Il y avait des choses qui faisaient rire Ivan, que le son grave et rauque de sa gorge se déployait à travers la forge. Se soustrayant de son air renfermé pour détendre son visage bourru, c’était sûrement la première fois que je le voyais ainsi. Sa large main se posa sur mon épaule, alors que j’avais été convié à quitter la montagne pour rejoindre cette chère et tendre détestée Capitale.


“Toi ? T’occuper d’enfants ? Il explosa de nouveau de rire dans mes oreilles, tandis que je me tassai sur moi-même.”

Qu'en dise les anciens de ce royaume, j’étais destiné à être maudit alors que le rire d'Ivan résonnait dans mes oreilles maintenant que j’étais face au portail prêt à m'engloutir jusqu’à la Capitale. De toutes les missions disponibles, ils avaient décidé de m’abandonner à celle qui m’était le moins adaptée. Quelle était cette idée farfelue que de vouloir m’instruire au relationnel. Mettre le feu à la Capitale aurait sûrement eu moins d’impact que la terreur que je ressentais à l’heure actuelle. Me passant une main fatiguée sur le visage, je sentis celle de mon maître secouer doucement mes épaules, me forçant ainsi à relever le regard dans sa direction.

“Essaye de te détendre gamin, ça ne peut pas être si terrible.”

Ravalant les mots traîtres qui manquèrent de m’échapper pour l’envoyer paître, je finis par hocher lentement la tête avec l’espoir que cette journée se finisse vite et sans encombre. Seulement, attisant la malchance comme un poids lourd, je savais parfaitement que ce ne serait pas de tout repos. Attirant de fait, l’infortune sur ma future partenaire. J’osais espérer qu’elle ne m’en tienne pas rigueur lorsque je poserai enfin le pieds dans le bâtiment de la Guilde. Colmatant les terreurs qui vrillaient les battements vifs de ma poitrine, je pris le temps d’inspirer longuement avant d’être aspiré dans le portail, épargnant mes complaintes à Ivan, et le saluant simplement d’un bref mouvement de la main.

M'armant d’un courage fuyant, j’étais un piètre aventurier qui n’avait que pour seul objectif, de s’enfermer dans la forge pour ne croiser aucun regard. Glissant une main derrière mes mèches dorées, je traversais les longs couloirs de la cité jusqu’au bâtiment de la guilde. J’avais l’espoir de ne croiser personne que je connaissais. C’était un risque qui ne manquait pas d’alourdir ce poids qui épousait les relents de mon estomac. La simple évocation de la Capitale ne manquait pas de me rappeler à quel point je la haïssais, et l’idée même que je risquais sûrement d’y passer plus d’une nuit m’ennuyait énormément.

Je pris le temps d’inspirer longuement alors que l’immense bâtiment se dessinait à l’horizon, étoffant le paysage de corail de cette aube encore timide. Et malgré les premiers rayons timides du soleil, la chaleur écrasante de la cité était étouffante. Loin du froid glaçant des montagnes, j’étais un peu dérouté des rayons chaleureux qui couvait chaque parcelle de la ville.

“Kasha... Murmurai-je pour moi-même après m’être saisi de la lettre de convocation.”

Le pied à peine posé dans l’enceinte du bâtiment, il y avait déjà quelques aventuriers attablés en quête de leur prochain gagne-pain. Mais étonnamment moins animé en cette pleine période estivale. Perdu dans mes pensées, je ne me rendis pas compte immédiatement que quelqu’un était en train de quérir mon attention. Chaque ligne semblait s’altérer à mesure que l’angoisse me prenait à la gorge. Je n’avais aucune expérience avec les enfants, et mon travail ne m’avait jamais demandé d’en avoir. Et s’ils étaient en danger et que je n’étais pas capable de les aider ?

Torturé par des questions sans réponse, j’avais apporté mon pouce contre mes lèvres pour le ronger nerveusement avant qu’une patte fraîche ne se pose sur ma joue. Lystoir glapit faiblement tandis que Brasier mâchouillait l’une de mes mèches jusqu’à la rendre baveuse. Je ne pus réprimer une légère grimace avant de relever la tête vers la jeune femme.

“J-je suis navré, Je ne t’avais pas vue !”

