Récolter des informations sur l’enquête déployée autour du criminel Klarion Brando est l’objet de toutes les journées des employés du ministère de la justice. L’avis de recherche validé par la garde des sceaux à la demande du prince héritier a été placardé partout dans les rues de la Capitale. Le visage jeune et hargneux de l’écoterroriste lance des éclairs par ses yeux sur les passants jetant un coup d’œil sur les récompenses promises en dessous de son portrait. Malgré tous les efforts de communication et les préventions prises pour inspirer de la terreur dans les annonces et marquer les esprits de tous les citoyens, qu’ils connaissent l’apparence de ce dangereux défenseur de la nature, les éléments recueillis sont épars et ne mènent pas vers une source fiable ou une zone de recherche sérieuse. Il ne faut pas baisser les bras, pour ne pas faire retomber l’énergie qui agite tous les soldats, aventuriers et héros du continent impliqués dans cette histoire. Les fins de journée arrivent rapidement, les employés se renseignent sur les avancées des enquêteurs, mais le résultat est au point mort ? Cassandra Heydell ose des déplacements jusque dans les bureaux de son équipe et a rencontré des généraux de la Capitale. Elle s’informe et apporte son soutien en se montrant disponible, réactive s’il le faut, pour préparer le temple de la Justice à accueillir les différents procès qui auront lieu quand les écoterroristes seront attrapés et poursuivis.

En dehors du Palais, le soleil fixant le coin droit dans l’aube du ciel, la ministre a un rendez-vous dans une boutique d’une couturière un brin fantaisiste qui aime laisser de la place à son imagination dans la création de ses vestes, robes, pantalons, ou chapeaux et bandeaux. Ses cheveux virevoltent dans tous les sens sur ses épaules et elle a l’habitude d’arborer des boucles d’oreille en forme de croissant de lune. Aujourd’hui, elle porte une de ses créations, un costume trois pièces avec un nœud papillon fleuri, s’habillant avec un style androgyne mais toujours avec de la couleur pour illuminer le regard de la clientèle fidèle. Cette artiste contemporaine travaille en partenariat avec sa sœur Maria Heydell qui dessine et imagine certaines des compositions exposées dans la vitrine ou sur les penderies des traversants.

D’autres visiteuses aux sacs à main alourdis par les achats, sont installées confortablement dans des fauteuils, buvant un café et discutant tranquillement de la météo, des tendances de la mode et des sorties du week-end. La gérante du magasin s’occupe en priorité de la ministre. Dans le dressing particulier de ses invités, elle a réservé une tenue qui pourrait lui plaire. La commande date de quelques jours, avant son passage. Elle souhaitait la laisser réfléchir, si elle avait une inspiration pour elle. Les vêtements tendus sur le bras de la commerçante sont enfilés dans la cabine. Rideaux fermés, le miroir lui permet d’apprécier l’ensemble. Le costume féminin est composé d’une jupe mais l’originalité se trouve dans la décoration autour du col de sa chemise blanche. Elle pourra faire la publicité des productions de la styliste lors de sa prochaine apparition officielle.

Des gardes du Palais l’attendent devant la boutique. Au vu de sa nouvelle fonction, elle ne peut plus se déplacer sans être accompagnée d’une protection rapprochée où qu’elle soit. Le premier homme de main fait signe à son coéquipier de vérifier la ruelle. Ce dernier lui confirme que la route est sûre.

- Dame Heydell, êtes-vous prête pour vous rendre au quai d’embarquement de la Capitale ?
- Nous avons vérifié votre trajet, tout est RAS.

Rassurée par les instructions des deux hommes, elle entre dans le carrosse qui va l’amener au bord du fleuve. La délégation du ministère de la Justice a été invitée à une inauguration de la guilde marchande à l’origine d’un nouveau système fluvial entre la Capitale et Grand-Port. Le royaume souhaite renforcer les transports sur l’eau douce et diminuer les trajets sur les routes de campagne. Cela permettra de fluidifier le trafic et de réduire les temps de trajet entre les deux grandes villes. Les plus fortunés et puissants marchands de la région vont déployer des trésors de découvertes et d’inventions pour faciliter le quotidien des voyageurs et apporter une gamme confort aux bateaux de plaisance. Les yeux des citadins seront rivés sur les départs des péniches et les effets des vapeurs sur l’eau calme du fleuve. Comment ne pas être curieuse de se mêler à cet événement inédit dans l’actualité de la Capitale ? Cassandra a pour seule inquiétude les risques d’intrusion de malfaisants venus gâcher la fête. L’endroit est quadrillé pour éviter les débordements des visiteurs qui n’entreront pas dans les péniches amarrés pour leur premier voyage mais voudront regarder les gentilshommes, demoiselles, dames et messires, hommes et femmes d’affaires, inventeurs et créateurs du spectacle, défiler et discuter tandis qu’ils prendront place dans les premiers navires.

Le carrosse aux beaux chevaux attelés à l’embarcation, couple mâle et femelle qui travaillent toujours à deux pour transporter la ministre et ses accompagnateurs, se garent sur le parking du port de la ville après un créneau adroitement maîtrisé par le conducteur aux mains gantées de cuir. Des lignes blanches séparent les différentes voitures à l’arrêt, respectant la démarcation de leur case. Des montures sont assises ou légèrement couchées dans l’attente que le cocher maître revienne les réveiller pour partir pour un nouveau voyage.

Cassandra a choisi Nuii pour la suivre dans cette entrée dans les organisations des marchands nomades. Elle a découvert la jeune femme pendant la séquence d’interview avec la journaliste Pariza Samnang. La jeune stagiaire de communication du ministère descend de voiture avant elle. Elle arbore le sourire du réel bonheur, si heureuse que la ministre est pensée à elle. Les mains derrière le dos, elle baisse la tête par courtoisie et honneur de pouvoir passer du temps avec elle. Elle admire la dame de la justice à la posture des plus grands de ce monde, debout sur les marches de la calèche avec des talons hauts de huit centimètres, s’appuyer sur la main solide du chauffeur pour poser pieds à terre.

