'avait prononcés Sabia n'étaient pas tombés dans l'oreille d'une sourde, ce n'est pas car elle n'y a pas répondu dans l'instant que ça ne l'avait pas travaillée. Ce n'est pas pour rien, que ce sont ces archives spécifiques, avec ces illustrations précises, qui l'intéressait. Elle rougit un peu en imaginant un potit vermilis tout mignon en train de courir partout autour d'elle, dormir tranquillement sur un coin du bureau. Les mains de Nephali seraient rouges vif, car elle ne pourrait s'empêcher de le papouiller, quitte à l'agacer et finir irritée par ses plumes. Après, c'est toujours compliqué.

'' Dis toi que les écrits du Père Milenzar sont d'une importance capitale, je me suis moi même coltinée des centaines de pages, certaines plus inspirantes que d'autres. Mais c'est le premier homme important de notre Culte à avoir accumulé autant de choses sur les soins du Temple. '' Présentement vide, elle reposa sa tasse de thé sur le bois. '' Tu sais très bien que ce serait difficile pour moi d'avoir un familier avec mon rythme. Et encore moins une relation sérieuse. ''

Nephali n'avait jamais compris cet entêtement presque sauvage qu'elle avait à vouloir caser sa sœur. Préoccupée ? Attentionnée ? Juste embêtante ? Dans tous les cas, toutes ses tentatives tombaient à l'eau, et c'est quoi le pire ? C'est que malgré le fait que la verte était parfaitement au courant des tentatives de Sabia, elle tombait toujours dans le panneau.

'' J'apprécie tes efforts, petite sœur, vraiment. Par rapport à tout ça. Mais tu sais très bien que ce n'est pas ce qui m'intéresse et m'importe, hein ? Surtout que...Tu te rappelles encore de la dernière fois ? ''

Ça lui avait été présenté comme '' Un homme important, si, si, pour de vrai ! Et qui pourrait mieux présenter le Culte que la Grande Prêtresse elle même ? ''. Tout ça pour se retrouver dans un restaurant, certes très cossu, mais avec un homme qui n'avait que pour seul préoccupation d'emmener dans son lit une femme aux cheveux vert, un kink étrange, mais qui est-elle pour juger ? Le plus étrange réside dans le fait qu'elle trouve toujours un moyen de faire un compte rendu à Sabia, souvent avec des ''merci mais non merci'', et autres ''mais fallait pas hein''. Il fallait vraiment pas.

Sabia avait entendu parler d’une thermos magique, pour sauvegarder son thé lors de ses très longues lectures sans que l’oublier n’ait réellement la moindre conséquence lors des saisons les plus froides de l’année. Et cela fonctionnait d’ailleurs aussi sur les boissons fraîches pour les saisons les plus chaudes, puisqu’elle était déjà en bonne voie pour s’installer sur tout le pays, la saison chaude. Et effectivement pouvoir siroter tranquillement une boisson glacée pendant cette période serait plutôt agréable.

Au final, Nephali sembla se contenter de thé tiède, ce qui n’était pas vraiment le plus beau des cadeaux pour une Grande Prêtresse. Heureusement, elle avait su rester assez simple et proche du peuple, ne laissant pas son statut lui monter à la tête, enfin, dans sa proximité avec les petites gens. Parce-que Sabia avait tout de même l’occasion qu’elle faisait encore plus d’efforts depuis qu’elle avait accédé au poste, ce qui n’était pas sans l’inquiéter, elle, de la bonne santé mentale de son aînée. Elle n’était, par contre, évidemment, pas du genre à refuser ce petit câlin, même s’il était accompagné une petite pique qui lui fit gonfler les joues.

