- Y a pas idée de bâtir un temple au sommet d’une colline ! Cria Lunar en ouvrant les grandes portes d’entrée d’un coup de pied désinvolte. J’ai vu une vieille dame, ou chimpanzé c’était difficile de déterminer, s’évanouir de fatigue en montant !
Prise par surprise en raison de l’irruption fracassante du scientifique, Aouda poussa un petit cri et laissa tomber la caisse d’eau sacrée qu’elle était en train de transporter, répandant son contenu sur le sol. Certaines bouteilles se brisèrent, laissant l’eau s’écouler sur le dallage tandis que la jeune femme, éberluée, se précipitant sur le sol pour réparer les dégâts et ramasser le verre avant que quelqu’un ne se blesse. Un autre religieux, au détour d’un couloir, restait là bouche bée alors qu’un fidèle en soutane manqua de glisser sur une dalle humide. Lunar fixa le religieux en pinçant les lèvres.
- Hm, j’allais pour un effet spécifique mais je crois que ce n’était pas trop ça, dit-il sur un ton ennuyé. Ceci dit, il y a vraiment quelqu’un d’évanoui sur le chemin dehors.
Il baissa enfin la tête vers Aouda, toujours au sol, avant d’arquer un sourcil.
- Par la Lune, qu’est-ce que vous faites par terre ?
- Vous… s’écria-t-elle, médusée. Vous m’avez fait tomber !
- C’est faux, je viens d’arriver.
- Mais en entrant vous…
Lunar la fixant un long moment, sourcils froncés, avant de déclarer :
- Fort bien.
Tournant les talons, il s’engouffra dans le couloir duquel l’autre religieux, un type barbu au crâne chauve, n’avait toujours pas bougé d’un pouce. Le Fay ne savait pas vraiment où il allait, mais connaissait sa destination. La grande prêtresse Nephali devait le recevoir, du moins c’est ce qu’on lui avait dit. Lunar ne se rendait pas au temple de Lucy par pénitence ni par foi, il agissait selon l’agenda de l’Académie des Sciences qui l’avait chargé de s’entretenir avec la pontife dans le but de documenter sa vision et interprétation de la foi. L’Académie procédait à un tel travail de compilation à chaque nomination d’une nouvelle grande prêtresse et venait aujourd’hui le tour de Nephali. La théologie n’intéressait pas spécialement Lunar, ce dernier toujours resté loin de la religion. Mais il se devait d’accomplir son devoir d’érudit et d’aller parler avec la prêtresse, quand bien même il aurait préféré ne pas gravir la colline sur laquelle avait été bâti le temple. Il évoluait donc dans les couloirs, au hasard, analysant tout ce sur quoi il tombait. C’est ainsi que l’académicien surprit deux fidèles briser leur jeûne en dégustant des parts de pain d’épice ; ils en furent bien honteux en constatant qu’ils avaient été découverts. Il aperçut également un soot assis sur le parapet d’une fenêtre, regardant le paysage, un morceau de pain dans ses petites mains. En poussant une porte choisie aléatoirement, il tomba sur un frère assis sur les latrines, une iconographie cochonne entre les mains.
- La Grande Prêtresse, c’est par où ? Demanda Lunar, flegmatique.
- Euh… deuxième couloir à gauche, puis à droite et après c’est tout droit.
- Vous devriez consulter, c’est pas normal que ça sente l’huître au parmesan comme ça.
Lunar claqua la porte, laissant l’homme d’église à son affaire, et se remit immédiatement en route. Lassé de tourner depuis une dizaine de minutes dans ces corridors, il soupira bruyamment en agrippant sa canne pour avancer plus vite. Il passa devant une classe d’initiés en plein travail d’écriture, n’entendant que le crissement de leurs plumes sur leurs rouleaux de parchemin. L’un d’eux, le plus notable de la classe, était un hybride imposant que Lunar détermina être un chouettours. Il dépassait ses camarades de plus de cinq têtes et avait l’air ratatiné sur son petit bureau, ce qui lui donnait un air légèrement ridicule. Lunar passa rapidement pour ne pas les déconcentrer avant d’arriver au long couloir que le frère lui avait indiqué. Il ignorait s’il s’agissait du bureau de Nephali ou d’une autre dépendance mais étant donné qu’il devait trouver la prêtresse, il n’allait pas tergiverser plus que de raison. S’armant de son pupitre flottant, son porte-documents et sa fidèle scribouilleuse verte acide, le jeune homme prit la plume pour la passer entre ses lèvres avant de la laisser en suspension, lévitant au-dessus du papier.
- Entrevue avec la Grande Prêtresse Nephali Mahun, Lunar Le Fay, pour l’Académie des Sciences, commença-t-il à dicter alors que la plume s’activait sur le papier.
Il était envie arrivé devant la porte réajusta ses cheveux et posa sa canne au sol, la faisant claquer sur le dallage de pierre.
- Voyons voir ce que l’on peut tirer de sa foi, au nom de la science…
Sabia essayait tout de même de lui être utile au mieux, gérer quelques documents, passer dans son bureau déposer ceux qui avaient besoin de son attention en donnant d’éventuels détails importants qui allaient avec. Bref, elle tentait d’aider à l’organisation pour lui faire gagner un peu de temps. Parfois, quand elle était au temple, et la Grande Prêtresse aussi. Deux événements pas si faciles à faire coïncider que cela, mine de rien, tant Sabia se retrouvait souvent dans les bibliothèques à l’autre coin du Royaume.
D’ailleurs, la petite verte profitait de sa présence dans le bureau de Nephounette pour prendre les documents bons à archiver avec elle, en une petite pile qu’elle tenait contre elle avec ses deux bras. Pas si imposante que cela, elle aurait pu n’en nécessiter qu’un seul si Sabia n’était pas si frêle. Un petit signe de tête à sa grande soeur, lui laissant entendre qu’elle repartait ranger tout ça et allait faire de son mieux pour ne pas se casser la gueule sur le chemin et disperser toutes les feuilles dans le temple, et elle se mit en route.
Devant la porte du bureau, un peu mal fermée, elle choisi donc la solution de facilité puisqu’elle avait les mains prises, et posa son pied sur le bois ayant traversé déjà de nombreuses années, avant de pousser d’un bon coup sec.
