Nom Rottesiser

Prénom Nakata

Surnom Nak - Le Borgne - UnŒil

Age 27 ans

Sexe Masculin

Groupe Aventurier

Métier Examinateur

Orientation sexuelle Hétérosexuelle (mais tant que ça a de l'argent, on peut négocier)

Particularité Radin comme pas deux - Roux - Borgne - Stylé - Grossier - Discret

Arme de prédilection Une arbalète à une main


En quelques mots...
Nakata est un homme habité par son passé. De nombreuses de ses actuelles mimiques sont en vérité issues de son histoire et de ses afflictions les plus tumultueuses. Son rapport à l'argent, aux confins de l'obsession, a par exemple été engendré de l'extrême pauvreté dans laquelle sa vie s'est construite. Son rapport à la nourriture ou plutôt à l'hypothèse de son manque, hantise éternelle, vient d'une vie au cours de laquelle il lui était impensable de remplir sa panse jour après jour, bien avant que la faim ne vienne le tirailler cruellement. C'est pour se prémunir de ce passé triste qu'il avance ; et tout ce qu'il fait, ainsi, est précisément censé l'éloigner toujours un peu plus de ses tourments d'autrefois.

Nom du pouvoir Souffle-nuage

Catégorie Manipulation de choses ou d'éléments


Fonctionnement du pouvoir
Permet à son possesseur d'expirer à volonté une fumée blanche, opaque, et solide. Le propriétaire de ce pouvoir peut mouvoir cette fumée selon la moindre de ses intentions, comme s'il s'agissait d'une extension de son corps. Elle se dissipe toutefois dès qu'il reprend son souffle. Cette fumée, bien que solide, ne peut pas être tranchante ; elle conserve un aspect cotonneux, comme un nuage. Le vent rend compliquée son utilisation.

Qualités Discret - Sérieux - Attentif - Adroit - Pugnace - Confiant

Défauts Radin - Violent - Insensible - Instable - Distant - Laconique


Physique et mental
Un physique inquiétant pour une psyché torturée ; des paupières balafrées, privées d'un œil naguère, pour une vision cynique et acérée ; des cheveux roux et longs pour une indiscipline assumée, pour une effronterie provocatrice. Nakata est le parfait reflet de son apparence. Nul besoin d'attendre de lui sagesse et pondération, politesses et empathie : il est une bête de foire, un chien qu'on lâche quand on n'a plus d'autre solution que celle de le voir mordre. Obsédé par l'argent, il donne de son temps et de son énergie à ceux qui le payent le mieux : les aventuriers et leur Guilde. Il n'en use pourtant que peu, dans la mesure où son existence miséreuse d'autrefois l'a toujours poussé à économiser, à considérer que ses beaux jours s'achèverait tôt ou tard, et qu'il lui faudrait retourner se terrer dans les taudis, à la recherche d'un met moins avarié que les autres pour couper momentanément le désagréable tiraillement stomachal qui fut son seul partenaire pendant bon nombre d'années. Chaque repas est une fête, pour lui, qu'il s'agisse d'un rôti accompagné d'une sauce concoctée par un chef aux nombreuses décennies de pratique ou bien d'un simple quignon de pain rassis déniché dans une corbeille oubliée à deux pas d'un marché.

Il ne fait que peu de cas des autres. Ces autres, ils l'ont longtemps toisé avec mépris en s'imaginant qu'il les précéderait dans la tombe, qu'il s'y précipiterait seul, ou que sa pauvreté s'en chargerait à sa place. Jusqu'à ce jour, il a réussi à outrepasser le jugement des pédants, à triompher des plus funestes présages dont maints et maints oracles se permettaient de le gratifier sentencieusement. Il ne sait pas si cela continuera ainsi longtemps, mais cela a déjà suffisamment duré pour qu'il savoure cette réalité, celle de sa survie, celle de sa puissance aussi. Parce qu'il est fort, et qu'il le sait ; rapide, habile, agile, réactif, puissant, simplement puissant. Tout en endurance, tout en nerfs, tout en sagacité aussi. Son esprit vif n'a jamais été étranger à sa survie ; lui et, bien sûr, sa faculté à capituler face au danger. Nakata n'est pas un héros, ne l'a jamais été, ne le sera jamais. Les bons samaritains prêts à se damner pour autrui le font rire à gorge déployée ; ce sont, de son point de vue, de sinistres abrutis qui n'ont jamais été confrontés à la véritable dureté de la vie. De celle qu'on subit, de tous ses aspects les plus sordides. Sa souffrance d'autrefois, son cynisme d'aujourd'hui, voilà des armes affûtées qui contribuent à le rendre sardonique à chaque fois qu'il en a l'opportunité. Encore une bonne façon d'être désagréable, au regard de quiconque disposerait d'une opportunité de converser avec lui bénignement.

