Le ciel roule et enfle au-dessus de vos têtes. Vous avez chacune une raison toute particulière d’être venue dans ce quartier reculé du Bourg, une succession de tavernes et de bicoques très animées à l’extérieur du cœur principal de la Forteresse. Ici, la dernière chaumière s’arrête là où commencent les étendues sauvages. Qu’importe – c’est la fête jusqu’à présent, la saison chaude ravivant les foules qui épanchent ici leur soif toute la journée durant. Mais la météo n’est pas bienveillante sur Aryon, plus encore en Montagne… En quelques minutes visibles à l’œil nu, les nuages s’amoncellent et prennent une teinte sombre de mauvais augure.
Vous vous attendiez sans doute à l’arrivée de quelques flocons, c’est toutefois la pluie qui vous surprend. Une bruine tout d’abord, et puis des sceaux entiers d’eau qui prennent une drôle de tournure. Dans les rues, les badauds jurent et crient en courant sous les toits pour se protéger de cette eau intempestive : le premier inconnu à utiliser son pouvoir utilitaire pour se prémunir de l’humidité sera le premier à déceler la bizarrerie de cette intempérie. Car chaque fois que vous utilisez la magie, la pluie dans le périmètre direct autour de vous se transforme en grêlons de la taille d’un poing. Vous entendez déjà les hurlements douloureux et les dégâts occasionnés sur les toits. Personne ne semble comprendre l’origine du problème et le facteur d’apparition des grêlons… Et les blessés risquent de s’accumuler.
Participants : Sofia & Evelyn
Thème actuel : Aléas climatiques
La Forteresse. La personne à l’accueil de la Guilde lui avait assuré que Sofia était active dans le coin. Eh bien, en tout cas, pas depuis l’arrivée d’Evelyn il y a trois semaines. La chasseuse pouvait seulement se montrer patiente, mais elle était surtout frustrée. Après des mois en captivité, les sévices subis, l’éloignement forcé avec sa compagne… La patience manquait cruellement à Evelyn. Mais que faire d’autre? À part attendre.
De nouveaux vêtements, voilà la première chose qu’Evelyn avait achetés. Pour remplacer les autres tâchés de son sang et en piteux état. Puis, un arc. Puis, une dague. Puis de l’alcool. Puis on lui avait aussi payé de l’alcool. Elle avait chassé dans les environs, pour obtenir des cristaux. Elle avait négocié avec un marchand, lequel s’était montré dur en négociation. Elle était repartit avec un plastron et des brassards de cuir. Voilà tout ce qu’elle pouvait se permettre pour le moment. Elle se sentait pauvre, démunit et vulnérable. Elle ressentait cette vulnérabilité depuis sa capture avec les brigands. Son impuissance aussi, car elle n’avait pas su protéger Sofia. Et si l’archère était toujours en vie, elle avait conscience qu’elle aurait facilement pu y laisser la vie.
La Forteresse grouillait de vie, comme toujours, mais l’arrivée de la saison chaude semblait réchauffer les cœurs. Dans le Bourg, là où Evelyn logeait, l’alcool était facile à trouver et les cristaux facile à perdre. Elle laissa son arc dans la chambre qu’elle louait, car elle n'allait pas chasser, et ne prit que sa dague, glissée dans un fourreau, accroché à sa ceinture. Elle avait comme but de se rendre à la Guilde, encore. Cependant, au lieu de prendre le chemin habituel, elle en prit un autre. Puis, pour échapper à une foule compacte, elle prit une seconde rue. Finalement, elle fit un énorme détour. Finalement, elle atterrit dans un quartier reculé du Bourg, qu’elle trouva assez festif.
Il y avait un petit stand et une petite femme qui proposait des fruits et légumes. Cela attira l’attention de la chasseuse, qui se planta devant la demoiselle. Au-dessus de sa tête, Evelyn avait bien remarqué les gros nuages, lesquels étaient de mauvais présages, mais ce n’était ni un peu de pluie ni un peu de neige qui allait effrayer l’aventurière. D’autres choses l’effrayaient, bien peu de choses en réalité, et ce n’était pas le moment de les énumérer. Et puis, les nuages allaient peut-être passer leur chemin. Le voisin d’Evelyn comparait les mangues, pour apparemment trouver la mangue parfaite. Evelyn choisit une pomme, au hasard. Puis la bruine qui tombait précédemment sur son visage se transforma en pluie torrentielle. Détrempée, puis bousculée, Evelyn jura. L’homme à ses côtés montra des signes d'énervement, probablement car la pluie le gênait dans le choix de son fruit. Evelyn voulut quand même acheter sa pomme. Il y eut un hurlement sur sa gauche. Suivit d’un autre sur sa droite. La chasseuse comprit l’agitation des gens, lorsqu’elle reçut un grêlon qui lui causa une vive douleur à l’épaule.