* Comment ça, bonk? * pensa-t-elle un court instant alors que la porte vibrait encore du choc avec le crâne de la pauvre personne qui se trouvait derrière, dans un bruit légèrement sourd. Les portes, en général, ne faisaient pas tellement ce genre de bruits d’elles-même quand on les poussait. Même un peu brutalement. Sabia passa la tête par la porte maintenant largement entrouverte, avant de laisser échapper un petit hoquet de surprise.
« Euhm… Monsieur? Ça va bien…? »
Ca n’avait pas tant l’air d’aller que cela, en même temps, quand on se prenait une porte en bois massif dans la tête, même si ce n’était pas mortel, l’expérience était assez rarement agréable. Sabia se retourna rapidement vers sa grande soeur avec cette tête qu’elle faisait quand elle venait de faire une bêtise, même si elle n’avait clairement pas fait exprès. Si encore cela avait été un frère ou même un prêtre, ça n’aurait pas été si grave que cela. Mais lui n’avait pas vraiment une tête de fidèle de Lucy.
« D…Désolée! I…Il faut pas rester derrière les portes comme ça! Parfois elles s’ouvrent! »
Forte de cette glorieuse lapalissade, Sabia se coula de l’autre côté après avoir déposé sa pile de papier sur le sol sans faire plus de conneries, ce qui était déjà un miracle en soi. S’agenouillant rapidement, elle vérifia qu’il n’avait rien de grave d’autre qu’une belle bosse qui allait apparaître sur son front bientôt.
« Vous voulez un pansement? Un baume pour apaiser la douleur? »
Après tout, elle avait ça en stock, ce n’était pas une denrée si rare que ça dans le temple. Beaucoup de frères étaient formés un minimum à la médecine ou à ce genre de préparations. Elle-même savait les faire, même si ses bras ne suivaient pas toujours les instructions gravées dans sa tête. Peut-être ne prendra-t-elle pas un des siens cette fois-ci, elle avait déjà causé assez de catastrophes comme ça…
La Grande Prêtresse eut du mal à prononcer cette phrase, au moins tout autant que garder son sérieux s'était trouvé difficile. Au delà de l'adorable maladresse de sa petite sœur, elle pouvait aussi sortir les phrases les plus évidentes du Royaume ; celle qui est capable de dire avec un visage fermé et sérieux que ''j'ai été me baigner, et maintenant, je suis trempée. L'eau, ça mouille''. Son histoire de porte était des plus similaires.
Encore une fois, elle avait passé la journée dans son bureau. Seule Lucy sait à quel point ce n'est pas la tâche qui incombe à son rôle qu'elle préfère. Au moins avait-elle déjà en tête sa prochaine destination, alors que la verte revenait tout juste, en soit, de sa dernière expédition. Dans un coin paumé, entre la capitale et le grand port. Dire qu'elle y fut mal reçue serait mensonger et calomnieux, avancer que la populace avait été réceptive à son arrivée et ses mots par contre, serait présomptueux. Il faut persévérer, ne pas se dire que toutes ses excursions ne sont que coups d'épée dans l'eau. De l'ambition et de l'acharnement, elle en possède à en revendre, ce n'est pas ce côté là qui pèche. Qui aurait cru qu'il était plus facile d'écouter une prêtresse que la Grande Prêtresse ? Beaucoup la pense moins proche du peuple qu'avant, du fait de ses responsabilités croissantes et du temps supplémentaire qu'elle doit passer au temple, dans son bureau, aux réunions. C'était fatiguant, mais le travail rend libre.
Et puis, elle n'était pas seule. Cadette qu'elle est, elle peut toujours compter sur sa benjamine, de nouveau, Sabia prouvait encore une fois qu'elle était une personne important du Culte, au delà de sa position de ''petite sœur de la Grande Prêtresse'', parfois au grand dam de Nephali ; qui n'a aucune envie de voir sa famille se tourner en sortes de secrétaires pour elle. Régulièrement, elle lui apportait les documents, les ramenait, les classait, les rangeait, les faisait tomber dans les couloirs, en perdait un bon cinquième que Nephali refaisait directement avec son sourire habituel.
Après, c'est mieux quand elle assomme personne.
Ça se prends, en vrai.
D'un mouvement peu rapide, mais assuré, la trentenaire se sortit de son fauteuil, ne manquant pas de bien ranger sa plume au préalable -moins maladroite que Sabia, rajouter problème sur problème, et ça fait pierre qui roule, si on pouvait éviter...-, elle s'approcha, sa longue robe blanche à peine flottante du fait de sa calme foulée. Des cheveux verts lui barraient le visage, elle les recala derrière ses oreilles, dévoilant ainsi des traits certains de fatigues, sous et dans ses yeux couleur émeraude, son travail n'est pas de tout repos. Elle n'avait pas eu le temps de voir l'infortuné ; de fait, la porte était bien ouverte, mais une petite aux cheveux similaires aux siens restait plantée entre sa grande sœur et l'individu. Une fois à leur niveau, Nephali s'abaissa un petit peu, pour poser sa dextre sur l'épaule de Sabia, tout en douceur, en toute bienveillance.
'' Ma sœur, va chercher ce qu'il faut au cas ou. Il devrait y avoir de tout dans le tiroir du bureau, à droite. '' Elle semblait circonspecte. '' Oh, j'ai toujours une petite trousse. Tu m'aides souvent, et je sais combien tu es...Malchanceuse. ''
Maladroite ; casse-gueule ; pataude. Tous ces mots semblent si négatifs, pourtant, ils lui apportent tellement de charme.
'' Et fait attention aux documents qui tu as posés par te- ''
Bon, ils étaient déjà en train de voler dans la pièce. Gauche ; empotée ; malhabile. Enfin, la Grande Prêtresse pu se retrouver face à terre avec le visiteur, équipé de tout ce qu'il faut pour écrire. Un journaliste ? Elle n'avait pas entendu parler de la visite d'une quelconque personne, pourtant ? Ce n'est pas une occasion pour laisser un homme à terre. Nephali serait plus apte à aider l'écrivain à se redresser, bon, elle reste plus petite que lui, mais toujours plus que Sabia.