« Hey! Je sais encore servir du thé. Il n’y a pas eu d’accident sur un livre depuis trente-trois jours et cinq heures! »

Environ, hein, elle lui avait épargné l’estimation des minutes. Ce qui était une durée respectable en apparence, mais pas tellement pour une archiviste ou bibliothécaire. Heureusement, ces accidents étaient en général rattrapables. Toujours était-il qu’elle n’aimait pas plus que ça se retrouver accompagnée comme ça par sa grande soeur parce-qu’elle n’était plus une gamine, et qu’en plus Nephali était sa supérieure, techniquement. Même si on en avait pas forcément l’impression en l’entendant parler.

« Ce que tu as raté… »

Elle prit une petite seconde pour réfléchir, se rappelant les derniers évènements les plus marquants au Temple et pour le Culte, du moins lorsqu’elle avait été là.

« … Pas grand chose. Les préparatifs pour le jour du Forgesort au Temple avancent, bien que Soeur Hostra souffre toujours de quelques problèmes de santé. Quelques fidèles un peu trop zélés, comme toujours, mais rien de grave. Et quelques baumes ont disparus de la réserve pour les gens dans le besoin, mais la quantité est assez négligeable… »

Rien qui ne nécessitait l’intervention de la Grande Prêtresse elle-même. Après, elle avait de son côté des déplacements prévus à beaucoup d’endroits, mais ça ne concernait pas le temple, et ce n’était pas vraiment le but de la question ici que Sabia lui rappelle tout ça. Même si, évidemment, elle aurait pu lui faire un discours de plusieurs heures sur le moindre petit évènement. Mais son temps était précieux, alors elle essayait de ne pas le gâcher. Enfin, pas trop le gâcher.

« Et pour le livre, tu sais où le rendre… Et tu sais que moi comme les autres viendront réclamer tout retard de retour. »

Même si elle n’avait jamais eu à le faire. Elle espérait, un jour, pouvoir venir l’embêter avec ça. Ce n’était certes pas près d’arriver, mais elle espérait tout de même.

« Mais je suis sûre que tu arriverai à t’en occuper quand même. La plupart sont assez indépendants, j’ai déjà vu des aventuriers qui en avaient avec eux sur la route. Ou sinon, un petit Shupon? Un Shupon ça nécessite vraiment très peu d’entretien… Contrairement à un homme. »

Alors, oui, certes, une relation était demandante en temps et en énergie, Sabia le savait bien. Temps et énergie que sa grande sœur consacrait exclusivement au culte de Lucy. Mais elle apportait aussi bien-être et réconfort, et en plus Sabia, assez passionnée par le sujet, éprouvait un malin plaisir à essayer de la caser. En plus de trouver ça utile pour elle, puisque c’était une façon dissimulée de lui dire qu’elle en faisait trop et qu’elle avait aussi le droit - et le besoin - de prendre du temps pour elle-même. Une chose qu’elle ne pourrait jamais vraiment lui dire en face…

« Ouiii bon… La dernière fois… Il avait l’air mieux que ça, plus correct à première vue. Je pouvais pas deviner, j’ai pas le pouvoir de lire dans les pensées. Après il suffit juste de trouver le bon! Et puis, toutes grandes personnes vont souvent par deux! Comme le Roi et la Reine. C’est une sorte de support mutuel, où l’un s’aide de l’autre pour aller plus loin et faire encore plus! »

Marquant un petit temps d’arrêt, cette petite réflexion sur la Royauté lui avait donné une idée.

« Je suis sûre qu’il doit exister un Prince Charmant quelque part pour toi! Il faut juste le trouver. Et tu verras que tu pourras plus t’en passer. Enfin, je me suis presque dite que ce serait rigolo que ce soit littéralement le Prince, histoire d’avoir une Princesse Mahun… Mais j’ai entendu dire qu’il était encore plus coincé que toi sur ce genre de points. »

Dans un petit soupir exaspéré, Sabia plaça sa main sur son front de façon théatrale…

« Ah… Quel monde, où le cœur d’un vaillant Prince est à prendre, comme celui d’une belle prêtresse, mais aucun n’ose s’engager avec l’autre… »

Petit sourire narquois, accompagné d’un petit rire. Ce n’était pas comme si ce plan avait la moindre chance de fonctionner… Encore que? Même si l’espoir était mince, tant qu’il existait, elle était prête à le supporter de toutes ses forces. C’était ça, le vrai pouvoir du ship.