Blessée, son pouvoir s’activa. Plaquée contre un mur, à l’abri sous une partie du toit d’un commerce, elle regarda l’étal des fruits et légumes se faire détruire. Une main sur son épaule meurtri, le son de la destruction au-dessus d’elle, les grêlons s’accumulant au sol devant elle. Puis, elle releva le regard et eut le souffle coupé.
Là, de l’autre côté de la rue, n’étais-ce pas… ?
N’étais-ce pas Sofia?
…La seule, l’unique, la merveilleuse Sofia?
Evelyn trembla; de froid et d’émotion. «Sofia», prononça-t-elle dans un souffle, inaudible. Leurs regards se croisèrent. …Du moins, le regard d’Evelyn croisa le bandeau de l’aventurière. Entre elles, les grêlons. De stupides grêlons de la taille d’un poing osaient se mettre entre elle et sa bien-aimée. Son cœur se débattait dans sa poitrine. Au ralenti, elle leva une main à l’intention de la femme qu’elle ne quittait pas des yeux; un salut. Autour d’elle, plus rien ne comptait, rien n’avait d’importance, tout s’effaçait.
Sofia était là.
Je venais d'en terminer une, qui ne m'avait menée nul part, si ce n'était à l'arrestation du groupe de hors-la-loi qui sévissait dans le coin. De quoi seulement remplir les geôles de la Forteresse, mais je ne perdais pas espoir. De retour dans le hall de la Guilde, je fis mon rapport et récupérai mon paiement. Au moment de sortir, Catherine, l'hôtesse d'accueil, m'appela, comme si elle venait de se souvenir d'une chose à me dire. Toujours aussi radieuse, belle et souriante, elle me fit part d'un message : Une aventurière était passée durant mon absence, pour essayer de me trouver. Surement Nari ou Sia, qui voulaient partir à l'aventure ? Elle fouilla dans sa mémoire et, quand cela lui revint, frappa avec son poing la paume de sa main.
"Ah ! Evelyn Westwood ! Nos fichiers disaient qu'elle avait disparue, comme vous."
Un frisson remonta le long de mon dos. Un frisson glaciale, qui me fit perdre la notion de l'instant présent, durant quelques secondes.
"Je lui ai dit que vous étiez en mission..."
...Evelyn, elle était là ?
"...A croire qu'elle porte la même attention que vous, au sujet de l'alcool..."
Alors c'était bon... ? Genre, tout venait subitement de s'arranger, là ? J'avais juste à me barrer d'ici, à courir la retrouver... ?
"Elle est partie vers le bourg ! Déclara Catherine. ...Sofia ? Vous m'écoutez ?"
"O...Euh ouais, Catherine, désolée, désolée. Merci pour les infos', j'vais voir ça !"
Je la saluai et quittai la guilde à la hâte.
"Sofia, vous oubliez votre paiem.... ! ... Ah, déjà partie...."
Jamais de ma vie je n'avais couru aussi vite. Je rejoignis le bourg et me mis à la recherche de ma fiancée. Je demandais à tout le monde s'il avait vu une belle brune avec des gros seins qui se trimballait un arc... Bon, ouais, j'étais pas la plus douée pour décrire les autres, mais heureusement, évoquer les gros seins semblait avoir fonctionné puisqu'un vieux type qui sentait l'alcool à plein nez m'indiqua la taverne dans laquelle elle couchait. A tous les coups il avait payés quelques verres à Eve' dans l'espoir de la voir s'installer sur ses genoux. Je me dirigeai sans attendre vers la taverne. A l'intérieur, je m'avançai vers le tavernier.
"Salut. Euh, dites, par hasard, Evelyn Westwood est bien là ?"
Il se frotta la barba, pensif. Il me dévisagea un instant, je devais pas lui inspirer confiance, jusqu'à ce qu'il voit mon insigne d'aventurière.