'' Permettez-moi au moins de vous aider, veuillez excuser ma sœur, elle n'a vraiment pas pu faire attention. '' Elle fit du mieux qu'elle pouvait. '' Je vous laisse faire le plus gros du travail, j'aurais pas la force de vous remettre moi-même pour vous rétablir. Vous allez bien ? ''
L'homme n'avait pas l'air de très bonne humeur, pestait, ce qui est sur, c'est qu'elle ne l'avait encore jamais croisé au temple, pas un prêtre, ni un frère, un fidèle ? Qui viendrait récupérer certains mots de la Grande Prêtresse ? Par Lucy, quelle glorieuse première impression ! Bien vite, elle se retrouva un peu rouge, moins que Sabia ne l'ait jamais été, mais ce n'est pas une situation très glorieuse. Une fois la personne solide à nouveau sur ses appuis, elle se décala, lui laissant suffisamment d'espace, indiquant tout de même d'un léger mouvement de ses bras une chaise disponible et confortable sur le côté de la petite pièce, bien éclairée, superbement entretenue, avec de nombreuses bibliothèques contenant livres, recueils
'' Vous désirerez un thé ? Une autre boisson, peut-être ? ''
Elle ne se voyait pas s’asseoir immédiatement, restait en périphérie, entre Sabia et cet homme. L'idée de l'accabler de questions n'était pas plaisante, de toutes manières, le temple est loin d'être une caserne ou le palais ; y rentrer ne relève pas de l'impossible, et Nephali n'est pas une ministre ou une femme de la famille royale ; les rendez-vous ne sont pas nécessaires la plupart du temps dans le Culte de Lucy pour obtenir une entrevue, et la verte met un point d'honneur à être le plus accessible possible.
'' Que puis-je faire pour vous ? J'espère que votre route fut courte, et vos pas protégés par la Déesse. ''
Lunar, fouillant dans sa chaussette sans fond, en ressortit un petit pot qu’il ouvrit prestement, révélant un onguent aussi blanc et onctueux que de la crème. Prenant une noisette de la pommade sur le bout de ses deux doigts, le jeune homme appliqua la substance pâteuse sur son front avant de l’étaler jusqu’à ce qu’elle ait bien pénétré sa peau. Achetée lors du dernier Solstice alors qu’il était passé au Village Perché, en même temps que toute une cargaison de nécessaire de potions, cette pommade était miraculeuse sur les blessures du quotidien pour éviter hématomes et disgrâces saillantes. Massant l’endroit où il avait été heurté, le scientifique s’assurait que l’onguent soit parfaitement étalé avant de ranger le pot médicinal là où il l’avait sorti. Il n’en revenait pas de voir une apprentie aussi empotée au service de la Grande Prêtresse ; une armée de religieux à son service, prêts à répondre à ses moindres désirs et elle avait décidé d’élire une imbécile comme elle. Le sol était, en plus de cela, jonché de feuilles volantes et de parchemins, recouvrant le tapis de laine tressée de blanc et de jaune alors qu’un fusain solitaire roulait en dessous du bureau de la hiérophante. Chuchotant quelques mots à sa scribouilleuse, Lunar faisait mine d’être occupé pour ne pas aider l’autre maladroite et la laisser misérablement nettoyer le fruit de ses bêtises. Il balaya d’un revers de la main le choix de boisson que lui proposait Nephali :
- Du thé, voyez-vous cela ! Dit-il en arquant un sourcil en direction d’ornements posés sur une étagère. Et moi qui pensais que vous seriez susceptible de me présenter une boisson artisanale faite par le temple… Le thé est ennuyeux quand il n’est pas consommé en toute solitude, surprenez-moi.
Affichant un sourire mutin à la pontife, Lunar se satisfaisait de la situation, attendant avec hâte de voir ce qu’elle pourrait bien dégoter et lui servir. Attrapant un fauteuil, l’académicien se posa dessus, prenant bien soin de caler l’un des pieds sur un des parchemins tombés au sol, prenant un malin plaisir à tourmenter la demoiselle qui avait osé le blesser. Posant son regard perçant vers Nephali, Lunar se demandait si elle n’avait véritablement aucune idée des raisons de sa venue, ou si elle feignait l’ignorance et le prenait pour un imbécile. Serrant le pommeau de sa canne alors qu’il croisait ses jambes, le jeune homme marqua une pause en plissant les yeux, comme s’il essayait de la sonder jusque dans son âme. La prêtresse était parfaitement apprêtée, vêtue et coiffée comme si sa vie était une cérémonie permanente dans laquelle elle devait constamment se produire. Il soupira, rouvrant les yeux avant d’ordonner à sa plume à papotte de ne rater aucune miette de l’échange qui allait commencer.
- Lunar Le Fay, académicien pour l’Académie des Sciences, que je représente. J’ai été mandaté par le directeur Pendragon pour assurer la pérennité d’une certaine… tradition. Depuis la fondation de l’Académie, la vision et interprétation de la foi de la Grande Prêtresse est recueillie puis compilée dans nos archives, tant par souci de mémoire que par prévenance sécuritaire. Personne ne veut d’une figure d’autorité religieuse.
L’académicien jetait divers coups d’œil à ce qu’écrivait sa scribouilleuse, le vert acide de la plume détonnant sacrément avec la décoration de la pièce. À terre, il restait encore de nombreuses feuilles à ramasser. Ranger ces dossiers une fois le dallage nettoyé serait un véritable calvaire tant ils s’étaient éparpillés aux quatre coins du bureau. Il nota un accroc dans le cuir du fauteuil sur lequel il commença à passer un bout d’index pour s’amuser tout en discutant.
- Je ne suis pas journaliste, je suis scientifique. Et en tant que tel, je ne m’appuie que sur des faits. Je ne laisse que peu de place à la foi, et aucune pour les entités sur-existentielles que vous appelez « dieux ». Néanmoins j’admet que cette… foi que vous prêchez, a un impact considérable sur la psyché des citoyens d’Aryon et sur bon nombre de pratiques.