Confus, je m’inclinai un peu vivement, j’avais perdu l’habitude d’être sur mes gardes lorsque je n’étais pas transformé, ou lorsque je n’étais pas en mission. Et le résultat n’en était pas moins affligeant. L’envie de m’enterrer n’en était d’ailleurs pas meilleure. Après m’être passé une main dépitée dans la nuque je me redressai pour croiser la jolie jeune femme qui me faisait face.

“Enchanté Kasha, oui, je suis bien Adam. R-ravi de travailler à tes côtés.”

Je ne m’étais pas mordu la langue, un véritable miracle à ce stade. Cette timidité dévorante me rendait vraiment inapte dans cette fichue société, et ils n’avaient rien trouvé de mieux que de me lancer dans la fosse aux lions. Ils avaient vraiment fait le pire choix du monde en m’employant, alors que désormais la pièce accueillait les premiers visiteurs.

Avec le voyage, et mon retard, nous n’avions même pas eu l’occasion de discuter de comment nous allions procéder à la visite. Même les hôtesses de la Guilde n’avaient pas pu nous mettre au courant de la situation. C’était encore pire que ce que j’avais imaginé. Je jetai un regard nerveux dans la direction de la jeune femme, je ne connaissais pas non plus ses expériences. Mais j’avais vécu pire, n’est-ce pas ? Mais je n’en étais pas moins mortifié, j’aurais espéré que la Guilde nous donne davantage d’informations plutôt que de nous jeter pieds et poings liés face au fait accompli.

“B-bienvenue à la Guilde des aventuriers.”

Souris Adam, ne tremble pas. Une requête à moi-même aussi difficile qu’angoissante alors que les premiers enfants accompagnés de quelques parents traversaient la porte. Une nuée d’enfants ne tarderait pas à grouiller autour de nous. Il y avait pire aussi, comme par exemple une arrivée surprise de Calcilia ? J’inspirai longuement pour gonfler mes poumons et laisser le stresse m’abandonner.

“Voici Kasha, et je suis Adam, nous serons les aventuriers en charge de votre visite aujourd’hui.”

Muni d’un masque que je ne me connaissais pas, je maintenais tant bien que mal cette posture affable. Ils ne semblaient pas être bien plus qu’une petite dizaine, d’autres aventuriers avaient sûrement été appelés pour faire visiter à des enfants sur plusieurs jours, il n’était donc que peu étonnant qu’ils ne soient pas plus.

J’entendis quelques exclamations d’émerveillement au milieu de notre public, alors que les parents nous les laissaient en toute confiance. Nous étions responsables, ça se passerait bien n’est-ce pas ?

“De toute façon, la Guilde elle sert qu’à pomper l’argent du royaume, c’est ce que me dit mon papa. Y a que les Saphir que je veux voir moi !”

Je figeai, un sourire crispé sur les lèvres, peut-être un peu blessé dans mon égo. Je pouvais comprendre que nous n’étions peut-être pas les élites de la Guilde, mais ça ne faisait pas toujours plaisir à entendre.

“Oui et puis n’importe qui peut venir à la Guilde, c’est nul !
- Oh ! Arrête de dire des bêtises ! Si t’es pas content fallait pas venir ! Moi je suis contente de voir des vrais aventuriers !
- Oui mais toi t’es moche ! C’est parce que personne ne veut de toi sale gueuse !”

Par pitié, pourquoi de tous les enfants du royaume, Lucy avait décidé de nous laisser le petit noble insupportable ? Et je n’avais aucun mot à donner pour pouvoir le contredire, me donnant l’impression d’être encore plus pitoyable que ce que j’avais l’impression d’être. Finalement, le garçon nous pointa du doigt comme si le monde se devait d’être à ses pieds.

“C’est quoi vos pouvoirs ? Je suis persuadé qu’ils ne valent pas le mien.”

J’avais l’horrible sensation d’être face à Ophelia et ses grands airs supérieurs qui me donnaient des frissons détestables. J’espérais que Kasha soit un peu plus apte à gérer un tigre pareil, car moi, je n’étais pas certain de pouvoir garder mon sang-froid si j’étais encore insulté de la sorte. Et dire que la visite n’avait même pas encore commencée...