La sœur arriva au fond de l’allée et s’arrêta devant un pupitre vide. Quelques pages étaient posées à sa surface représentant quelques passages de légendes. Sœur Marie ne l’admettrait jamais, mais le travail qu’elle voyait sur ses pages l’impressionnait beaucoup. Presque autant que les talents du calligraphe qui n’avait pas l’air d’être présent aujourd’hui.
« Quelqu’un sait où se trouve Aord ? dit-elle d’une voix grave. »
Tous les visages se tournèrent dans sa direction, mais aucune réponse ne vint l’éclairer. Une rumeur se propagea entre les tables, brisant le silence sacré de la salle. Tout le monde avait senti que la question de la sœur sentait le sapin. C’était la troisième fois cette semaine qu’Aord disparaissait sans raison, séchant les cours. Normalement, il aurait dû être mis à la porte il y a bien longtemps pour son manque d’assiduité, mais il était toujours là. Cela ne l’empêchait pas de se faire réprimander à longueur de journée. Il commençait à connaître le nettoyage des latrines par cœur … Et pourtant, les religieux continuaient de faire preuve d’indulgence. C’était un grand mystère.
Sœur Mari soupira et jeta un regard à son travail. Si seulement il venait, elle savait qu’il pourrait faire bien mieux avec un peu d’assiduité.
« Retournez à votre travail, tonna-t-elle en voyant que la rumeur se transformait en brouhaha incontrôlable. »
Tout le monde retourna immédiatement à sa tâche, ne voulant pas s’attirer les foudres de la sœur. Certains adressèrent une prière à Aord qui allait passer un très très mauvais quart d’heure assez rapidement. La séance se termina au bout d’une heure et les initiés se mirent en rang pour aller à la chapelle pour la prière du matin. La classe se déversa dans le couloir, pressée par un besoin de se dégourdir les jambes.
« Lao, attendez s’il vous plaît, dit Mari tandis que le reste de la classe disparaissait au coin du couloir. »
Ne resta que le jeune homme dont on avait prononcé le nom.
« Pourriez-vous le retrouver pour moi d’ici le déjeuner ? Je sens que vous saurez le trouver plus rapidement que moi. »
Elle esquissa un sourire mystérieux et ferma la porte de la salle pour ranger le matériel en laissant à Lao le soin de retrouver l’initié disparu.
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Aord sentit un coup sur son front qui lui fit ouvrir un œil. Son regard croisa celui du moineau qui s’était posé sur lui. Il s’envola immédiatement en remarquant que le super rocher qu’il avait trouvé était en fait vivant. Aord maugréa en se tournant sur le flanc, une douleur sourde parcourut tout son corps ankylosé. Il avait encore dormi à la belle étoile, à même le sol, et son corps protestait vivement contre ce mauvais traitement. La lumière ardente du soleil lui brûlait les yeux et faisait résonner une douleur aiguë à l’intérieur de son crâne. Sa main glissa et heurta un obstacle qui roula le long de la pente avant de finir sa course dans le lac dans un plouf sonore. La bouteille dériva sur l’eau s’éloignant lentement et rappelant au jeune garçon pourquoi il était là. Il essuya la longue trace que des larmes avaient creusée dans la poussière qui s’était collée à son visage. Oui, il avait passé la soirée avec cette bouteille et sa tristesse … encore.
Il s’étala sur le dos en gémissant. Le soleil était haut et il savait qu’il avait dû rater bien des cours ce matin. L’intégralité de la population du temple devait l’attendre de pied ferme pour lui passer une soufflante mémorable. Il souffla de dépit. Maintenant qu’il était grillé, nul besoin de se presser. De toute façon, sa tête lui faisait trop mal. Il ferma les yeux et se laissa aller à la torpeur alcoolisée qu’il n'avait pas encore tout à fait quittée. Sœur Mari devait probablement s’inquiéter, elle était la seule à qui il avait confié la raison de ses absences, mais même avec son soutient, il ne pouvait s’empêcher de broyer du noir et de tout foutre en l’air. Ses pensées tournaient dans sa tête avant de se dissiper au moment où le sommeil effaça ses doutes, pour un bref instant.
Pourtant, après de longues minutes, le clame de la pièce changea. De sa haute voix, Sœur Marie trancha d'une question l'attention du petit groupe. Un élève était bien absent, et ce n'était pas la première fois que le nom d'Aord était prononcé par la Sœur, souvent pour les mêmes raisons d'ailleurs. Aucun des initiés ne semblait avoir de véritable réponse à offrir à Marie, mais ça n'empêchait pas à chacun de donner son propre avis sur la question, dans des murmures de plus en plus important. Après tout, cet élève avait tendance à sécher les cours récemment, cette nouvelle absence résonnait comme un sentiment de déjà vue, emmenant avec lui une pointe d'inquiétude.