Non, Lunar n’était pas religieux, très loin de là même. Il avait perdu foi en beaucoup de choses depuis de très nombreuses années. Et si sa famille l’avait élevé dans le respect des traditions divines et ancestrales, il n’avait jamais suivi ces pratiques. Et la fin tragique de ses parents lui avait fait tirer un trait définitif sur ces dogmes auxquels il adhérait déjà difficilement. Il n’avait que peu apprécié d’avoir été désigné pour se charger de cette compilation pour le compte de l’Académie. Le directeur Pendragon essayait tant bien que mal de le rendre plus sociable, en vain, et le poussait ainsi sur des travaux où il aurait droit à du contact et de la chaleur humaine, à son grand désarroi. Tout ce qu’il espérait de cette mission était de ne pas tomber sur une bigote si amoureuse de sa déesse qu’elle lécherait de la sueur si on lui affirmait qu’il s’agissait de la sienne. La dévotion extrême de certains religieux était rédhibitoire pour Le Fiel, qui haïssait ces dérives au plus haut point.
- Nous procéderons dans un premier temps par des questions d’usage. Je veux que vous me parliez de votre conception personnelle de la foi, de votre rapport à Lucy, et surtout comment vous envisagez votre gouvernance vis-à-vis de votre culte. Oh et, je vous en prie, épargnez-moi toutes les futilités du genre « prôner la paix entre les êtres », sauf si vous voulez qu’on l'interprète comme une marque de stupidité manifeste ou si vous souhaitez usurper l’autorité royale.
Posant un pied sur un couple de feuille solitaire, Lunar les poussa discrètement sous le bureau de la prêtresse afin de forcer l’autre jeune fille à crapahuter là-dessous. Comptait-elle rester dans la pièce ? N’avait-elle rien de plus constructif à faire ?
- Ensuite, je veux que vous m’exposiez votre vision sur les différents cultes majeurs ou mineurs du royaume et ce que vous projetez à leur sujet en tant que Grande Prêtresse de Lucy et les rapports que vous comptez entretenir à leur sujet. Ne négligez aucun détail, surtout ceux que vous détestez. Nous avons besoin de ces détails au cas où vous démarriez une cabale violente à leur encontre alors que vous aviez promis le contraire.
Avec tout cela, Lunar attendait toujours sa boisson, le faisant soupirer derechef…
Le brun semblait être assez grognon, alors que Sabia continuait son petit ménage sans trop insister pour les feuilles les plus difficiles à récupérer. Elle aurait tout le temps de les récupérer ensuite, ou bien de les refaire à l’identique sans fautes. Ce n’était pas comme si c’était quelque chose de très compliqué - puisqu’elle les avait déjà vues. Autant dire qu’elle n’allait pas s’embêter à ramper à quatre pattes en étant prête à causer un nouveau drame. Une fois ses documents rassemblés, elle n’allait pas spécialement préjuger des boissons attendues par cet invité amer.
« Au niveau de la fabrication locale, ce n’est pas vraiment notre spécialité, mais l’on a de l’infusion d’Ascléria des jardins du temple en ce moment, puisque c’est la saison, ainsi que quelques jus de fruits. Sinon le reste est importé des villages alentours, comme la bière brassée par Frère Harper, ou le vin du domaine du Temple. Mais c’est très loin d’être notre activité principale, évidemment. »
Il fallait dire qu’ils n’étaient pas particulièrement une chaîne de restauration pour autant, mais la plupart des frères et sœurs de Lucy se trouvaient parfois des occupations annexes comme celle du jardinage ou du brassage qui n’étaient pas les plus rares. Sans compter ceux qui étaient plus intéressés par la zoologie et les familiers, les membres du clergé étaient loin d’être restreints par leur statut. Ce qui était normal, compte tenu du Culte de Lucy.
Quant au cœur du sujet, Nephali se demandait peut-être si c’était vraiment tant une tradition que cela, de voir l’Académie des Sciences débarquer ainsi. Il fallait dire qu’il était assez gonflé dans ses questions et ses demandes, et il n’avait pas l’air d’être là par plaisir. Ce qui était assez triste, d’ailleurs. Ses sous-entendus douteux d’ailleurs laissaient bien entendre qu’il n’avait pas l’air d’être des plus informés sur la nature du Culte et sa position dans la société Aryonnaise. Ce qui était, somme toute, assez normal chez une personne classique.
« La précédente Grande Prêtresse a en effet reçu une visite de l’Académie des Sciences en l’an 956, le cinquième jour du deuxième mois de la saison chaude, soit un peu plus d’un an après sa nomination. Ils ont mis plus de temps à venir cette fois-ci. »
Sabia prit une petite seconde pour se remémorer exactement en quoi l’entrevue avait consisté selon l’archive qu’elle avait lu à l’époque pour se renseigner sur la foi des grandes prêtresses précédentes afin de mieux assister sa sœur. C’était à l’époque de sa grande campagne pour accéder à la place qu’elle occupe actuellement.
« L’entretien portait essentiellement sur sa vision de la foi et ses projets pour le Culte, et en cela on pouvait dire qu’elle est restée assez fidèle à elle-même au niveau de sa conception de la foi, même si les projets ont bien évidemment évolué avec le temps. Ce n’est pas comme si cette entrevue entraînait la moindre contrainte ou obligation d’un côté comme de l’autre. »
A vrai dire, elle était même complètement inutile si on ne comptait pas le document produit qui était un bon instantané de la vision de la tête du Culte à un instant T. Quelque chose d’assez intéressant à étudier après coup pour un fidèle de Lucy. Cela ne disait pas réellement à quoi cela pouvait bien servir à l’Académie des Sciences. Puisque ce n’était pas vraiment leurs affaires. Mais si ça leur faisait plaisir, après tout, elle accordait bien des entrevues à de nombreux fidèles ou infidèles qui venaient parfois avec des demandes bien plus vaines que cela.
« Vous voulez que je reste pour vous éviter de tout noter de votre côté, Sainte Mahun? »
Cette fois, elle avait pensé à la vouvoyer et l’appeler correctement, ce qui n’arrivait pas bien souvent. Ca aurait fait bizarre, de lâcher un tutoiement et un surnom devant un inconnu qui n’était ni habitué, ni au courant.