Quiconque... ou presque. Il en est qui trouvent grâce à ses yeux, parfois. Il en est une, au moins : Seimei. Parce qu'il le sait, jusqu'aux tréfonds de son âme ; sans elle, il ne serait plus là pour boire, pour manger, pour amasser des fortunes. Il lui doit la vie, probablement. Il sera prêt à lui rendre cette faveur quand elle en éprouvera le besoin. En attendant, il passe le plus clair de son temps à ses côtés, lorsqu'elle le permet, en tant que collègue de toujours : après tout, c'est à sa suite qu'il s'est lancé en tant qu'examinateur de la guilde, et il lui semble tout naturel de protéger celle qui, un jour, fit de lui un survivant.  

— Prenez place, je vous prie.

Il obtempéra, aussi calme qu'il l'avait toujours été. Ce fut tout juste si son vis-à-vis lui décocha un regard, manifestement focalisé sur le parchemin où la plume qu'il brandissait s'agitait incessamment. Le monocle autour duquel les paupières de cet homme étaient crispées avaient l'air miteux, vieillot ; mais c'était bien la seule chose, dans sa tenue, qui pouvait corroborer une telle première impression. Sa tunique, riche et colorée, retranscrivait bien davantage une impression de richesse. Une richesse indécente, même, à en croire les bagues massives dont ses doigts étaient sertis. Il doit bien manger, l'enculé. Il garda ce constat pour lui, bien sûr ; il n'était pas encore totalement insensé, et il n'ignorait pas qu'une telle remarque lui serait reprochée. Il ne voulait pas offenser son vis-à-vis. Pas encore.
Pas tant qu'il caressait le doux espoir de changer de vie.

— Nom ? demanda alors l'autre homme d'un ton presque conquérant.

Politesse, connard. Cela aussi, il se retint de le prononcer ; mais quant à le penser, il ne se mit aucun frein. Ce scribe altier lui tapait sur les nerfs, et il aurait probablement été tenté de le tabasser pour lui voler ses grossiers bijoux s'il avait dû choisir une autre vie. Heureusement, Seimei l'influençait... et pour le mieux.

— Nakata, répondit-il alors, faussement placide.
— Nom complet, rectifia l'autre connard en affichant un rictus méprisant.
— Nakata Rottespiser, compléta donc le principal intéressé, bien qu'à regrets.
— Bien ! Monsieur Rottespiser, vous vous présentez donc à nous pour postuler en tant qu'examinateur de la Guilde... Je vais vous demander de vous présenter en trois petits mots. Pour que je sache à qui j'ai affaire.

T'as déjà décidé d'à qui t'as affaire. Sombre con. Sans l'insulte, ses pensées auraient sans doute manqué d'un petit quelque chose d'incisif ; alors, à défaut de pouvoir la prononcer de vive voix, Nakata se contenta d'y songer fiévreusement. Ensuite, il se passa une main sur le visage afin de tenter de retrouver sa contenance habituelle. Il savait se montrer beau parleur, de temps à autres... il allait devoir mettre à profit le moindre gramme d'éloquence que son corps hébergeait ; sans quoi Seimei risquerait de partir sans lui. De progresser sans lui. De l'abandonner. Réprimant un frisson, il continua donc à obéir, faisant montre d'une discipline qui l'étonna lui-même.

— Je ne suis personne. Juste un gamin des rues, qui a besoin de trouver un emploi stable pour sortir définitivement de la misère. Je n'ai pas de qualifications, pas de qualités autres que celles que la rue m'a octroyées. En somme, je suis plus débrouillard que la quasi-totalité des ploucs... des autres candidats que vous devez recevoir.