- Merci encore une fois Dame… Dame Heydell. Nous allons retrouver Dame Du Lys, vous me donnez une opportunité inouïe de rencontrer la première ministre. Je répondrai à vos suggestions pour cette sortie et je serai ravie de vous introduire à chaque fois auprès des gens importants que nous rencontrerons pendant la traversée du fleuve. J’ai fait quelques recherches et révisions pour être prête à répondre au vocabulaire et aux joutes commerciales.

Le pont de la péniche principale est levée et les membres de la compagnie vérifient une à une les invitations des clients avant de les laisser monter à bord. Les deux femmes escortés par les hommes de la sécurité du palais franchissent la limite qui séparent le sol de l’eau du fleuve pour se mélanger aux marchands, commerçants, entrepreneurs et ingénieurs des guildes marchandes. En dehors des divers représentants du cercle commercial, sont présents parmi les nobles personnes, des sorciers de sorts élémentaires. On les reconnaît par rapport aux autres, au fait qu’ils sont plus discrets et voyagent, tels des maraudeurs bien habillés sous leur cape distinguée, en solitaire.

Sir Juàn De Acosta, commerçant impliqué dans le développement des nouvelles infrastructures servant le tourisme et les échanges entre la capitale et Grand-Port, se présente à la ministre et sa compagnie.

- Nous sommes enchantés de vous voir arriver dans notre demeure chancelante sur les vagues, au moteur ultradynamique ! Je suis Sir De Ascosta… c’est la première occasion pour moi de vous voir en chair et en os, Dame Heydell. Je suis admirateur de votre façon de gérer le ministère, vous occupez votre poste de manière si élégante. Bienvenue à votre personnel sur cette magnifique péniche de tourisme.

- Ce sera un plaisir de voyager en votre compagnie, Sir De Acosta. J’ai hâte d’admirer les ondes de lumière créées par vos magiciens au démarrage de la péniche sur les vagues scintillantes du fleuve… et de quitter la côte pour s’éloigner dans les terres. Je crois que le paysage à traverser sera visible du toit ouvert au dernier étage de la péniche ?

Sir Juàn De Acosta plisse les yeux en jetant un coup d’œil à la dame accompagnant la politicienne. Il ne semble pas connaître cette personne. Elle devine son interrogation car elle est une inconnue sans statut de noblesse.

- Avec les hommages du ministère de la justice, voici un coffret cadeau au sceau du temple de l’équilibre des pouvoirs dans ce monde.

Le commerçant demande à un chargé d’accueil, hôte temporaire aux lèvres souriantes 24 heures sur 24, de récupérer le colis. Il remercie très poliment la demoiselle.

- Une dernière chose avant de vous laisser arpenter à votre guise le salon et la restauration de la péniche, Dame Du Lys vous attend déjà. Vous pourrez la rejoindre, elle doit être en train de discuter avec nos nombreux marchands et invités respectables. Sa carrière et sa longue expérience des dîners mondains et des déplacements politiques vont lui permettre de revoir des têtes et des noms connus.

L’humour courtois du maître de l’accueil, plaît à Nuii et Cassandra qui repartent une fleur à la main toute joyeuse d’avoir pu échanger avec un premier marchand. Elles ont envie de se détendre après des journées occupées à des affaires plus sérieuses. Cependant, il faut garder à l’esprit que le voyage ne dure qu’une journée et qu’il passera vite ; il faut donc en profiter pour retrouver leur cheffe du gouvernement.

Cassandra n’accédera pas tout de suite aux étages de la péniche car les serveurs informent sa communicante que la première ministre est descendue au salon principal. Elles suivent les indications et croisent Sir El Faix qui leur fait visiter les lieux. Il leur tient de premières explications sur le fonctionnement de la navigation, les technologies utilisées pour alimenter en ressources le moteur de propulsion des bateaux commerçants. De temps en temps, elle tourne la tête dans une direction pour tenter de repérer sa supérieure politique. Au troisième tournis, elle la remarque en jolie compagnie prise dans une discussion vivante, peut-être qu’elle est de l’ordre de la retrouvaille.
Nuii ne rate pas un mot prononcé par le digne représentant de la guilde, mais elle est trop pressée de rencontrer Dame Du Lys et Cassandra le ressent alors qu’elle bavarde à côté d’elle.

Lorsque la belle Dame aux longs cheveux noirs de jais, vibrant de reflets clairs sous les rayons dorés des lampes et la chaleur froide du soleil qui traverse la paroi des hublots, s’approche de leur troupe. Dans l’espace de la coquille basse de la péniche, elle apparaît lumineuse, semblant calme et heureuse de leur arrivée. Elles pourront la saluer après leur échange avec le marchand.

- Avez-vous un plan de conception de la péniche pour visualiser sur papier l’architecture et ses salles ?
- Je vous amènerai tout à l’heure dans les coulisses pour que vous puissiez voir de vos yeux l’appareillage. Vous pourrez aussi rencontrer le commandant de bord sur la prou du navire.

Dame Du Lys entre dans le champ de vision de Sir El Faix qui comprend les réactions de contentement des deux invitées du ministère de la Justice.

- Nous étions en pleine séance de présentation des mécanismes faisant tourner le commerce de cette péniche Dame Du Lys. C’est un plaisir de vous revoir.

Cassandra penche la tête pour saluer la première ministre et met une main ouverte devant elle comme pour faire une petite révérence.

- Enchantée Madame, je suis Nuii employée stagiaire du département de la communication du ministère.