Ostensiblement, ce dénommé Lunar était loin d'un adepte, ni même d'un grand croyant de Lucy. Soit, elle en voit tous les jours, en croise tout le temps, dans la rue, dans les auberges, du Nord au Sud ; de l'Est à l'Ouest. Enfin, par Lucy, même de simples visiteurs du temple ne sont aucunement religieux, et elle n'y a jamais trouvé de problème, plutôt une opportunité de démontrer l'importance et la grande place de la foi dans la société Aryonnaise, comme le brun l'avait si bien expliqué. Chacun trouve midi à sa porte, certaines brebis égarées ont besoin d'être guidées, c'est en cet édifice religieux qu'ils sont le plus à même de trouver leur berger.
La verte laissait parler le petit teigneux, opinant du chef, notant elle même quelques phrases, quelques mots d'un visage d'apparence distrait, alors que ses yeux émeraude perçaient ceux de l'invité -purement dans le sens ''s'est invité'', entendons-nous-, opinant du chef à intervalle régulière, tant que Sabia serait là, tout devrait bien se passer. Pas que la Grande Prêtresse ait un côté violent, ou à rétorquer froidement et méchamment, comme un chien de garde mal éduqué, c'est bien tout l'inverse, et sa cadette l'a déjà empêchée plus d'une fois de se faire marcher sur les pieds, chose que l'aînée n'assume pas trop à dire vrai, mais il faut ce qu'il faut, une fâcheuse tendance à tendre l'autre joue quand elle sent que le combat est perdu d'avance, face à un adversaire totalement hermétique à ses dires, ses idées et ses croyances, loin du laxisme, juste une indifférence coulant sur elle. Toutes les questions avaient bien été comprises et notées, mais elle préférait attendre d'entendre ce que Sabéboute avait à dire.
Et grand bien lui en fit.
Jamais Sainte Mahun ne se serait permise de penser que la personne en face d'elle se retrouvait à mentir, mais sait-on jamais. Du coup, oui, c'est bel et bien une sorte de tradition qui est perpétuée entre le Culte de Lucy et l'Académie des Sciences. Et, comme elle le pensait initialement, c'est bien une vaste blague, ou chaque côté pourrait lâcher ses ''La Grande Prêtresse a dit ça, vous vous rendez compte ?'' et autres ''Non mais, pour qui ils se prennent, à rentrer comme ça et importuner notre Sainte ?!''. Personne n'a rien a y gagner, c'est vraiment pour l'étiquette, se rendre compte que chacun reconnaît la présence et l'existence de l'autre. Du coup, avoir Sœur Mahun à ses côtés est certainement des plus utiles.
'' Voyons, ma Sœur, je suis sûre que les gens de cette Académie ont fait de leur mieux, au plus vite. Le directeur Pendragon est une personne fiable et compétente, et comme monsieur Le Fay l'a indiqué, le Temple n'est clairement pas la porte à côté pour eux. J'imagine qu'ils ont déjà eu assez fort à faire, avec les événements récents, sans compter ce maudit Désert Volant... '' Elle soupira. Ce n'avait pas été une mince affaire, et un bon coup bas pour la religion de la Déesse, d'avoir un endroit aussi intimidant et invasif apparaître comme ça, et mettre aventuriers et gardes en branle-bas de combat. '' Il faut même que tu restes, ma Soeur. Mais avant, je te prierais de bien vouloir dépêcher quelqu'un pour nous ramener quelques jus et une bouteille de la bière de Harper. Ce sera juste du thé pour moi. Merci bien ! '' Alors que la jeunette s'exécuta, son attention se reporta vers Lunar. '' Ce ne sera pas bien long. ''
Quelques secondes à peine, c'est le temps qu'il fallut à Sabia pour, allez, selon toute vraisemblance : se mettre à gambader dans les couloirs, alpaguer le premier quidam moyen qui a l'air d'appartenir au Culte, le choper par la manche, le secouer, et lui demander de vite vite ramener ce qu'elle demande, c'est pour la Grande Prêtresse et tout, qu'elle a un invité, qu'il faut faire vite, avant de revenir aussi vite qu'elle est partie, pleine de bonne volonté, et n'ayant potentiellement pas écouté toute la commande, ou s'être trompée, dans le stress et la précipitation. Ce ne sont que supputations, si ça se trouve, cela s'est passé à merveille.
'' Ce n'est plus qu'une question de temps avant que vous n'ayez de quoi vous désaltérer comme il se doit après une si longue marche. Je vous propose tout de même de commencer. '' La scribouilleuse de l'académicien semblait sur le qui-vive. '' Je suis Sainte Mahun, mais ça, vous deviez déjà le savoir. Nephali, de mon prénom. A mes côtés, il s'agit de ma Soeur-soeur, Sabia Mahun. Avant tout, je vais bien sur commencer à répondre à vos questions. ''
Damnée soit sa mémoire, loin, très loin d'un dixième de la cheville de celle de l'autre verte. Ses yeux glissèrent vers les notes qu'elle avait prises ultérieurement. Ça reste assez bateau, et il y a moyen de s'amuser un tout petit peu, que ça plaise ou non, elle dira ce qu'elle a à dire, un point c'est tout.
'' Eh bien, tout d'abord, je tiens à prôner la paix entre les êtres. '' La scribouilleuse pouvait l'écrire si ça lui chantait, mais ce n'était là qu'une flagrante boutade légère de la part de la femme. '' Si vous pensez que le Culte de Lucy a un aussi grand impact que ça sur la vie de nos concitoyens, vous m'en voyez flattée et ravie. La vérité est que je passes beaucoup de temps sur les routes, de villes en villes, pour écouter les doléances du peuple, et tenter de renforcer leur foi envers Lucy. Rester statique, à mon bureau, à longueur de temps, c'est loin de ma tasse de thé, et de l'idée que je me fais d'une Grande Prêtresse digne de ce nom. La foi est personnelle, et en accord avec les préceptes de notre Culte, je ne suis personne pour définir ce qui est du recours de Lucy, et de la manière que chacun a de rendre honneur à la Déesse. Tout ce que je veux, c'est que chacun puisse être touché par la grâce de la Déesse, qu'elle leur rende la vie meilleure ; une chose m'importe presque plus que Lucy elle même, c'est de savoir le peuple en de bonnes conditions. ''
Elle tenait vraiment à tout le monde, qu'il soit un pauvre mendiant au coin d'une rue, guenilles dans la gadoue, main tendue dans l'attente d'un petit cristal, aussi noir et opaque soit-il, que celui qui passe à côté, l'ignorant, dans ses beaux habits, se rendant à un immense gala de charité où la moitié de ce qui y est consommable sera jeté, car au bout du énième verre et du trouzmillième petit four, on se retrouve bien plein, trop plein pour se donner la peine de faire la charité. Ces exemples diamétralement opposés font que...