Merde, j'ai rectifié trop tard. Tant pis. Son langage de charretier sembla d'ailleurs, à sa grande surprise, plaire à son vis-à-vis ; ce dernier eut, pour la première fois depuis le début de leur entrevue, un simulacre de sourire sincère à afficher sur ses lèvres poudrées. Sans doute passait-il le plus clair de ses journées à mépriser les candidats qu'il recevait dans son bureau fastueux, lesquels devaient probablement être écrasés par la munificence des lieux. Attends, je suis aussi hautain que lui ? Ça me ferait chier. La principale différence, c'était sans doute la raison qui se terrait derrière le mépris qu'ils expédiaient au visage d'autrui. Ce nobliau bien engoncé dans sa tenue de satin et qui empestait le lilas l'était sans doute de naissance, parce qu'on lui avait fait comprendre qu'il valait mieux que les bouseux qui croisaient parfois son chemin. Nakata, lui, l'était devenu pour assurer sa propre survie. Rien de plus différent qu'une telle discordance dans leurs échelles de valeurs respectives. Satisfait d'avoir mis le doigt sur cette vérité-ci, le roux se focalisa à nouveau sur son vis-à-vis, qui reprit les hostilités sans plus attendre.

— Soit. Ce n'est pas souvent que nous recevons des candidats... réellement nécessiteux, mais ce n'est pas un frein. Ce sont vos compétences qui nous intéressent, plus que votre milieu social d'origine.
— D'acc. Ok. Enfin d'accord. Monsieur.

Putain, je suis ridicule ! Il bredouillait, incapable de retrouver sa superbe face à ce fils de riches. Était-ce parce qu'il avait pris conscience que son avenir se jouait ? S'il échouait, ce serait retour à la case départ... Seimei en moins. Pourquoi continuerait-elle à s'encombrer d'un type incapable de trouver le moindre boulot ? D'un raté qui ne connaîtrait à l'évidence jamais rien d'autre que la crasse et la vulgarité ? L'autre type lui sourit, une fois de plus. Attends, bordel, il me prend en pitié, là ? Ce sourire que son interlocuteur affichait ostensiblement n'avait effectivement plus grand-chose à voir avec celui qu'il avait brandi lors de leurs premiers échanges. Leur relation progressait... et, au grand déplaisir de Nakata, pas nécessairement dans le bon sens.

— Alors ? Vos compétences ?
— Ah, oui. Je viens avec Sei.
— Je... suis au regret de vous informer que je ne comprends pas, monsieur Rottespiser.

Il connaît pas Sei ? Bouffée de violence, difficilement répressible. Comment pouvait-il ignorer qui était Seimei, quand elle l'avait sorti de la rue, lui avait donné de quoi manger, de quoi boire, de quoi survivre ? La seule âme charitable de toute cette putain de Capitale, ignorée par la Guilde elle-même ! Un instant durant, une pensée encore plus terrible vint même le mortifier, le clouer sur sa chaise. Et s'ils refusent d'embaucher Sei ? S'ils me prennent à sa place ? Vague de panique. Le détesterait-elle pour lui avoir volé le poste auquel elle aspirait ? Voudrait-elle le chasser de sa vie ? Retrouver son sang froid, le rythme ordinaire de sa respiration ; se focaliser sur l'essentiel. Chaque chose en son temps.

— Seimei Kan. Seimei et moi, on va faire un binôme. On marche bien ensemble. On a toujours bien marché. Elle et moi, on se complète bien.

Les yeux ronds que le type afficha pour toute réponse manquèrent de faire tomber son monocle. Il avait l'air stupide, ainsi surpris... Nakata résista à la tentation de claquer des doigts devant lui, comme pour vérifier s'il était encore vivant ; l'autre type se racla la gorge et sembla se rembrunir, rayant une ligne sur son putain de parchemin.

— Je crois que vous ne comprenez pas. Nous recherchons autre chose que des couples bien assortis. Ce que vous faites pour vous compléter ne nous regarde pas.

Couple ? Il a dit couple ? Attends, il croit qu'on baise ? L'incrédulité changea de camp, et Nakata se remémora les derniers mots qu'il avait prononcés. Putain, c'était grave tendancieux, il a raison. Accepter ses torts, c'était bien la première qualité qu'il fallait développer pour survivre dans la rue. Il y revint donc précipitamment, en agitant les mains pour chasser toute mésentente.