"Oh, une autre aventurière ? Ouais, elle est bien là ! Enfin, là elle s'est absentée, m'semble qu'elle est partie vers le marché."
"Merci !"
Mon cœur commençait à battre de plus en plus fort. De plus en plus vite. Un sourire se dessiner peu à peu sur mon visage, qui était d'ordinaire de marbre. J'allais la revoir ! J'allais enfin la retrouver ! Je n'avais même pas fait attention au temps qui se couvrait, présageant une grosse averse. Ou alors un orage d'été. J'arrivai au marché, qui était bondé. Je me faufilai entre les gens, j'appelai Evelyn, dans l'espoir d'être entendue par celle-ci. Il se mit à pleuvoir fortement, j'enfilai alors la capuche de ma cape, l'eau glissait dessus, parfaitement imperméable. Soudain, je vis un énorme glaçon se fracasser au sol juste devant moi. En levant la tête, j'en vis d'autre arriver. Puis des cris, des hurlements de douleurs. La situation dégénéra, en l'espace de quelques secondes. Les grêlons étaient aussi gros d'un poing et menaçaient d'assommer, voire pire, tous ceux qui restaient en dessous. Je m'abritai sous le proche d'une habitation, l'air impuissante, à regarder ce spectacle. C'était la première fois que je voyais un truc pareil. Puis, en relevant le regard, je me figeai.
"Eve... ?"
Les larmes montèrent sans la seconde, plaquai ma main devant ma bouche pour retenir un sanglot. Juste là, en face. Blessée à l'épaule à cause des grêlons, son pouvoir était déjà en train de la soigner. Je remarquai alors que la grêle était plus intense chez elle. Par endroit, il n'y en avait même pas... Impossible de l'approcher. Même si mon ombre était faible, il y en avait assez pour en appeler juste une, sur ces quelques mètres qui nous séparaient. Tandis que le tentacule s'approchait, la grêle se mit à tomber plus fortement, jusqu'à toucher mon ombre et la faire disparaître avant qu'elle ne puisse atteindre Evelyn. C'était donc la magie qui provoquait tout ça... Il ne me restait plus qu'à attendre. Les gens criaient encore, couraient partout pour s'abriter. Mais je m'en fichais. Mon regard était rivé sur ma compagne. Plus rien n'avait d'importance autour de moi.
Evelyn était là.
Sofia était maintenant là.
Elle désirait franchir le rideau de glace et se ruer à sa rencontre. Elle désirait l’enlacer des heures durant. Elle en avait besoin. Besoin de la toucher, de sentir sa chaleur, besoin de l’entendre, de la voir sourire, de l’embrasser… Besoin d’un bain chaud aussi, pensa-t-elle soudainement alors qu’elle ressentit une bourrasque de vent telle une morsure. Besoin de réchauffer son corps autant que son cœur. …Cependant, malgré son désir de franchir le rideau de glace, avoir une fracture du crâne n’était pas l’idéal pour des retrouvailles, et ce même si elle avait le pouvoir d’en guérir facilement.
Les pleurs d’une enfant réussirent à attirer l’attention d’Evelyn. Elle détourna alors le regard de son aimée et tourna la tête pour apercevoir une fillette qui pleurait seule sous la pluie quelques mètres plus loin. D’instinct, elle voulut s’avancer. Le grêlon qui lui frôla le visage lui dissuada de faire un pas de plus.
Elle regarda alors autour d’elle. Remarqua que les grêlons n’étendaient pas leur destruction sur toute la rue, au contraire. Elle longea de quelques pas le mur vers la droite, mais s’immobilisa en comprenant que la pluie devenait grêlon sur son passage, pour une raison ou une autre. Peut-être que Lucy se moquait d’elles et désirait pimenter leurs retrouvailles. Quoi qu’il en soit, elle n’allait être d’aucune aide pour la fillette, au contraire. Son épaule la démangeait. Dans un certain nombre de minutes, son épaule apparaîtra intacte.
Son regard descendit ensuite, attiré par un mouvement. Sous l’étal de fruits et légumes, un homme était caché, n’osant sortir, protégeant un fruit qu’il avait sauvé du désastre, qu’il avait sauvé du règne de la terreur des grêlons. Il n’avait pas sauvé sa pomme, par hasard?