'' ...Ce n'est pas facile tous les jours, par pure transparence. Les aisés donneront volontiers leurs bonnes grâces à Lucy, s'il s'en sentent un minimum redevable et réceptifs aux paroles de notre Ordre. Pour les plus démunis, qui pensent que la chance les a abandonnés, c'est plus minutieux. Comment penser que la Déesse tient à chacun, quand on se retrouve les deux pieds dans la boue, à se demander comment se nourrir le lendemain ? A eux, c'est de croire en quelque chose qui leur redonnerait de l'espoir, qu'il faut. Moult de nos compatriotes ont besoin d'un coup de pouce, une petite aide. Tous ne sont pas débrouillards et les futurs grands pontes du Royaume. ''
A l'inverse de vous et moi, qu'elle aimerait rajouter. Ne pas étaler son grade. Ni sa fierté. Ce sont des préceptes primordiaux du Culte de Lucy, ceux sur lesquels elle marche sur un fil tendu ; tenir ce rôle, elle le désirait ardemment, et la fierté de sa famille ruisselle indirectement sur elle.
'' Si bien que je ne peux empêcher, ou en vouloir, à tous ceux qui se tournent vers des solutions alternatives, comme, entre autres, le Culte des Astres. Mon opinion personnelle est qu'ils font fausse route, et qu'il n'en tient qu'à moi et à mes Frères, Sœurs, Prêtres et Prêtresses de leur inculquer les bienfaits de Lucy, en toute bienveillance. Nous ne nous permettrons jamais d'actes répréhensibles, violents ou haineux. Si leur vision ne peut être changée, eh bien...Je compte en la miséricorde de Lucy pour leur pardonner. ''
Ce n'était pas facile, de répondre à de telles questions, face à un homme si taquin et, d'aucun dirait, un peu rustre, très bonne oratrice, elle n'avait pas perdu de sa prestance pendant cette petite session de réponse, les autres Cultes et les difficultés récentes de celui de Lucy sont des sujets qu'elle préfère habituellement survoler, ou de façon bien plus radicale, ''Oublier de les mentionner'' ou les balayer d'un revers de la main. Rien d'autre que Lucy ne compte ; la plupart des gens s'en aperçoivent. Trop peu s'engagent. C'est là que réside la soucis. Son attitude était toujours aussi parfaite ; son sourire toujours présent, le regard pétillant et rêveur. Le pire étant que ce n'est pas une façade, ce que Lunar pourrait très bien penser, mais bel et bien l'attitude lambda de Nephali lorsqu'il s'agit de parler de son institution.
La scribouilleuse verte se tourna vers son maître et ce dernier jeta un œil au résultat de la dictée. Les paroles de la Grande Prêtresse avaient été parfaitement couché sur le papier, à la moindre virgule, au moindre petit point, pour marquer la plus petite de ses pauses. L’académicien faisait la moue, déçu du discours de la religieuse. Il ne s’attendait pas particulièrement à une révélation personnelle ni à une exposition de la grandeur religieuse, mais il peinait à dissimuler sa déception. La première chose à laquelle pensait Lunar, était tout le chemin qu’il avait fait pour se présenter jusqu’au Temple. Il n’avait même pas pu se faciliter la tâche en empruntant un portail de téléportation. Bien du royaume, inculquer les principes de la foi en Lucy, apaiser les maux et changer le monde en guimauve surplombée d’arc-en-ciel ; Lunar avait presque espéré qu’elle ne lui avoue vouloir renverser les Renmyrth. Avec une sainte avide de pouvoir et de conquête, il aurait pu rentrer à l’Académie en catastrophe et s’en pavaner devant le directeur Pendragon tout en préconisant d’alerter la Couronne sans tarder. Le scandale aurait été total, les retombées drastiques, et le prestige assuré pour l’astucieux Le Fay.
- Vous auriez pu épargner le trajet à votre sœur, je ne suis pas spécialement enclin à boire de la bière. Nous ne sommes pas dans une taverne. Quant à vos jus, je n’ai pas remarqué de verger avant de gravir l’escalier jusqu’au Temple, je suppose que vous devez les faire importer depuis le Grand Lac…
Lunar n’avait réellement soif, ni faim, mais avait souhaité confronter la pontife afin de voir si elle mettait réellement en pratique ses poncifs d’hospitalité religieuse. Pour l’instant, Le Fiel trouvait qu’elle faisait maints efforts pour se parfaire, paraître bien trop honnête. Personne n’était un parangon de vertu, pas même la plus lumineuse des saintes ; Lunar pensait qu’elle devait forcément cacher quelque chose, ou se grimer volontairement en un cliché sur pattes pour bien paraître dans son rapport. Il soupira en relisant les réponses que sa plume enchantée avait écrit. La seule consolation de Lunar était que, peut-être, la grande Mahun avait menti et irait à l’encontre du rapport, tôt ou tard. Ou, au contraire, ferait tout pour s’y conforter et conserver sa bonne image, prisonnière de ses propres réponses. Le scientifique s’apprêtait à reprendre l’entrevue, mais ce dernier fut coupé en plein élan par un éclat de voix provenant de l’extérieur du bureau. Marquant une pause, Lunar tendit l’oreille et d’autres cris retentirent depuis le couloir.