La classe retrouva son silence d'avant lorsque la Sœur ordonna à tous de reprendre le travail. Néanmoins, et malgré le calme revenu, Lao ne pouvait s'empêcher de penser à son confrère. Certes, il ne le connaissait pas plus que ça, mais ses dérives commençaient à tracasser son être. Durant la prochaine heure, son esprit jonglait entre ses écrits et une certaine préoccupation quant à Aord, tout en essayant de se convaincre que leur Sœur irait aider avec bienveillance le jeune homme si un problème était présent.
Alors que l'heure de la fin du cours s'imposa, une courte pause consacrée à la prière ainsi qu'à évacuer un tant soit peu le travail de la mâtinée, les initiés se mirent en rang hâtivement dans le couloir, visiblement pressé de quitter la salle et de retrouver un brin d'air pur. Cette fois-ci, Lao fut interpellé avant même de pouvoir rejoindre ses collègues. Ses sourcils affichèrent une expression quelque peu inquiète, ne sachant pas encore pourquoi on le conviait si soudainement. C'est lorsqu'il fut seul face à Sœur Marie que celle-ci décida de requérir son aide. Elle voulait, de ses mots, qu'il retrouve le jeune récalcitrant. Son visage se pencha sur le côté à cette demande, n'étant pas convaincu d'y arriver, mais sa supérieure semblait bien sûre d'elle. Lao hocha la tête en guise d'affirmation, sans donner le moindre signe de désaccord. Peut-être était-ce une mission déguisée dans le but de tester le jeune homme ? L'initié à la longue chevelure sombre pensait ainsi, surtout au vu de ses propres évènements récents. Il se devait encore de montrer sa foi et son dévouement.
Ses pas le dirigeaient en dehors de la cathédrale, réfléchissant en chemin à où il devrait aller. Lao ne connait pas plus que ça le fuyard des cours, et il se questionnait encore sur sa capacité à le retrouver. Un lourd soupir s'échappa de ses lèvres, avant de lever le visage vers l'azur au-dessus de lui. Aujourd'hui, les étoiles ne pourront pas le guider dans son enquête. Son regard argenté fixait les nuages parsemant le ciel ensoleillé, sondant le moindre indice que la nature pouvait lui donner. Il lui fallait réfléchir, un minimum. Si Aord décide de sécher les cours, c'est qu'il ne veut surement pas être en contact avec qui que ce soit, et encore moins avoir à subir des réprimandes ou de quelconques interrogations indiscrètes. Il ne se serait surement pas aventuré dans la ville où il pourrait se faire voir. Un besoin de tranquillité, peut-être. L'idée lui semblait logique, surtout si cet initié n'était pas dans une bonne période en ce moment.
Une brise venant de l'ouest enroba son visage, l'espace d'un instant. A l'ouest se trouve des plaines, derrière la colline arborant fièrement le Temple de Lucy. Des zones de verdure entourées de fines rivières. Si quelqu'un désir embrasser la quiétude de la nature, il n'y avait pas meilleur endroit, tout du moins, assez proche. Lao s'achemina vers ces lieux, observant du regard la moindre personne qu'il pouvait voir au loin, espérant ne pas s'être trompé dans son choix.
Ce fut après de longues minutes de marche, à arpenter les courants d'eau douce, qu'il finit par découvrir une silhouette allongée sur l'herbe encore fraiche de la rosée du matin. Un doute le prit, mais plus il s'avançait vers cet homme, plus sa vision confirmait bel et bien l'être semblant endormi. C'était bien Aord, là, affalé de tout son long. Lao ne put s'empêcher d'esquisser un sourire, satisfait de l'avoir retrouvé, et remerciant le ciel de l'avoir guidé jusqu'à lui.
Ses pas étaient lents, ne désirant pas le réveiller dans un sursaut, jusqu'à arriver près d'Aord. Son visage se pencha sur le côté, examinant le corps assoupi, son esprit ne pouvant s'empêcher de s'inquiéter de l'état du jeune homme. Celui-ci semblait avoir passé la nuit ici, au vu de ses habits poussiéreux et des petits scarabées ayant élu domicile sur ses bottes. Si la condition physique de son confrère pourrait le faire doucement rire, son visage visiblement rongé par une certaine mélancolie ainsi qu'à un alcool de mauvaise facture le retint de s'enjouer face à la situation. Aord n'avait pas passé une très bonne soirée, ça se voyait, et ça se sentait aussi un peu. Lao prit une inspiration, cherchant ses mots, avant de prendre la parole de sa voix délicate.
- Il semblerait que le ciel fut témoin de ton sale état hier soir, mon cher Aord.
La douce élocution s'accompagna d'un léger sourire, ne voulant aucunement mépriser le jeune homme à côté de lui, mais désirant lui faire comprendre sa situation. Et avec un peu de chance, son compagnon serait encore assez embué par son réveil pour ne pas lui en tenir rigueur. Maintenant qu'il l'avait réveillé, doucement, le jeune initié pouvait enfin discuter plus convenablement avec lui. Et bien que Sœur Marie lui ait sommé de revenir pour l'heure du déjeuner, le jeune Shen souhaitait d'abord prendre connaissance du mental de son confrère, dans l'espoir de l'aider, ou au moins d'être à son écoute. Il vint s'asseoir près de lui, face à la rivière spectatrice de leurs actions.
