Alors que la fête battait son plein, une ombre fit son apparition au dessus des invités. Perchée au sommet de l'estrade, le mystérieux inconnu apparaissait à contrejour, privant les curieux de détailler son apparence. Seul, il n'attira pas immédiatement l'attention de la foule, hormis celle des plus alertes, mais ce qui suivit ne tarda pas à inciter les plus distraits à lever le nez. S'extirpant des ténèbres, apparaissant sur les toitures des maisonnettes ou se faufilant en dehors des feuillages épais d'un arbre ou d'un buisson, une multitude de personnages faisaient peu à peu leur apparition tout autour de l'évènement.

Ils furent cinq, puis dix, puis trente. A mesure que ces sinistres figures se révélaient, la tension montait et la foule se resserrait à la manière d'un troupeau cerné par les loups. Encerclant les festivités, ces fantômes qu'on aurait crus sortis du vide prenaient position en hauteur, surplombant les invités dans un silence de mort qui ne présageait rien de bon. Les gardes présents portèrent tous leurs mains à leurs armes, tâchant d'obtenir des informations précises concernant le nombre réel ainsi que les positions de ces menaçants étrangers, mais le soleil rendait l'opération plus difficile et les données obtenues, moins fiables. Civils comme forces de l'ordre ne pouvaient y croire et pourtant, la situation paraissait déjà très claire.

Il s'agissait d'une véritable embuscade menée contre la Garde, en pleine journée. Un tel rassemblement en plein jour, ce au nez et à la barbe des forces armées du Village Perché, comment était-ce possible ? L'état d'alerte du Village ayant été levé depuis des lustres, ces hommes avaient petit à petit préparé le terrain pour leur attaque, s'infiltrant en prenant le rôle de touristes, de marchands ou encore d'aventuriers de passage. Depuis des semaines, ils s'inséraient au compte-goutte pour mener à bien ce plan, attendant patiemment leur heure tels les prédateurs patients qu'ils incarnaient.

Un nuage vint obscurcir partiellement l'aveuglante lumière du soleil, laissant aux citoyens la possibilité de discerner avec un peu plus de précision l'apparence de ceux et celles qui les menaçaient pour d'obscurs motifs. Soudain, la première silhouette se redressa, dévoilant les curieux ornements dont elle était affublée. Vêtu d'une cape intégral, l'étranger portait un ornement des plus curieux : un masque de cervidé décoré d'or et de pierres précieuses et surmonté de deux bois gigantesques. Lentement, le sinistre personnage vint joindre ses mains pour applaudir. Sans mot dire, il demeura ainsi un long moment à frapper énergiquement dans ses mains sous les regards ébahis d'une assistance désormais terrifiée.

Puis, d'une voix terriblement forte, rauque et dénuée d'humanité, il prit enfin la parole depuis son perchoir :

"Bravo, bravo ! Superbe discours, capitaine. Quelle ascension fulgurante, n'est-ce pas ? Qui aurait pu se douter qu'une petite peste telle que vous parviendrait avec tant d'aisance à grimper les échelons de ce rassemblement d'incompétents et de saoulards ? Vraiment, je me devais de venir vous féliciter en personne. J'ai donc amené quelques amis avec moi, histoire de mettre un peu l'ambiance et de marquer le coup, vous voyez ?"

Il leva les bras, révélant alors leur maigreur anormale, puis se saisit des poignées de deux épées énormes aux lames courbes. Tout en faisant quelques pas de gauche à droite pour se rendre plus difficile à cibler, il décrivit quelques moulinets dans les airs avec ses armes avant de reprendre son curieux discours :

"Je vais désormais m'adresser à tous les citoyens de cette belle cité. Je suis celui qu'on surnomme le Non-Mort, l'Immortel, ou encore l'Eternel. Appelez-moi comme ça vous chante, mais sachez simplement que ce n'est pas la première fois que je vous fais l'honneur de ma présence. Il y a de cela quelques années, je me suis rendu responsable d'une vague meurtrière qui a déferlé sur le Village Perché. A cette époque, je le faisais pour servir les intérêts d'un autre et c'est cette jeune femme qui nous a forcé à nous replier..."

Il s'arrêta net et pointa un index décharné vers l'un des nombreux clones de celle qu'il avait désigné comme ennemie jurée, avant de laisser éclater toute sa rage dans une conclusion emplie de rancune démente :

"... mais aujourd'hui, c'est pour un motif personnel que je me suis rendu jusqu'ici. Cette fois-ci, les choses seront différentes. Java Sarnai Anggun, tu as signé ton arrêt de mort en t'opposant à moi et c'est dans le sang et les larmes des tiens que tu vas comprendre toute l'immensité de ton erreur. Tous ceux qui tenteront de s'interposer connaîtront le même sort, alors rendez-vous si vous ne voulez pas mourir ! Que la fête commence, chers amis."