Se levant, le scientifique se dirigea vers la porte et, l’ouvrant en grand, vit au loin un homme en soutane se réfugier à toutes jambes dans ce qui semblait être un placard. Se remettant à écouter avec attention, le jeune homme arrivait à percevoir d’autres haussements de voix lointains, des gens se hâtant et des portes qui claquaient. Quelque chose n’était définitivement pas normal là-dehors. Refermant la porte d’un air renfrogné, Lunar sortit sa chaussette sans fond de sous sa cape et y plongea sa canne à l’intérieur. Trifouillant dans le néant de rangement, il en ressortit un grand bâton de métal blanc au sommet orné de merveilleuses gemmes d’un azur rutilant. L’éclat céleste des pierres était si magnifique qu’on avait presque l’impression d’admirer la voûte céleste rien qu’en les observant. Le bâton catalyseur de Clair de Lune avait beau avoir perdu de sa superbe d’antan, il en restait tout de même un artefact des plus spectaculaire à regarder, un trésor d’orfèvrerie et d’enchantement. Lunar n’en avait pas terminé ; plongeant à nouveau sa main dans sa poche sans fond, l’académicien en ressortit un chapeau pointu bleu de nuit et tissé d’or, pailleté par endroit, le faisant ressembler à une petite nébuleuse de tissu. Le posant sur sa tête, il se tourna alors vers les Mahun :
- Gandalf, le chapeau du directeur Pendragon. Dit-il simplement en fronçant les sourcils.
- Enchanté, mesdames, fit alors le couvre-chef d’une voix solennelle. C’est un immense honneur pour moi de faire votre rencontre !
- Bien, les présentations sont faites. Je crains qu’une créature n’ait réussi à entrer dans votre temple. Avec toutes vos fenêtres ouvertes, le bâtiment est un véritable moulin. Vous voulez briller, Grande Prêtresse ? Alors nous allons changer un peu l’angle de notre entrevue, et vous allez me montrer comment une sainte règle ce genre de problème.
Affichant un sourire mutin, plein de défi, Lunar était néanmoins sincèrement curieux de voir comment la maîtresse des lieux allait se débrouiller dans pareille situation. De même que sa chère sœur ; cette petite maladroite risquait d’être mise à rude épreuve si une bête se baladait dans les couloirs. L’avantage, c’était que le temple était suffisamment petit, cet animal ne pouvait pas être bien massif, autrement il aurait déjà détruit une bonne partie du bâtiment. Mais cela voulait surtout signifier que, bien que petit, le monstre devait posséder certaines capacités magiques en guise de défense, le trouver et le mettre dehors allait s’avérer particulièrement délicat.
- Vous avez de la chance, reprit-il d’un ton malicieux. Je suis expert zoologue et en biodiversité, si vous peinez à vous débrouiller, je daignerai peut-être vous accorder mon aide…
Et, rouvrant la porte, Lunar se tenait prêt, jetant un œil aux deux femmes aux cheveux céladon, agrippant fermement son artefact enchanté dans sa paume.
La sœur de Lucy écouta religieusement le discours de son aînée, qu’elle savait parfaitement honnête, puisqu’elle était réellement ce genre de personnes. Ses mots et sa foi n'atteignaient pas toujours tous les habitants du Royaume, mais ils avaient au moins le mérite d’être sincères et de venir de son cœur. Elle n’imaginait pas vraiment une autre personne au rang de Grande Prêtresse à vrai dire, même si beaucoup d’autres religieux talentueux parcouraient le Royaume. Il fallait dire que les Mahun avaient toujours éduqué leurs enfants dans les préceptes et l’amour de la déesse. Si Sabia elle-même avait dévié sur certains points, personne ne pouvait nier sa générosité et son dévouement envers le culte et la religion, ainsi que son dévouement pour ses prochains.
Néanmoins, la quiétude du temple fut rapidement troublée par ce qui était, selon leur invité, une intrusion d’une créature dans l’enceinte du temple. Sabia plissa les yeux. Elle n’avait pas souvenir que ce soit déjà arrivé - ou du moins ça n’avait jamais été assez grave pour faire de grandes traces dans les archives. L’endroit était défendu, et bien assez fréquenté pour que les animaux sauvages se tiennent loin de cet endroit paisible. Les plaines du Royaume n’étaient pas vraiment réputées dangereuses de tout de façon, contrairement aux montagnes ou aux océans.
Sabia, de son côté, alla voir dehors, tant par curiosité que par devoir. Il ne fallait pas que quelque chose arrive à la Grande Prêtresse, quitte à devoir se barricader dans son bureau le temps que le souci soit géré. La verte s’avança donc à travers la porte et vers la direction d’où le religieux qui venait de fuir et se cacher était venu. Tournant au coin le plus proche, son attention fut rapidement attirée par un grognement et d’autres cris humains. Elle remarqua donc assez rapidement le Crasmo solitaire, qui se tenait là en grognant, alors que les quelques gardes présents le contenaient en hésitant sur la marche à suivre. L’observant quelques instants en se remémorant ce qu’elle savait sur ces bêtes, elle se retourna vers le couloir où sa sœur était venue jeter un œil.
« C’est une Crasmo solitaire femelle, normalement ils sont en meute, mais visiblement celle-ci s’est perdue au Temple… C’est étrange, puisque les Carsmos sont assez craintifs en général et ne sont pas du genre à se retrouver au milieu d’un bâtiment humain… »
La raison? Elle ne l’avait pas encore, mais alors que la bête bougeait légèrement, ne sachant plus trop où donner de la tête alors qu’elle était encerclée, elle n’avait certainement pas d’autres choix que d’être agressive puisqu’elle n’avait aucun chemin de fuite. De plus, Sabia remarqua aussi que la boule de poils, que Nephali risquait de foncer vouloir voir au péril de sa santé, se tenait un peu bizarrement sur une patte.
« E…Elle est peut-être blessée à la patte arrière droite. »
Se retournant vers les gardes présents, elle avança un peu, pas des plus confiantes, sachant que ces bêtes pouvaient être extrêmement rapides. Mais l’animal, certainement stressé et blessé, s’était réfugié ici pour se retrouver là. Maintenant, idéalement, il fallait l'attraper et la soigner avant de la relâcher. C’était bien évidemment inacceptable pour Sabia que du mal soit fait à cette pauvre bête, ou, pire, que des gardes décident de l’exécuter pour sécuriser la Grande Prêtresse ou les autres civils du lieu.
« N… n’attaquez pas! C’est juste un animal blessé! Il faut l’attraper, pour la soigner! »
Les gardes, interloqués devant la petite verte qui venait de débouler, ne semblaient par contre par être des plus coopératifs.