— Ah non, non, on fait pas ça, pas ça ! On est comme des frères... ou des potes... des colocs ? Bon, ok, elle est bonne, mais bonne dans le sens utile ! Elle et moi, on se complète bien, genre quand on décide de faire des trucs ! Des trucs, pas genre au pieux !

Son interlocuteur ouvrit la bouche, mais demeura mutique une paire de secondes avant de renoncer. Il soupira, secoua la tête, manifestement rassuré qu'il ne s'agisse que d'un malentendu, et raya une autre ligne de son parchemin avant de reprendre son petit interrogatoire.

— Soit. Vous comprendrez toutefois que ce plaidoyer manque cruellement d'arguments tangibles, monsieur Rottespiser. Pouvez-vous me dire ce qui vous rend unique, concrètement ? Ce qui devrait, chez vous, nous convaincre de vous employer ? Chez vous, et non pas chez votre amie.
— Hm, et beh... Je suis doué pour voir des trucs. Pour faire attention à mon environnement. Je sais côtoyer tous les milieux, aussi. Enfin sauf les plus... comme vous.
— Comme moi ? répliqua son vis-à-vis d'un air soupçonneux
— Propres.

La rectification sembla lui convenir, puisqu'il sourit une fois de plus, amusé cette fois-ci. Ses joues semblèrent même rosir, l'espace d'un instant ; et Nakata se mit, interdit, à se demander ce que cela signifiait. Il en eut la réponse promptement.

— Je vous remercie, mais ces flatteries ne me convaincront pas seules. Pas pour ce poste-là.

Son œil libre de toute entrave cligna une fois, comme pour envoyer un signal limpide à Nakata. Ce dernier fronça les sourcils, interrogatif, avant de prendre conscience de la nature du petit jeu auquel son vis-à-vis se livrait. Il croit que je le drague ? Cela ne le mit pas spécifiquement mal-à-l'aise ; mais il prit le temps d'observer cet individu drapé dans la soie avec un peu plus d'attention. Des lèvres charnues, un nez écrasé, épaté, une peau claire, presque maladive, et des yeux en amande que son monocle rendaient étrangement dissonants. Un maquillage omniprésent, et un parfum écœurant. Pas mon type une fois, pas mon type deux fois, pas mon type trois fois. Mais il avait de l'argent. Oh, et puis après tout... Il n'eut malheureusement pas le loisir d'entamer le plan drague ; l'autre homme se racla la gorge et reprit calmement.

— Soit. Vous êtes observateur, et capable de côtoyer des milieux défavorisés. Cela me paraît concorder avec ce que vous affichez de vous. Inversons donc les rôles ! Pourquoi dois-je croire que ce poste vous intéresse ?
— Pour la paie, répliqua Nakata du tac-au-tac et sans l'ombre d'un doute.
— La paie ? répondit en écho son vis-à-vis, désarçonné.
— Pour la paie, les pépettes, le flouze, la tune, le fric, tout ça quoi.
— Il me semble que vous ne comprenez pas, monsieur Rottespiser. Travailler pour la Guilde n'est pas un moyen facile de se faire de l'argent. Devenir aventurier, examinateur y compris, c'est embrasser une carrière périlleuse, au cours de laquelle mille dangers peuvent vous guetter et vous coûter la vie. Ce n'est pas le genre de travail depuis lequel vous allez pouvoir attendre docilement que votre paie tombe.

Son petit monologue sévère fut accompagné des mouvements hypnotiques que le bout de sa plume produisait à chaque petit coup sec de sa main. L'œil unique de Nakata la suivit du regard l'espace d'un instant, peu soucieux de la nature des propos que son vis-à-vis tenait. Il avait déjà entendu ce type de leçons moralisatrices mille fois. Une fois de plus ne l'extirperait guère de son exécrable condition. Aussi reprit-il, plus incisif, dès que son interlocuteur fit l'erreur de marquer une pause dans sa tirade pompeuse.

— Parce que vous pensez que rien de tout cela n'est vrai, dans la rue ? Si c'est le cas, je vais vous raconter une petite histoire. Mon histoire.


-R'gardez ! R'voilà l'crasseux ! Eh, l'crasseux ! Viens manger ! On a préparé un festin pour toi !