Elle posa de nouveau les yeux sur Sofia, pour ensuite lui faire un signe. Elle pointa l’enfant. Si personne d’autre ne semblait vouloir réagir, peut-être que Sofia, elle, pouvait faire quelque chose pour apaiser ses pleurs; les parents de la petite étaient peut-être cachés comme Evelyn, ou comme des pleutres.
Sauf qu'Eve, elle, non. Elle avait déjà été maman, dans une ancienne vie. Avant de tout voir partir en fumée. Tout brûler. L'instinct maternel, elle l'avait, elle. Pas moi. Alors elle fit un pas en avant, pour aller récupérer la gamine. Un morceau de glace frôla son visage et la dissuada d'avancer davantage. C'était pas le moment pour prendre des risques aussi énormes pour rien. Tant pis pour elle, point final. Ma compagne regarda autour d'elle, l'air de chercher une solution à ce "problème". Puis elle porta à nouveau son attention sur moi. Je levai brièvement le menton pour savoir ce qu'elle voulait faire. Rectification : Ce que je devais faire. Elle désigna l'enfant, pour que j'intervienne.
Vraiment, elle était la seule à pouvoir autant m'attendrir. Je retirai ma cape, pour la lancer à coté de moi. Comme je m'y attendais, la grêle se mit à tomber lourdement. J'avais donc qu'à pas utiliser ma magie, ni mes objets et ça devrait aller. Je laissai donc ma corde, ma longue-vue, mon talisman. Je n'avais rien oublié, je me décalai légèrement sur le côté. Au-dessus de moi, c'était bien de la pluie, la grêle tombait encore là où j'avais laissé mes affaires. Prudente, je fis un pas hors de mon abri... Je guettai le ciel, puis la gamine. Je m'approchai encore, pour arriver à son niveau et la soulever par sous les aisselles. Elle se mit à gigoter comme un putain d'asticot et cria de plus belle.
"Mais, mais tais-toi donc ! J'suis là pour t'aider, on va s'planquer en attendant la fin de la pluie, d'acc ?"
"Je veux ma maman ! Maman !!" Hurla-t-elle.
Puis, à mesure qu'elle hurlait, je vis des fleurs et de la verdure pousser là où elle se trouvait. Un grêlon écrasa aussitôt l'une des fleurs, puis un autre s'écrasa à mes pieds. La conne, elle utilisait son pouvoir sans même s'en rendre compte ! Et merde, faire pousser des fleurs !? Mais c'était nul ! Avant de finir toutes les deux broyées par cette grêle, je plongeai sous l'abri où je me trouvai juste avant de lui venir en aide. Voilà, j'avais trouvé la solution pour aller voir Eve sans me faire tuer, mais j'avais à présent un parasite qui attirait les glaçons sur nous.
"On attend qu'ça se calme et on ira chercher ta maman, oui ?"
En voyant qu'on venait d'échapper au pire, elle se blottit contre moi, l'air reconnaissante, et hocha la tête plusieurs fois. A nos pieds, de la belle pelouse poussa, ainsi que quelques fleurs. Si on l'avait laissé un peu plus longtemps sous cette pluie, cette gamine aurait pu y passer dès lors qu'elle aurait utilisé son don. A Empyrée, c'était pas le genre de soucis qu'ils pourraient rencontrée, au moins... Ca serait sympa d’y faire un tour, avec Eve.
L’archère les observa. Sofia et cette fillette blottit contre elle, une petite pelouse et quelques fleurs poussant à leurs pieds. Cette scène en était une particulièrement mignonne. Cette scène donnait pratiquement envie à Evelyn d’adopter un enfant avec sa fiancée. Pratiquement; Evelyn avait déjà eu des enfants et ne se voyait pas redevenir mère. Perdre ses enfants l’avait fait énormément souffrir; elle avait même pensé s’enlever la vie. Et puis, elle avait une autre vie maintenant, une vie différente, une vie dans laquelle il n’y avait pas la place pour des enfants.
Le temps passa. Des gens furent conduits ailleurs, pour soigner leurs blessures. L’homme sous le stand à fruits trouva le courage de sortir de sa cachette pour fuir à la course… sans payer la mangue qu’il avait sauvé de la grêle. Pas que cela avait vraiment de l’importance à cet instant, ni aucune importance pour Evelyn de façon générale. Le calme semblait vouloir revenir. Bien qu'au travers du bruit de la pluie, elle entendit le rire retentissant de jeunes hommes au loin; peut-être qu’ils étaient idiots et que cette situation extraordinaire les amusait. Puis une voix féminine appela et, en réponse, la fillette que Sofia avait sauvée se précipita sous la pluie. Réunit sous la pluie qui resta pluie, mère et fille repartirent, l’une soulagée, l’autre heureuse. Aucun remerciement pour Sofia, si ce n’était la précédente accolade de la fillette qui pouvait s’apparenter à un remerciement. Et les jolies fleurs sauvages qui avaient poussées aux pieds de Sofia.