La membre du cabinet encore en formation a su se vêtir avec sa personnalité fraîche pour cette sortie extérieure. Le chemisier bleu ciel se marie parfaitement avec la couleur rousse de ses boucles et le brun noisette sous ses paupières. Il s’ouvre sur une chaîne argent à laquelle est accrochée une balance de l’équilibre parfait. Cassandra devine que Dame Du Lys appréciera la motivation et la positivité du caractère de cette jeune découverte. Les tâches de rousseur sont des traces de sa jeunesse qui sont des composants multiples de son intelligence nouvelle.

- Souhaitez-vous chers amis que nous continuons cette discussion sur la terrasse afin de regarder la péniche s’éloigner du ponton de la Capitale, comme le demandait Dame Heydell ?

Ce ne sont pas les pucerons qui s’agitent devant le regard de Cassandra qui gâcheront le reste de cette journée. Depuis son levée, elle ne sait pourquoi, ils gênent volontairement sa vue. Ils ont dû la poursuivre de son sommeil jusque dans la réalité. Elle sait à présent écouter les messages que les bêtes de la nuit peuvent apporter mais celui-ci lui paraît être une entrave sans autre finalité que de la perturber pour l’empêcher de réaliser quelque chose ? Les moustiques ne voulaient-ils pas lui dire par là qu’elle ne devait pas se rendre à cette excursion ? Sans hésitation, elle a évacué le message et a rejoint le carrosse du ministère. Dans ses pensées, trotte le souvenir d’un lien entre ces minuscules présages noirs et un rêve de mauvais temps. Le soleil va-t-il s’envoler au cours de la journée ?

Sir El Faix conduit ses dames à l’étage pour accéder à la terrasse du bateau pour leur permettre d’admirer à l’air libre le démarrage tout en couleur du capitaine, de son équipage composé de mécaniciens, hôtes, commerçants et magiciens. Certains marins sont des connaisseurs du grand large, des transports de marchandises et ils ont demandé leur mutation pour travailler dans le commerce touristique du royaume. On voit à leur peau hâlée et leurs traits fabriqués par le sel qu’ils aiment la sensation du moteur qui démarre et du vent qui chatouille les joues quand la vitesse de navigation s’accélère.

Cassandra s’accoude à la rambarde pour observer l’eau et les poissons qui pourraient s’y cacher. Elle croit reconnaître dans un scintillement le rebondissement d’une nageoire sous le manteau bleu gris du fleuve. Il y a sur son bord, en forçant sa vision, des pêcheurs assis sur leur tabouret, contents de pouvoir sortir leur canne à pêcher pour débusquer le plus gros amphibien du cours d’eau.

Attentive aux membres du personnel du Palais Royal, la première ministre fait connaissance avec Nuii qui s’intégrera facilement dans l’équipe ministérielle pendant son stage. Elle semble avoir de bonnes facultés d’adaptation et sa discrétion est la bienvenue dans un monde où les préjugés et les commérages sur les ministres se répandent et se partagent lors des déplacements, des vernissages ou des dîners. Cassandra espère avoir à ses côtés une jeune étudiante avec du caractère qui saura affronter les jugements et les critiques de la cour, par exemple sur la manière de gouverner, sur les peines qui ne seraient pas bien appliquées pour des prisonniers. Il ne faut pas se laisser impressionner par les attitudes hautaines de certains personnages mais il faut savoir les respecter pour qu’ils entrevoient la vraie valeur de votre travail avec un regard intelligent, avec l’espoir qu’ils vous oublient ensuite.

Nuii s’incline une seconde fois devant la supérieure hiérarchique de sa tutrice de stage.

- Nous réfléchissons à des concepts, des idées phares qui pourraient rester en mémoire et être repris par le gouvernement. Je m’appuie sur le travail expérimenté de mes aînés, mais je dessine aussi des plans et des modèles pour préparer vos prochaines interventions, j’espère être utile et vous aider à gagner l’approbation d’autres citoyens en embellissant votre image politique.

- Nuii pourra nous présenter son mémoire de stage finalisé dans deux mois. Ce sera une poursuite du diagnostic des actions à engager pour améliorer notre communication politique.

Cassandra entend des rumeurs se propager parmi les nombreux passagers de la péniche. Dans le salon, des murmures indiquent qu’un événement est en train de se passer. Quelques personnes guettent l’escalier prêtes à assouvir leur curiosité. C’est ce moment que choisit Monsieur Stock pour faire son entrée, il se dirige aussitôt vers les ministres qui ont réservé l’un des salons extérieur pour leur petite équipe. La garde des sceaux s’apprête à sortir son éventail et ses lunettes de soleil rassurée qu’aucune goutte de pluie ne vienne gâcher cette journée. Elle connaît très peu le ministère des armées, c’est un département éloigné de son cabinet dans les couloirs du palais royal. Il faut traverser tout l’étage pour le trouver de là où elle travaille. La justice et la défense du territoire ont toujours préféré être séparées par la protection des murs des autres ministères pour ne pas rentrer en compétition, choisissant la neutralité des rapports. D’après certains commentaires des employés les plus anciens de son équipe, un ministre précédent a eu tendance à beaucoup s’intéresser aux affaires de la garde des sceaux en place et a tenté d’avoir une influence dans les réunions, se sentant invité à donner son avis. Depuis qu’ils ont trouvé d’un commun accord une solution pour éviter les histoires entre les employés des deux cabinets qui ne pouvaient s’empêcher d’aller les uns chez les autres, la paix est revenue et aucun conflit purement politique ne gêne le travail du ministère de la Justice. C’est une affaire ancienne, de mémoire orale, et les deux ministères travaillent régulièrement en collaboration. Ainsi, la garde des sceaux était ravie d’avoir pu exceptionnellement représenter le ministre des armées lors de son entrevue avec Java Anggun nommée capitaine du Village Perché.

- Monsieur Stock, nous vous saluons. Dame Du Lys a parlé… Que Sir Furi vienne nous rejoindre, nous sommes ravis de sa présence imprévue à ce séminaire. Il nous manquait une présence masculine et un homme digne de mener une armée à la victoire à cette table.