- Sœur Marie s'inquiète de ton absence, et moi de même. Tu as peut-être besoin de parler, que ce soit pour vider ton sac ou juste pour avoir un peu de compagnie ? Tu ne devrais pas t'éclipser ainsi..
Son expression faciale trahissait un sentiment soucieux, tandis que son regard se portait sur Aord, quelque peu préoccupé par son état. Mais il ne pouvait aucunement deviner les pensées de son collègue, ni même prévoir un éventuel refus de sa part. Espérant ne pas l'importuner davantage, et désireux d'apporter une aide aussi mince soit-elle, Lao resta aux côté d'Aord, attentif.
« Ah c’est … toi … J’ai manqué le cours de sœur Marie ? Meeeeerde. Je passe pour quoi moi ? »
Pour un poivrot, un cancre ou tout autre être humain inutile très certainement. Aord se releva tout en se massant la tête. Un bourdonnement sourd résonnait à l’intérieur de son crâne et il avait l’impression que sa tête allait exploser de l’intérieur tellement la pression au niveau de ses temps était forte. Il chercha la coupable du regard, la petite bouteille flottait déjà bien loin sur l’eau, hors de sa portée, comme si elle avait fui après lui avoir infligé ça. Non, il se l’était infligé tout seul comme d’habitude. Il eut une pensée pour sœur Marie qui croyait toujours en lui malgré sa piètre participation à ses cours. Il se sentait mal de l’avoir trahi une fois de plus. Il serra sa main contre sa poitrine. Pourquoi n’arrivait-il jamais à s’arrêter ? Il trouvait une bouteille, la mélancolie montait et hop il se réveillait dans un endroit aléatoire avec une terrible gueule de bois.
« Elle … elle avait l’air fâchée ? demanda-t-il à Machin à côté de lui »
Une certaine inquiétude se dessinait sur son visage. Il pouvait se faire enguirlander par tout le temple, il s’en fichait. Il pouvait être condamné à nettoyer les latrines pour les siècles et les siècles il s’en fichait, mais jamais il n’accepterait de se mettre sœur Marie à dos. Il s’assit en tailleur, sentant une petite morsure du froid sur son torse. En baissant les yeux, il remarqua une immense tâche violacée qui dessinait un arc de cercle sur sa chemise.
« Eh merde j’en ai mis partout. »
Il n’avait pas beaucoup de vêtements, étant initialement parti de chez lui à la Forteresse avec un petit bagage sous le bras pour le grand voyage qui l’attendait jusqu’au temple. Aussi, tacher une chemise était un vrai problème. Il se leva d’un bond, mais du marquer une pause quand le monde se mit à tourner autour de lui. Une fois remit, il descendit jusqu’à l’eau et retira sa chemise, révélant quelques cicatrices dans son dos et tenta de faire disparaître l’alcool en la frottant énergiquement. Heureusement pour lui, une bonne partie disparut dans l’eau claire, même si une légère teinte écarlate continuait de se glisser dans les fibres beiges du lin et elle n’était pas prête de partir.
Il essora le linge et l’étendit devant lui pour voir le résultat. Ce n’était pas satisfaisant, mais cela ferait illusion sous sa robe d’initié. Le temps de trouver un net’noix près du lavoir. Il se retourna pour accrocher sa chemise à un arbre afin de la faire sécher et se laissa tomber à côté de Machin qu’il avait ignoré depuis le début.
« Nan t’inquiète ça va super. Je me suis juste éclaté avec cette bouteille que j’ai achetée aux marchands ambulants qui sont passés hier. C’était cool, mais j’ai bu un peu trop vite et c’était pas du petit lait. Haha. »
Il eut un rire nerveux qui sentait la fausseté et l’excuse bidon. Non évidemment qu’il ne s’était pas amusé et les traces de larmes dans la poussière qui s’était accrochée à son visage, disait le contraire. Suivant le regard de Machin, il essuya la crasse avec le dos de sa main, l’étalant encore plus sur tout son visage. Il regarda ses mains, comprenant qu’il allait avoir besoin d’un bain avant toute chose en rentrant.
« Tu veux me tenir compagnie ? Tu sais je suis pas le plus apprécié au temple, tu pourrais te retrouver dans une histoire bizarre et te réveiller un soir au bord du chemin comme je le fais si souvent ? Mais je dirais pas non à de la compagnie, c’est lourd de boire tout seul. »
Il sourit jusqu’aux dents à sa propre plaisanterie. Une manière comme une autre d’esquiver la question et de faire semblant de ne pas en avoir compris le sens.
« Il est quelle heure au fait ? Bientôt midi non ? On a l’entraînement au combat cette après-midi, je crois ? »
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