Evelyn également était heureuse, car les grêlons cessèrent de tomber face à elle, lorsque son épaule fut entièrement guérit. La pluie, elle, tombait toujours. Puisque la chasseuse ne possédait aucun objet magique, elle fit un premier pas en dehors de son abri, évitant de marcher sur les énormes grêlons qui lui auraient fait perdre pied. Puis elle fit un deuxième pas. Et ainsi de suite.
Aucun mot ne pouvait décrire sa joie de retrouver sa compagne. Elle l’avait attendu durant trois semaines à la Forteresse. Elle attendait et espérait cette réunion depuis des mois. La gorge nouée, aucun mot ne franchir ses lèvres. Alors, elle enlaça Sofia de toutes ses forces.
Elles étaient réunies.
Après ce qui me semblait être une éternité, la grêle s'arrêta. La scène sous mes yeux était apocalyptique, les stands et les bâtiments les moins solides étaient en ruines, des morceaux de glace jonchaient le sol, les vitres étaient brisées. Un homme, miraculé, qui s'était caché sous une étale de marchand, trouva le courage de sortir de sa cachette pour courir vers sa maison. Plus de grêle à son passage, mes objets magiques ne semblaient plus attirer les grêlons non plus. Les gens sortaient petit à petit, pour se mettre à chercher des blessés. Les parents de la fillette réapparurent, appelant leur enfant qui reconnut aussitôt la voix de ses parents. Elle courut vers eux et se jeta dans leurs bras. Pas un merci, par un regard, ils s'en allèrent.
Je récupérai mes affaires et me tournai vers ma compagne qui s'approchait de moi. Mon cœur se serra, ma gorge se noua. Sans parvenir à retenir un sanglot, je courus vers elle pour plonger dans ses bras. Elle me serra très fort, si, d'ordinaire, j'aurais probablement râlée pour avoir un peu d'air, là je voulais juste en profiter et la serrer tout aussi fort. Un mois à la chercher partout, sans même savoir si j'allais la revoir un jour. Un mois qui me sembla tout d'un coup loin derrière moi, déjà. Je me sentais chanceuse de l'avoir retrouvée aussi rapidement. Si je ne priais pas spécialement Lucy, je ne pouvais que la remercier de m'avoir rendu ma fiancée.
"Je te demande pardon, Evelyn... Je te demande pardon !" Suppliai-je, en craquant et en laissant mes larmes couler.
Je m'en voulais terriblement de l'avoir ainsi laissée derrière moi. Cette sensation de l'avoir abandonnée m'était insupportable.
"J'ai essayé de les en empêcher ! J'ai tout... J'ai tout fait pour éviter qu'ils te prennent ! Et... Et quand j'ai pu me libérer, j'avais beau avoir cassé leur gueule, aucun ne voulaient me dire où tu étais ! Et... Et j'ai cherché, alors ! Partout !"
J'enfouis mon visage contre sa poitrine. J'étais en train de mouiller son haut.
"J'te jure que j'ai essayé."
Bien sûr qu'elle allait me croire. Bien sûr qu'elle n'allait pas me juger coupable de ce qu'il s'était passé. Elle avait vu à quel point j'avais essayé de combattre, de lutter, pour empêcher tout ça. Hélas, ils étaient trop nombreux et grâce à leurs pouvoirs, ils étaient parvenus à nous arrêter. Pourtant, je m'en voulais. Si j'avais été capable de nous défendre, rien de tout ça ne serait arrivé.
Pardon, supplia sa compagne, se montrant fragile, laissant elle-aussi couler ses larmes, jurant qu’elle avait tout essayé, qu’elle avait cherchée partout. Bien sûr, que Sofia avait tout essayé; tout comme Evelyn, qui avait été impuissante face aux brigands. S’il y avait faute, alors elle était partagée. Mais ni l’une ni l’autre n’était responsable des évènements. Bien sûr, que Sofia avait cherché partout, Evelyn n’avait aucune raison d’en douter. Après tout, elles étaient liées, jusqu’à ce que la mort les sépare.