Il enfonça brusquement son khopesh dans le bois sur lequel il se tenait avant de s'emparer de son arme de prédilection, la Relique du Sépulcre. Il leva le scarabée dorée dans les airs puis, d'un seul coup, il vint se l'enfoncer avec brutalité dans le creux du torse. L'insecte mécanique saisit sa cage thoracique à l'aide de ses pattes tranchantes et la magie s'insinua dans toute la carcasse du monstre squelettique. Rendu furieux par toute cette puissance, il poussa un hurlement glaçant qui laissa un épais nuage de fumée bleutée se répandre dans le ciel. Sa silhouette se déforma dans une série de claquements et ses membres malmenés par l'artefact furent contraints dans des positions impensables, lui conférant l'apparence d'un pantin sinistre. Une fois sa transformation achevée, l'Immortel empoigna son premier khopesh afin de l'extraire du sol puis, à l'aide du second, il cogna violemment le sol à plusieurs reprises, donnant ainsi à ses hommes le signal qu'ils attendaient tous pour agir.

L'action en question ne se fit pas attendre. Ce qui semblait être un coup de tonnerre retentit, faisant bondir d'effroi les citoyens présents sur place. Depuis les hauteurs, un bandit apparemment doté d'un pouvoir foudroyant venait de projeter un arc électrique violacé sur l'un des gardes qui, d'un geste habile, avait su dévier l'attaque à l'aide de son bouclier. Après ce premier assaut, un chaos sans nom s'installa et une atroce cacophonie débuta : Hurlements d'effroi, impacts de carreaux et de flèches, détonation et jets de projectiles magiques, un orchestre de mort et de désolation qui ravissait au plus haut point son commanditaire à l'esprit malade.

La majeure partie des civils tentaient de s'enfuir, menaçant même d'écraser plusieurs gardes dans ce qui était déjà devenu un mouvement de foule désorganisé et terriblement dangereux. Au sol, certains combattants dotés de pouvoirs leur conférant une extraordinaire mobilité entreprenaient déjà de grimper aux arbres afin de venir déloger les tireurs, mais ce fut à cet instant précis que tous réalisèrent la présence d'intrus dans la foule car déjà, des combats d'épéistes éclataient en contrebas. Les crapules à la solde du Non-Mort se trouvaient donc partout ?

Le rire machiavélique de Khepra retentit une fois encore. De ses yeux bleus noyés dans un océan de fumée ténébreuse, l'immortel cherchait des yeux les différentes versions de sa proie. Il n'allait pas seulement la tuer, il allait également détruire ce qu'elle représentait pour son peuple, il allait enfin pouvoir tout anéantir. Désormais, il en avait la force.

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Tout avait pourtant si bien commencé... Pourquoi fallait-il que ça tourne ainsi ? Elle accéléra donc encore le pas. Alors que la cohue se dirigeait en sens inverse, elle brassait des pieds et des mains, n'avançant pas et gâchant son énergie. Mais elle n'en avait cure. Seul le chaton comptait à ses yeux, à ce moment-là. Alors, finalement, elle décida d'utiliser ses bras comme si elle nageait, ce qui lui permit d'écarter plus facilement les gens, ignorant les protestations qui fusaient de la part de chacune des personnes ainsi écartées.

Au bout d'un long moment à batailler ainsi, elle finit par retrouver le chaton, qui s'était réfugié dans les ombres sous l'une des tables du buffet. Prenant un moment pour reprendre son souffle, elle le rejoignit sous la table, où elle resta après l'avoir pris dans ses bras, telle une enfant jouant à cache-cache. Même si, évidemment, dans la situation actuelle, il était plus que compréhensible qu'elle cherche à se cacher, n'étant pas une combattante digne de ce nom.

Depuis sa cachette, elle observait les environs. Toute cette ambiance festive avait été brisée en un temps record... Elle vit les bandits, les gardes, tout ce beau monde, armes à la main, combattant les uns pour la sécurité des habitants, les autres pour... Une vengeance stupide ? C'était devenu un véritable champ de bataille. Sur lequel la demoiselle n'avait pas sa place, et elle le savait. Néanmoins, la table lui servant d'abri se trouvait à l'opposé de la sortie, elle devrait donc traverser cet espace qui serait bientôt désolé si elle voulait fuir. Autrement dit, c'était impossible.