« Vous iriez bien ensemble. Malgré la différence d’âge. Religion et Royaume unis en un. »

'' Enfin, Sabia. Tu arrives à te rendre compte de ce que tu peux dire ? ''

Malgré tout, elle ne put s'empêcher d'en rire avec sa sœur, même si la remarque, pourtant réelle, sur son côté ''coincée'' l'avait un peu piquée. Il est vrai que si elle lui décrochait une sorte de rencard comme ça, mais avec le prince, cela aurait de quoi forcer son respect, déjà qu'elle même, en tant que tête du Culte, n'avait eut que très peu d'occasion -aucune?- de le croiser, pour tout le respect que la verte ressent pour sa cadette, ce n'est pas une sœur de Lucy qui pourra aisément croiser l'héritier au détour d'une rue, encore moins réclamer une entrevue. Il doit être un homme extrêmement occupé, voilà tout. Plus qu'elle ? Cette simple pensée lui donne des frissons. Déjà qu'elle ne s'accorde que peu de temps pour elle-même, s'imaginer dans la peau d'un membre de la famille royal, c'est...Aussi déprimant qu'électrisant.

'' Tu sais, tu devrais t'occuper de toi même avant de vouloir mettre un homme dans mes pattes. Une jolie jeune fille comme toi, les prétendants devraient se bousculer au portillon ! Tu ne devais pas répondre au courrier de ce frère...Comment se nomme-t-il déjà... ''

Oh, elle le savait pertinemment. L'idée d'agacer et d'un certain côté, provoquer Sabia était toujours délicieuse. A ce niveau là, Nephali a toujours du mal à ne pas se rendre elle-même paranoïaque, et se retrouve archi protectrice envers la petite, se dire qu'une personne pourrait vouloir se rapprocher d'elle seulement à cause du nom Mahun, et sa proximité avec la grande prêtresse, sans prêter à la dernière née l'attention qu'elle mérite, ça lui briserait le cœur, elles seraient donc deux tristes.

Aux dernières nouvelles ; ce ne serait pas un problème.

La sœur semble beaucoup plus s'intéresser à ces amourettes fantasmées et romanesques de ses bouquins plutôt qu'à la vraie vie ; ah ces jeunes, toujours là, accrochés à leurs cristaux de communication, leurs livres imaginaires et autres objets magiques faits pour leur faciliter la vie. Elle, de son temps...Bon elle s'en servait aussi. Mais c'est pas pareil. Car c'est elle. Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Et ce que la verte décida de faire, c'est se resservir une tasse de thé, sans pour autant cette fois en proposer à Sabia, qui sait encore ''se servir du thé sans provoquer d'accident, je suis une grande fille après tout''. Tant que ce n'est pas un écrit important qu'elle abîme...Au pire, aussi important soit-il, suffirait qu'elle l'ait lu pour le recopier.

Sirotant son thé presque-glacé-mais-pas-tout-à-fait-quand-même-il-reste-tiède-mais-il-s'en-rapproche, elle balaya la bibliothèque de son regard d'émeraude. Si au début, l'arrivée de leur grande prêtresse les avait interloqués et intéressés, rapidement, les divers fidèles étaient retournés à leurs discussions, occupations, travail. Ce n'est pas inhabituel qu'elle se trouve ici, et tout le monde la connaît et lui a déjà parlé, car elle met toujours un point d'honneur à écouter tous les soucis, toutes les doléances, indépendament de si elles volent bien haut ou non, elle ne différencie pas les ''y'a le frère Truc qui s'est battu avec frère Machin, car les deux aiment sœur Bidule'' et les ''Oh Sainte Mahun, c'est terrible, on a marché sur mes géraniums !''. En vrai, avec du recul, elle devrait. Prendre tout en compte, c'est bien, réussir à niveler les demandes, c'est mieux.