Les dames du royaume ne patientent pas longtemps avant de voir arriver à leur table le dernier ministre en poste, le membre aîné de leur conseil. Est-il venu accompagné d’un de ses chats préférés pour ce voyage ? Dissimule-t-il une frimousse à moustache sous son manteau de géant au cœur de fer attendri par les félins aux pattes penaudes, perdus dans les ruelles de la Capitale ?

- Dame Cassandra Heydell, nous vous avons réservé une place. Vous ne connaissiez peut-être pas, ma collaboratrice Nuii Macadamia.

Sir Furi imite les passagers et s’absente pour regarder l’envol de la navette à une vitesse de croisière avant qu’elle ne s’accélère à coup d’éclairs de génie. La discussion s’oriente grâce à l’homme d’expérience, sur la question du transport des troupes de soldats pour défendre notre territoire s’il se trouve attaquer de l’extérieur, pour pouvoir agir vite, planifier nos ressources et nos moyens d’action en cas de guerre pour éviter la déroute.

- Notre univers est rempli de magie, mais la science nous aide à manipuler nos pouvoirs étranges, à les maîtriser, à leur donner des limites et des usages. Si le sort des créatures, animaux fantastiques d’Aryon vous intéresse, avec des soldats et capitaines grouillant d’idées, nous avons beaucoup travaillé des lois pour les protéger depuis mon arrivée au pouvoir. Vous réfléchissez donc à déployer l’élevage d’animaux pour les fins de l’armée de l’air… ? Mes connaissances dans le domaine des créatures ailés sont faibles, j’espère que vous nous tiendrez informés si cette production se fait et j’aimerais pouvoir assister aux premiers vols de nos soldats.

Sir Furi commence les discussions politiques et Cassandra lève son verre moitié plein pour répondre à son clin d’œil envers son ministère. En deux trois gorgées, elle a siroté son jus de fruit pomme ananas avec ravissement. Le goût acidulé des deux fruits agrémentés d’un soupçon de sucre est un délice, avant que la belle dame ne revienne brutalement sur terre quand vient le moment d’évoquer la traque de Klarion Brando. La saveur agréable dans sa bouche se teinte d’un arrière goût froid et piquant de réglisse et de poivre. Des souvenirs de plats ou de boissons qui ne sont pas passés dans son gosier se visualisent dans ses pensées.

- A la demande du prince héritier, nous avons mandaté des enquêteurs et des aventuriers pour approfondir nos recherches, des personnes qui se dédient jours et nuits à trouver sa cachette… ils patrouillent dans des quartiers, interrogent des gardes, reviennent sur les lieux du crime du terroriste… ils ont retrouvé certaines traces de son passage dans la capitale mais actuellement je préfère ne pas trop en dire, l’enquête fait son chemin, nous devons rester discrets car en effet on ne sait pas où peuvent se trouver les traîtres ou les beaux parleurs. Des personnes ne recherchent pas le mal mais parfois parlent trop et si un agent, quelqu’un de gradé aide à le cacher, il pourrait après quelques conversations être mis au courant. Si des interrogatoires et des témoignages deviennent concrets, nous pourrons nous adresser au prince et lui remettre nos conclusions. Je vous informerai sans plus attendre si une réunion extraordinaire a lieu avec Sir Renmyrth.

- Après l’attaque dont a été victime notre trésorière, nous devons nous aussi faire attention lors de nos sorties officielles et privées. Monsieur Stock est pour vous votre fidèle associé, nous devons avoir des gens de confiance autour de nous.

Les arbres trempant leurs racines et leurs branches dans le fleuve se penchent au-dessus de leur tête et des feuilles frôlent le crâne des passagers, formant un dôme ombragé. La péniche traverse une partie de la forêt plus profonde abritant en son cœur des variétés de plantes, de fleurs originales dont l’observation et la cueillette sont inatteignables pour eux à l’abri sur la terrasse. La lumière les éclaire à la sortie de la protection des feuillages dont l’épaisseur immense et étendue sur une partie du fleuve représente une prouesse de la nature.

- J’ai entendu parler de votre intérêt particulier pour le développement de nouvelles technologies, je crois que votre ministère souhaite montrer l’importance de donner des moyens à nos scientifiques et  les inventeurs du royaume. Cette invitation doit être une agréable découverte pour Sir Furi. Chers ministres, avez-vous visité les avants du bateau ? Un hôte m’a expliqué qu’il était possible de rencontrer le capitaine si nous le souhaitons, qui nous présentera son équipage et nous fera visiter sa cabine de navigation.

Cassandra s’intéresse toujours aux nouveaux avis de ses collègues et elle a remarqué l’œil attentif du ministre des armées posé sur les détails de l’embarcation. Il s’est renseigné dans les machineries avant de les rejoindre au salon.

- Dame Du Lys, pendant ce séminaire aurons-nous des interventions de scientifiques ?

Dans le fil de la conversation, Cassandra retient qu’une rumeur circulait sur une participation du prince héritier Aeron Renmyrth au séminaire introduisant le commerce fluvial entre la Capitale et Grand-Port. Sa majesté assurément trop occupé par d’autres projets, les membres du gouvernement sont entrés dans la péniche sans lui mais ils ne sont pas à l’abri d’une surprise en cours de chemin. Des arrêts sont prévus avant l’arrivée à Grand-Port. La dernière fois que la ministre a échangé avec le prince c’était par écrit au sujet de la traque de Klarion Brando et de ses méfaits perpétrés dans cette ville. Ce n’est pas un hasard si elle retourne dans l’ouest de la région… le vent porte les ministres en direction des derniers lieux d’apparition connus de l’homme en fuite.