D'un autre côté, elle savait que cet abri ne pourrait pas la cacher indéfiniment, quiconque regardant dans cette direction pouvant la voir. Et, en effet, cette pensée ne lui avait pas plus tôt traversé l'esprit que la table se retrouva fendue en deux par un coup d'épée. Le toit désormais inexistant de son abri devenu tout aussi inexistant révéla le visage du bandit. Qui émit un rictus mauvais. Assise par terre, Kasha recula comme elle put, mais, une fois encore, sa propre sécurité importait peu. Levant les mains pour offrir une piste d'envol à Nox, elle s'adressa à lui :

- Sors de là, va dans les arbres, loin d'ici, ou fais-toi protéger par un garde sans le déranger.

Elle aurait voulu en dire plus, mais n'en avait pas le temps. Esquivant un coup d'épée cette fois dirigé vers elle, elle observa le chaton disparaître dans les branchages. Désormais rassurée quant à sa sécurité, elle put se concentrer sur la sienne. Alors qu'elle tentait de se relever, un nouveau coup la renvoya à terre.

- Où crois-tu aller, petite ? J'en ai pas fini avec toi !

Le regard posé sur la blessure qu'il lui avait infligée en la repoussant, soudain, elle vit rouge. Sortant une dague, tout en bénissant son habitude d'en cacher sur elle en toutes situations, elle se jeta sur lui pour le repousser à l'aide de sa lame. Qui fut le plus blessé au cours de cette courte lutte ? La réponse n'était pas évidente : Kasha, enragée et ne sachant pas spécialement utiliser sa lame dans un but offensif, et son adversaire qui lui, maîtrisait son arme à la perfection, mais avait été surpris, tout cela pouvait aisément augmenter les dégâts, les rendant plus importants que ce qui était voulu.

Néanmoins, à présent, elle avait une ouverture. Alors, rangeant rapidement son arme, elle s'enfuit à toute allure. Enfin, autant que son épuisemsent, ses blessures et surtout sa tenue, n'étant pas faite pour laisser une liberté de mouvement, le lui permettaient.

Néanmoins, elle entendait que l'homme la poursuivait. Elle pesta. Elle, ce qu'elle voulait, c'était trouver une nouvelle cachette pour s'y terrer jusqu'à ce que les choses se calment. Mais cet idiot la forçait à s'engager dans une action pour laquelle elle savait n'être pas faite, à savoir le combat. Alors, elle se dirigea vers le centre du champ de bataille, espérant croiser un garde qui se chargerait de son poursuivant.

Alors qu'elle se sentait sur le point de défaillir, ayant beaucoup trop utilisé ses forces pour ce que son corps pouvait supporter, elle jeta un coup d'oeil derrière elle pour jauger de la distance qui la séparait de son poursuivant. Cela ne dura pas longtemps, mais ce fut suffisant pour, sa tête revenue en direction de se qui se trouvait face à elle, la retrouver noyée dans le vêtement de quelqu'un, sur qui elle avait probablement foncé durant sa fuite. Mais... Ce parfum ne lui était pas inconnu... Et cette voix... Elle écarquilla les yeux, mais n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit avant de se retrouver à voler dans les airs avant de se retrouver derrière lui. Elle se raccrocha néanmoins à lui le temps de retrouver son équilibre, avant de le lâcher, et de lui lancer, d'un ton démontrant son épuisement :

- Fais attention, il est vicieux...

Néanmoins, l'heure n'était pas au repos. Ils s'étaient en effet mis d'accord, un moment auparavant, sur une stratégie à adopter dans ce type de situations. Bien sûr, à ce moment, Kasha était certaine que cela ne se réaliserait jamais, et Rhis avait l'air d'au moins l'espérer. Mais à présent, l'heure était venue. Elle devait rester attentive aux alentours. Et, comme demandé, elle garda également un oeil sur l'homme à terre... Qui semblait d'ailleurs vouloir profiter de sa faiblesse et du fait que Rhis ne le voyait pas. Que voulait-il faire, exactement ? En tous cas, il semblait vouloir la cibler, peut-être la faire tomber, pour handicaper un peu plus son protecteur ? Eh bien... Vous connaissez les avatanges des talons ? Non ? Eh bien, l'un d'eux est le suivant. L'air de rien, comme n'ayant pas fait attention, elle enfonça le talon de sa chaussure de soirée sur la main agressive, arranchant un couinement à son propriétaire. Ainsi, il allait peut-être cesser de la prendre pour la plus faible du trio, même s'il était évident qu'elle l'était. À côté de deux gardes, elle faisait pâle figure, mais elle comptait bien tirer son épingle du jeu.

- Rhis, Madame... Il y en a un qui a certainement besoin qu'on lui donne une leçon.

Evidemment, elle n'oubliait pas que Rhis avait déjà un adversaire et que celle qu'il semblait vouloir protéger à l'orgine savait visiblement se défendre, sans quoi, jamais elle n'aurait été promue au sein de la Garde...