«Je sais. Ne t’en fais pas. Je sais. Ça n’a pas d’importance. C’est derrière nous maintenant», lui dit-elle doucement. Derrière elle, oui, voilà exactement où Evelyn souhaitait laisser tous les évènements des derniers mois. «J’ai eu peur… si peur, de ne jamais plus te revoir.» Evelyn n’implorait jamais la déesse, sauf en cas de désespoir. Elle pourrait admettre avoir ressenti du désespoir ses derniers mois.
Evelyn ne souhaitait pas mettre fin au câlin, au contraire elle souhaitait que le moment s'éternise, mais il le fallait bien. Elle se détacha délicatement, puis ses mains allèrent retrouver celles de l’aventurière. «Allons ailleurs», proposa-t-elle, un doux sourire aux lèvres. Il y avait de meilleurs lieux pour faire des retrouvailles qu’une ruelle dévastée par les grêlons. De plus, Evelyn avait besoin d’aller se réchauffer et d’échanger ses vêtements mouillés contre des vêtements secs… ou contre aucun vêtement… ou contre un maillot de bain; elle avait besoin d’un feu dans une cheminée ou de profiter des sources chaudes… mais elle se contenterait également de la chaleur du corps de Sofia.
...Quand bien même, je ne savais pas si j'allais pouvoir me pardonner un jour. Mon rôle était de protéger Eve. Elle était forte, oui. Mais pas autant que moi. Si sa spécialité était la traque et la chasse, moi c'était le combat. C'était pour cette raison qu'on formait un excellent duo. C'était moi qui avais échoué à nous défendre.
«Ne t’en fais pas. Je sais. Ça n’a pas d’importance. C’est derrière nous maintenant» Ajouta-t-elle, toujours aussi apaisante.
Je hochai doucement la tête, toujours enfoui contre son torse. Derrière nous. Elle avait raison, c'était fini. Et tout allait redevenir comme avant. Mieux : On allait peut-être enfin pouvoir se marier. On allait pouvoir faire comme on avait prévu. Vieillir ensemble dans notre maison au Village Perchée, et quand on sera toutes fripées, on pourra se raconter notre jeunesse, nos aventures et terminer, ensemble, notre vie.
«J’ai eu peur… si peur, de ne jamais plus te revoir.» Avoua ma compagne.
Et moi donc ! A ces mots, je la serrai davantage contre moi, pour sentir à nouveau son parfum et sa chaleur me fit le plus grand des biens. Au bout d'un petit moment, je la relâchai et allai chercher un baiser, qu'elle partagea. Je vins déposer un autre bisou sur sa joue et lui souris. Elle joignit ses mains aux miennes et sourit à son tour. La voir ainsi, son visage souriant... Ca me fit des petits papillons dans le ventre, comme si c'était la première fois que je la voyais. Je me promis, à cet instant, de ne plus jamais laisser Eve en danger. De ne plus jamais l'abandonner.
«Allons ailleurs» Proposa-t-elle.
Bonne idée. Les rues jonchées de débris et de gros glaçons, c'était pas très estival. Et entendre tous ces gens sortir pour se mettre à râler, pleurer et crier commençait à me gaver. Ma main tenant fermement celle de ma compagne, je pris la direction du centre, vers la place du marché.
"Une idée en particulier ?" Demandai-je.
Elle proposa d'aller faire un petit tour vers les sources chaudes. Bonne idée. Même si le soleil brillait fort durant cette saison, on était jours en montagne, en haute altitude, il y faisait toujours plus ou moins froid. Pour l'occasion, je lui suggérai de nous rendre dans une boutique d'un des tailleurs du coin pour aller nous procurer des vêtements de bains. Me foutre à poil devant Eve me posait pas trop de souci - bien au contraire - mais j'avais certainement pas envie de laisser les autres se rincer les yeux sur nous. A l'intérieur de l'échoppe, qui venait de rouvrir suite aux intempéries, je laissai Eve choisir la première. Parce que j'avais envie de me faire plaisir et la reluquer en train de se changer et d'essayer des vêtements. Mais aussi parce que je voulais pas m'emmerder à chercher moi-même. Donc je me contenterai de choisir la même chose qu'elle. Le choix fait, nous nous mîmes en route vers les sources.
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