Dame du Lys et Sir Furi ne semblent pas voir d’inconvénients à ce qu’elle demande à visiter les avants de la péniche et à observer son système de navigation.

Le ciel ne paraît pas s’ombrager malgré la crainte matinale de Cassandra qui respire l’air frais du toit ouvert de la terrasse. La péniche est secouée pour une raison inconnue alors qu’elle s’apprête à se lever pour demander des renseignements sur les disponibilités actuelles du Capitaine. Cela lui donne la tête qui tourne pendant quelques secondes. Elle n’a pas le mal de mer mais perchée sur de belles bottines à talons, elle ne voudrait pas faire un faux pas. Un hôte vient vers leur table pour les rassurer, la péniche continue sa traversée du fleuve magnifiquement et l’équipe confirme que l’ensemble des passagers arriveront à l’heure indiquée sur leur invitation à Grand-Port. L’escale ne sera pas longue car l’objectif est un retour dans les murs de la Capitale sans retard. La sensation ressentie à l’instant correspond à une légère accélération du navigateur pour garantir une arrivée dans les meilleurs délais. Regardant un mot laissé à l’attention de leurs plus importants invités, l’hôte propose aux ministres d’écouter un discours de la guilde marchande sur le pont de la péniche et de ses mains montrent la direction des escaliers.

- Dame Heydell, le Capitaine, Monsieur Colombe, sortira pour l’occasion de sa cabine. Mademoiselle Nuii est comptabilisée dans l’assemblée. Sir El Faix et Sir de Acosta, qui sont les maîtres marchands de cette péniche, sont impatients de vous voir présents à cet événement mes dames, messieurs.

Le discours de la guilde marchande est une animation organisée pour marquer leur passage et leur arrêt lors de la première escale du voyage. La rapidité de leurs transports les étonne car à présent, le paysage défile sous leurs yeux émerveillés. Redescendant au rez-de chaussée de la péniche, le groupe se tient aux rambardes mais ils ont l’impression d’être contenus dans une bulle de sécurité, qui n’est rompue par aucun choc. Les commerçants sont installés aux devants du bateau pour permettre à leurs invités d’accueillir dans leur champ visuel les installations mises en place dans ce premier port. Le capitaine, un homme plus âgé, l’un des détenteurs du nombre de records de voyages en eau douce, se tient fièrement à leurs côtés, sa décoration honorifique en forme de bateau accrochée à son veston. Tous les invités ne les rejoignent pas car certains préfèrent continuer à profiter du buffet ou à bavarder en regardant la vue par l’intermédiaire des hublots.

D’influents marchands dans divers domaines du commerce du Royaume les entourent, car ils souhaitent investir de l’argent dans la promotion dans ce système de transport fluvial, réfléchissant aux répercussions de l’accès direct à la Capitale pour les citoyens des grandes villes et des campagnes. Ils pourraient agrandir, voire multiplier, leurs potentielles zones de vente et de production. D’autres commerçants ont des boutiques ouvertes à Grand-Port et espèrent que cette nouveauté apportera un regain de flux touristiques dans leur ville. Les touristes et personnes de passage sont les plus gros consommateurs potentiels de produits de loisirs, de luxe, de denrées alimentaires coutumières, d’objets de collections ou d’autres souvenirs de leur visite.

Le discours des maîtres marchands est ponctué de divers remerciements adressés aux organisateurs, à la compagnie de voyage, aux invités prestigieux, à la guilde marchande, aux financeurs du projet, aux découvreurs de talents et à l’ensemble de l’équipage de la péniche dont l’expertise a permis à ce concept novateur de voir le jour. Il laisse une ouverture vers de possibles réalisations futures d’autres chemins ouverts à la navigation plus au nord de la Capitale. Le chef cuisinier du restaurant est salué à son tour pour la composition panoramique de son buffet. Cassandra entend notamment un membre éminent du commerce en mer de l’Archipel intervenir pour expliquer qu’il prendra le bateau à Grand-Port et reviendra vers ses terres pour souffler les résultats des avancées de toutes ces techniques de transport à la direction marchande locale. Après toutes ces interventions, la parole des orateurs se tournent vers le gouvernement qui est invité à conclure le discours.

Lorsque Haru du Lys monte sur l’estrade pour prendre la parole, les yeux des invités sont rivés sur elle. Ses deux ministres se séparent d’elle, restant au pied de l’estrade pour écouter eux aussi son discours. Elle choisit d’orienter son message politique vers l’intérêt général, en mettant en avant les innovations technologiques accomplies et les avancées scientifiques que cela représente pour le royaume, pour améliorer le confort de vie de ses habitants. Le travail de la science allié à l’effort et l’expertise de grands enchanteurs, produisent un véritable miracle sur le fleuve. Les enjeux sont aussi les retombées économiques, la facilitation des déplacements, ou encore la lutte contre l’isolement des petites communes. Cela fait partie du programme du gouvernement et Cassandra se reconnaît politiquement dans le sens et la portée des mots énoncés. Sir El Faix doit sentir des ailes lui pousser dans le dos quand son nom est prononcé.

Cassandra son regard trop concentré sur le pupitre puis sur le ciel un peu plus haut, est surprise par la voix de son collègue qui parle plus bas pour faire quelques commentaires sur certains points plus personnels de la vie de l’oratrice. Elle comprend que c’est une occasion de commencer la conversation, et pense aux nombreux chats qui l’attendent dans sa maison d’après certaines rumeurs qui circulent dans les couloirs du Palais. Sir Furi n’a jamais confirmé officiellement cette information. Elle lui répond en chuchotant :

- Notre première ministre n’a pas d’enfants mais est unie à Jin Hidoru… je ne sais pas si vous connaissez cet aventurier ? Il prend part à l’enquête en ce qui concerne l’affaire « Brando ».