« Qu’est-ce-que vous racontez? L’animal a l’air enragé, et on doit protéger tous ceux présents ici! »
« N…Non! Ils ne sont pas agressifs envers l’homme en solitaire! Elle est juste blessée et encerclée! Il faut la soigner et la relâcher dans les plaines! »
« C’est plus facile à dire qu’à faire aussi, ce truc est très vif et rapide! »
Ce à quoi Sabia n’avait pas grand chose à redire. A part de… D’essayer plus fort? Se connaissant, elle serait bien incapable de réussir à mettre la main sur cette boule de poils qui grognait, mais qui était, tout de même, plutôt mignonne. Alors oui, elle pouvait peut-être essayer de les rassurer mais ils n’avaient certainement pas le temps pour un sermon de Lucy. Ce n’était pas vraiment le point fort de la verte de tout de façon.
Elle les avait entendus aussi, les bruits dans le couloir. Rare étaient les invités, à la fois humain et animaux, à mettre l'édifice dans une telle effervescence. Elle se rappelle encore de la fois ou c'était un petit criminel notoire de la région, qui était simplement venu demander soin, asile et prières. Au grand dam des gardes et de la justice du pays, c'est volontiers qu'elle accéda à sa requête, du moins, jusqu'à ce qu'il soit assez en point et hors de danger pour repartir escorté par d'autres gardes, même la tête du Culte devant se plier aux lois du pays, et les grands préceptes de sa religion.
A la suite de l'académicien et de sa sœur, Nephali sortit de l'intimité de son bureau pour voir, dans les couloirs, des fidèles non terrorisés comme s'il s'agissait d'une attaque de smilodon ou autre coeurl. Ils restaient toutefois assez peu à l'aise et surpris pour ne pas oser s'aventurer sur ce seuil, puisque c'est juste dehors, près de l'entrée, d'où provenait le vacarme. Il y a toujours quelques gardes, pour assurer la sécurité du temple. Il faut dire, c'est pas bien prisé, comme poste, on s'y fait toujours un peu chier, jamais trop d'animation, c'est vraiment tranquille. Ça va bien à ceux qui veulent se planquer, ou un peu trop âgés pour d'autres missions. Concrètement, ils n'avaient pas le droit au haut du panier. Et cela leur suffisait très bien.
Après, ça donne des déconvenues. Comme ne pas savoir s'occuper d'un Crasmo.
Ou d'une Crasmo, comme semblait le savoir Sabia. Comme d'habitude, sa sœur avait raison sur toute la ligne, ou presque. L'aînée est loin d'avoir la mémoire et certaines connaissances de la cadette, mais quand il s'agit de familiers, c'est bien un des rayons dans lequel elle excelle. Les Crasmo sont bien le genre d'animaux à se trimballer en meute, il peut cependant leur arriver de diviser leur meute, se séparer et se regrouper à leur bon vouloir. Sans doutes cette femelle s'était isolée, perdu de vue une partie de sa meute qui bougeait, et a erré jusqu'à arriver ici.
'' Les Crasmos sont plutôt peureux, oui...Elle a du être blessée, perdre sa meute de vue et se perdre. Ou bien elle vient juste chercher l'assistance de Lucy. ''
Toujours souriante, cette fois, même si elle le cachait bien, son rictus avait un fond d'espièglerie, juste pour voir jusqu'où Lunar est capable de croire l'ampleur du fanatisme de la Sainte. Continuant de s'approcher, elle accéléra le pas quand elle comprit que les gardes ne voulaient pas que du bien à cette pauvre petite créature. Il était hors de question qu'ils lui fasse le quelconque mal, tout ce que ce Crasmo méritait, c'était des gros câlins et de longues papouilles. Enfin au niveau de Sabia et des soldats, sa simple présence suffit à faire opposition.
'' Je préfère encore me faire dévorer par cette adorable potite bestiole que de vous laisser lui faire quoi que ce soit. ''
'' M'enfin, Sainte Mahun, faut bien qu'on protège - ''
'' Oui, oui, j'entends bien. Il y a d'autres moyens que celui là, cependant. ''
La sympathie, non, l'amour que la Sainte portait aux boules de poils en tout genre -même celles qui en ont pas, de poils- était connue de tous ici. Il était donc étrange que ces hommes n'aient pas tout tenté avant de penser à la sécurité de prime abord. Lentement, avec des pas lents et des geste mesurés, Nephali s'approchait de l'animal, blessé et grognant, alors que les gardes parlaient et discutaient encore, sans qu'elle n'y prête attention. Elle s'accroupit, puis tendit une lente main vers le quadrupède.
'' Non mais qu'est ce qui vous pre- ''
La mâchoire de la bête avait claqué non loin de sa main, qu'elle avait prestement retirée, car dans l'expectative d'une telle réaction. Qui ne tente rien n'a rien, hein...C'est dans ces situations qu'elle regrette par Lucy que son don ne fonctionne pas sur les animaux, comme une sorte de bride invisible qui n'aurait pas lieu d'être. Le regard peiné, elle en avait perdu son sourire et une partie de l'aura chatoyante qui semble souvent l'entourer. Elle tourna les talons, se dirigea vers Lunar. Expert zoologue et de la diversité, hein ?
'' Monsieur Le Fay. J'espère que vous pardonnerez mon audace ; après tout, cet entretien était la seule raison valable de votre visite. Ainsi, je ne vous en voudrait pas si vous décidiez juste de quitter les lieux. Vous auriez cependant toute ma gratitude si vous acceptiez de nous aider. ''
Au vu de ce qu'il est. De son caractère. Elle craint intérieurement qu'il se contente de déclarer ne rien pouvoir faire, et qu'il serait mieux pour tout le monde que le glaive s'abatte d'un coup sec sur la nuque. On ne peut sans doutes pas compter sur ces soldats pour réussir la méthode douce, leur embonpoint et les vieux os ne sont pas de taille face à la vivacité d'une créature passée de quadrupède à tripode. La gratitude de la Grande Prêtresse, aussi croyant qu'il est, il se la carre probablement. Ça valait tout de même le coup de tenter.
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