A peine âgé d'une huitaine d'années, Nakata déambulait dans les rues de la Capitale sans but autre que celui de dénicher quelque chose à se mettre sous la dent. Depuis combien de temps vivait-il là, en dehors des murs chatoyants et marmoréens que les belles bâtisses jetaient sur son chemin, en l'écrasant de toute leur prestance et de toute la richesse de leurs pourtours architecturaux mirifiques ? Il ne le savait pas trop. Il avait perdu le compte. On l'avait parfois aidé, parfois maltraité. Des tonnes de vieilles âmes aussi miséreuses que lui avaient eu le loisir de le prendre en pitié ; mais désormais, il préférait les éviter. Malgré la faim qui lui tenaillait l'estomac et le condamnait chaque nuit à pleurer, il préférait la solitude. Les vieilles âmes étaient rarement gratuitement altruistes. Il ne voulait plus souffrir de leurs étreintes imposées. Il les savait anormales, condamnables, odieuses. Il les abhorrait.

Quelques gamins un peu plus âgés que lui se jetèrent à sa rencontre et le chahutèrent un peu, en le poussant sèchement, avant de l'emporter avec lui comme une bête de foire qu'on traîne d'une scène à l'autre. Ils le jetèrent dans une ruelle, au pied d'une poubelle qu'ils venaient tout juste de retourner ; ils avaient écrasé quelques cafards qui formaient là une espèce de fine galette dégoûtante, qu'ils pointèrent conjointement du bout de leurs petits doigts impérieux.

-Allez, mange ! On t'a jamais dit que c'était mal de gaspiller ? Y a des gens qui meurent de faim, l'crasseux !

Il obtempéra, sans y prendre le moindre plaisir, mais sans chercher à se rebiffer non plus. A quoi bon ? Ces gamins avaient raison ; ce met, tout répugnant qu'il soit, lui permettrait de tenir un jour de plus. D'éteindre un peu la douleur qui lui rongeait les entrailles avec mécontentement, un jour après l'autre. Ils rirent de bon cœur tandis qu'une nausée menaçait de le débarrasser des protéines immondes qu'il venait d'ingurgiter ; il plaqua ses mains sur sa bouche pour en condamner l'accès, et surtout la sortie, refusant de se priver de l'énergie qu'il venait d'apporter à son corps malingre. Cette scène amusa les garnements qui s'en allèrent en jubilant ; lui, au bord des larmes, ravala la bile qui s'était insinuée dans le fond de sa bouche, se redressa, puis reprit piteusement son chemin comme si rien n'avait eu lieu.


-Je savais qu'il devait tourner par là ! Eh, les gars, y a l'crasseux !

Ils se ruèrent dans sa direction, une fois de plus ; il ne chercha pas à les fuir. A quoi bon ? Il s'y était déjà essayé, autrefois. Il avait toujours échoué. Il connaissait bien les dédales de ruelles qui couraient dans la Capitale, pour sûr ; mais eux aussi. Et ils étaient, en prime, bien plus en forme qu'il ne le serait jamais. Aussi les laissa-t-il l'encercler placidement. L'un d'entre eux le gifla avec la chose répugnante qu'il brandissait ; le cadavre d'un jeune rat, au pelage tacheté de rouge. Ils avaient dû réussir à l'attraper et à le rosser jusqu'à ce que mort s'ensuive... Comme ils auraient pu le faire ici et maintenant avec lui, si l'envie les en avait piqués. Ils le lui tendirent, non sans continuer à s'esclaffer bêtement.

-Tiens, l'crasseux ! Ton r'pas de la semaine ! Et bon appétit !

Ils rirent d'abord, quand il attrapa le cadavre répugnant de l'animal dans ses petits mains chétives ; ils firent silence, en revanche, lorsqu'il croqua dedans sans l'ombre d'une hésitation. Le sang chaud dégoulinant aux commissures de ses lèvres, les poils de l'affreux rongeurs niché entre ses dents, les nausées ballotant le fond de son ventre avec horreur, il entreprit de sourire pitoyablement, ravi d'avoir enfin quelque chose à se mettre sous la dent. Les autres gamins, eux, ne purent que conserver un masque horrifié, tétanisé par le spectacle macabre qu'il leur livrait. Ils prirent la poudre d'escampette sans trop hésiter, mortifiés par ce qu'ils venaient tout juste de voir.