L’humour de la compagne de l’aventurier provoque un sourire, quelques éclats dans l’assemblée. Cassandra encourage sa collègue en claquant quelques fois les mains pour montrer l’exemple à l’assistance et lui donner envie de la suivre et l’applaudir. Le ministre des Armes témoin de son emploi d’animatrice temporaire, s’adresse à elle pour une nouvelle question sur sa vie personnelle. Elle se replonge dans sa vie de célibataire professionnelle en un instant.

- Je n’ai rien à déclarer de nouveau sur ma situation matrimoniale… Ma demeure reste aujourd’hui au nom d’Heydell.

Aucune mélancolie ne transparaît dans sa voix car elle est parfois si occupée qu’elle en oublie de penser à son futur. Son âge commence à faire grincer des dents sa sœur qui s’inquiète de son bonheur mais elle répond avoir satisfaction de sa situation. Simplement elle est heureuse de réussir à changer de sujet avec Sir Furi, avec qui elle éprouvait des difficultés à faire connaissance. Elle est tentée elle aussi de lui demander où il est en est au niveau de sa vie sentimentale ou de sa fratrie de descendants etc. pour transmettre l’héritage.

- Et vous-même Sir Furi ?

Va-t-elle avoir une réponse à apporter aux rumeurs le décrivant éleveur ou adorateurs de félins aux longues moustaches ?

- Nous sommes un gouvernement tout à fait attelé à sa tâche en effet, les temps sont difficiles et le travail prend une grande place dans notre vie. Mais peut-être que dans les mois à venir nous aurons une nouvelle heureuse de la part de Dame Du Lys, je pense que nous serons vite informés si une célébration de son union est à l’agenda et qui sait… ce qui pourrait se passer ensuite ! Ah, justement elle termine !

La voix de la ministre s’éteignant, un silence se fait remarquer et note la fin de son intervention. Son discours terminé, la première ministre ne rejoint pas immédiatement le couple ministériel qui applaudit d’une force renouvelée pour montrer leur solidarité d’équipe au grand jour, devant tant de représentants des principales guildes marchandes du territoire. Elle semble avoir repéré une connaissance à saluer.

- Je crois que c’est une amie, une avocate, je n’en sais pas plus. J’ai déjà vu son visage mais je n’ai jamais travaillé avec elle. Avez-vous repéré des personnes de votre cercle de connaissances parmi les invités de votre côté ?

Sa stagiaire Nuii les a suivis sur le ponton de la péniche mais elle s’est éloignée pour recueillir quelques informations auprès de l’équipage. Cassandra observant le public réuni, elle l’aperçoit un peu plus loin, sur la gauche par rapport à Haru du Lys et son amie, en train de discuter avec un joli marchand qui a le sourire. Elle se dit qu’elle ne va pas les déranger car cela fait partie de l’expérience des séminaires. Les deux ministres observent les gens autour d’eux, sans entrer dans les commérages mais il est bien quand on n’est pas encore des routiniers de la politique, de discuter de l’endroit et des gens, pour mettre en commun ses connaissances. Elle se sent comme au cabinet de justice, plus à l’aise, toute petite à côté de la carrure englobée dans un long manteau de son associé du ministère des armes. Ils ont deux manières et deux styles différents, la première ministre semble aimer la diversité des profils parmi ses conseillers et politiciens.

Pendant leurs discussions, la péniche s’est arrêtée mais repart à présent, en sens inverse et effectue la manœuvre pour reprendre la direction de la Capitale. Il y a encore beaucoup d’autres escales avant d’arriver à Grand-Port et l’excursion se termine pour eux, car ils souhaitent rentrer avant la nuit. Ce trajet est organisé pour faire la promotion exclusive des machines à vapeur et de leurs compagnies, il sera exceptionnellement tronqué.

- Nous entamons le retour vers la Capitale. Vous devez tous avoir faim, nous sommes déjà en début d’après-midi. Notre première ministre prête, souhaitez-vous que l’on réserve une table pour profiter du buffet salé pour ce repas du midi ?

Nuii paraît deviner que Cassandra la recherche car la voilà de nouveau à côté de leur petit groupe. Elle lui pose une question sur les places du restaurant.

- Tout de suite Dame Heydell, je cours me renseigner.

L’assistante temporaire de Cassandra a réservé la meilleure table pour accueillir les membres du gouvernement. Tous les quatre auront vue sur le paysage en mangeant, un véritable panorama à contempler pendant leur repas, les berges sauvages du fleuve défilent sous leurs yeux. Au milieu de la table, des maquettes miniatures de péniches décorent le coin de leurs assiettes. Les trois femmes arrivent au même moment à leur table, la première ministre a été orientée par l’équipage. Nuii s’installe à côté de la rambarde, à l’invitation de Dame Du Lys. Elle est curieuse et regarde les finitions des bateaux qui portent chacun un prénom inscrit sur leur coque.

Cassandra en réponse à la politesse de sa première ministre s’assoit en face de sa stagiaire. Il ne manque que Sir Furi pour compléter leur discussion. Attendant le ministre des Armes, elles commandent une boisson et le menu du jour. Cassandra invite Nuii à choisir ce qu’elle veut, l’ensemble de la journée, du voyage, de la visite, du buffet et du séminaire est compris dans l’offre.

- Votre prestation a provoqué beaucoup d’applaudissements, nous avons essayé d’applaudir encore plus fort avec Sir Furi pour vous soutenir. Vous avez su orienter cette cérémonie vers une vision générale de notre avenir, en dépassant les amabilités commerciales des représentants de la guilde marchande, pour montrer les nouvelles possibilités offertes par les magiciens et inventeurs de ce système à vapeur magique. Nous ouvrons d’autres portes dans le monde, grâce aux nouvelles technologiques découvertes, et aux nouvelles infrastructures construites. Nous sommes en train de réduire le temps et les efforts pour échanger, commercer, communiquer, déplacer des unités.