Encore une preuve que ''Princesse Mahun'', c'est pas près d'arriver hein ?

'' Les mariages politiques ne sont jamais bons à prendre, petite sœur. De tous ceux que j'ai pu officier dans ma courte carrière...Ce sont ceux arrangés des nobles qui m'ont fait, et me font encore, le plus de mal. Unir deux personnes comme ça, qui ne s'aiment pas, parfois, ne s'apprécient même pas, c'est pesant. C'est l'amour des gens plus simple qui m'émeut le plus. '' Elle arriverait même à en comprendre le succès des livres qui sont si chers à Sabia, si ça traite de l'exact opposé. '' Même dans l'hypothèse, ça reste une mauvaise idée. L'un sera accusé de ne plus différencier le Culte et la régence du Royaume, l'autre de promouvoir sa doctrine en passant par le gouvernement...On en sortirait pas. '' Se sentant beaucoup trop sérieuse pour comment sa sœur désire la voir, il fallait en rajouter une couche. '' Et puis, un jeunot comme lui n'a rien à faire avec une croulante comme moi. Toi, par contre, tu as encore toutes tes chances ! A moins que tu ne préfères lui ? ''

D'un signe discret de sa dextre, elle pointa vers un jeune homme tout en continuant de boire son thé de sa main opposée, pour prétendre être discrète. Il n'avait rien de bien spécial, et elle ne se rappelle pas l'avoir déjà vu dans le coin, ce qui en fait une cible doublement idéal, puisqu'il semble complètement plongé dans son récit, et Nephali pourrait jurer avoir déjà vu cette couverture entre les mains de Sabia.

'' Si ça se trouve, il est comme toi. '' Elle imita sa sœur ; elle prétendit défaillir, main sur le front. '' Oooh, deux jeunes idéalistes, pleins d'amours, sans personne à qui le donner, qui se trouvent et se découvrent, ça doit être si beau ! ''

C'est beau, jusqu'à ce que la cadette dise ''ah ui mais non ça ce que tu dis je connais, c'était le sujet de un-livre-de-mon-autrice-préférée, c'est mon livre préféré, avec autre-livre-préféré''. C'est le seul petit truc énervant chez Sabia. Vu qu'elle se rappelle de tout, elle pense à tout, a souvent raison, et a souvent le dernier mot.

Se rendait-elle bien compte de tout ce qu’elle disait? Oui, plus ou moins, c’était aussi qu’elle était un peu exubérante dans ses mots et ne réfléchissait pas toujours trop avant de laisser les mots sortir de sa bouche. Ce n’était pas pour autant qu’elle ne s’en rendait pas compte. C’était juste que son carcan moral était légèrement trop influencé par ses nombreuses lectures et ses expériences assez peu usuelles. Il fallait dire qu’elle avait été majoritairement laissée à elle-même dans sa jeunesse et n’avait pas vraiment pu bénéficier des conseils et de l’éducation avisé d’un adulte responsable. Enfin, pas plus que cela.

Levant son doigt pour l’agiter négativement devant la remarque de sa grande soeur, elle ne pouvait pas laisser passer une telle excuse sans réagir.

« Non non non non. Imagine si la petite sœur est mariée et a des enfants avant la grande? Pour quoi tu vas passer? Une femme à chats! Une vieille sorcière amère! Tu as une réputation à tenir aussi! »

Et aussi, surtout, Sabia devait avouer que les hommes ne se bousculaient pas vraiment au portillon. Très loin de là, même. Elle n’était clairement pas aussi bien que les filles dans les romans, les discussions ne se passaient jamais de la même façon - surtout parce-qu’on son esprit partait souvent bien trop loin. Et Sabia était bien plus une fille bizarre et assez peu désirable dès qu’on apprenait à la connaître plutôt qu’une partenaire potentielle… Le fait qu’elle soit aussi capable de vous rappeler le moindre geste même après des mois n’aidait pas, évidemment.