-C'est toi qu'a mangé un rat d'vant mon frère, crevure ? Espèce de malade ! On d'vrait t'pendre ! Chien errant !

Ils l'encerclèrent, une fois de plus ; mais avec la ferme intention de lui régler son compte, cette fois-ci. Pourquoi ? Qu'avait-il fait d'honteux, de condamnable ? Qu'est-ce qui pouvait bien mériter cet acharnement sordide dont il faisait l'objet ? Ses cheveux roux ? Sa démarche fébrile ? Sa puanteur ? Dans tout les cas, ils se défoulèrent sur lui comme jamais ; ils le cognèrent à qui mieux-mieux, à coups de poings, à coups de pieds, à coups de bâtons, à coups de pelles. Quand il n'en put plus, recroquevillé à même le sol, tremblant et larmoyant, l'un d'entre eux s'accroupit en dégainant un coutelas ; il l'approcha lentement de son œil en affichant un sourire mauvais.

-Puisque tu manges tous les déchets, t'as qu'à te manger toi-même, enculé.


Le teint blafard, le nobliau le regardait d'un air catastrophé. Il ne pouvait pas croire qu'un tel drame avait pu se jouer là, au dehors de son bureau richement orné, dans les rues qu'il avait si fréquemment arpentées qu'il était à deux doigts de considérer qu'il les connaissait par cœur, qu'il pouvait s'y orienter même les yeux fermés. Son vis-à-vis, pourtant, ne plaisantait guère. Son air grave était porteur d'une franchise déroutante, absolument assumée. C'était ainsi qu'il avait perdu son œil. Comme ça qu'on me l'a fait bouffer, même. Le goût de sa bile, imprimée sur le fond de sa langue, lui revint nettement à l'esprit. Il l'ignora, tout comme il ignora le souvenir de la sensation d'explosion qui lui avait inondé la bouche lorsque ses dents s'étaient refermées sur son propre œil.

— Je... je ne... Sainte Lucy, quelle horreur...

Il n'avait jamais raconté ce passage particulièrement noir de son existence à quiconque. Il s'y refusait. Seimei elle-même n'en connaissait rien, ou en tout cas pas grand-chose. Il partait du principe, en revanche, qu'elle avait dû imaginer, deviner bien plus qu'il n'avait jamais voulu en dire. Elle était maline, et c'était elle qui l'avait relevé. Qui lui avait donné une seconde chance.
Sans elle, il serait mort depuis belle lurette, ignoré dans les caniveaux de cette ville splendide, où la tragédie n'était pas censée exister.

— Je ferai n'importe quoi pour aider Sei. N'importe quoi. Elle veut devenir examinatrice. Je le deviendrai aussi. Comme définiriez-vous la mort, monsieur ?
— Je ne sais pas, bredouilla l'autre, manifestement en état de choc.
— Le vide ? La solitude ? La douleur ? L'errance ? Le froid ? La faim ? Si c'est ça, pour vous, ce que me réserve de pire la vie d'examinateur... Alors je suis prêt. Plus que nul autre. Parce que j'en viens.

Dans une autre vie, il aurait pu devenir dément. Complètement cinglé. Il aurait pu se mettre à agresser les passants, à leur dérober le fruit de leur labeur, à le dépenser dans les quartiers les plus débridés de la cité. Il aurait pu se mettre à couper des gorges pour quelques piécettes, à réclamer vengeance jusqu'à ce que la garde se saisisse de lui, jusqu'à ce qu'elle le découvre, mortifiée, dans ses apparats les plus sordides. On l'aurait peut-être traduit en justice avant de le traîner jusqu'à la potence ; ou on ne se serait même pas donné cette peine, et on l'aurait abattu séance tenante d'un coup d'épée en travers du crâne. Puis on l'aurait balancé dans une fosse commune, et personne ne serait jamais venu le pleurer...
Mais elle, elle lui avait tendu la main. Et cela, il ne l'oublierait jamais.


— C'est horrible, ce qu'ils t'ont fait. Tiens bon...