- Les investissements consentis dans la montée des savoirs techniques, dans les transports et dans les aménagements fluviaux auront une portée sur plusieurs siècles !, intervient la jeune assistante pour compléter le propos de la garde des sceaux.

Haru Du Lys apporte ses arguments et son avis à cette conversation et la stagiaire semble émerveillée d’avoir la chance de côtoyer les ministres, qui s’expriment finalement facilement et honnêtement devant elle. Elle espère pouvoir apprendre de leur attitude qui mélange distance, sérieux, bienveillance et intelligence.

- Il y a aussi des territoires à favoriser, qui étaient peu joignables par certaines routes, qui deviennent de nouveaux endroits visibles sur la carte. Luisante est un repère bleu qui sillonne notre royaume et qui est un véritable atout pour enrichir certaines contrées…

La première ministre bifurque ensuite vers la question des moyens détenus par chacun des ministères. Le sujet plus sérieux peut mener à d’intenses et longs débats, c’est parfois épineux  d’aborder les différences entre les ministères, mais les ministres ne souhaitent pas éviter les questions difficiles. Il faut s’y confronter car Cassandra se méfie du silence avant orage quand il s’agit des finances, ce n’est pas toujours bon signe, d’autant plus quand l’effort de guerre va avoir un impact sur le budget des ministères et des services de la Capitale.

- Oh Mesdames, Sir Furi nous rejoint, le ministre des Armes domine toutes les têtes de cette assemblée.

L’homme d’une taille de demi-géant prend place à leur table et commande de l’eau sans hésitation. Cassandra devine qu’il est préférable, maintenant qu’elle le connaît mieux, de ne pas lui proposer une invitation au Magisterium Palace. Sa vie privée épanouie n’est pas connue au niveau politique, elle fait attention aux regards extérieurs qui pourraient être critiques ou pourraient vouloir utiliser certains savoirs sur ses activités temporaires contre sa carrière politique.

Haru Du Lys a des questions précises à poser à leur collègue, Cassandra en profite pour entamer son plat, pourtant la faim n’est pas au rendez-vous. Elle a abusé dans la matinée du buffet et de ses petits fours, le midi est arrivé trop rapidement. Elle sursaute entre deux bouchées quand elle entend prononcer le nom du commandant Höls. Cassandra n’a pas dévoilé l’ensemble des informations récoltées par le cabinet de la justice sur le dossier Klarion Brando à sa responsable, mais lorsqu’elle a reçu le compte-rendu des derniers enquêteurs mandatés par la maître-espion, il était urgent qu’elle la contacte. Par conséquent, Haru du Lys a connaissance de certaines problématiques concernant les agissements du commandant de la garde. Son histoire commence à voir le jour, à sortir des dédales du secret de la caserne. Sir Furi n’est pas un proche du commandant mais il semble avoir toute confiance en ce personnage. C’est pourquoi Cassandra n’aborde pas ce sujet tant que les informations ne seront pas rendues officielles. Son lien professionnel profond avec Höls  pourrait donner des bâtons dans les roues à cette affaire si des éléments sont donnés au détour d’une discussion sans forme et sans usage. Elle ne connaît pas assez Sir Furi pour savoir quelle sera sa réaction légitimement pleine de surprise car rien ne prévoit une telle trahison. Toutefois, elle est persuadée que cet homme doit faire face aujourd’hui à ses responsabilités, il est trop mouillé pour rester en sécurité à son poste.

Le ministre des Armes prend le temps d’expliquer aux deux ministres et Mademoiselle Nuii, la chaîne de commandement militaire en distinguant son rôle et ses fonctions par rapport à celles du commandant Höls. Son point de vue confirme son attachement au travail de ce fidèle de la couronne. Des dents vont bientôt grincer et des poils s’hérisser, lorsque des affaires vont être déballées en séance pleine. Le dossier est trop complet pour passer inaperçu malgré le bagage et l’histoire du commandant. Son assurance et la confiance de son équipe a permis au suspect d’échapper aux regards inquisiteurs de certains gardes qui auraient pu parler et dénoncer certains actes.

- Des gardes ont un parcours long pour monter dans la hiérarchie, il y a des profils intéressants parmi les gardes issus des formations initiales continuant leur route en réussissant les concours, tel celui de Java Anggun qui a pris la tête du commandement de la garde du Village Perché. En l’absence de Sir Furi, j’ai reçu cette candidature pour un entretien et vos conseils étaient avisés, il était naturel qu’elle prenne la suite des anciens qui l’ont formés.

Nuii se gratte la gorge souhaitant rappeler l’énorme investissement du ministère de la Justice dans le combat contre les sectes et les importantes dérives dans des villages reculés par rapport à la Capitale.

- J’ai lu dans vos rapports récents Dame Heydell, que vous avez travaillé avec des gardes royaux pour trouver les cachettes des membres de la secte des gloots sacrés, qui pratiquaient des enlèvements d’enfants pour leur culte. Les gardes patrouillaient sur le terrain, enquêtaient, protégeaient la population mais il est vrai qu’ils ne communiquaient pas sur la progression de leurs interventions, avant que le ministère n’organise la prévention et la lutte contre la résurgence du phénomène. Cela a révélé la problématique psychologique d’emprise, le besoin d’analyse faisait stagner les avancées.

- Vous souvenez-vous du chant du rite sectaire, il y avait un passage qui énonçait d’après mes souvenirs : «  Aime les gloots… Respecte les gloots… Prie les gloots… Souviens-toi ! Chaque gloot est libre et sacré ! », ajoute la garde des sceaux marquée par ce début de mandat occupé par la rédaction d’une loi anti-sectarisme.

Cassandra réalise que sa récitation d’un rituel de la secte peut inquiéter ses interlocuteurs qui vont se demander si elle n’a pas passer trop de temps à écouter des interrogatoires avec un garde royal.