« Et puis, la lettre de Frère Tuck, honnêtement, elle est fade. Sa prose est faible et ses intentions un peu douteuses. Même à toi, je ne l’aurais pas présenté. »

Elle sélectionnait tout de même un minimum les candidats potentiels. Même si sa grande soeur n’en avait peut-être pas l’impression, Sabia ne s’embêtait pas avec beaucoup de gens et essayait de déjà prendre au moins ceux qui avaient l’air sympathique, et partageaient un centre d’intérêt avec elle - que ce soit le travail ou les petits familiers mignons par exemple. Ca ne collait par contre que très rarement, parce-que les rendez-vous arrangés du genre où les deux partis ne savaient pas que c’était censé être un rendez-vous galant, c’était difficile à faire virer dans la bonne direction.

« Puis, les mariages arrangés, c’est nul, en effet. Mais je ne parle pas d’un mariage arrangé, là! Et puis même s’il est arrangé ça ne veut pas dire que l’amour ne peut pas naître! Vous avez l’air de marcher pareil, Le Prince et toi, peu importe la différence d’âge. Et puis tu es dure avec toi-même, quand je vois ça, je dirais pas que t’es une vielle carne. »

Et par ça, elle désignait bien sûr la paire d’atouts tout à fait remarquable de son aînée qui avait été plutôt gâtée par Lucy. Elle avait de quoi faire tourner des têtes, surtout de petits jeunes comme le prince. C’était un fantasme assez répandu, de tout de façon, les femmes plus âgées. Même si évidemment dans le cas du Prince ses fantasmes étaient parfaitement inconnus de tous vu sa réserve et sa froideur sur le sujet des femmes ou des hommes. Si ça se trouvait, d’ailleurs, il préférait les hommes, mais sa famille s’y refusait de tout coeur parce-que deux rois ce n’était pas possible? Et qu’il fallait un roi et une reine? Mais du coup, si l’un des deux se travestissait, est-ce-que ça ne marcherait pas tout de même? Beaucoup de questions dans l’esprit fertile de la sœur de Lucy… Trop peu de réponses.

« Et puis peu importe de ce qu’ils pensent que le royaume et le culte n’ont pas à être liés, le vrai amour ne se soucie pas de ces critiques politiques superflues! »

De son côté, elle s’imagina d’ailleurs princesse un moment. Princesse, ça sonnait bien, en effet. Elle était aussi un peu plus vieille que le prince mais déjà bien plus dans son âge. Néanmoins, ne plus pouvoir profiter de ses livres en paix avec un garde royal aux fesses sans arrêt, ce n’était pas super intéressant. Et puis, toutes les responsabilités du poste, tout le travail, les choses à se rappeler en permanence, devoir commander des gens… Elle ne s’y voyait pas. Surtout avec un mari qui était bosseur et coincé, c’était assez loin du prince charmant idéal.

« Tu m’imagines vraiment avec le Prince? Si ça arrive, demain, le Royaume s’effondre. »

Elle ria légèrement, n’imaginant même pas le chaos qui arriverait quand une pile de documents super importants se retrouveront couverts de thé ou d’une part de tarte à la fraise et à la crème pâtissière. Non, clairement, si le simple titre de Princesse était intéressant, elle n’était pas certaine que le rôle lui soit réellement adapté. Elle n’arrivait déjà pas à susciter le respect de ses collègues dans le culte, alors celui de tous les citoyens du royaume…

« Ah, et, lui là bas c’est le nouvel initié, Romain Klim, je crois. Il est là depuis à peu près un mois, pas sûre que tu l’ais déjà croisé. Mais il passe souvent étudier ou juste bouquiner à la bibliothèque du temple. Il a déjà une petite amie, elle s'appelle Charlène. J’ai mes sources. »

Haussant les sourcils pour se vanter un peu comme la madame Je-Sais-Tout qu’elle était, elle n’était pas si facile à taquiner que ça, en effet. C’était certes un lecteur aux choix de livres intéressants, mais Sabia ne cherchait même pas vraiment pour elle-même de compagnons de tout de façon, même si elle ne pouvait pas nier que ce serait bien. Sauf qu’elle n’allait clairement pas briser un couple pour construire le sien, c’était hors de question.