Des médicaments au goût étrange, presque savoureux en comparaison de son dernier repas ; puis une espèce de potage aux légumes dans lequel trônaient quelques morceaux de pains rassis. Voilà tout ce qu'on lui avait donné pour se remplir l'estomac, après avoir pansé ses plaies, veillé à ce qu'elles ne s'infectent pas. On l'avait traîné jusqu'à une chaumière poussiéreuse où ne s'entassaient que les plaintes, que la tristesse, que la douleur ; et on lui avait donné de quoi se sustenter, de quoi reprendre des forces. De quoi survivre, un jour de plus.
Elle était jolie. Plus que quiconque. Elle était la seule à lui avoir jamais jeté un regard, adressé une attention bienveillante. Elle avait rapporté un peu de couleurs à son quotidien terne.
Seimei n'en était pas à son coup d'essai. Plusieurs fois, elle avait fait en sorte de lui apporter de quoi manger. Des restes, souvent. Des repas complets, parfois. Il lui en savait gré. Il aurait pu lui donner sa vie pour lui rendre service.
Là, avec le recul et la blessure qu'elle venait de traiter, il savait que sa vie ne suffirait plus. La dette qu'il avait contractée était inestimable. Infinie. Sa vie à lui, elle, ne valait que bien peu de choses.

— C'est mon père... merde, viens ! Cache-toi là, vite !

Il obéit, sans trop se poser de question, et s'affala dans le fond d'une armoire qu'elle avait ouverte pour lui. Elle jeta quelques vêtements sales pour le recouvrir, et referma à la hâte. Puis il l'entendit arriver. Furibond. Ivre, peut-être. Agressif, sans l'ombre d'un doute. Il l'expédia au sol d'une claque, en lui hurlant qu'il avait senti la bouffe qu'elle avait préparée depuis l'extérieur. En lui rappelant qu'elle n'avait le droit de se nourrir qu'en sa présence à lui. Qu'en son absence, il lui fallait jeûner. Il la rossa, la percuta d'une myriade de coups de pieds ; malgré cela, elle conserva la maîtrise de ses pleurs, autant que possible. Nakata, sous le couvert de ses vêtements, ne l'ignorait guère : elle faisait cela pour lui. Comme toujours. Son père l'ignorait : elle venait en aide à un gamin des rues. Comment diable aurait-il pu le tolérer ? Il aurait sans doute voulu le tuer de ses propres mains, histoire d'abréger ses souffrances. Histoire de lui apprendre, aussi, d'accepter la nourriture qu'une gamine lui tendait. Une nourriture qui ne lui appartenait pas. Une gamine qu'il ne connaissait pas.
Alors il retint ses larmes, comme elle le faisait si bien. Il l'admira, pour ça.
Et il se jura qu'il ne trouverait pas de repos tant qu'elle serait en mesure de souffrir.


— Je comprends mieux votre relation avec... cette Seimei. Je...

Ses mots se perdirent dans un murmure imperceptible ; sa plume reprit son chemin, bien qu'avec une conviction défaillante ; et l'œil unique de Nakata s'orienta vers la fenêtre, au travers de laquelle il détailla les nuages clairs que cette matinée chaude rendait rares. Ces nuages, qu'il avait toujours rêvé de caresser ; qu'il avait fini par expulser de ses poumons, un beau jour qu'il avait choisi d'arrêter de subir. De lutter, comme Seimei lui avait demandé de le faire. L'arbalète à une main qu'il avait abandonnée à l'entrée du bâtiment, elle aussi, lui avait rendu bien des services. Il était grand temps que tout cela prenne une autre tournure. Qu'il quitte la rue. Qu'il devienne quelqu'un de mieux. De bien. Pour elle.


— Je donne mon avis favorable pour votre entrée dans notre Guilde, monsieur Rottespiser. En qualité d'examinateur. Je prie pour que notre toit vous soit clément. Vous le méritez, après tout ce que vous avez vécu.
— Merci.
— Je jetterai également un coup d'œil au dossier de votre amie... Seimei Kan, c'est bien cela ? Ses qualités humaines me semblent...
— Nul besoin de vous en soucier, le coupa un Nakata arborant un sourire confiant, presque éclatant. Si j'ai réussi, alors elle aussi.

Il se redressa, et serra la main que lui tendait son interlocuteur ; puis il fit volte-face et quitta ce bureau fastueux avec empressement. Il lui tardait de la retrouver. Il n'avait plus trop l'habitude de déserter ses parages.
Une nouvelle vie s'offrait à eux. Infiniment plus belle, plus prometteuse que l'ancienne.