- … Hormis les relations purement professionnelles tissées avec certains gardes royaux, ma famille a peu d’historique militaire. Je pense qu’il faut prendre le temps de briser la glace avec nos vaillants serviteurs du Royaume pour qu’ils révèlent leurs talents. Certains sont étonnants.

À la perspective d’un exercice militaire au sein du Palais, Cassandra est enthousiaste et exprime son volontariat pour participer à l’acheminement du personnel vers la sortie ou le repliement dans un lieu sécure, pendant la simulation d’attaque.

- Aurons-nous des indications sur le jour de l’exercice ou serait-ce une surprise prévue par le ministère des Armes ? Le ministère de la Justice est ouvert à la transmission de consignes de sécurité dans le cas de la construction d’un plan ou d’un règlement.

Les membres du gouvernement passent une bonne partie du retour à échanger dans le restaurant sur le pont de la péniche. Un ralentissement est annoncé à la moitié du trajet pour observer un banc de poissons sautillant au-dessus de l’eau pour accompagner les voyageurs. Les scintillements du soleil sur leurs nageoires les rendent repérables à une certaine distance.

Pour animer la deuxième moitié de l’après-midi, des marchands circulent sur la péniche pour vendre différents produits associés à la marque de la compagnie. Cassandra et Nuii achètent différents souvenirs pour leurs collaborateurs du cabinet, pensant égayer les bureaux des cadeaux offerts : documentations sur les péniches, coffrets de nourriture, brochures illustrées de voyage, maquettes de bateaux etc. Elles ne peuvent partir les bras trop chargées et limitent tout de même leur appétit consommateur.

Observant sur un étale de velours un collier de perles finement élaboré, Cassandra finit par se le procurer avec pour objectif de l’offrir à Nuii au départ de son stage. Son sourire a illuminé cette journée.

Le capitaine exécute une manœuvre pour entrer dans le port de la Capitale et l’embarcation se pose sans aucun remous, Luisante est en paix. Le vent calme de cette région continentale est plus chaud et sec qu’à l’ouest. L’ensemble des passagers se dirigent vers la sortie en suivant les indications déclamées par la guilde. La première ministre est accompagnée par le garde royal Lancelot qui a pour vocation de la protéger dans tous ses déplacements, voyages, réunions publiques, rencontres pour affaires politiques. Cassandra connaît peu cet homme, il n’émet pas d’opinion par rapport aux décisions prises par le gouvernement quand il est au Palais. Elle le perçoit comme quelqu’un de discret, il se mélange peu au milieu politique. Sa présence est toutefois essentielle pour garantir la sécurité et le bien-être de sa collègue ministre qui occupe une position de pouvoir centrale dans le Royaume.

Les ministres font partie des dernières personnes à rejoindre le quai, ils profitent une dernière fois de la vue sur le port, regardent ses bateaux de toutes formes et de toutes tailles, bateaux de plaisance, de pêche, ou de l’armée. Des commerçants exposent leurs produits sur le marché de la place. Ce sont pour beaucoup des lots de poissons issus de la pêche du jour qui sont vendus à des prix intéressants. Sur le bord de la rive, Haru du Lys lui montre les calèches qui attendent que leurs clients s’assoient sur leur siège. Elle explique quant à elle, que son voiturier doit se situer dans cette file indienne.

-  Dame Du Lys, Sir Furi, nous arrivons à bon port et à l’horaire prévu. Le ciel s’éclaircit pour notre retour. Nous nous reverrons bientôt cette semaine pour notre réunion hebdomadaire.

Les rues de la grande ville ont l’air nettes, sans traces de pluies cette journée. Elle pense comme Haru Du Lys, qu’elle est pressée de toucher terre, car si le trajet s’est déroulé sans mésaventure, que leur voyage n’a pas croisé de tempête ou d’orage, elle fatigue de tourner en rond sur le pont. Les passagers se collent les uns aux autres pour sortir, elle préfère les laisser passer devant elle, repérant la tête haute de Lancelot qui montre le chemin. Pendant les quelques dernières secondes partagées, elle écoute Sir Furi revenir sur les modalités de l’exercice de sécurité qui va avoir lieu dans le Palais.

- Je note que mon cabinet n’est pas concerné par cet exercice Sir Furi. Je demeurerai discrète et n’aborderai pas le sujet à mon retour, je comprends à vous écouter qu’il ne faut pas divulguer l’information, afin de ne pas influencer les résultats de la simulation de l’attaque. Vous allez tester toute l’efficience du système de protection du Palais. Depuis notre téléportation soudaine avec la première ministre au milieu de nul part, j’ai pris des dispositions et je fais parfois appel à une équipe de gardes lors de mes sorties personnelles, en dehors du Palais. Nous ne connaissons toujours pas l’identité du magicien qui a perpétré cet acte et il est aujourd’hui libre, envolé dans la nature. J’ai pensé qu’il a agi pour nous éloigner temporairement de la Capitale pour une raison inconnue mais je n’ai pas plus de réponse. Nous vivons dans un monde incertain et parfois dangereux… Devoir vivre encore une fois le choc d’une nouvelle disparition est insupportable à concevoir.

Le ministre des armes a été attentif à l’histoire de Cassandra qui est heureuse d’avoir pu découvrir un peu plus son nouveau collègue, qui existait déjà dans la vie politique et militaire de la Capitale, mais elle avait très peu de lien avec lui avant son entrée au gouvernement. Nuii donne ses au revoir aux ministres, son stage touche à sa fin dans quelques jours.

- Merci pour tout ce que vous m’avez apporté en connaissances de méthodes de discours politique et de communication Dame Du Lys, et merci pour les explications que vous avez présentés en détails des fonctions et de la chaîne de commandement de la défense Sir Furi.

Cassandra se retourne plus loin pour faire un signe d’au revoir de la main. Le bruit d’amarrage des bateaux couvre sa voix mais ses lèvres miment un « à très vite ».