« D’ailleurs, vu qu’il n’a même pas l’air d’avoir remarqué que tu étais là, ce serait bien que tu ailles lui faire une surprise, lui souhaiter la bienvenue dans nos rangs! Vu que tu voyages beaucoup, il ne t’a pas encore vu je crois, et ça lui fera sûrement plaisir! »

Pas de tentative de les mettre ensemble cette fois-ci, bien évidemment. C’était vraiment une idée et une remarque tout à fait innocente et mignonne. Bon, allait-il vraiment apprécier de se faire surprendre avec ce genre de livre en main par la Grande Prêtresse en personne…? Certainement pas. Mais ça, Sabia n’y avait pas vraiment pensé.

'' Oh, non, je ne voudrais pas...Et puis, tu sais quoi ? Allons lui passer le bonjour. Ça ne me fera pas de mal de connaître les nouvelles têtes. ''

''Et ça ne te fera pas de mal que d'arrêter de vouloir me caser avec tout le monde''.

Sur ce, d'un geste lent mais assuré, Nephali s'extirpa de sa chaise, passant nonchalamment ses paumes sur sa robe, puis sourit à sa petite sœur jusqu'à ce qu'elle daigne également se lever pour l'accompagner, dans ce comportement, la Grande Prêtresse passe presque pour la petite du duo, ici, à attendre poliment que la grande Sabia vienne avec elle, toute timide qu'elle n'est absolument pas. Après tout, c'était pour la voir elle, qu'elle était venue entre deux déplacements, pas pour les nouveaux initiés, avec tout le respect et l'affection qu'elle ressent pour ses derniers, ils rentrent et sortent comme bon leur semble et ils sont bien nombreux. Alors qu'elle, elle n'a qu'une seule sœur.

Qu'une. Seule. Soeur.

Au moins ne se verra-t-elle pas forcée à un énième rendez-vous traquenard, la verte reste loin, bien loin d'avoir envie de connaître les sources de Sabia quant aux différents couples qui peuvent exister au sein du Temple ; entre les nobles ; entre les gens, bref, toutes les choses auxquelles la cadette semble plus tenir que son aînée. Qui dit que devenir une femme à chats est une mauvaise chose ? C'est mignon, les chats. Plus que certains hommes et certaines femmes qu'elle a pu croiser dans sa vie. Sa lignée en est témoin ; rencontrer quelqu'un, tomber amoureux, peu détruire votre vie familiale ainsi que vote carrière. Donc, un mariage arrangé, très peu pour elle, la trentenaire ne se voit pas s'épanouir à côté de quelqu'un d'autre que Lucy. La jeune Mahun semblait partager cette vision de la chose, elle était rassurée sur ce point déjà, pas de bague passée au doigt pendant la nuit.

En quelques foulées, les deux femmes se retrouvèrent à côte de ce certain Roman Klim. Oui, Nephali avait eut à redemander son nom à la Soeur sur le court trajet, écoutez, on ne peut pas emmagasiner un nombre colossal d'informations sur la politique, la religion et la vie diverse et variée en Aryon et les patronymes de tout ce qui lui passe sous le nez. Quelqu'un le peu, mais elle triche, c'est pas pareil. Même à quelques mètres de lui, debout au coin de la table, le jeune homme ne semblait se préoccuper de la présence de deux femmes aux cheveux verts si proches de lui, assidûment plongé dans sa lecture qu'il était. Autour, les têtes s'étaient pourtant levées et les messes basses suivaient l'agitation des Mahun. Ça doit être une lecture bien palpitante, pour n'en lever le nez ainsi ! Sans doutes de grands édits religieux, un recueil d'histoire ou, oserait-elle, un ouvrage sur la faune domestique originaire du village perché ? Approchons un peu la tête, observons mieux, pour voir de quoi il en est !

…

Oh, non.

Oh, par Lucy, vraiment, non.

Elle avait déjà assez de Sabia, quel genre d'épidémie était-ce que ceci ?

Du nom, on pourrait croire à un livre sur l'art, ''Quarante nuances de Bleu'', ça fait très ''Je dessine des paysages avec des ciels immenses car j'ai une certaine sensibilité émotive''. Sensible de bien autre chose, émotif de rien, oui. Rien était interdit aux pratiquants du Culte, mais bon, cette couverture ressemblait bien trop au genre d’œuvres qui ornent la bibliothèque personnelle de Sabia. Une redondance malvenue, pour une femme qui apprécie la nouveauté, l'aventure et la découverte. Allez, il fallait bien le sortir de sa transe, elle comptait bien se présenter, après tout.

'' Bonjour à vous, Initié Klim. ''

'' Hm ? Bonjour à – je quoi hein qu'est ce que je pardon mais je sais que désolé oups qu'est ce que - ''

Quel rafraîchissement et amusement, que de voir ce jeune tout gêné, tout apeuré, essayer tant bien que mal de cacher sa lecture, balbutier, devenir rouge. Le genre de réactions auxquelles elle avait eu le droit, au début. Passées très vite aux ''C'est encore un livre de ce genre là ?'' ''Oui'' ''Tu devrais pas...Diminuer ?'' ''Non menffou''. Oh, pas que c'était bien grave, plus un côté offusqué surjoué pour la forme et garde cette private joke entre eux. Rien n'est répréhensible ou interdit, il faut juste savoir composer avec sa propre honnêteté, ou à défaut, sa propre honte. La verte ressentait beaucoup d'empathie pour ce jeune initié qu'elle avait indirectement mit sous le feu des projecteurs.

'' Sainte Mahun, je, non, je peux tout expliquer, en fait, vous voyez, c'est que du coup, et puis après - ''

'' Allons, allons. '' Il était complètement paniqué, bégayant, hésitant. Alors qu'elle voulait juste dire bonjour et bienvenue. Elle tendit une main ouverte vers lui, toute souriante. '' Ce n'est rien, vous savez ? Ce n'est une honte que si vous la laissez en être une, et il n'y a rien de honteux ! Vous n'êtes manifestement pas le seul à s’adonner à de telles lectures, et il n'y a pas de mal ! ''

Dans la pièce, l'ambiance devenait...Différente. Au plus Nephali parlait, au plus les gens qui pouvaient être réceptifs à ce discours se sentaient encouragés. Si vous avez rien à cacher et n'avez aucune honte particulière, vous sentirez juste un picotement agréable, la sensation qu'il se passe quelque chose, rien de plus.

'' Je souhaitais juste vous souhaiter solennellement la bienvenue parmi nous, en tant que Grande Prêtresse, et espère que vous saurez trouver tout ce que vous désirez chez nous. ''

'' Oh, je, eh bien, c'est tout à fait aimable de votre part, euh, Sainte Mahun. En vrai, ahah, d'habitude, c'est pas trop mon type de lecture. Juste...Ça va pas trop, avec Charlène en ce moment, elle m'a conseillé de lire ça et...Non, c'est ridicule, pardon, euh, quoi, je ne veux pas vous faire perdre de temps, Sainte Mahun... ''

'' Ridicule ! '' Il n'y avait pas de petit ou de grand problème, que de petite et de grandes solutions, de petites et grandes oreilles prêtes à écouter. '' Quelle est l'origine de vos soucis ? '' Il y avait étrangement de nombreuses oreilles indiscrètes prêtes à écouter, et Sabia n'oublierait aucun mot de ce que cet homme pourrait dire. Visiblement, la mention de Charlène avait fait lever des têtes. '' Je suis toute ouïe ! ''

'' Eh bien, en fait...C'est surtout au lit que... ''

Oh, par Lucy.

Peut-être que ce n’était jamais vraiment l’idéal, quand vous êtes tranquille à votre boulot, d’envoyer la patronne débouler dans les locaux et mettre ses yeux sur tout ce que vous faites. Heureusement, Sainte Mahun n’est pas vraiment de celles qui allaient vous envoyer devant un conseil disciplinaire pour si peu, même si elle avait ce regard, cette attitude, ce comportement qui faisait que beaucoup de gens se faisaient dessus. Sans raisons particulières. Juste, un certain charisme, pourrait-on dire.

Le pauvre Klim fut donc surpris en pleine lecture douteuse - ce qui laissait à Sabia une solide impression de déjà-vu. La verte, elle, assumait à moitié la chose. Sa sœur était largement au courant de tout de façon alors un peu plus ou un peu moins. Alors certes, Sabia n’était pas la seule, mais ce n’était pas comme si toute la bibliothèque du Culte s’adonnait à de telles activités non plus. Ils restaient assurément minoritaires. Et, si beaucoup ne venaient pas forcément pour se cultiver, il y avait bon nombre de fictions passionnantes et prenantes également. Sabia décida tout de même de s’effacer derrière un rayon rempli de livres, même si ce n’était pas comme si Romain la remarquerait de tout de façon, tout obnubilé et gêné qu’il était. Néanmoins, alors qu’il se lança dans une réponse fort gênante. Alors oui, c’était bien de pouvoir parler de tout avec la Grande Prêtresse, mais le souci principal était que dans la bibliothèque, elle attirait beaucoup trop l’attention.

Bondissant hors de sa cachette, Sabia plaque ses mains sur les épaules du pauvre initié d’un coup sec, petit sourire à moitié crispé sur les lèvres.

« Je n’aime pas faire la garde de la bibliothèque, mais n’oubliez pas que c’est un lieu de calme avant tout, initié Klim… »

Elle avait chuchoté, évidemment, contrairement à lui, avant de regarder rapidement autour d’elle, alors que certains des occupants visiblement avides de rumeurs et autres ragots à se mettre sous la dent firent soudainement mine de se replonger dans leurs lectures respectives. La verte retira alors ses mains pour se glisser plus proche de sa grande sœur.

« Et cela vaut pour t…vous aussi. Vous pouvez tous les saluer ici évidemment, mais dans le calme~ »

Ce n’était pas tous les jours qu’elle pouvait recadrer sa grande sœur, mais là, elle marchait sur son territoire, son repaire, son antre. Alors d’accord, c’était son idée à la base, mais elle n’avait jamais dit d’en faire tout un raffut! Elle était un peu le dragon de cette caverne, celle qui la connaît dans les moindres recoins et pourrait vous citer la collection complète de tous les livres présents dans l’endroit avec leur année d’arrivée. Presque. Quelques-uns mal archivés lui échappaient encore, mais le travail était titanesque. Toujours était-il que si pour un dragon, elle n’était pas tyrannique, c’était tout de même son travail que de veiller à ce que ces lieux restent des lieux de quiétude et de travail pour ceux le souhaitant - ou de loisirs silencieux pour les autres. Si l’entrée un peu à l’écart permettait tout de même de discuter, le cœur de la salle de lecture se devait de rester silencieux au possible.

« Vous pourrez toujours lui parler de tout cela en dehors de la bibliothèque, initié Klim! »

Nouveau petit sourire, Sabia s’éclipsa à nouveau vers l’entrée, derrière son comptoir d'accueil, laissant à nouveau les occupants de l’endroit vaquer à leurs occupations. Même si leur attention restait plutôt dirigée vers la personnalité importante qui avait fait irruption dans l’endroit que vers leurs livres et parchemins.